Lexbase Social n°460 du 3 novembre 2011 : Droit social européen

[Jurisprudence] Prestations familiales ou assurance vieillesse : la CJUE veille à une application stricte du droit européen, au bénéfice des assurés sociaux

Réf. : CJUE, 20 octobre 2011, deux arrêts, aff. C-225/10 (N° Lexbase : A7804HYP) et aff. C-123/10 (N° Lexbase : A7802HYM)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

le 03 Novembre 2011

La CJUE a rendu, le 20 octobre 2011, deux arrêts relevant du droit de la Sécurité sociale, à savoir les prestations familiales et les prestations vieillesse. La première affaire (CJUE, 20 octobre 2011, C-225/10) porte sur l'application du Règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 (N° Lexbase : L4570DLT). Des ressortissants espagnols, résidant en Espagne, ont travaillé en Allemagne en qualité de travailleurs migrants. Chacun d'eux est (ou était) le père d'un enfant handicapé âgé de plus de 18 ans. Au titre du handicap de leurs enfants, ils ont été confrontés au refus par la Familienkasse Nürnberg du paiement de la prestation allemande pour enfants à charge, au motif qu'ils ont droit en Espagne à des prestations familiales d'un montant plus élevé que la prestation correspondante qui leur est servie en Allemagne et qu'ils peuvent donc à tout moment demander le bénéfice de celles-ci (1). La seconde affaire (CJUE, 20 octobre 2011, C-123/10) porte sur la Directive 79/7 du Conseil du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de Sécurité sociale (N° Lexbase : L9364AUD). Le litige opposait Mme B. à l'organisme autrichien d'assurance vieillesse au sujet de l'augmentation du montant de la pension de retraite qui lui a été octroyée au titre du régime de péréquation des pensions prévu pour l'année 2008, qu'elle estime discriminatoire (2). Certes, les deux affaires restent différentes quant à leur objet (prestation familiale, prestation de vieillesse) et quant aux enjeux juridiques en cause (détermination de l'Etat compétent pour verser une prestation, ici ; atteinte au principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, là). Mais au-delà des différences, leurs points communs sont les plus marquants : même domaine (les deux arrêts sont relatifs à des prestations de Sécurité sociale) et même questionnement, relativement à l'application des textes européens (I) ; sur le fond, même problématique : le droit européen a mis en place un régime de protection au profit des assurés sociaux, pour qu'ils puissent bénéficier de ces prestations, alors même qu'ils se seraient déplacés et auraient séjournés dans un Etat membre autre que leur Etat de résidence. Les deux arrêts illustrent la même idée : la CJUE veille à la bonne application des dispositions du droit européen, soit pour que les organismes de protection sociale ne fassent pas obstacle au bénéfice des prestations sociales (hypothèse de circulation des travailleurs), soit que les assurés sociaux jouissent effectivement de prestations sociales, sans discrimination tenant à l'appartenance à un sexe (hors hypothèse de circulation des travailleurs) (II).
Résumé

CJUE, 20 octobre 2011, aff., C-225/10

Les titulaires d'une pension de vieillesse ayant été soumis à la législation de plusieurs Etats membres, mais dont les droits à pension sont fondés sur la seule législation de l'ancien Etat membre d'emploi, sont en droit de réclamer aux autorités de cet Etat l'intégralité du montant des allocations familiales prévues par cette législation en faveur des enfants handicapés, alors même qu'ils n'ont pas demandé dans l'Etat membre de résidence à bénéficier des allocations comparables d'un montant plus élevé prévues par la législation de ce dernier Etat, en raison du fait qu'ils ont opté pour l'octroi d'une autre prestation pour handicapés qui est incompatible avec celles-ci, dès lors que le droit aux allocations familiales dans l'ancien Etat membre d'emploi a été acquis en vertu de la seule législation de ce dernier.

CJUE, 20 octobre 2011, aff. C-123/10

Un régime de péréquation annuelle des pensions relève du champ d'application de la Directive 79/7 du Conseil du 19 décembre 1978. Il est dès lors soumis à l'interdiction de discrimination (énoncée à l'article 4 § 1).

