Réf. : Cass. civ. 2, 22 mai 2003, n° 02-11.692, M. Julien Mazel c/ M. Didier Suau, F-P+B (N° Lexbase : A1569B9Y)
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le 07 Octobre 2010
On rappellera bien sûr que la présomption de responsabilité établie par l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil à l'encontre de celui qui a, sous sa garde, la chose inanimée à l'origine du dommage ne peut être détruite que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure ou d'une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable. Tel fut l'un des apports du célèbre arrêt Jeand'heur rendu en chambres réunies le 13 février 1930 (Cass. réunies, 13 février 1930, veuve Jeandheur c/ Société anonyme "Aux Galeries Belfortaises" N° Lexbase : A8927C87, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, Dalloz, 2000, n° 193).
Partant, il faut d'abord rappeler, comme l'indique d'ailleurs l'arrêt, que la faute de la victime doit normalement exonérer totalement le gardien si elle revêt les caractères de la force majeure. La solution résulte du principe même posé par l'arrêt Jeand'heur précité. Si, au contraire, la faute de la victime ne présente pas ces caractères, elle n'exonère que partiellement le gardien. Nul n'ignore, il est vrai, sur cette question bien particulière, que, un temps, l'arrêt Desmares, du 21 juillet 1982 (Cass. civ. 2, 21 juillet 1982, n° 81-12.850, M. Desmares N° Lexbase : A5564A79, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 205), rompant avec des solutions plus anciennes, avait affirmé que seul un événement constituant un cas de force majeure exonérait le gardien de la chose, instrument du dommage, de la responsabilité par lui encourue en application de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil : ainsi, si "le comportement de la victime, (...) n'[avait] pas été pour le gardien imprévisible et irrésistible, [il] ne [pouvait] l'en exonérer, même partiellement".
Cette solution, contestable puisque laissant libre court aux comportements les plus discutables (sur l'alternative du "tout ou rien", voir notamment les observations de G. Durry, RTD civ. 1982, p. 607), a été, par la suite, abandonnée (Cass. civ. 2, 6 avril 1987, n° 85-16.387, Société Les Assurances Mutuelles Agricoles Loire et Haute-Loire et autre c/ M Bardeche et autre N° Lexbase : A7531AA8, Bull. civ. II, n° 86, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 206).
Dès lors, concrètement, la question se posait en l'espèce de savoir si la faute reprochée à la victime devait être considérée comme revêtant les caractères de la force majeure. Or, la Cour de cassation pose nettement que la faute de la victime "ne caractérise pas la force majeure exonératoire". La Haute juridiction rappelle ainsi que les juges du fond ne peuvent retenir une faute de la victime totalement exonératoire sans relever que l'accident est dû à une cause étrangère au gardien revêtant pour lui un caractère imprévisible et irrésistible (voir, notamment, en ce sens, deux arrêts Cass. civ. 2, 2 avril 1997, n° 95-16.531, Epoux X... c/ Société Immobilière Mixte de la Ville de Paris et autres N° Lexbase : A0553ACH et n° 95-17.278, M. et Mme X N° Lexbase : A9740A7U). La Cour de cassation confirme ainsi une certaine rigueur dans l'appréciation de la force majeure exonératoire (voir, notamment, en matière de transport ferroviaire, Cass. civ. 1, 3 juillet 2002, D. 2002, jur., p. 2631, note J.-P. Gridel, RTD civ. 2002, p. 821, observations P. Jourdain ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2000, n° 98-20.635, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Peyronnaud N° Lexbase : A3741AU4, Bull. civ. I, n° 323, D. 2001, jur., p. 1650, note C. Paulin ; Cass. civ. 2, 13 décembre 2001, n° 99-17.438, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ Mme Aja Mekdour, F-D N° Lexbase : A6498AXX ; Cass. civ. 2, 23 janvier 2003, deux arrêts, n° 00-15.597, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Philippe Pernuit, FS-P+B N° Lexbase : A7403A4X ; n° 00-14.980, Société nationale des chemins de fer français (SNCF) c/ M. Christian Sellas, FS-P+B N° Lexbase : A7401A4U).
Ces solutions se comprennent si l'on prend en compte la nature objective de la responsabilité de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil. Or, comme l'ont fait observer certains auteurs à propos de la cause étrangère exonératoire, "si on l'admet facilement, on rejoint - ou on n'abandonne pas trop - une conception classique de la responsabilité fondée sur l'idée de faute (...). Si, au contraire, on n'admet que difficilement l'existence d'une cause étrangère, force est bien de considérer qu'à moins de jouer sur les mots et de prendre le bon père de famille pour un surhomme, un héros ou un champion des temps modernes, la responsabilité se détache de l'idée de faute" (F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Dalloz, 8ème éd., n° 796). Tel était précisément l'objectif poursuivi par la jurisprudence qui, depuis un certain temps, a cessé de voir dans l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil un simple texte de transition et d'annonce pour en faire le siège d'un principe général de responsabilité, de plein droit précisément.
David Bakouche
Docteur en droit
(1) Sur ce sujet et du même auteur, lire également : Une interprétation stricte de la force majeure exonératoire de la responsabilité du gardien de la chose, Lexbase du 6 mars 2001 ; Le fait du tiers et l'exonération du gardien au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, Lexbase Hebdo n° 65 du 3 avril 2003 - édition Affaires (N° Lexbase : N6677AAK) ; La faute de la victime et l'exonération du gardien au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil : la Cour de cassation confirme !, Lexbase Hebdo n° 68 du 24 avril 2003 - édition Affaires (N° Lexbase : N6982AAT) ; La garde de la chose au sens de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil suppose l'existence effective des pouvoirs d'usage, de contrôle et de direction, Lexbase Hebdo n° 73 du 29 mai 2003 - édition Affaires (N° Lexbase : N7474AA3).
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