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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
"La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation" commande, impérieux, l'article 6 de la Déclaration de 1789. Aussi, "que toute loi soit claire, uniforme et précise : l'interpréter, c'est presque toujours la corrompre", nous conseille Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique.
Le remède contemporain à la "malfaçon" de la loi ? La "légistique". Le terme peut paraître barbare aux tenants de la souveraineté populaire absolue ; mais, n'en déplaise à Montaigne, de l'obscur ne naît pas nécessairement le profond. "Ne faire que des textes nécessaires, bien conçus, clairement écrits et juridiquement solides, telle doit être l'ambition des administrateurs et des légistes" chantent en choeur l'ancien vice-président du Conseil d'Etat Renaud Denoix de Saint-Marc et l'ancien secrétaire général du Gouvernement Jean-Marc Sauvé (in Guide pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires, Premier Ministre/Secrétariat général du Gouvernement - Conseil d'Etat, 2ème édition, p. 6).
Le concept, qui fêtera bientôt ses quarante ans (cf. le Traité de légistique de Peter Noll, publié en 1973), eut, pourtant, quelque mal à s'imposer dans cette France aux axiomes si impertinents et effrontés. D'abord, depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, la loi française est monolingue, donc rien de commun avec les particularismes de la Suisse, du Canada et de la Belgique, à la pointe de la "science de la législation", pour des raisons nécessaires et pratiques évidentes. Ensuite, la France connaît une tradition multiséculaire de codification, dont l'une des vertus est assurément de recueillir de manière uniforme et absolue les lois consolidées de la République, dans un effort d'ordonnancement et d'intelligibilité indéniable. Enfin, si la France n'est pas la Chine impériale, son administration par trop mandarine fut marquée par un néfaste besoin de s'affirmer les unes par rapport aux autres, dans un jeu de pouvoir byzantin à travers lequel la clarté, la lisibilité, l'intelligibilité et l'accès même -jusqu'aux années récentes- n'avaient rien à y gagner. Tout au plus s'agissaient-ils de postulats bien commodes à l'éviction de la "légistique" de nos habitudes de législation.
Force est de constater que les circulaires du Premier ministre du 31 juillet 1974, relative à l'élaboration des projets de loi et des textes publiés au Journal officiel, et du 26 juillet 1995, relative à la préparation et à la mise en oeuvre de la réforme de l'Etat et des services publics, n'y ont, pour ainsi dire, rien changé. Et, c'est sous l'impulsion du Professeur Chevallier (L'évaluation législative : un enjeu politique, in Delcamp A. et al., Contrôle parlementaire et évaluation, Paris, 1995, p. 15), définissant la "légistique" comme "une science' (science appliquée) de la législation, qui cherche à déterminer les meilleures modalités d'élaboration, de rédaction, d'édiction et d'application des normes", que les caciques de la législation, ministères, Secrétariat général du Gouvernement et Conseil d'Etat en tête, plus que le législateur lui-même -à l'exception du notable rapport "Warsmann" sur la qualité et la simplification du droit, de décembre 2008-, reconnurent leurs errements et prirent le taureau par les cornes, soumettant "le Prince" à des règles statutaires aux fins de bien normer. Le Guide pour l'élaboration des textes législatifs et réglementaires et le système d'organisation en ligne des opérations normatives (dit "SOLON"), en sont les traductions les plus efficientes. Mais, est-ce à dire efficaces ?
Le premier, sous la houlette du Haut fonctionnaire à la qualité de la réglementation, tente d'améliorer la qualité des textes et, partant, la sécurité et l'intelligibilité de la règle de droit, à partir d'exemples concrets de conception et de rédaction des textes (ce Guide est en ligne sur le site de Légifrance). Le second est un logiciel interministériel permettant de dématérialiser, étape par étape, entre chacun des intervenants, le processus d'élaboration d'un texte normatif, de sa rédaction à sa publication au Journal officiel. Ces deux instruments, à la lumière d'une doctrine universitaire récente -la première thèse universitaire consacrée à ce sujet est l'oeuvre de Karine Guilbert et date de... 2007-, doctrine qui, pourtant, fut de tout temps intéressée par la question de l'intelligibilité de la norme, concourent, sans nul doute, à l'objectif de valeur constitutionnelle qu'est le principe de l'intelligibilité et de l'accessibilité de la loi (cf. décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999). Les lois dites de simplification du droit, abrogeant les corpus obsolètes ou inutiles, complètent, bien que d'une complexité frisant parfois la contradiction, l'arsenal pour la lisibilité et l'intelligibilité de la norme. C'est ainsi que l'on sait, depuis une circulaire du 20 octobre 2000, qu'il a été mis fin à la "querelle des alinéas", et qu'il y a un nouvel alinéa chaque fois que l'on va à la ligne, comme le soutenaient les services du Parlement et non en cas de retour à la ligne à la fin d'une phrase complète, donc après un point, comme le pensaient le Conseil d'Etat et le Gouvernement. Et, Rémi Bouchez, Conseiller d'Etat, de relater une nouvelle controverse au sujet, désormais, des paragraphes au sein des lois et articles de lois (Vers une légistique unifiée : l'exemple des alinéas et des paragraphes, dans Courrier juridique des finances et de l'industrie, juin 2008, p. 31). Enfin, la "légistique" n'est pas synonyme de simplicité intrinsèque : le Guide légistique pour l'établissement du texte de la commission, édité par le Sénat, s'attache à une légistique plus formelle que matérielle qui confine assurément à l'abscons.