Compte tenu des données statistiques produites et à défaut d'éléments contraires, la juridiction de renvoi serait fondée à considérer que cette disposition s'oppose à un dispositif national qui aboutit à exclure d'une augmentation exceptionnelle des pensions un pourcentage considérablement plus élevé de femmes pensionnées que d'hommes pensionnés.

Si la juridiction de renvoi devait parvenir à la conclusion selon laquelle, un pourcentage considérablement plus élevé de femmes pensionnées que d'hommes pensionnés est susceptible d'avoir subi un désavantage en raison de l'exclusion des pensions minimales de l'augmentation exceptionnelle prévue par le régime de péréquation, ce désavantage ne peut être justifié par le fait que les femmes ayant travaillé accèdent plus tôt au bénéfice de la pension, que celles-ci perçoivent leur pension plus longtemps ni ou en raison de la circonstance que le barème du supplément compensatoire a également fait l'objet d'une augmentation exceptionnelle pour la même année 2008.

I - Champ d'application des dispositifs en cause (Règlement CEE n° 1408/71 et Directive 79/7)

La question de l'application du Règlement CEE n° 1408/71 ou de la Directive 79-7 s'est posée dans les deux affaires, la CJUE décidant dans les deux cas que les textes en question s'appliquaient bien, conformément à sa jurisprudence.

A- Notion de "prestation familiale", au sens du Règlement CEE n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971

La problématique de la détermination du champ d'application du Règlement CEE n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 n'est pas nouvelle, et la doctrine a consacré déjà de substantiels travaux (3). Dans l'affaire C-225/10, il était d'abord question du champ d'application du Règlement n° 1408/71, c'est-à-dire, de savoir si les prestations familiales en cause relevaient des articles 77 et 78 du Règlement n° 1408/71. Selon les articles 77 § 1 et 78 § 2 du Règlement n° 1408/71, les "prestations" visées sont les "allocations familiales". Or, en vertu de l'article 1er -u-ii du dudit Règlement, les termes "allocations familiales" désignent les prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre, et de l'âge des membres de la famille.

Les "allocations familiales" dont les articles 77 et 78 prévoient le versement sont uniquement les prestations qui satisfont à cette définition, à l'exclusion de toute autre prestation familiale pour enfants à charge. La CJCE a ainsi rappelé, en 2001 (4), que l'article 77 du Règlement n° 1408/71 réserve au titulaire d'une pension ou d'une rente due au titre de la législation d'un seul Etat membre, demeurant sur le territoire d'un autre Etat membre, le seul bénéfice des allocations familiales, à l'exclusion d'autres prestations familiales (5). L'article 77 a pour objet spécifique de préciser les conditions auxquelles un titulaire de pension peut prétendre au bénéfice de prestations pour enfants à charge à l'égard de l'Etat membre au titre de la législation duquel une pension lui est versée. Cette disposition circonscrit expressément son champ d'application par référence aux seules allocations familiales. Ni la règle de non-discrimination sur le fondement de la nationalité (formulée à l'article 3 § 1 du Règlement n° 1408/71) ni aucune autre disposition du même règlement ne sauraient être interprétées en ce sens qu'elles permettent à un titulaire de pension qui réside en dehors du territoire de l'Etat membre débiteur de cette pension d'obtenir, à charge de ce dernier, des prestations pour enfants à charge autres que des allocations familiales. Bref, le financement des études institué par la WSF ne saurait être considéré comme une allocation familiale au sens du Règlement n° 1408/71, une telle qualification étant réservée aux prestations accordées exclusivement en fonction du nombre et de l'âge des membres de la famille.

Toujours en 2001 (6), la CJCE s'est prononcée sur cette question de champ d'application de l'article 77 du Règlement n° 1408/71. Les prestations pour enfants à charge auxquelles ont droit les titulaires de pensions ou de rentes, quel que soit l'Etat membre sur le territoire duquel ils résident, sont les allocations familiales et elles seules. Le terme "allocations familiales" désigne les prestations périodiques en espèces accordées exclusivement en fonction du nombre et de l'âge des membres de la famille. La Cour a déjà jugé que la définition des "allocations familiales" contenue à l'article 1er -u-ii du Règlement n° 1408/71 était celle qui devait être utilisée pour l'interprétation de l'article 77. En l'espèce, l'allocation luxembourgeoise d'éducation a pour objet de compenser la perte de revenus subie lorsque l'un des parents se consacre principalement à l'éducation d'enfants de moins de deux ans au foyer familial. Le montant de cette allocation est fixé indépendamment du nombre d'enfants élevés dans un même foyer. L'allocation d'éducation ne correspond donc pas à la définition des "allocations familiales" donnée à l'article 1er -u- ii du Règlement.

