Le Quotidien du 11 juin 2002 : Contrats et obligations

[Focus] Observations relatives à l'article 1109 du Code civil à la lumière de quelques arrêts récents

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[Focus] Observations relatives à l'article 1109 du Code civil à la lumière de quelques arrêts récents. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3213347-focus-observations-relatives-a-larticle-1109-du-code-civil-a-la-lumiere-de-quelques-arrets-recents
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Il y aurait sans doute lieu de s'étonner de voir consacrer quelques observations à l'article 1109 du Code civil qui dispose qu'"il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol" (N° Lexbase : L1197ABX). En effet, ce texte, inspiré de Domat mais de la plume même des rédacteurs du Code civil, qui ouvre la section première Du consentement du Chapitre II Des conditions essentielles pour la validité des conventions du Titre III Des conventions ou des obligations conventionnelles en général du Livre III du Code Des différentes manières dont on acquiert la propriété, apparaît comme un texte d'annonce, à caractère simplement énonciatif. Il n'a, en effet, pour objet que de recenser les cas de vice du consentement ("... si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol"), chacun d'eux étant par la suite repris (C. civ., art. 1110 et s. N° Lexbase : L1198ABY), et de préciser, d'emblée, la sanction qui y est attachée ("Il n'y a point de consentement valable..."). En outre, le fait que ce texte n'ait pas connu de grand destin, contrairement à d'autres textes d'annonce, du moins en 1804, - on pense entre autres, bien sûr, à l'alinéa 1er de l'article 1384 du Code civil - vient sans doute, on l'imagine, renforcer l'étonnement du propos. Pourtant, bien que fort classique, c'est la question de savoir si la liste de l'article 1109 - la trilogie des vices du consentement - a ou non un caractère limitatif qui mérite ici l'attention. La question s'est longtemps posée de savoir si la lésion devait être considérée comme un vice du consentement. En ce sens, on faisait valoir que la lésion est visée par un texte, l'article 1118 du Code civil (N° Lexbase : L1206ABB), qui figure, comme les articles 1109 et suivants, dans une section consacrée au consentement, elle-même figurant dans un chapitre portant sur les conditions essentielles pour la validité des conventions. Néanmoins, en dépit de la place du texte dans le Code incitant peut-être à retenir une conception subjective de la "lésion", la Cour de cassation, s'en tenant à la lettre des textes qui, à aucun moment, ne font d'une contrainte morale chez le contractant lésé une condition de la rescision, a consacré une conception objective de la "lésion" (Cass. req., 28 décembre 1932, DP 1932, 1, p. 87, rapp. Dumas ; Cass. req., 21 mars 1933, DH 1933, p. 235 ; Cass. civ., 21 avril 1950, S. 1951, 1, p. 57, JCP éd. G 1950, II, n° 580, rapp. Cavarroc). La lésion n'est donc pas, classiquement, un vice du consentement, de telle sorte qu'il n'est pas nécessaire de démontrer que la lésion a sa source dans un vice du consentement pour qu'elle soit constituée et la lésion prononcée, la preuve de l'absence d'un vice du consentement ne faisait pas, inversement, obstacle à la lésion (sur cette question, voir notamment F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 7ème éd., 1999, n° 300, et les références citées).

Voilà cependant que la question, qui paraissait entendue, semble rebondir, sous l'impulsion de la jurisprudence pour se poser en ces termes : la lésion n'est-elle pas en train d'être consacrée à travers la théorie des vices du consentement ?

Depuis en effet que, par un arrêt de sa première chambre civile en date du 30 mai 2000, la Cour de cassation, en énonçant que "la (convention) - en l'occurrence ici une transaction - peut être attaquée dans tous les cas où il y a violence, et que la contrainte économique se rattache à la violence et non à la lésion" (Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000 N° Lexbase : A3653AUT, Dalloz 2000, jur., p. 879, note J.-P. Chazal, Dalloz 2001, som., p. 1140, obs. D. Mazeaud, JCP éd. G 2001, II, n° 10461, note G. Loiseau), on peut légitimement s'interroger d'autant que, fidèle à ce qui a toujours été sa position, elle se refuse à assimiler le seul état de dépendance économique à la violence (voir déjà Cass. com., 20 mai 1980 N° Lexbase : A3405AG9 ; Cass. com., 21 février 1995 N° Lexbase : A8241ABT, RTD civ. 1996, p. 391, obs. J. Mestre) pour exiger la démonstration d'une exploitation abusive par l'un des contractants de la situation de faiblesse dans laquelle les circonstances ou l'inégalité des forces ont placé l'autre. C'est en effet le sens d'un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 3 avril 2002 énonçant, au visa de l'article 1112 du Code civil, que "seule l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement".

Or, quoi qu'on en dise, cette sanction d'un déséquilibre contractuel trouvant sa source dans une contrainte fait indiscutablement penser à la lésion rattachée à la théorie des vices du consentement. C'est dire que la jurisprudence, en faisant sortir la violence économique de son "ghetto juridique" (en ce sens, voir G. Loiseau, note sous Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000, précité), invite à un rapprochement avec les solutions retenues par le Code civil allemand (BGB, art. 138) ou suisse des obligations (art. 28) qui admettent de façon générale la rescision pour lésion en cas de disproportion évidente entre les prestations, si elle a été déterminée par l'exploitation de la gêne, de la légèreté ou de l'inexpérience de la partie lésée par l'autre. Reste à savoir s'il n'aurait pas été plus simple de revenir ouvertement sur l'interdiction de principe en droit français de sanctionner la lésion par et pour elle-même plutôt que de faire un détour par la théorie des vices du consentement... C'est un autre débat.

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