Le Quotidien du 24 septembre 2002 : Social général

[Le point sur...] L'amnistie des fautes disciplinaires des salariés

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[Le point sur...] L'amnistie des fautes disciplinaires des salariés. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3213709-0
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par Sandra Pflug-Nadjar, Avocat à la Cour, SCP Claisse et associés

le 07 Octobre 2010

A l'instar des lois adoptées en 1988 et 1995, la loi n° 2002-1062 du 6 août 2002 portant amnistie a été adoptée le 6 aôut dernier ; elle a été publiée au Journal officiel du 9 août (N° Lexbase : L5165A43). Ce texte est complété par une circulaire du 6 août 2002 publiée au Journal officiel du 10 août 2002 (N° Lexbase : L7364A4I). On pourra également se référer à la circulaire du 21 août 1995 publiée au Journal officiel du 9 septembre 1995 (N° Lexbase : L7365A4K). 1- Quels sont les faits concernés ?

La loi ne concerne que les faits commis avant le 17 mai 2002. Employeurs et salariés recouvrent leur entière liberté d'action pour les faits commis postérieurement à cette date.

Le texte concerne :

- les fautes disciplinaires et professionnelles commises avant le 17 mai 2002 (exemple : injures ou menaces proférées par un salarié à l'encontre d'un collègue ou d'un supérieur hiérarchique). La loi ne distingue pas selon la gravité de la faute reprochée. Sont par conséquent amnistiés aussi bien les faits pouvant donner lieu à un avertissement que les faits constituant une faute lourde (sous réserve des exclusions prévues par le texte) ;
- les faits retenus ou susceptibles d'être retenus comme motifs de sanctions prononcées par l'employeur commis avant le 17 mai 2002.

Il faut donc distinguer deux situations :

- une sanction a d'ores et déjà été prononcée : elle est amnistiée ce qui signifie qu'il ne peut plus y être fait référence et qu'elle ne peut être conservée dans un quelconque dossier (V. infra). La sanction est réputée n'avoir jamais existé.
- aucune procédure n'a été engagée ou la procédure est toujours en cours (la lettre de sanction n'a pas été envoyée ou l'entretien préalable n'a pas encore eu lieu) : aucune sanction ne peut être infligée au salarié pour ces faits, la procédure ne peut pas être engagée ou ne peut pas être menée à son terme.

A l'inverse, les procédures engagées ou devant être engagées pour un motif personnel non disciplinaire peuvent être poursuivies.

Peuvent, par exemple, donner lieu à un licenciement :

- l'inaptitude reconnue par la médecine du travail ;
- l'insuffisance professionnelle (inaptitude à s'adapter aux conditions de travail perturbant la bonne marche de l'entreprise).

2- Quels sont les salariés et les entreprises concernées ?

Sont concernés tous les salariés dont les relations contractuelles avec leurs employeurs sont régies par le droit privé.

Bénéficient de l'amnistie :

- les salariés des entreprises privées participant à un service public (caisses de sécurité sociale, sociétés nationales de radio-télévision...) ;
- les salariés des entreprises publiques ou établissements publics à caractère industriel et commercial dotés du statut défini à l'article L.134-1 du code du travail (N° Lexbase : L5712ACK) ;
- les salariés affectés à des services industriels et commerciaux gérés par des établissements publics à caractère administratif ;
- les salariés détachés ou expatriés ;
- les agents et fonctionnaires détachés dans une entreprise et qui bénéficient d'un contrat de travail.

Toutes les entreprises sont concernées : entreprises d'intérim, prestataires de service mettant du personnel à disposition de leurs co-contractants, filiales ou succursales de sociétés étrangères...

3- Quels sont les faits exclus de l'amnistie ?

Les exclusions sont beaucoup plus nombreuses que dans la précédente loi d'amnistie (49 cas d'exclusion en 2002 contre 28 cas en 1995). L'augmentation des cas d'exclusion concerne directement le droit du travail.
En effet, le législateur n'a pas souhaité amnistier des faits liés à des sujets qui ont été sur le devant de la scène il y a quelques semaines ou quelques mois.

