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par Vincent Vantighem
le 03 Mai 2022
En bon pilier du monde des affaires qu’il a représenté durant tant d’années, Ernest-Antoine Sellière n’a pas réagi quand le tribunal judiciaire de Paris l’a condamné à une peine de trois ans de prison avec sursis pour fraude fiscale. Mais, dans la salle des pas perdus, un peu ralenti par ses 84 ans, son sourire carnassier affiché auprès de ses proches conseillers laissait penser que la décision, rendue mercredi 20 avril en début d’après-midi, ne lui déplaisait pas tant que ça. L’ancien président du Medef dispose désormais de dix jours pour faire appel. Mais il sait trop bien le risque que cela représente dans une affaire où le parquet national financier avait requis de la prison ferme. Dans une affaire qui remonte à quinze ans et dont, à l’évidence, il aimerait bien tourner la page.
Cette affaire, c’est l’affaire dite « Wendel » du nom de la société d’investissement qu’il présidait jadis. Elle remonte à 2007. À cette époque, une quinzaine de dirigeants et de cadres s’était réparti un gain net total de 315 millions d’euros, soit environ 4,6 % du capital de la société. Le tout sans être soumis à l’impôt. La martingale avait pour nom « Solfur », un programme d’intéressement mis sur pieds pour remplacer les stock-options et qui avait généré un bénéfice colossal lié à la montée en flèche de l’action. Pour recevoir ces gains, les cadres avaient adhéré à un montage financier, très technique, passant notamment par la création de sociétés et par des emprunts importants auprès de la banque J.P. Morgan.
Mais parfois, les affaires ressemblent au monde de l’alpinisme. Et sur un chemin de crêtes, il est toujours possible que la cordée bascule d’un côté. Le bon, celui de l’optimisation fiscale. Ou le mauvais, celui de la fraude fiscale. Le tribunal judiciaire de Paris a donc tranché, mercredi 20 avril. Cette horlogerie financière avait un « but exclusivement fiscal » et visait à profiter « artificiellement » d’un régime légal de « sursis d’imposition » permettant de différer la taxation qui aurait représenté environ 110 millions d’euros au total, selon le tribunal.
Le « dévoiement » d’un dispositif légal, selon le tribunal
Il ne s’agit pas d’optimisation fiscale mais bien de « fraude fiscale », a souligné la présidente Bénédicte de Perthuis. Les prévenus ont commis « de façon délibérée voire déterminée », un « abus de droit », soit le « dévoiement » d’un dispositif légal. Pensé par le législateur pour faciliter la restructuration des entreprises, ce mécanisme était justement « au cœur des valeurs » que « représentait à l’époque » Ernest-Antoine Sellière, a insisté le tribunal, rappelant ses fonctions de patron des patrons, à la tête du Medef au nom duquel il a lutté contre les 35 heures, méritant ainsi sa marionnette aux « Guignols de l'info ».
Ernest-Antoine Sellière a « une aura particulièrement riche dans le monde des affaires » et « a porté à ce titre une responsabilité particulière ». Le tribunal rappelant au passage qu’avec 79 millions d’euros, il était le deuxième plus gros récipiendaire du montage financier. Le premier, c’est Jean-Bernard Lafonta, 60 ans, l’ancien président du directoire de Wendel. Lui s’est vu infliger une peine de quatre ans de prison avec sursis et, comme Ernest-Antoine Sellière, l’amende maximale de 37 500 euros. Une broutille, pourrait-on dire, vu les montants en jeu dans ce dossier.
Onze autres cadres et un ancien avocat fiscaliste du cabinet Debevoise & Plimpton ont été condamnés à des peines allant de l’amende avec sursis à des peines de prison avec sursis, assorties de la même amende de 37 500 euros.
Un accord favorable avec le fisc
Après un parcours judiciaire chaotique au possible, la juridiction est pourtant restée en-deçà des réquisitions du parquet national financier qui avait réclamé deux et trois ans de prison ferme contre Ernest-Antoine Sellière et Jean-Bernard Lafonta, ainsi que jusqu’à deux ans de prison ferme pour leurs coprévenus. De quoi faire planer la menace d’un appel du parquet.
Lors de leur procès, en janvier et février, tous avaient soutenu avoir cru, de bonne foi, pouvoir bénéficier de ce régime fiscal au vu de la jurisprudence de l’époque, se disant confortés par les conseils d’avocats réputés. Avant de saisir la justice en 2012, le fisc avait notifié en 2010 un lourd redressement fiscal aux associés. Et après des années de contentieux, la quasi-totalité des prévenus avait conclu une transaction avec le fisc, à la baisse par rapport à ce qu’ils auraient dû payer à l’origine.
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