Mais en l'espèce, pour la CJUE, la question du champ d'application ne se pose finalement pas : tout comme la prestation allemande pour enfants à charge prévue dans l'ancien Etat membre d'emploi des intéressés (c'est-à-dire l'Allemagne), la prestation espagnole pour enfants à charge prévue par le décret législatif 1/1994 dans leur Etat membre de résidence (c'est-à-dire, l'Espagne) constitue une prestation relevant des "allocations familiales" au sens de l'article 1er -u-ii du Règlement n° 1408/71 et, donc, une prestation relevant des articles 77 et 78 de ce Règlement.

B - Régime autrichien de garantie de pouvoir d'achat des pensions de retraite et application de la Directive 79/7 du 19 décembre 1978

La problématique de la détermination du champ d'application de la Directive 79/7 du 19 décembre 1978 n'est pas non inédite et la doctrine s'est également beaucoup investie dans ces questions de discrimination (7).

Pour relever du champ d'application de la Directive 79/7, une prestation doit constituer tout ou partie d'un régime légal de protection contre l'un des risques énumérés à l'article 3 § 1 de cette Directive (invalidité, vieillesse, accident du travail et maladie professionnelle, chômage) ou une forme d'aide sociale ayant le même but, et être directement et effectivement liée à la protection contre l'un de ces risques (8). La prestation en cause (régime de péréquation annuelle des pensions) fait partie d'un régime légal dans la mesure où elle est prévue par une loi (à savoir les dispositions de l'ASVG comportant le régime de péréquation des pensions pour l'année 2008).

De plus, la prestation versée au titre du régime de péréquation annuelle des pensions est directement et effectivement liée à la protection contre l'un des risques énumérés à l'article 3 § 1 de la Directive 79/7, en l'espèce, le risque vieillesse. En effet, comme le note la CJUE (point 44), tout comme la pension elle-même, la péréquation ultérieure de celle-ci tend à protéger les personnes ayant atteint l'âge légal de la retraite contre le risque de vieillesse, en garantissant que ces personnes puissent disposer des moyens nécessaires au regard, notamment, de leurs besoins en tant que personnes retraitées. Le régime de péréquation vise à maintenir le pouvoir d'achat de la pension par l'indexation de son montant sur l'évolution des prix à la consommation.

II - Atteintes aux droits protégés par le droit européen

La CJUE, par ces deux arrêts, devait répondre à deux questions : au nom du principe de non-cumul, un Etat peut-il refuser de verser une prestation, et à quelles conditions ? Dans quelle mesure une situation interne peut-elle relever du droit européen, portant sur la prohibition de toute discrimination entre les hommes et les femmes ?

A - Le droit à une prestation familiale versée par l'Etat d'emploi

La question posée est de savoir si l'organisme allemand est en droit de refuser le versement aux ressortissants de l'Etat espagnol des allocations familiales auxquelles ceux-ci ont droit en vertu de la seule réglementation nationale de cet Etat membre, au motif que selon les articles 77 § 2-b-i et 78 § 2- b- i du Règlement n° 1408/71, leur nouvel Etat membre de résidence (Espagne) est désormais exclusivement compétent pour procéder au versement de ces allocations, dès lors que les intéressés ont quitté leur ancien Etat membre d'emploi (Allemagne) pour retourner dans leur Etat membre d'origine (Espagne). En l'espèce, pendant une certaine période, les requérants ont reçu, pour leurs enfants handicapés à charge, les allocations familiales allemandes. Par la suite, le paiement de cette prestation a été suspendu : selon les autorités allemandes, les requérants auraient un droit "ouvert" aux allocations familiales espagnoles. Donc, les allocations familiales allemandes ne leur seraient plus dues.