Sont ainsi exclus :

- les délits de discrimination prévus par les articles 225-1 à 225-3 et 432-7 du Code pénal, les articles L.123-1, L.412-2 et L.413-2 du Code du travail (distinction opérée entre les personnes physiques ou les membres de personnes morales à raison de leur origine, leur sexe, leur situation de famille, leur état de santé, leur handicap, leurs moeurs, leurs opinions politiques, leurs activités syndicales, leur appartenance ou leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, que cette distinction soit opérée à l'embauche, au cours de l'exécution du contrat de travail ou lors de sa rupture) ;

- les délits de harcèlement sexuel et de harcèlement moral prévus par les articles 222-33 et 222-33-2 du Code pénal (harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs sexuelles ; harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de la personne, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel) ;

- les faits ayant donné lieu à une sanction pénale non amnistiée ou pour laquelle une réhabilitation légale ou judiciaire n'est pas intervenue étant précisé que l'amnistie des sanctions pénales a été également restreinte par rapport à la loi de 1995 ;

- les infractions à la réglementation en matière d'hygiène et de sécurité des travailleurs ;

- les faits fautifs qui constituent des manquements à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs. La difficulté est réelle s'agissant d'une appréciation très subjective, appréciation souveraine des juges du fond. Ont déjà été jugés comme : un manquement à l'honneur, la communication à des tiers de documents comptables et sociaux internes à l'entreprise ; l'installation d'un dispositif d'écoute clandestin par un salarié ; un manquement à la probité, le vol de documents comptables par un salarié protégé ; le fait pour un chef d'agence bancaire de procéder à une exportation illégale de capitaux.

Les manquements aux bonnes moeurs ne sont dans l'immédiat pas définis par la jurisprudence. On peut néanmoins penser que cette notion pourrait recouvrir les agressions sexuelles ainsi que le harcèlement sexuel.

En revanche, ne sont pas constitutifs de manquements à l'honneur, à la probité et aux bonnes moeurs : le fait pour un salarié de ne pas respecter sa clause contractuelle de non concurrence ; le fait pour un salarié de ne pas se conformer à l'exécution d'une décision de justice ; le fait pour un salarié de signaler sur un compte-rendu d'activité un travail qui n'a été que partiellement accompli.

Conseil pratique

Ne cherchez pas une définition abstraite du manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs. Cette définition n 'existe pas.

Une telle qualification résulte nécessairement :
- des circonstances de l'espèce ;
- de la qualité du salarié (cadres, employeurs, techniciens) ;
- de l'activité de l'entreprise.

Il est donc nécessaire d'apprécier chaque cas individuellement.

4- Quelles sont les conséquences concrètes de la loi pour les employeurs ?

Les employeurs sont obligés de purger les dossiers des salariés qui ne doivent contenir aucune référence aux sanctions amnistiées.

L 'obligation est double :
- les lettres de sanction doivent être ôtées des dossiers des salariés et détruites dans la mesure où en aucun cas, il ne peut en être conservé une trace. Il n'est donc pas question de "déplacer" une sanction du dossier d'un salarié vers un autre dossier censé être plus discret. La sanction doit disparaître mais il peut être conserver une trace des faits ayant conduit à la sanction sans que celle-ci soit bien évidemment mentionnée (de manière traditionnelle est cité l'exemple des retards : les sanctions fondées sur les retards du salarié sont supprimées mais l'employeur peut conserver au dossier les feuilles de pointage) ;
- l'employeur doit vérifier qu'il n'y a aucun document faisant référence à des sanctions amnistiées dans l'ensemble de ses dossiers. Ainsi si une note interne fait référence à des faits fautifs et leurs sanctions, le document peut être conservé mais les passages relatifs aux sanctions devront être biffés.

