Réf. : Cass. civ. 2, 7 juillet 2022, n° 21-11.601, F-B N° Lexbase : A05208AI
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N2194BZB
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par Anne-Lise Lonné-Clément
le 13 Juillet 2022
► Il résulte de l'article L. 114-1 du Code des assurances que seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont soumises à la prescription biennale qu'il prévoit :
Faits et procédure. En l’espèce, une femme, qui soutenait avoir souscrit, par l'intermédiaire d'un mandataire, divers contrats auprès de la société Gan capitalisation avait assigné cette dernière, et la société Gan venant à ses droits, afin d'ordonner une expertise judiciaire destinée à vérifier la validité des contrats d'épargne au porteur qu'elle détenait, à chiffrer le préjudice résultant de la fraude dont elle déclarait avoir été victime de la part de l’intermédiaire et à condamner la société Gan au paiement d'une certaine somme sur le fondement de l'article L. 511-1 du Code des assurances N° Lexbase : L3942LK9.
Elle avait, par la suite, assigné en paiement de dommages-intérêts les sociétés Allianz vie et Allianz France (les sociétés Allianz), venant aux droits de la société AGF, auprès de laquelle elle soutenait avoir souscrit d'autres contrats.
Décision CA. Pour déclarer irrecevable l'action de l’intéressée contre la société Gan, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 2, 5, 8 décembre 2020, n° 18/27798 N° Lexbase : A1868393), après avoir constaté qu’elle avait déposé au greffe, pour consultation, les originaux de plusieurs contrats de capitalisation, avait retenu qu'en l'espèce, la demanderesse avait recherché la responsabilité de la société Gan sur le fondement des articles L. 511-1 et suivants du Code des assurances et du mandat, en soutenant que l’intermédiaire lui avait remis des bons au porteur falsifiés et qu'il n'avait pas transmis à la société Gan les fonds qu'elle lui avait remis à charge de les verser sur l'un des contrats d'assurance-vie. La cour avait ajouté que l’intermédiaire avait reçu mandat de la société Gan aux fins notamment de développer la souscription des contrats de capitalisation de cette société, que des contrats d'épargne au porteur et d'assurance-vie avaient ainsi été souscrits entre 1994 et 2002, par son intermédiaire, par l’intéressée et pour le compte de sa fille, et que des experts désignés par la société Gan avaient confirmé que certains des bons qu'il avait délivrés étaient des faux.
La cour en avait déduit que l'action exercée, qui ne visait pas uniquement à obtenir l'indemnisation de préjudices invoqués du fait de la remise de faux bons de capitalisation, mais plus globalement à indemniser l'ensemble des actes fautifs attribués au mandataire, dérivait d'un contrat d'assurance au sens de l'article L. 114-1 du Code des assurances N° Lexbase : L2081MAC qui édictait une prescription biennale.
Cassation. Le raisonnement est censuré par la Cour suprême au visa de l’article L. 114-1 du Code des assurances, lequel dispose, rappelons-le, que « Toutes actions dérivant d'un contrat d'assurance sont prescrites par deux ans à compter de l'événement qui y donne naissance ». C’est donc par une lecture a contrario de ces dispositions (de surcroît strictement interprétées, v. infra), qu’elle en déduit que « seules les actions dérivant d'un contrat d'assurance sont soumises à la prescription biennale ».
On se souvient que la Cour de cassation, en décembre 2021, avait transmis au Conseil constitutionnel une QPC dénonçant le délai de prescription biennal posé par l’article L. 114-1 du Code des assurances, « alors que le délai de prescription de droit commun, prévu à l'article 2224 du Code civil, est de cinq ans, en sorte qu'il pourrait être considéré que la disposition contestée, d'une part, porte atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, d'autre part, instaure une rupture d'égalité entre les justiciables. En effet, ces assurés, comme les autres consommateurs, se trouvent placés en position de faiblesse à l'égard de leurs cocontractants professionnels. Par ailleurs, la différence ainsi instaurée ne paraît pas justifiée par un motif d'intérêt général ».
On se souvient encore que les Sages de la rue Montpensier, par une décision controversée, avaient cependant jugé de la conformité constitutionnelle de la prescription biennale du droit des assurances (Cons. const., décision n° 2021-957 QPC, du 17 décembre 2021 N° Lexbase : A52807GN ; v. Rodolphe Bigot et Amandine Cayol, Chronique du droit des assurances - Avril 2022, Lexbase Droit privé, n° 902, 14 avril 2022 N° Lexbase : N1091BZG).
Ainsi tenue d’appliquer les dispositions en cause, en attendant l’intervention du législateur (comme elle l’a appelé de ses vœux dans son rapport annuel de 2020 : Cour de cassation, Rapport annuel 2020, p. 44 : « La Cour de cassation suggère d’aligner le délai de prescription du droit des assurances sur le délai de droit commun afin que les assurés ne se laissent plus surprendre par la brièveté du délai de deux ans de la prescription, notamment parce qu’ils ne mesurent pas que les pourparlers avec l’assureur ne suspendent pas la prescription »), la Cour suprême, censure l’interprétation extensive retenue par la cour d’appel de Paris dans la présente affaire, en violation de l’article L. 114-1 précité, « dès lors d'une part, qu'elle constatait que certains des contrats en cause étaient des contrats de capitalisation, et non des contrats d'assurance, d'autre part, que l'action engagée contre l'assureur en qualité de civilement responsable, qui tendait à la réparation d'agissements frauduleux de son mandataire, était ainsi dépourvue de lien avec les stipulations d'un contrat d'assurance ».
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