Le Quotidien du 22 janvier 2020 : Bancaire

[Brèves] Prêts entre entreprises : de la nécessité de rechercher leur caractère illicite

Réf. : Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-27.778, FS-P+B (N° Lexbase : A92483B7)

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[Brèves] Prêts entre entreprises : de la nécessité de rechercher leur caractère illicite. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/56153945-0
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par Jérôme Lasserre Capdeville

le 21 Janvier 2020

► En présence de prêts accordés par un franchiseur à ses franchisés, il revient aux juges de rechercher, lorsque cela leur est demandé, si les facilités en cause ne revêtent pas la qualification de prêts prohibés par l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2550IXQ).

Tel est l’enseignement d’un arrêt de la Cour de cassation du 15 janvier 2020 (Cass. com., 15 janvier 2020, n° 17-27.778, FS-P+B N° Lexbase : A92483B7).

L’activité bancaire est protégée par l’existence d’un monopole propre à cette profession. Ainsi, pour l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier : «Il est interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit ou une société de financement d'effectuer des opérations de crédit à titre habituel». De même, il est «interdit à toute personne autre qu'un établissement de crédit de recevoir à titre habituel des fonds remboursables du public ou de fournir des services bancaires de paiement». La violation de ces prohibitions est sanctionnée pénalement par l’article L. 571-3 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L4250AP4) qui vise le délit d’exercice illégal de la profession de banquier.

Ce délit ne pourra cependant pas être retenu en présence de faits relevant de dérogations légales envisagées, notamment, par les articles L. 511-7 (N° Lexbase : L0054LNC), L. 511-8 (N° Lexbase : L2547IXM) en matière de délivrance de crédits, et par l’article L. 312-2 (N° Lexbase : L7483LQ9) à propos de la réception de fonds remboursables du public.

L’affaire. En l’occurrence, les faits intéressaient la société SRP et la société DPF, toutes deux spécialisées dans la livraison de pizzas à domicile ou à emporter. Estimant que la société DPF se livrait à des pratiques illicites, constitutives de concurrence déloyale, la société SRP l’avait assignée en réparation de son préjudice. Reconventionnellement la société DPF avait demandé la condamnation de la société SRP à lui payer des dommages-intérêts pour dénigrement et procédure abusive. La cour d’appel de Paris ayant donné raison, par une décision du 25 octobre 2017 (CA Paris, Pole 5, 4ème ch., 25 octobre 2017, n° 14/15714 N° Lexbase : A8146WWM), à la société DPF, la société SRP avait formé un pourvoi en cassation. La société DPF avait formé, quant à elle, pourvoi incident.

La décision. La décision rendue par la Cour de cassation est riche en enseignements.

D’abord, la société SRP faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de l’avoir condamné à payer la somme de 500 000 euros à la société DPF en réparation des pratiques de dénigrement. Plusieurs arguments étaient mis en avant.

Or, sur ce point, la Cour de cassation ne trouve rien à redire. Elle reprend plusieurs constats opérés par la cour d’appel de Paris. D’abord, après avoir analysé un questionnaire diffusé par la société SRP concernant quatre fabricants de pizzas, dont la société DPF, durant un salon professionnel, les juges parisiens avaient retenu que la teneur de l’ensemble des questions figurant sur ce questionnaire conduisait à des réponses nécessairement péjoratives pour la ou les sociétés désignées par les candidats incités à répondre et que les franchisés pouvaient aisément reconnaître derrière chacune des questions le concurrent visé et notamment la société DPF. De plus, après avoir analysé la diffusion de propos sur un réseau social et sur la page «commentaires clients» d’un site marchand, par le président de la société SRP, l’arrêt d’appel avait retenu que ces propos, accessibles à un large public, donnaient une image très dévalorisante de cette dernière. De même, en examinant les propos tenus par le même président sur son «blog», indiquant que l’inertie des autorités face aux agissements répréhensibles de la société DPF s’expliquait, selon lui, par le pouvoir de l'argent, de la politique, des médias et les conflits d’intérêts, la cour d’appel relevait que ces propos étaient accessibles à une large audience. En outre, en décrivant les termes d’un article figurant notamment sur le site internet de la société SRP, le même arrêt observait que celui-ci visait le système de franchise de la société DPF, aisément reconnaissable et décrit comme ayant pour objectif notamment de berner le candidat franchisé et la DGCCRF sur les conditions d’une concurrence loyale et de pervertir les relations fournisseurs-clients. Enfin, il était relevé que le même président avait adressé des courriels à plusieurs destinataires, dont un responsable d'un groupe de presse australien, des responsables d’une banque et des autorités gouvernementales australiennes, stigmatisant le comportement, selon lui frauduleux, de la société DPF. Dès lors, pour la Haute juridiction, en l’état de ces constatations et appréciations, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que, «portant sur la façon dont les services étaient rendus, la qualité des produits et des services de la société DPF, les pratiques prétendument illicites qu'elle mettait en œuvre et les diverses collusions que la société SRP lui imputait, les propos litigieux étaient constitutifs de dénigrement». De la même manière, elle considère que l’arrêt a énoncé à bon droit qu’il «s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de dénigrement». Le moyen n’est donc fondé en aucune de ses branches.