Il est ici important de souligner que l'employeur ne peut conserver aucune trace de ces sanctions, quand bien même il s 'agirait d'un fichier sans rapport avec le dossier du salarié.

Conseil pratique

Pensez à tous les supports. Les sanctions doivent certes être supprimées des dossiers papier détenus au sein de l'entreprise mais également :

- des fichiers informatiques ;
- des micro-fiches ;
- des archives de la société...

5- Quels sont les effets de la loi d'amnistie sur les conséquences concrètes des sanctions antérieures ?

L'amnistie des sanctions n'entraîne :
- ni la réintégration des salariés d'ores et déjà licenciés avant l'entrée en vigueur de la loi d'amnistie ;
- ni la restitution des sommes prélevées sur les salaires en exécution d'une sanction (exemple : en cas de mise à pied disciplinaire, la sanction est effacé mais le salarié ne peut prétendre à la restitution des sommes retenues au titre de cette mise à pied).

6- Quel contrôle du respect de la loi par les employeurs ?

C'est l'Inspection du travail qui est chargée de contrôler que l'employeur respecte les dispositions de la loi d'amnistie.
Les inspecteurs du travail disposent du pouvoir de se faire communiquer par l'employeur toutes les pièces contenues dans le dossier disciplinaire d'un salarié, quels que soient le mode de classement et le lieu de rangement de ce dossier, et ce :
- à l'occasion des visites régulières des entreprises ;
- sur demande d'un salarié ou plusieurs salariés.

Les contrôles ont lieu sur place, les dossiers du personnel ne pouvant être sortis de l'entreprise par l'inspecteur du travail.
En cas de refus par l'employeur de la présentation des dossiers du personnel, l'inspecteur du travail dresse un procès-verbal qui est transmis au Procureur de la République.

En cas d'anomalies constatées par l'inspecteur du travail, celui-ci a le choix entre :
- solliciter de l'employeur qu'il mette le dossier en conformité à la loi et en rester là ;
- dresser un procès-verbal qui est transmis au Procureur de le République.

7- Quelles sanctions en cas d'irrespect de la loi ?

Les sanctions sont :
- pénale :"Toute référence à une sanction ou à une condamnation amnistiée est punie d'une amende de 5.000" article 15 de la loi du 6 août 2002.
- civile par l'octroi de dommages-intérêts au salarié lésé.

Il faut faire particulièrement attention en cette matière dans la mesure où :
- l'infraction est non intentionnelle : le simple fait de mentionner la sanction amnistiée est constitutif du délit ;
- les juridictions sont particulièrement sévères concernant ces affaires ;
- cette infraction concerne l'entreprise personne morale mais également son représentant légal ;
- il n'est pas possible de s'exonérer de toute responsabilité quand bien même la mention de la sanction amnistiée serait le fait d'un mandataire.

A titre d'illustration, il est joint en annexe de cette note un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Bobigny.

8- Quels sont les pouvoirs des institutions représentatives du personnel ?

Les institutions représentatives du personnel n'ont aucun pouvoir de contrôle sur la teneur des dossiers disciplinaires des salariés.
Elles ne peuvent en aucun cas exiger que les dossiers leur soient remis afin de procéder au contrôle de la suppression des sanctions.
Par contre, il est envisageable que les délégués du personnel (et non le Comité d'entreprise dans la mesure où cela ne semble pas relever de ses attributions) posent lors d'une réunion la question des moyens mis en oeuvre pour respecter les dispositions de la loi.

9- Quelles conséquences sur les procès en cours ?

Il faut distinguer selon les situations :
-  la loi d'amnistie n'a aucune incidence sur les licenciements notifiés avant l'entrée en vigueur de la loi quand bien même le préavis serait en cours d'exécution à ce moment ;
- s'agissant des sanctions n'ayant aucune incidence financière, toute action contentieuse devient sans objet sauf à ce que le salarié réussisse à prouver qu'il a subi du fait de cette sanction un préjudice devant être indemnisé ;
- s'agissant des actions contentieuses relatives aux mises à pied privatives de salaire, les effets de la loi sont "suspendus" jusqu'à l'issue de l'action contentieuse. A ce moment là, soit la sanction aura été annulée (les sommes retenues devront être restituées au salarié et la sanction sera réputée n'avoir jamais existé, elle devra donc être ôtée du dossier), soit elle aura été validée (auquel cas il n'y aura pas de restitution de sommes mais la sanction devra tout de même être purgée du dossier en application de la loi d'amnistie).

