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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires
le 24 Mai 2011
Lexbase : Quelles sont les raisons qui ont conduit à l'adoption outre-Manche de ce texte particulièrement sévère ?
Vincent Béglé : C'est probablement l'affaire "BAE", du nom de ce groupe britannique qui avait conclu avec l'Arabie Saoudite une série de contrats de vente d'armements, pour une valeur de plus de 50 milliards d'euros, qui a incité à l'adoption de ces nouvelles règles. Des soupçons de corruption pesant, une enquête avait été démarrée par le Serious Fraud Office (1), mais le Gouvernement de Tony Blair l'a enterrée, au nom de la "sécurité nationale". L'opinion a été très critique ; les parlementaires ont adopté ensuite une loi très ambitieuse, dans un large consensus.
Lexbase : Quelles sont les principales dispositions du UK Bribery Act ?
Vincent Béglé : Différents chapitres de l'UK Bribery Act traitent en détail des délits traditionnels : la corruption active (section 1), la corruption passive (section 2) et, plus spécifiquement, la corruption de fonctionnaire ou d'agent public étranger (section 6). Il doit être relevé que le droit anglais condamne tant la corruption publique que la corruption privée (par exemple l'employé d'une entreprise qui est soudoyé par un fournisseur afin de remporter un contrat). Surtout, la mesure phare de l'UK Bribery Act est la création d'un nouveau délit (section 7) qui peut engager la responsabilité de la personne morale et l'introduction de mesures préventives pour combattre le risque de corruption.
Lexbase : La mesure phare du UK Bribery Act est donc la création de ce nouveau délit, par une personne morale, de défaut de prévention de la corruption. Quels sont les éléments constitutifs de ce délit ?
Vincent Béglé : Ainsi, aux termes de ce nouveau délit (failure to prevent bribery), engage sa responsabilité pénale et s'expose notamment à une amende illimitée :
(i) toute personne morale dans le monde ayant "une activité, même partielle, au Royaume-Uni" ;
(ii) dont l'une des "personnes associées", fournissant des services pour le compte de la personne morale -tels les employés, filiales ou agents ;
(iii) est responsable d'actes ou de tentatives de corruption (au titre des sections 1 et 6), entrepris dans le but d'obtenir pour la personne morale une affaire ou un avantage ;
(iv) sauf pour la personne morale à démontrer qu'elle avait mis en place et fait fonctionner des règles et des contrôles -des "procédures adéquates", conçues pour prévenir de tels actes de la part de ces "personnes associées"-.
Lexbase : Pourquoi la publication des lignes directrices était-elle tant attendue ? Quelles précisions apportent-elles ? Quelle est la valeur de ces lignes directrices ?
Vincent Béglé : La publication de ces lignes directrices était prévue par la loi, pour expliciter la notion et les contours de ce que doivent être ces procédures adéquates.
Six principes ont été développés, on en retiendra deux. D'abord, ces procédures doivent être proportionnées à l'échelle de l'entreprise et aux risques concrets de corruption. Il n'y a pas de taille unique. Pour cela, une cartographie des risques doit être conduite, afin d'y adapter les règles et procédures. Le deuxième principe est que cette démarche doit être soutenue de manière forte et claire par les hauts dirigeants de la personne morale.
Sur un autre terrain, les lignes directrices sont également venues apporter des précisions sur d'autres notions de la loi -"personnes associées", champ territorial, etc.- mais comme elles n'ont pas valeur de loi, pour n'être que des suggestions du Gouvernement, il est difficile de prévoir à quel degré les tribunaux s'en inspireront.
Lexbase : En quoi cette réglementation est-elle susceptible de concerner les entreprises françaises ?
Vincent Béglé : L'UK Bribery Act rend nécessaire la mise en place de procédures adéquates, proportionnées, pour toute entreprise, française ou non, soit qui aurait une activité au Royaume-Uni, soit qui serait partenaire d'entreprises britanniques, car ces dernières vont devoir, dans certains cas, à leur tour, contrôler la conformité de celles avec qui elles s'allient.
Cette nécessité provient aussi de ce que globalement, nous assistons à un mouvement général de renforcement drastique de la lutte contre la corruption. Certains pays ont déjà des obligations similaires à l'UK Bribery Act, comme l'Espagne, et plusieurs autres sont en train de s'y diriger -sous la pression de l'OCDE-. Dans une économie mondialisée, il deviendra inutile et dangereux de chercher à échapper à la mise en place de ces procédures internes. Surtout, les sanctions potentielles de pratiques de corruption deviennent très dures : amendes colossales, dommages-intérêts pour les victimes, pertes des financements publics, exclusion des marchés publics, ou encore mise à l'écart par les partenaires qui ne souhaitent pas être associés à une entreprise "à risques".
A moins de trois mois de l'entrée en vigueur de la loi, le 1er juillet prochain, les entreprises françaises doivent prendre connaissance plus en détail de ces règles. Elles doivent surtout démarrer rapidement la phase d'analyse des risques, que l'avocat peut guider en assurant sa confidentialité. Cela permettra ensuite la mise en place des règles, procédures et formations nécessaires pour être "immunisé" contre le nouveau délit. Plusieurs entreprises ou groupes français y sont d'ailleurs déjà parvenus.
(1) Le Serious Fraud Office est une agence du Gouvernement, responsable de l'enquête et de la poursuite des cas graves ou complexes de fraude et de corruption.
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