Le rappel du régime est simple : l'Etat membre de résidence (en l'espèce, l'Espagne) est désigné par les dispositions du Règlement n° 1408/71 comme seul compétent pour accorder les allocations familiales. Toutefois, ce n'est que lorsqu'un droit aux allocations familiales est "ouvert" en vertu de la législation de l'Etat membre de résidence que celui-ci est désigné par le Règlement n° 1408/71 comme l'Etat compétent. En d'autres termes, comme le relève l'avocat général (9) en vertu de l'article 77 du règlement, si un retraité a droit aux prestations au titre des règles de plusieurs Etats membres, il appartient en principe à l'Etat de résidence de payer les allocations familiales.

En l'espèce, telle est précisément la question, la juridiction de renvoi cherchant à déterminer la portée du terme "ouvert" au sens des articles 77 § 2 sous b-i et 78 § 2 -b- i du Règlement n° 1408/71, c'est-à-dire à savoir si le droit aux allocations familiales prévu dans l'Etat membre de résidence (Espagne) peut être considéré comme étant "ouvert", lorsque ce droit n'y est exclu qu'en raison du propre choix des intéressés d'opter pour l'octroi d'une autre prestation incompatible avec lesdites allocations familiales, ceux-ci ayant exercé à cet égard un droit d'option prévu par le droit interne.

Pour pouvoir considérer les allocations familiales comme "ouvertes" en vertu de la législation d'un Etat membre, la loi de cet Etat doit reconnaître le droit au versement de prestations en faveur du membre de la famille qui travaille ou a travaillé dans cet Etat, ces prestations étant ainsi dues en vertu de cette législation. La reconnaissance d'un tel droit exige que la personne intéressée remplisse toutes les conditions (tant de forme que de fond) imposées par la législation interne de cet Etat pour pouvoir exercer ce droit, parmi lesquelles peut figurer la condition selon laquelle une demande préalable doit avoir été introduite en vue du versement de telles prestations (10).

Est-ce à dire que, lorsque les allocations familiales (espagnoles) ne peuvent pas être demandées par les intéressés parce que ceux-ci ont opté pour une autre prestation dont l'octroi exclut le versement de ces allocations, le droit à ces dernières ne saurait être considéré comme y étant "ouvert"(11) ? La CJUE s'y refuse. En effet, la réglementation de l'Union en matière de coordination des législations nationales de Sécurité sociale ne saurait être appliquée de façon à priver le travailleur migrant du bénéfice des prestations accordées en vertu de la seule législation d'un Etat membre, sur la base des seules périodes d'assurance accomplies sous cette législation (12). En l'espèce, chacun des intéressés disposait en Allemagne d'un droit à une pension acquis sur la base de la seule législation allemande en vertu des périodes d'assurance accomplies dans cet Etat membre.

Bref, pour la CJUE, l'ancien Etat membre d'emploi (l'Allemagne) ne peut refuser de verser aux intéressés les allocations familiales ouvertes en vertu de la seule législation de cet Etat, au seul motif que ces intéressés auraient pu demander le bénéfice d'allocations familiales d'un montant plus élevé dans leur Etat membre de résidence (point 54).

Au final, il faut préciser que la CJUCE a réaffirmé, à propos de l'article 76 § 1 du Règlement, qu'une prestation n'est pas "due" si, alors même qu'il pourrait y prétendre, le bénéficiaire ne la reçoit pas parce qu'il n'en a pas fait la demande (13). L'article 76 § 2 a été ajouté par la suite par le législateur (14), en réaction à cette orientation de la jurisprudence de la CJCE. L'article 76 disposait à l'origine que le droit aux prestations ou allocations familiales dues (en vertu des dispositions des articles 73 ou 74) est suspendu si, en raison de l'exercice d'une activité professionnelle, des prestations ou allocations familiales sont également dues en vertu de la législation de l'Etat membre sur le territoire duquel les membres de famille résident. L'article 76 § 2, dans sa rédaction en vigueur actuellement, prévoit au contraire que l'absence de présentation d'une demande de prestations permet à un Etat membre d'agir comme si l'Etat auquel devait être présentée la demande avait versé les prestations. Le Règlement n° 3427/89 du Conseil du 30 octobre 1989 (N° Lexbase : L2144IRT) a inclu un § 2 à l'article 76 visant à permettre à l'Etat membre d'emploi de suspendre le droit aux prestations familiales si une demande en vue d'obtenir le versement de ces prestations n'a pas été introduite dans l'Etat membre de résidence et si, par conséquent, aucun versement n'a été effectué par ce dernier.

