Le Quotidien du 6 mai 2020 : Droit pénal international et européen

[Brèves] Violences policières : la France condamnée en raison de gestes violents des policiers du GIPN au cours de l’interpellation d’un suspect

Réf. : CEDH, 30 avril 2020, Req. n° 43207/16, Castellani c/ France (N° Lexbase : A10443LA)

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par Marie-Lou Hardouin-Ayrinhac

le 27 Mai 2020

► Après 18 ans de procédure, la France est condamnée pour violation de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (N° Lexbase : L4764AQI) dans l’affaire Castellani c/ France ;

la CEDH juge que l’opération policière au domicile du requérant n’a pas été planifiée ni exécutée de telle sorte que les moyens employés soient strictement nécessaires pour atteindre ses buts ultimes, à savoir l’interpellation d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction pénale ;

elle ajoute que le requérant n’a pas été poursuivi pour des faits de rébellion et les gestes accomplis par plusieurs policiers casqués et protégés par des boucliers ont été particulièrement violents ;

la Cour conclut que les moyens employés n’étaient donc pas strictement nécessaires pour permettre l’interpellation du requérant et que la force physique dont il a été fait usage à son encontre n’a pas été non plus rendue nécessaire par son comportement.

C’est ainsi que statue la Cour européenne des droits de l’Homme dans un arrêt de chambre rendu le 30 avril 2020 (CEDH, 30 avril 2020, Req. 43207/16, Castellani c/ France N° Lexbase : A10443LA).

Résumé de l’affaire Les faits de l’espèce concernaient la plainte du requérant, victime de violences au cours de son interpellation à son domicile en présence de sa femme et de sa fille, par le GIPN, une unité d’élite de la police française.

Le requérant a introduit une requête devant la Cour européenne des droits de l’Homme le 19 juillet 2016. Invoquant l’article 3 de la Convention (N° Lexbase : L4764AQI), le requérant se plaint d’avoir été victime de violences lors de son interpellation par la police, alors que l’intervention du GIPN, comme l’usage de la force, n’étaient ni nécessaires ni proportionnés.

Décision. Par cet arrêt du 30 avril 2020, la Cour condamne la France à verser au requérant 2 803 euros pour dommage matériel, et 20 000 euros pour dommage moral au titre de la violation de l’article 3 de la Convention. Elle juge que l’opération policière au domicile du requérant n’a pas été planifiée ni exécutée de telle sorte que les moyens employés soient strictement nécessaires pour atteindre ses buts ultimes, à savoir l’interpellation d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction pénale. La Cour ajoute que le requérant n’a pas été poursuivi pour des faits de rébellion et les gestes accomplis par plusieurs policiers casqués et protégés par des boucliers ont été particulièrement violents. Elle conclut que les moyens employés n’étaient donc pas strictement nécessaires pour permettre l’interpellation du requérant et que la force physique dont il a été fait usage à son encontre n’a pas été non plus rendue nécessaire par son comportement.

Souffrances physiques et psychiques. La Cour relève d’emblée que l’ensemble des certificats médicaux établis ont constaté que le requérant souffrait de blessures importantes. Outre des souffrances physiques, le requérant a dû supporter des souffrances psychiques. En l’espèce, l’arrestation du requérant, très tôt le matin à son domicile, après une ouverture forcée du portail et de la porte d’entrée, par de nombreux agents cagoulés et armés, devant sa compagne et sa fille, a nécessairement provoqué de forts sentiments de peur et d’angoisse chez lui, susceptibles de l’humilier et de l’avilir à ses propres yeux et aux yeux de ses proches.

Planification de l’opération. La Cour considère qu’en principe, il ne lui appartient pas de juger du choix d’un service plutôt qu’un autre pour appréhender une personne aux fins d’audition dans le cadre d’une enquête pénale. Néanmoins, elle rappelle que l’intervention d’unités spéciales habituellement engagées dans des situations d’extrême violence ou particulièrement périlleuses exigeant des réactions promptes et fermes peut comporter des risques particuliers d’abus d’autorité et de violation de la dignité humaine. Elle considère que l’intervention de telles unités doit donc être entourée de garanties suffisantes (mutatis mutandis, CEDH, 17 juillet 2007, Req. 48666/99, Kučera c/ Slovaquie, § 122, disponible en anglais uniquement). En l’espèce, le but de l’intervention policière avec le concours du GIPN était, dans un premier temps, d’interpeller une certaine famille, famille amie et voisine du requérant. Le commandant avait demandé l’intervention du GIPN au juge d’instruction puis obtenu l’accord du directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) afin d’interpeller, non pas le requérant, mais uniquement les membres de ladite famille qui avaient déjà été condamnés pour violences et séquestration de fonctionnaire de police. Ce n’est qu’à la suite de l’interpellation de certains membres de cette famille que la commandante de police profita de l’opportunité de la présence du GIPN pour demander son assistance dans l’interpellation du requérant, impliqué dans les mêmes faits, sans que le juge d’instruction ait été informé ni que le DDSP ait donné son accord. La Cour relève en conséquence que cette opération n’a pas bénéficié des garanties internes existantes entourant normalement l’intervention de ce type d’unités spéciales.

Par ailleurs, la Cour relève que certaines juridictions internes ont, elles-mêmes, remis en cause la proportionnalité de l’intervention du GIPN au regard des circonstances de l’espèce.

Concernant la personnalité du requérant, la Cour constate que les juges internes ont considéré que le caractère de dangerosité du requérant mis en avant pour justifier l’intervention du GIPN ne résultait que des déclarations des fonctionnaires de police ayant requis l’intervention et n’était étayé par aucun élément probant.

De plus, il ressort du dossier qu’aucune investigation préalable afin de déterminer si le requérant serait seul au moment de son interpellation n’est alléguée.

Après avoir pris en compte toutes les circonstances particulières de l’espèce, la Cour considère que l’opération policière au domicile du requérant n’a pas été planifiée ni exécutée de manière à s’assurer que les moyens employés soient strictement nécessaires pour atteindre ses buts ultimes, à savoir l’interpellation d’une personne suspectée d’avoir commis une infraction pénale.

Usage de la force par les fonctionnaires de police. Il n’est pas contesté, d’une part, que les lésions constatées sur le requérant ont été causées par les policiers qui ont procédé à son interpellation et, d’autre part, que le requérant a frappé l’un d’entre eux avec une barre de fer. Le requérant et le Gouvernement n’ont cependant pas la même version du déroulement des faits. La Cour note que le tribunal correctionnel a jugé, par une décision devenue définitive, que le requérant avait pu légitimement se croire agressé à son domicile et qu’il avait agi en état de légitime défense. En conséquence, la Cour ne peut retenir la thèse du Gouvernement selon laquelle le requérant aurait sciemment agressé les forces de l’ordre ce qui ne ressort que des affirmations des policiers impliqués dans les faits litigieux et mis en cause, à l’exclusion de tout autre élément de la procédure.

La Cour constate néanmoins, d’une part, que le requérant n’a pas été poursuivi pour des faits de rébellion et, d’autre part, que les gestes accomplis par plusieurs policiers casqués et protégés par des boucliers ont été particulièrement violents.

La Cour conclut que les moyens employés n’étaient pas strictement nécessaires pour permettre l’interpellation du requérant et que la force physique dont il a été fait usage à son encontre n’a pas été non plus rendue nécessaire par son comportement.

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