Le Quotidien du 12 juillet 2021 : Bancaire

[Brèves] Précisions sur le droit régissant la clôture du compte ouvert à l’aide de la procédure du « droit au compte »

Réf. : Cass. com., 30 juin 2021, n° 19-14.313, FS-B (N° Lexbase : A21264YE)

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[Brèves] Précisions sur le droit régissant la clôture du compte ouvert à l’aide de la procédure du « droit au compte ». Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/70137445-0
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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 20 Juillet 2021

► En matière de clôture d’un compte ouvert à l’aide de la procédure du droit au compte, constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de l’article L. 312-1, IV, 1° du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9624LGK), le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte.

Le banquier peut, en principe, choisir son cocontractant. Cependant, l’ouverture d’un compte bancaire est devenue une nécessité depuis bien longtemps déjà. Fort de ce constat, le législateur est venu prévoir, par la loi n° 84-46, du 24 janvier 1984, relative au contrôle et à l’activité des établissements de crédit (N° Lexbase : L7223AGM), le droit pour tous à bénéficier d’un compte de dépôt. Ce droit au compte, qui témoigne des « fonctions sociales du banquier », fait partie d’un mouvement plus large, que l’on nomme aujourd’hui « l’inclusion bancaire ».

Or, il convient de noter qu’un compte ouvert ainsi grâce à la procédure du droit au compte, peut être clôturé par le banquier. Ce dernier devra simplement respecter une procédure particulière, qui a d’ailleurs été renforcée par l’ordonnance n° 2016-1808 du 22 décembre 2016 (N° Lexbase : L9156LBQ) ayant notamment assuré la transposition en droit interne de la Directive n° 2014/92/UE, du 23 juillet 2014, sur la comparabilité des frais liés aux comptes de paiement, le changement de compte de paiement et l'accès à un compte de paiement assorti de prestations de base (N° Lexbase : L1146I49).

C’est ainsi que, depuis, l’article L. 312-1, IV, du Code de commerce ne permet à l’établissement de crédit de résilier unilatéralement la convention de compte de dépôt assorti des services bancaires de base que si l’une au moins des conditions envisagées par ce passage est remplie. Il en va ainsi lorsque : le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ; le client a fourni des informations inexactes ; le client ne répond plus aux conditions de domicile ou de résident ; etc..

Par ailleurs, un délai de préavis de deux mois doit être octroyé au titulaire du compte. Il n’en va différemment que si le motif à cette résiliation est le fait que le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales ou s’il a fourni des informations inexactes, c’est-à-dire les deux premiers cas envisagés comme légitimant une telle résiliation.

Or, l’arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2021 démontre que l’hypothèse de l’utilisation délibérée du compte pour des opérations « douteuses » peut susciter des interrogations.

Faits et procédure. En l’espèce, la société K., spécialisée dans la fabrication de dispositifs utilisés dans l’industrie pétrochimique, ayant pour partenaire commercial la société iranienne T., a saisi la Banque de France au titre du droit à l’ouverture de compte prévu par l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier à la suite du refus de la banque A. d’entrer en relation avec elle. Cette dernière, finalement désignée par la Banque de France, lui a ouvert un compte de dépôt le 15 mai 2017.

Par lettre recommandée du 14 février 2018, la banque a notifié à la société K. sa décision de clôturer son compte, sans préavis, en indiquant que le motif de la rupture était un « fonctionnement atypique de votre compte (article L. 312-1-IV-1° du code monétaire et financier) ».

Une ordonnance de référé, confirmée en appel, ayant dit que la clôture du compte de la société K. constituait un trouble manifestement illicite et ordonné le maintien du compte, la banque a assigné la société K. afin de voir constater la validité de la résiliation du compte.

La cour d’appel de Grenoble (CA Grenoble, 6 décembre 2018, n° 18/02616 N° Lexbase : A4495YP8) a considéré, par une décision du 6 décembre 2018, que la banque n’avait pas régulièrement notifié, ni dans la forme, ni au fond, la résiliation du compte de dépôt ouvert dans ses livres au nom de la société K. dans le cadre du droit au compte défini à l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier.

Pourvoi. En réaction, la banque a formé un pourvoi en cassation. Elle rappelait, par l’intermédiaire de ce dernier, que « constitue une utilisation du compte le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte. Or, en l’occurrence, la société [K.] avait transmis son relevé d’identité bancaire à sa contrepartie iranienne, laquelle l’avait communiqué aux intermédiaires composant le circuit financier mis en place pour contourner les sanctions financières décidées par la Communauté internationale ». Dès lors, « en retenant qu’il n’y aurait eu là qu’une tentative d’utilisation illicite du compte, cependant qu’il s’agissait d’une tentative consommée, assimilable à tout le moins à un commencement d’utilisation illicite, de nature à faire naître un soupçon, la cour d’appel [aurait] violé les articles L. 312-1, IV et L. 561-8 (N° Lexbase : L0667LWM) du Code monétaire et financier, dans leur rédaction applicable en la cause, lus à la lumière des articles 19 de la Directive n° 2014/92/UE du 23 juillet 2014 et de la Directive n° 2015/849 du 20 mai 2015 (N° Lexbase : L7601I8Z) ».

Décision. Ce moyen parvient à convaincre la Haute juridiction qui casse et annule en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d’appel de Grenoble.

La Cour de cassation commence par rappeler qu’il résulte de l’article L. 312-1, IV, 1° du Code monétaire et financier que l’établissement de crédit peut résilier unilatéralement la convention de compte assorti des services bancaires de base, ouvert en application du droit au compte, lorsque le client a délibérément utilisé son compte pour des opérations que l’organisme a des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, auquel cas il est dispensé de lui accorder un préavis. Une importante précision est alors donnée par la Haute juridiction, « constitue une utilisation délibérée du compte, au sens de ce texte, le fait, pour son titulaire, d’en communiquer les coordonnées à un cocontractant afin qu’il effectue un paiement par virement sur ce compte ».

Or, pour écarter les conclusions de la banque qui soutenait qu’en communiquant son relevé d’identité bancaire à son cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une société chinoise, la société K. avait délibérément utilisé son compte pour une opération qu’elle-même avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, et juger que la résiliation du compte par la banque pour ce motif était irrégulière, l’arrêt de la cour d’appel de Grenoble avait considéré  que le virement annoncé le 21 décembre 2017, qui constituait l’opération atypique invoquée par la banque, n’était parvenu à cette dernière que le 2 mars 2018, soit postérieurement à la décision de clôture du compte, de sorte qu’il ne pouvait être soutenu qu’à la date de cette décision, la société K. avait déjà délibérément utilisé son compte de dépôt pour des opérations que la banque avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales.

Dès lors, en se déterminant par de tels motifs, impropres à exclure, en l’état des circonstances invoquées par la banque, l’utilisation délibérée du compte pour des opérations que celle-ci avait des raisons de soupçonner comme poursuivant des fins illégales, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.

Observations. Voilà qui donne de larges pouvoirs à l’établissement teneur de compte. Le simple fait pour un client, ayant bénéficié de la procédure du droit au compte, de communiquer un RIB à un cocontractant iranien pour que celui-ci lui fasse parvenir un virement par l’intermédiaire d’une autre société est de nature à légitimer la rupture du compte en question. À vouloir ainsi donner une portée très large à ces cas permettant une clôture du compte, le juge n’affaiblit-il pas le régime juridique du droit au compte ? On peut légitimement se poser la question.

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