B - Le droit à une prestation complémentaire de retraite non discriminatoire

En droit interne, la thématique de la gestion des inégalités de genre a donné lieu à de nombreux débats, notamment à l'occasion de la réforme des retraites, en novembre 2010 (15). En droit européen, la CJUE est sollicitée fréquemment (16).

1 - Discrimination indirecte

Le point ne pose pas de grandes difficultés. La législation nationale autrichienne ne comporte pas de discrimination directe, dès lors qu'elle s'applique indistinctement aux travailleurs masculins et aux travailleurs féminins. Elle présente plutôt les caractéristiques d'une discrimination indirecte. Tel est le cas lorsque l'application d'une mesure nationale, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes (arrêt rapporté, aff. C-123/10, points 55 et 56) (17).

2 - Caractère discriminatoire

En l'espèce, la juridiction de renvoi avance que des assurés sociaux (à l'instar de la requérante, Mme B.) qui perçoivent une pension minimale (pension dont le montant se situe au-dessous du barème du supplément compensatoire) subissent un désavantage, dès lors qu'elles sont exclues de l'augmentation exceptionnelle accordée aux personnes bénéficiant de pensions plus élevées et qu'elles n'ont en principe droit qu'à l'augmentation moindre prévue à l'article 108 h § 1 de l'ASVG, laquelle a été fixée pour l'année 2008 à 1,7 %.

Ce désavantage touche-t-il un nombre beaucoup plus élevé de femmes que d'hommes ? Oui, selon la CJUE, s'appuyant sur des données chiffrées : s'agissant des personnes relevant de l'ASVG, 75 % des hommes pensionnés étaient susceptibles de bénéficier de l'augmentation exceptionnelle des pensions alors que tel n'était le cas que pour 43 % des femmes pensionnées (arrêt rapporté, point 62). Il ressort, également, des données chiffrées, que 47 % des femmes pensionnées perçoivent une pension minimale sans pouvoir prétendre au bénéfice du supplément compensatoire, en raison, essentiellement, de l'existence de ressources globales du ménage supérieures au barème fixé pour bénéficier de ce supplément (par rapport au nombre total des pensionnés de chaque sexe auquel est servie une pension au titre de l'ASVG), contre 14 % pour les hommes pensionnés (arrêt rapporté, point 65).

Enfin, 82 % des femmes touchant une pension minimale ne perçoivent pas de supplément compensatoire en raison de la règle de la globalisation des revenus, alors que tel n'est le cas que pour 58 % des hommes percevant une telle pension minimale. Bref, compte tenu de ces données statistiques, la juridiction de renvoi serait fondée à considérer que cette disposition s'oppose à un dispositif national qui aboutit à exclure d'une augmentation exceptionnelle des pensions un pourcentage considérablement plus élevé de femmes pensionnées que d'hommes pensionnés (arrêt rapporté, point 68).


