Le Quotidien du 13 mars 2002 : Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Le jugement arrêtant le plan de redressement d'une entreprise en difficulté ne peut imposer des délais de paiement pour les créances privilégiées d'un salarié

Réf. : Cass. soc. 19 février 2002, n° 99-14.882, N° Lexbase : A0253AYZ

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N2250AAL

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[Jurisprudence] Le jugement arrêtant le plan de redressement d'une entreprise en difficulté ne peut imposer des délais de paiement pour les créances privilégiées d'un salarié. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3213217-0
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par Dirk Baugard, Université Paris I - Panthéon-Sorbonne

le 07 Octobre 2010

"Si (...) le jugement qui arrête le plan de continuation ou de cession en rend les dispositions applicables à tous, son autorité n'est attachée (...) qu'à l'organisation de la continuation de l'entreprise, à sa cession ou à sa continuation assortie d'une cession partielle et à son exécution par les personnes qu'il désigne. Cette autorité ne saurait dès lors s'étendre à la question du paiement des créances privilégiées dues au salarié à la date du jugement d'ouverture". Tel est l'attendu de principe retenu par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 19 février 2002, intervenu dans la délicate matière des entreprises en difficulté.

Les faits de l'espèce étaient relativement complexes, en raison d'une multiplication des contentieux. Après l'ouverture, le 29 décembre 1988, du redressement judiciaire de la société qui l'employait, un salarié saisit le 5 avril 1989 la juridiction prud'homale de demandes pécuniaires relatives à l'exécution et à la rupture de son contrat de travail.
La cour d'appel de Rennes accueillit ses demandes et fixa au passif de l'employeur ses différentes créances, nées avant l'ouverture de la procédure collective. Un plan de redressement organisant la continuation de la société arrêté par un jugement du tribunal de commerce de Cherbourg rendu le 30 juillet 1991, imposa toutefois des délais de paiement à plusieurs des créanciers de l'entreprise, dont le salarié. Celui-ci interjeta alors appel du jugement, appel que la cour d'appel de Caen déclara irrecevable au motif que le jugement homologuant un plan de continuation ne pouvait être critiqué de la sorte par les créanciers.
Le 18 mai 1995, une ordonnance du juge-commissaire confirmée par un deuxième arrêt de la cour d'appel de Caen du 3 octobre 1996 admit la créance du salarié, d'une part, à titre privilégié pour une partie et d'autre part, à titre chirographaire en ce qui concerne l'indemnité de clientèle.
C'est alors que ce salarié fit citer la société devant le tribunal de commerce pour avoir paiement de ses créances privilégiées, en faisant valoir qu'elles ne pouvaient être soumises aux dispositions du plan de continuation et donc au délai de paiement qu'il imposait. Débouté en première instance, le salarié interjeta appel devant la cour d'appel de Caen qui, dans un arrêt du 18 mars 1999, rejeta sa demande en retenant que l'arrêt de la cour d'appel de Caen du 11 février 1993 avait déclaré son appel irrecevable, ce dont il résultait que le jugement arrêtant le plan lui était opposable et ne pouvait être remis en cause.

C'est ce dernier arrêt qui est cassé par la décision présentée. Il ressort de cette dernière que le plan de redressement arrêté par le tribunal de commerce ne peut efficacement imposer des délais de paiement à des créanciers salariés pour ce qui relève de leurs créances privilégiées dues à la date du jugement d'ouverture. Sans doute convient-il, afin de pleinement comprendre cette décision, de définir ce que sont les créances privilégiées et le plan de redressement.

Une entreprise mise en redressement judiciaire est susceptible, schématiquement et sans rentrer dans les détails, de trois destins différents : elle peut faire l'objet d'une continuation, d'une cession ou d'une liquidation. L'article L. 621-62 du Code de commerce ([lxb=L6914AIW]) précise que le tribunal compétent, "après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur, l'administration, le représentant des créanciers (...) ainsi que les représentants du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, (...) statue au vu du rapport de l'administrateur et arrête un plan de redressement ou prononce la liquidation". En vertu du même article, " ce plan organise soit la continuation de l'entreprise, soit sa cession, soit sa continuation assortie d'une cession partielle" (deuxième alinéa). Ce plan de redressement, qui comporte notamment les engagements portant sur l'avenir de l'activité et du règlement du passif né antérieurement au jugement de l'ouverture (article L. 621-23 du Code de commerce [lxb=L6875AIH]), est donc arrêté par un jugement qui " en rend les dispositions opposables à tous", conformément à l'article L. 621-65 du Code de commerce ([lxb=L6917AIZ]) et donc, a priori, aux salariés.