Notre propos est un brin réducteur, nous l'accordons. Et, nul doute que, sans cette prise de conscience administrative, gouvernementale et parlementaire, la "légistique" serait restée à l'état embryonnaire de concept, aux pages 285 et 286 de la Revue internationale de droit comparé (1986, volume 38, n° 1) in L'évaluation législative. Pour une analyse empirique des effets de la législation, sous la plume de Luzius Mader. On ne peut que saluer, une nouvelle fois, la volonté affichée du Gouvernement de promouvoir la qualité du droit : dernier opus en date, une circulaire du 7 juillet 2011 qui rappelle qu'à la qualité de la règle de droit s'attachent des enjeux déterminants pour l'attractivité du système juridique français et pour la compétitivité économique de la Nation. Le Premier ministre y précise que la sécurité juridique, la prévisibilité du droit et la simplification de règles inadaptées ou dépassées sont des attentes régulièrement exprimées tant par les particuliers que par les entreprises. Si des progrès dans le domaine de la réglementation et de son suivi ont été effectués, le Premier ministre demande néanmoins à ce que l'effort soit poursuivi sur deux axes. D'une part, le pilotage de la production normative doit se perfectionner, de manière à mieux assurer l'application des lois et la mise en oeuvre des réformes. D'autre part, l'intervention de règles de droit nouvelles doit être plus systématiquement subordonnée à l'examen de critères tirés des principes de proportionnalité et de cohérence de l'ordonnancement juridique.
Mais, si mieux légiférer est une exigence constitutionnelle, simplifier le droit dans une société éminemment complexe est un objectif paradoxal. Cet objectif s'apparente volontiers au mythe de Sisyphe ; et, faute de pierre qui roule, c'est Boileau qui commande "l'art légistique" : "Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage : polissez-le sans cesse et le repolissez ; ajoutez quelquefois, et souvent effacez".
Aussi, bien que nécessaire à l'élaboration de nos normes, la "légistique" n'est pas suffisante pour concourir à l'objectif consacré d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Elle ne doit pas occulter l'essence même et la finalité du texte suprême. Il faut revenir à la conception thomiste de la loi, comme ordination de la raison dirigeant vers le bien commun, sous l'impulsion du Prince, la communauté des citoyens à qui elle est promulguée, pour établir les causes formelle, finale, efficiente et matérielle de la loi (cf. Patrick de Laubier commentant Les lois de Saint Thomas d'Aquin, Pierre Téqui éditeur). Il faut sortir la loi de la sphère spéculative pour l'ancrer dans la raison pratique pour régler l'action humaine. Et, pour ce faire, pour que la loi vise surtout l'ordre qui regarde la béatitude et la félicité communes, la raison de n'importe qui ne peut faire la loi. Reconnaissant que la loi humaine doit être changée de quelque façon pour que la raison humaine parvienne de l'imparfait au parfait et parce que le changement des conditions humaines commande de modifier la loi, et reconnaissant qu'il faut toujours changer la loi humaine, si quelque chose de meilleur se présente, nous appellerons de nos voeux, non une réforme du droit, mais une réforme de la loi elle-même, sous la conduite de légistes, au sens propre du terme, qui sauront raison garder, pour le bien commun que seules l'intelligibilité et l'accessibilité des lois (justes) peuvent offrir, parce que ces légistes auront été formés sur les bancs universitaires à la "légistique", tout en se réclamant, sans cesse, de l'esprit des lois. Un "permis de légiférer", voilà qui porte atteinte à la souveraineté du Peuple, mais qui, pourtant, est la seule planche de salut de son émancipation dans une société de plus en plus complexe, dont les lois ne doivent plus être le reflet, mais le cadre synthétique de l'action humaine, n'en déplaise à Portalis, dans son Discours préliminaire au premier projet de Code civil, pour qui "un grand Etat comme la France, qui est à la fois agricole et commerçant, qui renferme tant de professions différentes, et qui offre tant de genres divers d'industrie, ne saurait comporter des lois aussi simples que celles d'une société pauvre ou plus réduite". Des lois simples régissant une société complexe : tel est le challenge de nos légistes actuels sous le contrôle, bien ordonné, de nos Parlementaires législateurs.
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