(1) Leur réclamation contre les décisions rendues par la Cour de Nuremberg ayant été rejetée, les requérants ont saisi le Sozialgericht Nürnberg d'un recours tendant à obtenir le versement de la prestation allemande pour enfants à charge. Le Sozialgericht Nürnberg a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE un certain nombre de questions préjudicielles. Les requérants sont des ressortissants espagnols résidents en Espagne. Il s'agit de retraités qui ont travaillé par le passé en Allemagne, obtenant ainsi un droit à pension fondé sur la réglementation allemande. Ils sont titulaires d'une pension allemande qui leur a été reconnue sans qu'il soit besoin de cumuler les périodes de travail effectuées dans les divers Etats membres.
(2) Mme B. perçoit de la Pensionsversicherungsanstalt une pension de retraite dont le montant s'élevait, pour l'année 2007, à 368,16 euros bruts par mois. Elle n'a pas droit au supplément compensatoire dès lors que son conjoint bénéficie d'une pension mensuelle de 1 340,33 euros nets qui, ajoutée à ses propres revenus, aboutit à un montant qui excède celui prévu par le barème du supplément. Par décision du 8 mai 2008, la Pensionsversicherungsanstalt a décidé que la pension de Mme B. s'élèverait, à partir du 1er janvier 2008, à 374,42 euros bruts par mois en application du coefficient de péréquation établi à 1,017 pour l'année 2008, soit une augmentation de 1,7 % du montant de sa pension. Mme B. a introduit un recours devant le Landesgericht Linz (tribunal régional de Linz) contre cette décision, en réclamant le versement d'une pension d'un montant de 389,16 euros bruts par mois à compter du 1er janvier 2008, soit l'augmentation de 21 euros prévue par l'article 634 § 10 de l'ASVG, dans sa version résultant de la loi modificative de 2007, pour les pensions dont le montant mensuel est compris entre 746,99 et 1 050 euros. À l'appui de son recours, elle soutenait que la péréquation opérée par le législateur autrichien pour l'exercice 2008 comporte une discrimination indirecte à l'égard des femmes contraire à l'article 4 de la directive 79/7. Par jugement du 8 juillet 2008, le Landesgericht Linz a fait droit au recours de Mme B., en jugeant que la péréquation des pensions pour l'exercice 2008 comportait une discrimination indirecte illicite envers les femmes. Ce jugement a été réformé par un arrêt du 13 août 2008 de l'Oberlandesgericht Linz (tribunal régional supérieur de Linz). Mme B. a alors introduit un recours en révision devant l'Oberster Gerichtshof (Cour suprême). Par arrêt du 24 septembre 2009, le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) a rejeté les demandes. Le Verfassungsgerichtshof ayant rejeté ces demandes, l'Oberster Gerichtshof a poursuivi d'office la procédure en révision. L'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE certaines questions préjudicielles. Par arrêt du 24 septembre 2009, le Verfassungsgerichtshof (Cour constitutionnelle) a rejeté les demandes.
(3) S. Henion-Moreau, M. Le barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, 2010, collection Thémis, p. 151, spéc. p. 173 et s. ; F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen de la protection sociale, Groupe revue fiduciaire, 2010, spéc. p. 72-73 et p. 234 et s..
(4) CJCE, 20 mars 2001, aff. C-33/99 (N° Lexbase : A1967AWR), Rec., p. I 2415, points 33 à 35 : RJS, 2001 p. 646 ; P. Hecker, La jurisprudence de la Cour de justice et du Tribunal de première instance, Arrêt "Fahmi et Amado", Revue du droit de l'Union européenne, 2001 nº 2 p. 537.
(5) CJCE, 27 septembre 1988, aff. C-313/86 (N° Lexbase : A8423AUI), Rec., p. 5391, points 10 et 11, Journal des tribunaux du travail, 1988 p.450 ; S. Van Raepenbusch, Limites à l'exportation de prestations pour enfants à charge au sein de la CEE, RJS, 1989 p. 328 ; RJS, 1989 p. 212.
(6) CJCE, 31 mai 2001, aff. C 43/99 (N° Lexbase : A1943AWU), Rec., p. I 4265, points 41 et 42 : F. Kessler, Dr. soc., 2001, p. 906 ; RJS, 2001, p.743-744 ; G. Friden, Annales du droit luxembourgeois, 2001, p. 437.
(7) F. Kessler et J.-P. Lhernould (dir.), Code annoté européen de la protection sociale, Groupe revue fiduciaire, 2010, p. 400 et s. ; D. Martin, L'arrêt Mangold - Vers une hiérarchie inversée du droit à l'égalité en droit communautaire ?, Journal des tribunaux du travail (Bruxelles), 2006, p. 109 ; S. Henion-Moreau, M. Le Barbier le Bris et M. Del Sol, Droit social européen et international, PUF, 2010, collection Thémis, p. 319 ; Mémento pratique F. Lefebvre, Union européenne 2010/2011, - juridique, fiscal, social-, novembre 2009, spéc. n° 19183 à 19191 ; L. Potvins-Solis (dir.), Sur le principe de non-discrimination face aux inégalités de traitement entre les personnes dans l'Union européenne, 7ème journée d'étude du pôle européen J. Monet, Bruylant 2010 ; P. Rodière, Traité de droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2008, n° 169 à 169-3 ; J.-M. Servais, Droit social de l'Union européenne, Bruylant 2008 ; B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, collection Manuel, 3ème édition, n° 613.
