Le Quotidien du 23 décembre 2021 : Droit pénal de la presse

[Jurisprudence] Diffamation : banalisation de propos homophobes et responsabilité de la personne morale

Réf. : Cass. crim., 23 novembre 2021, n° 20-86.592, F-D (N° Lexbase : A22967DE)

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[Jurisprudence] Diffamation : banalisation de propos homophobes et responsabilité de la personne morale. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/75939267-0
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par Baptise Nicaud, Maître de conférences en droit privé, Directeur du Master droit pénal international et européen, Avocat au barreau de Paris

le 23 Décembre 2021


Mots- clés : diffamation • bonne foi • dénaturation • responsabilité • personne morale

La dénaturation de propos n’est pas un élément constitutif de la diffamation mais relève de l’analyse de l’exception de bonne foi. Il en va ainsi de l’invocation de l’assimilation de propos considérés comme discriminants à l’égard d’un groupe de personne en raison de la banalisation de propos homophobes à un comportement homophobe, ces derniers ne constituant pas une dénaturation. Par ailleurs, aucune peine ne saurait être prononcée à l'encontre des personnes morales en raison des délits de presse.


 

En l’espèce, lors d’un match de rugby, un joueur d’un club a traité un joueur de l’équipe adverse de « fucking faggot » que l’on peut traduire par « putain de pédale ». Le Président du club s’est exprimé par la suite pour relativiser cette insulte. Les propos du Président ont fait l’objet d’une procédure devant la commission disciplinaire de l’association sportive organisant les compétitions. Cette dernière a publié un communiqué sur son site internet évoquant une sanction disciplinaire à l’encontre du club et de son Président. Le communiqué indiquait d’une part que « [le président] a réagi à des propos qui, entre autres démontraient un comportement homophobe, et faisaient preuve de discrimination, insultaient différents groupes et jetaient le discrédit sur le rugby par des attaques, des critiques et des paroles dénigrantes envers [l’association] ». Le communiqué relatait d’autre part la décision de la « « commission de discipline indépendante » en ce qu’elle aurait confirmé dans leur intégralité toutes les plaintes contre le Président et le club, « en estimant [entre autres] que les commentaires [du Président] étaient discriminants et insultants à l'égard de différents groupes et portaient préjudice à la réputation du rugby ».

Le club et son Président ont porté plainte avec constitution de partie civile pour diffamation à raison du contenu du communiqué de l’association. Cette dernière et son directeur général ont été condamnés à des peines d’amende, ce qui fut confirmé en appel. Le directeur général et l’association ont formé un pourvoi en cassation. Ce dernier porte sur deux points. Le premier reproche à la cour d’appel d’avoir retenu la diffamation au motif que le communiqué dénaturait les termes de la décision de la commission. Le second, relevé d’office, reproche à la cour d’appel d’avoir prononcé une peine en matière de diffamation à l’égard d’une personne morale.

Tout d’abord, s’agissant de la diffamation, l’arrêt d’appel retenait une dénaturation dans le communiqué de la décision de la commission. Selon les juges d’appel le communiqué prétendait que le Président du club « avait eu un comportement homophobe qui avait été lourdement sanctionné, alors qu'il ne l'a été que pour des propos qui tendaient à banaliser des insultes homophobes en les faisant passer pour des termes entrés dans le langage courant, sans qu'ils emportent un jugement de valeur sur l'orientation sexuelle de celui auquel ils étaient adressés et qu'ils pouvaient être admis dans " le feu de l'action " ». Pour la Cour d’appel, la banalisation de propos insultants à connotation homophobe dans ce contexte ne pouvait être assimilée à un comportement homophobe. Elle retient que la commission n’avait fait aucun amalgame en retenant que le terme employé n'avait que des connotations négatives, qu'il était insultant et discriminant, mais sans en déduire qu'il révélait un tel comportement. Les juges d’appel rejetaient par ailleurs l’exception de bonne foi au motif que cette dénaturation était volontaire, sans prudence ni nuance dans le propos.