Conseil pratique

Pensez à demander à votre conseil d'auditer ses dossiers pour éviter la continuation de procédures contentieuses qui n'ont plus lieu d'être.

10- Quelles particularités pour les salariés protégés ?

La loi ne contient aucune disposition particulière concernant les salariés protégés. Néanmoins, les observations suivantes s'imposent :
- les dossiers des salariés protégés doivent eux aussi être purgés de toutes les sanctions disciplinaires amnistiées ;
- il est d'autant plus nécessaire d'être rigoureux à cet égard qu'il sera effectué un contrôle par l'inspection du travail à l'occasion de chaque demande d'autorisation de licenciement ;
- si une procédure de licenciement d'un salarié protégé était en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi, il faut distinguer deux situations :
· l'autorisation administrative a été demandée mais n'a pas encore été accordée : elle sera refusée du fait de l'amnistie (sauf faits exclus de la loi bien évidemment) et tout recours qu'il soit hiérarchique ou contentieux est sans objet ;
· l'autorisation administrative a été accordée mais le licenciement n'a pas encore été notifié : le licenciement ne peut être notifié du fait de l'amnistie ;
· l'autorisation administrative a été accordée et le licenciement a été notifié : la loi d'amnistie est sans incidence.

En cas de contentieux relativement au licenciement d'un salarié protégé, c'est la juridiction administrative qui sera compétente, la jurisprudence administrative étant plus souple en matière d'appréciation des sanctions amnistiées que la jurisprudence prud'homale.

11- Comment régler un litige relatif à l'amnistie d'une sanction ?

L'application de la loi d'amnistie peut donner lieu à des contentieux ne serait-ce que pour l'appréciation d'une faute constitutive d'un manquement à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs.
Si cela s'avère nécessaire de saisir une juridiction pour déterminer si le bénéfice de l'amnistie est acquis au salarié, l'article 13 de la loi du 6 août 2002 prévoit que les règles de compétence applicables au contentieux de l'amnistie sont celles applicables au contentieux des sanctions.
Par conséquent, hormis le cas du licenciement d'un salarié protégé pour lequel le juge administratif est compétent, c'est le conseil de prud'hommes qui est compétent y compris pour les agents et fonctionnaires détachés au sein d'une entreprise et bénéficiant d'un contrat de travail (pour les autres cas, V. L'essentiel en droit public).

12- Que signifie l'expression "amnistie des fautes mais pas amnistie des faits" ?

L'amnistie n'est pas l'amnésie.
Concrètement, s'il faut faire disparaître toutes les sanctions amnistiées des dossiers disciplinaires des salariés, la preuve de la réalité des faits ayant conduit à la sanction peut être conservée (exemple : en cas de sanction pour des retards répétés, la sanction doit être ôtée du dossier mais les feuilles de pointage peuvent être conservées).
Au surplus, les faits anciens peuvent être utilisés par la suite pour justifier et éclairer une sanction postérieure fondée sur des faits nouveaux, qu'ils soient identiques ou non.

Conseil pratique

Toute chose égale par ailleurs et avec toute la prudence qui s'impose à l'égard d'une question délicate, on peut raisonner comme à l'égard de la prescription de deux mois prévue à l'article L.122-44 du code du travail : il ne peut y avoir de sanction prise sur le fondement de faits amnistiés ou prescrits mais ces faits peuvent illustrer la récurrence d'un comportement ou caractériser le comportement fautif d'un salarié fondé sur des faits nouveaux.

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