(8) CJCE, 16 décembre 1999, aff. C-382/98 (N° Lexbase : A0246AWZ), Rec., p. I-8955, point 14, à propos d'une allocation de chauffage en hiver : afin d'entrer dans le champ d'application de la directive, une prestation doit constituer tout ou partie d'un régime légal de protection contre l'un des risques énumérés à l'article 3 § 1 de la Directive ou une forme d'aide sociale ayant le même but, et être directement et effectivement liée à la protection contre l'un de ces risques (CJCE 4 février 1992, aff. C-243/90 (N° Lexbase : A7284AHA), Rec., p. I-467, points 12 et 14 : E. Traversa, Revue trimestrielle de droit européen, 1994, p.277-279 et p. 283-284 ; CJCE, 16 juillet 1992, aff. C-63/91 (N° Lexbase : A7268AHN) et aff. C-64/91 (N° Lexbase : A7355AHU), Rec., p. I-4737, points 15 et 16, E. Traversa, Revue trimestrielle de droit européen, 1994, p. 277-279 et p.286-288 ; CJCE, 19 octobre 1995, aff. C-137/94 (N° Lexbase : A7232AHC), Rec., p. I-3407, points 8 et 9 : D. Simon, Chronique de jurisprudence du Tribunal et de la Cour de justice des Communautés européennes - Institutions et ordre juridique communautaire, Journal du droit international, 1996, p. 491-492 ; I. Coustet, Revue du marché unique européen, 1996, nº 1 p. 192-193 ; F. Lagondet, Europe, décembre 1995, comm. nº 432 p.13-14 ; RJS, 1995 p.762-763. Au final, pour la CJCE, une allocation de chauffage en hiver relève bien de la Directive 79/7 du Conseil du 19 décembre 1978 relative au principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de Sécurité sociale.
(9) Paolo Mengozzi, Avocat général, conclusions, point 42.
(10) CJCE, 20 avril 1978, aff. C-134/77 (N° Lexbase : A5658AU4), Rec., p. 963, points 8 et 9 ; CJCE, 13 novembre 1984, aff. C-191/83 (N° Lexbase : A7503AUG), Rec., p. 3741, points 7 et 10 ; CJCE, 23 avril 1986, aff. C-153/84 (N° Lexbase : A8057AUX), Rec., p. 1401, point 14 ; CJCE, 4 juillet 1990, aff. C 117/89 (N° Lexbase : A9408AUY), Rec. p. I 2781, point 11 ; CJCE, 9 décembre 1992, aff. C 119/91 (N° Lexbase : A9829AUL), Rec., p. I 6393, point 26, J.-L. Carpentier, L'interprétation par la Cour de justice des règles anti-cumul applicables dans le domaine des prestations familiales, Europe, juillet 1993, chron. nº 7 p. 1-2.
(11) Dans ce cas, la règle édictée par le Règlement n° 1408/71, selon laquelle l'Etat membre de résidence des intéressés est exclusivement compétent pour octroyer les allocations familiales aux titulaires de pensions ou de rentes (en l'espèce, l'Espagne), ne serait pas applicable.
(12) CJCE, 5 juillet 1967, aff. C-9/67 (N° Lexbase : A6503AUE), Rec., p. 297, 304 ; CJCE, 6 mars 1979, aff. C-100/78 (N° Lexbase : A5729AUQ), Rec., p. 831, point 14 ; CJUE, 14 octobre 2010, aff. C 16/09 (N° Lexbase : A7317GBM), point 58, L. Driguez, Sécurité sociale et coordination des droits à prestations familiales - La Cour fournit de nouvelles explications sur l'application des règles de non-cumul, Europe, décembre 2010, comm. nº 12 p. 26 ; E. Jeansen, Droit à des prestations familiales dans le périmètre de l'Union européenne, JCP éd. S, 2011, nº 4 p.48 ; J.-P. Lhernould, L'actualité de la jurisprudence européenne et internationale. Conséquences de la non-réclamation par l'autre parent des prestations équivalentes dues dans l'Etat d'emploi, RJS, 2011 nº 2 p.105-106 ; CJUE, 30 juin 2011, aff. C 388/09 (N° Lexbase : A5568HUR), point 75.
(13) CJCE, 13 novembre 1984, aff. C-191/83 (N° Lexbase : A7503AUG), Rec., p. 3741, point 10 ; CJCE, 23 avril 1986, aff. C-153/84 (N° Lexbase : A8057AUX), Rec., p. 1401, point 14 ; CJCE, 4 juillet 1990, aff. C 117/89 (N° Lexbase : A9408AUY), Rec., p. I-2781, préc., point 11.
(14) Règlement n° 3427/89 du 30 octobre 1989, modifiant le Règlement n° 1408/71 et le Règlement n° 574/72 (N° Lexbase : L7131AUN) fixant les modalités d'application du Règlement n° 1408/71.
(15) V. nos obs., Réforme des retraites et gestion des inégalités de genre (à propos de la Délibération Halde n° 2010-202 du 13 septembre 2010, relative à la question des inégalités de genre en matière de retraite), Lexbase Hebdo n° 410 du 30 septembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1095BQM).
(16) V. nos obs., La volonté du salarié de continuer de travailler après l'âge de la retraite face à la mise à la retraite d'office (CJUE, 18 novembre 2010, deux arrêts, aff. C-356/09 N° Lexbase : A5491GI9 et aff. C-250/09 et C-268/09 N° Lexbase : A5488GI4), Lexbase Hebdo, n° 420 du 9 décembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N8308BQR) ; Retraite complémentaire : prohibition de toute discrimination fondée sur l'orientation sexuelle (CJUE, 10 mai 2011, aff. C-147/08 N° Lexbase : A2840HQA), Lexbase Hebdo, n° 440 du 19 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N2780BSR).
(17) CJUE, 16 juillet 2009, C-537/07 (N° Lexbase : A9797EIP), Rec., p. I-6525, point 54 : P. Coursier, Un congé parental à temps partiel peut affecter les droits à pension d'invalidité, JCP éd. S, 2009, nº 1446, p. 40-41 ; L. Driguez, Exercice du droit à congé parental, Europe, octobre 2009, comm. nº 362 p.15-16.

