Réf. : Cass. com. 15 janvier 2002 (N° Lexbase : A7960AX4)
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N1812AAD
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par Laetitia Tomasini, Université Paris II
le 07 Octobre 2010
En l'espèce, une société à responsabilité limitée s'était portée caution hypothécaire, par acte authentique, d'un prêt consenti par une banque à une société civile immobilière . Le lendemain, le gérant de la SARL avait, par un acte sous seing privé, consenti au nom de la société une caution solidaire du remboursement du même emprunt. Suite à l'inexécution de ses obligations à l'égard de la banque par la société civile immobilière , la banque avait assigné la SARL en exécution de son engagement de caution. La SARL avait alors invoqué la nullité de son engagement de caution solidaire, celui-ci ayant été pris par le gérant d'une part en dépassement des pouvoirs à lui conférés par les statuts et d'autre part en dépassement de l'objet social.
La Cour d'appel de Paris ayant fait droit à la demande de la banque, la société condamnée s'est pourvue en cassation. Elle reprochait tout d'abord aux juges du fond de ne pas avoir recherché la connaissance par la banque du dépassement par le gérant de ses pouvoirs. Elle soutenait ensuite que la banque avait violé son obligation de contracter de bonne foi imposée par l'article 1134 du Code civil. Enfin, elle contestait le motif, selon elle hypothétique, par lequel les juges de la Cour d'appel avaient estimé que la société pouvait avoir un intérêt à l'opération.
Dans son arrêt de rejet, en date du 15 janvier 2002, la Chambre commerciale de la Cour de cassation fait le point sur l'étendue des pouvoirs du gérant de SARL. Par un attendu de principe, elle rappelle le sens et la portée de l'article L 223 -18 alinéa 5 du Code de commerce : l'objet social de la SARL est inefficace à limiter les pouvoirs du gérant.
Dans l'ordre externe, la société est donc engagée par tous les actes du gérant , y compris lorsqu'ils sont pris en dépassement de l'objet social. Il s'agit, en application de la directive européenne du 9 mars 1968, d'assurer une protection efficace aux tiers contractant avec la société, sans pour autant porter préjudice aux associés bénéficiant d'une responsabilité limitée au montant de leurs apports. La solution est toute différente dans la société en nom collectif, dans laquelle l'objet social constitue une limite aux pouvoirs du gérant efficace car opposable aux tiers (article L 221-5 du Code de commerce N° Lexbase : L5801AIP), justifiée par l'étendue de la responsabilité , solidaire et indéfinie, des associés (article L 221-1 du Code de commerce N° Lexbase : L5797AIK).
La SARL est donc en principe engagée par tous les actes de son gérant, y compris dépassant l'objet social, sauf pour elle à rapporter la preuve de la connaissance par le tiers de ce dépassement ou du fait qu'il ne pouvait l'ignorer compte tenu des circonstances. Une telle preuve, qui ne saurait se fonder sur la seule publication des statuts, est difficile à rapporter (Paris 15 juin 1995, JCP éd. E 1995, I, 505 , n°11). En l'espèce, le pourvoi de la société se fourvoie du côté des clauses limitatives de pouvoirs du gérant, sans rapporter la preuve de la connaissance par le tiers du dépassement de l'objet social.
Dans l'ordre interne, en revanche, le dépassement de l'objet social par le gérant constitue une violation susceptible d'engager sa responsabilité à l'égard de la société (article L 223-22 du Code de commerce N° Lexbase : L5847AIE) et un juste motif de révocation (article L 223-25 du Code de commerce N° Lexbase : L5850AII). En l'espèce d'ailleurs, la Cour de cassation, reprenant les motifs de la Cour d'appel, conteste la réalité du dépassement de l'objet social. Elle estime en effet qu'"il n'est pas établi que le cautionnement litigieux ... ne relevait pas de l'objet social ou ait dépassé cet objet".
De façon plus implicite, voire confuse, la Cour de cassation précise également les effets des limitations conventionnelles des pouvoirs du gérant. L'article L 223 -18 alinéa 6 dispose que "les clauses statutaires limitant les pouvoirs du gérant qui résultent du présent article sont inopposables aux tiers". C 'est bien l'hypothèse visée par la Cour de cassation lorsqu'elle estime que l'autorisation donnée par l'assemblée des associés au gérant de conclure une garantie hypothécaire ne suffisait pas à restreindre les pouvoirs de ce dernier, contrairement à ce que soutenait le premier moyen du pourvoi. Peu importe à cet égard que les tiers aient eu ou non connaissance de ces clauses, elles leur sont inopposables (Cass. com. 2 juin 1992, JCP éd. E 1992, I, 172, n°3). Ainsi la nécessité d'une autorisation de l'assemblée des associés pour les actes de gestion les plus graves ne saurait rendre nulle une convention conclue sans autorisation. Cependant , ces clauses gardent toute leur efficacité dans les rapports entre le gérant et les associés et leur violation peut conduire à la mise en oeuvre de la responsabilité du gérant et à sa révocation pour justes motifs.
Finalement, la seule limite aux pouvoirs du gérant de SARL résulte des pouvoirs que la loi attribue expressément aux associés (article L 223-18 al. 5 N° Lexbase : L5843AIA) , et pour une application jurisprudentielle : Cass. Com. 18 octobre 1994, Revue des sociétés 1995, p. 284, Bull. Joly 1994, p. 1330. Ainsi, l'acte du gérant entraînant une modification des statuts de la société sera nul car empiétant sur les pouvoirs dévolus à l'assemblée des associés. En l'espèce la Cour de cassation ne pouvait que conclure à l'engagement au titre de caution hypothécaire et de caution solidaire de la SARL.
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