Cette motivation est balayée par la Cour de cassation, cette dernière rappelant les modalités d’appréciation de la diffamation. Tout d’abord, la haute juridiction affirme que « la cour d'appel ne pouvait apprécier la question de la dénaturation par le communiqué de presse de la décision disciplinaire au stade de l'examen du caractère diffamatoire du propos poursuivi, une telle question relevant de l'appréciation de la bonne foi au titre de la base factuelle ». En effet, la cour d’appel ne pouvait, sur le seul motif d’une prétendue dénaturation, retenir la diffamation. Il ne revenait à la cour d’appel, à ce stade, que de caractériser l’infraction en ce que le communiqué contenait l’allégation ou l’imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. Ce n’est qu’à cette condition que la dénaturation des propos de la commission, au titre de l’analyse de l’exception de bonne foi, pourrait exclure cette dernière (en ce sens, Cass. crim., 7 mai 2018, n° 17-82.663, F-P+B N° Lexbase : A6235XMU : S. Detraz, répertoire IP/IT et Communication, Diffamation, Mars 2021).

Or, sur ce point, la Cour, en sa qualité exceptionnelle de troisième degré de juridiction de juridiction en la matière, reprend une analyse classique de la bonne foi pour in fine rejeter toute dénaturation. En effet, il est de règle qu’en matière de bonne foi quatre critères s’appliquent (le but légitime de l’expression, l’enquête sérieuse, la prudence, et l’absence d’animosité personnelle), tout en recherchant, d’abord, selon les standards de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), « si lesdits propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, notamment s'agissant de l'absence d'animosité personnelle et de la prudence dans l'expression » (Cass. crim., 21 avril 2020, n° 19-81.172, F-D N° Lexbase : A17903LU). Ainsi, la Cour retient que le rédacteur du communiqué s’est exprimé dans un but légitime de rendre compte de la décision disciplinaire. Elle retient par ailleurs que les propos tenus dans le communiqué reposaient sur une base factuelle suffisante. En effet, il est constaté que le Président du club a pris la parole pour relativiser le caractère homophobe d’une insulte prononcée par l’un des joueurs. La commission disciplinaire l’a alors sanctionné en retenant qu’il s’agissait de propos discriminants à l’égard de certains groupes. Pour la Cour, l’affirmation d’un comportement homophobe dans le communiqué ne constituait alors pas une dénaturation de la décision de la commission. Il ne s’agissait donc là que de la transcription, dans le langage courant, de la caractérisation de propos discriminant à l’égard d’un groupe de personne en fonction de son orientation sexuelle. Si l’on sait que la Cour entend réprimer les injures homophobes (en ce sens, Cass. crim., 19 février 2019, n° 18-82.745, F-D N° Lexbase : A8781YYU), elle laisse ici une liberté de langage pour qualifier et dénoncer les comportements de ceux qui les banalisent où les relativisent.

Ensuite, la Cour a relevé d’office un second moyen pris en violation de l’article 93-4 de la loi n° 82-652, du 29 juillet 1982, sur la communication audiovisuelle (N° Lexbase : C00954ZK). En effet, la Cour d’appel a condamné l’association au motif que le communiqué de presse, publié sur internet, a été établi au nom et pour le compte de la personne morale et que cette dernière, n’étant pas un organe de presse, ne pouvait bénéficier du régime de responsabilité des articles 42 (N° Lexbase : C98074YU) et 43 de la loi de 1881, sur la liberté de la presse (N° Lexbase : C98084YW). En effet, ce régime de responsabilité, en son article 43-1 (N° Lexbase : C98094YX), conduit à rendre inapplicable les dispositions de l’article 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) qui rendent responsables les personnes morales des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou leur représentant. Or, la Cour de cassation rappelle deux choses. Dans un premier temps, le régime des articles 42 (N° Lexbase : C98074YU) et 43 (N° Lexbase : C98084YW) vaut pour toute personne morale, ce qui aurait pu empêcher la condamnation de la personne morale pour un délit de presse. Dans un second temps, le régime de responsabilité d’une communication par voie électronique relève non pas des articles 42 (N° Lexbase : C98074YU) et 43 (N° Lexbase : C98084YW) de la loi de 1881, mais des articles 93-2 (N° Lexbase : Z71722PS) et suivants de la loi de 1982 (en matière de délit de droit commun, v. Cass. crim., 5 octobre 2021, n° 20-85.985, F-B N° Lexbase : A3014487). En tout état de cause, cette loi prévoit à l’article 93-4 une disposition analogue à l’article 43-1 (N° Lexbase : C98094YX) qui empêche toute condamnation d’une personne morale pour des délits de presse commis sur internet. Il en résulte que l’association ne pouvait faire l’objet d’une condamnation.

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