Décisions

CJUE, 20 octobre 2011, aff. C-225/10 (N° Lexbase : A7804HYP)

Textes concernés : Règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non-salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté ([LXB=1408/71]), art. 10 bis § 1 ; art. 77 et 78

Mots-clés : Sécurité sociale, titulaires de pensions dues au titre de la législation de plusieurs Etats membres, enfants handicapés, prestations familiales pour enfants à charge, droit aux prestations dans l'ancien Etat membre d'emploi, existence d'un droit aux prestations dans l'Etat membre de résidence, choix du versement d'une prestation d'invalidité, notion de prestation pour enfants à charge, maintien des droits acquis dans l'ancien Etat membre d'emploi

Liens base :

CJUE, 20 octobre 2011, aff. C-123/10 (N° Lexbase : A7802HYM)

Textes concernés : Directive 79/7 du Conseil du 19 décembre 1978, relative à la mise en oeuvre progressive du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (N° Lexbase : L9364AUD), art. 1er ; Loi générale relative à la Sécurité sociale du 9 septembre 1955, art. 108 § 5

Mots-clés : politique sociale, égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de Sécurité sociale, régime national de péréquation annuelle des pensions, augmentation exceptionnelle des pensions pour l'année 2008, exclusion de cette augmentation des pensions d'un montant inférieur au barème du supplément compensatoire, exclusion du bénéfice du supplément compensatoire des pensionnés dont les revenus, y compris ceux du conjoint faisant partie du ménage, champ d'application de la Directive, discrimination indirecte des femmes

Liens base : (N° Lexbase : E7932AD7)

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