Bien qu'elles n'apparaissent pas dans la décision de la Cour de cassation, certaines dispositions de la loi du 25 janvier 1985 étaient importantes au regard des faits. Ainsi, il faut souligner que si l'article L. 621-76 du Code de commerce ([lxb=L6928AIG]) dispose que le tribunal arrêtant le plan de redressement "impose aux créanciers [qui n'ont pas accepté des délais et des remises afin de faciliter l'apurement du passif] des délais uniformes de paiement", l'article L. 621-78 ([lxb=L6930AII]) du même code prévoit que "par dérogation aux articles L. 621-76 et L. 621-77 ([lxb=L6929AIH]), les créances garanties par le privilège établi aux articles L. 143-10 ([lxb=L5762ACE]), L. 143-11 ([lxb=L5763ACG]), L. 742-6 ([lxb=L6766ACL]) et L. 751-5 ([lxb=L6778ACZ]) du Code du travail", ainsi que les "créances résultant du contrat de travail garanties par les privilèges prévus au 4° de l'article 2101 ([lxb=L1041AB8]) et au 2° de l'article 2104 ([lxb=L2339ABA]) du Code civil lorsque le montant de celles-ci n'a pas été avancé par les institutions mentionnées à l'article L. 143-11-4 du Code du travail ([lxb=L5768ACM]) ou n'a pas fait l'objet d'une subrogation " ne peuvent faire l'objet de remises ou de délais.

Ainsi, le tribunal de commerce, en arrêtant un plan organisant la continuation de l'entreprise imposant des délais uniformes de paiement aux salariés ayant refusé des délais ou des remises concernant des créances privilégiées, semblait violer l'article L. 621-78 du Code de commerce ([lxb=L6930AII]) puisque celles-ci ne peuvent faire l'objet de remises ou de délais. Ce n'est pourtant pas sur ce fondement que se base la Cour de cassation puisqu'elle ne vise que l'article 1351 du Code civil ([lxb=L1460ABP]) et l'article L. 621-65 du Code de commerce ([lxb=L6917AIZ]), ce qui pourrait peut-être être expliqué par le fait que le caractère privilégié des créances du salarié n'était pas encore établi au jour du jugement arrêtant le plan de redressement.

La question précédente rend indispensable une brève présentation des créances privilégiées du salarié, ce d'autant plus que l'arrêt énonce que l'autorité du jugement arrêtant le plan de redressement ne saurait s'étendre à la question du paiement des créances privilégiées dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture.

Rappelons en premier lieu que les salariés n'ont pas à déclarer leurs créances résultant du contrat de travail antérieures au prononcé du jugement d'ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, cette tâche incombant au représentant des créanciers, sous le contrôle du représentant des salariés. De plus, un salarié constatant que sa créance résultant de son contrat de travail ne figure pas en tout ou en partie sur le relevé des créances a la faculté de saisir le conseil de prud'hommes, comme ce fut apparemment le cas en l'espèce. Le conseil de prud'hommes doit alors se borner à déterminer le montant des sommes à inscrire sur l'état des créances déposé au greffe du tribunal de la procédure.

Ici, c'est le paiement des créances nées avant le jugement d'ouverture qui était en cause. En effet, le plan de redressement arrêté par le tribunal de commerce imposait des délais de paiement au salarié relativement à ses créances qui consistaient en un rappel de commissions, des indemnités de congés payés et de préavis et des dommages et intérêts pour rupture abusive. Or celles-ci devaient être considérées comme des créances privilégiées insusceptibles de remis ou délai de paiement.

On distingue généralement parmi les créances privilégiées du salarié, le "superprivilège" du "privilège". Sans rentrer dans de trop subtiles précisions, le "simple" privilège est prévu par les articles 2101-4° et 2101-2° du Code civil auxquels renvoie l'article L. 143-7 du Code du travail ([lxb=L5759ACB]). Ce privilège concerne tout salaire, quels que soient sa forme, son mode de calcul ou sa périodicité, et tous ses accessoires, et garantit le paiement de l'indemnité de préavis et des indemnités versées pour licenciement injustifié, ainsi que de l'indemnité de licenciement (dans les limites d'un plafond).

Le surprivilège est essentiellement octroyé aux termes de l'article L. 143-10 du Code du travail ([lxb=L5762ACE]) au paiement du salaire pour les 60 derniers jours de travail (90 jours pour les représentants de commerce dans les limites d'un plafond), le délai courant de la dernière échéance impayée et non du jugement (voir, pour les indemnités de congés payés, l'article L. 143-11 C. trav., [lxb=L5763ACG]).

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