Le plus important est en réalité ailleurs. D’abord, pour rejeter la demande de la société SRP fondée sur le non-respect, par la société DPF, des délais de paiement des sommes dues par ses franchisés, la cour d’appel de Paris, après avoir écarté comme insuffisamment précis un avis de la commission d’examen des pratiques commerciales et une note d'information de la DGCCRF, ainsi qu'un rapport établi par un cabinet privé, jugé contestable, avait estimé que la preuve des dépassements allégués n’était pas rapportée. Or, en se déterminant de la sorte, «sans examiner les documents complémentaires produits en cause d’appel par la société SRP», la cour d’appel avait privé sa décision de base légale.

Surtout, le droit régissant le monopole bancaire est abordé. Pour rejeter la demande de la société SRP fondée sur l’invocation de prêts accordés par la société DPF à ses franchisés au mépris des dispositions légales, l’arrêt de la cour d’appel de Paris avait retenu que les facilités financières en cause l’étaient à̀ titre onéreux et que leur caractère anormal n’était pas démontré. Or, «en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si les facilités en cause ne revêtaient pas la qualification de prêts prohibés par l’article L. 511-5 du Code monétaire et financier, sans pouvoir entrer dans la dérogation prévues par l’article L. 511-7, I, 3°, du même code, et par conséquent, sans se prononcer sur le caractère fautif des pratiques suivies par la société DPF en matière de prêts accordés à ses franchisés, la cour d’appel n'a pas donné de base légale à sa décision».

On rappellera, pour la bonne compréhension de ce dispositif, que l’article L. 511-7, I, 3°, du Code monétaire et financier prévoit que les interdictions consécutives au monopole bancaire «ne font pas obstacle à ce qu'une entreprise, quelle que soit sa nature, puisse […] procéder à des opérations de trésorerie avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres». Dit autrement, soit l’on est dans ce dernier cas, et il n’y a pas d’atteinte au monopole bancaire, soit l’on n’est pas dans cette hypothèse et la violation doit être retenue. Il appartiendra alors aux magistrats de la juridiction de renvoi, en l’occurrence la cour d’appel de Paris autrement composée, de se prononcer sur ce point.

Enfin, pour rejeter la demande de la société SRP, la décision de la cour d’appel avait retenu que les délais de paiement des franchisés DPF étaient déconnectés de la présence ou non d’un point de vente SRP dans la zone de concurrence, ce qui démontrait que leur objet n’était pas de financer une politique d’éviction des franchisés SRP, et que si ces pratiques avaient visé à une telle éviction, elles auraient été ciblées sur les zones de chalandise où un franchisé DPF était en concurrence avec un franchisé SRP. L’arrêt retenait également qu’aucun lien n’était établi entre l’octroi allégué de délais de paiement et la présence ou l’absence de la société SRP dans la zone de chalandise considérée et que les difficultés que subissaient les magasins SRP pouvaient provenir de causes externes et s’expliquer par des motifs autres que les pratiques de concurrence déloyale.

Or, ici encore, la Haute juridiction critique la position des juges du fond. En effet, en se déterminant ainsi, «alors qu’il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale», la cour d'appel, «qui n'a pas recherché, comme elle y était invitée, si l’octroi de délais de paiement illicites et de prêts en méconnaissance du monopole bancaire n'avait pas pour effet d’avantager déloyalement les franchisés de la société DPF, au détriment des franchisés de la société SRP, et ainsi de porter atteinte à la rentabilité et à l’attractivité du réseau concurrent exploité par la société SRP», avait privé sa décision de base légale.

La décision de la cour d’appel de Paris est donc au final cassée, sauf en ce qu’elle a condamné la société SRP à payer à la société DPF la somme de 500 000 euros en réparation des pratiques de dénigrement.

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