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par Laurence Vapaille, Maître de conférences à l'Université d'Evry-Val-d'Essonne
le 24 Janvier 2011
Depuis le 1er mars 2010, les justiciables peuvent, en cours d'instance soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Cette procédure comporte un double filtrage, le premier est exercé par les juges du fond qui statuent sur la transmission de la QPC à l'une des juridictions suprêmes : Conseil d'Etat ou Cour de cassation. Ensuite, le second est effectué par l'une des Hautes juridictions. Aux termes de l'article 23-5 de l'ordonnance modifiée du 7 novembre 1958 (N° Lexbase : L0276AI3), le juge vérifie si les conditions d'un renvoi de la QPC devant le Conseil constitutionnel sont réunies. Elles sont au nombre de trois : la disposition contestée doit être applicable au litige ou à la procédure, ou constituer le fondement des poursuites, elle ne doit pas avoir été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et, enfin, la question doit être nouvelle ou présenter un caractère sérieux.
Dans la décision, objet du présent commentaire, la QPC portait sur la conformité à la Constitution du dégrèvement de taxe foncière (TF) pour vacance de maison prévue au I de l'articles 1389 du CGI (N° Lexbase : L9892HLX). Cette QPC reposait sur trois moyens dont deux présentent un intérêt certain relatif, d'une part, à la définition des "droits et libertés que la Constitution garantit" (A) et, d'autre part, au caractère sérieux de la QPC (B). Quant au premier moyen invoqué, il était fondé sur le droit de propriété énoncé par les articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la DDHC. Cependant il a été jugé irrecevable en l'espèce car présenté, pour la première fois, devant le Conseil d'Etat.
A - Le contribuable à l'appui de sa demande de renvoi de sa question devant le Conseil constitutionnel invoquait la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi. Cet objectif a été reconnu par une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 décembre 1999 (décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999 N° Lexbase : A8784ACC). Les objectifs de valeur constitutionnelle n'énoncent pas des droits mais un but dont le législateur doit tenir compte. "Il s'agit d'impératifs liés à la vie en société qui doivent guider l'action normative. [...] Ils ne s'adressent pas aux individus mais au législateur pour lequel ils constituent des obligations de moyens et non de résultats" (1).
La difficulté étant de savoir si ces objectifs peuvent être considérés comme les "droits et libertés que la Constitution garantit" et, en conséquence, être invoqués utilement dans le cadre de la QPC. A notre connaissance, il s'agit de la première décision se prononçant sur ce point. Antérieurement, certains auteurs avaient abordé cette problématique. Marc Guillaume, Secrétaire général du Conseil constitutionnel, évoquait la possibilité d'une réponse au cas par cas selon les objectifs en précisant néanmoins qu'il était "probable que l'accessibilité et l'intelligibilité du droit ne constitue pas un droit' ou une liberté' au sens de l'article 61-1 de la Constitution" (N° Lexbase : L5160IBQ) (2). Quant à la position du Conseil d'Etat, Vincent Daumas, Maître des requêtes, estimait que tous les objectifs à valeur constitutionnelle ne seraient pas nécessairement compris par la Haute juridiction dans la catégorie "des droits et libertés" (3).
Le considérant au terme duquel le Conseil d'Etat énonce que la méconnaissance de cet objectif ne peut être invoquée à l'appui d'une QPC est extrêmement bref et ne semble préjuger en rien que tous les objectifs à valeur constitutionnelle puissent être traités sur le même mode. Plus précisément, s'agissant de l'accessibilité et l'intelligibilité du droit, il semble que, par cet arrêt, le Conseil d'Etat pose une borne importante aux limites de la notion "des droits et libertés que la Constitution garantit".
B - Dans un troisième considérant, la Haute juridiction a examiné le "caractère sérieux" de la QPC. Elle a rejeté le grief portant sur l'article 1389 du CGI. Cette disposition subordonne le dégrèvement de la taxe foncière en cas de vacance d'une maison normalement destinée à la location ou d'inexploitation d'un immeuble utilisé par le contribuable lui-même à usage commercial ou industriel à trois conditions. La première est que la vacance ou l'inexploitation soit indépendante de la volonté du contribuable, la deuxième est que la vacance soit d'une durée d'au moins trois mois et la dernière est que cette vacance ou cette inexploitation affecte tout ou partie de l'immeuble.
La question portait uniquement sur la première de ces conditions, c'est-à-dire le fait que la situation soit indépendante de la volonté du propriétaire. Selon le contribuable, il existait une différence de traitement entre le propriétaire qui ne peut louer le bien du fait de son caractère impropre à la location et le propriétaire, dont le bien présente les mêmes caractéristiques, mais qui a entrepris les démarches pour mettre fin à cet état rendant le bien impropre à la location. Cette différence de traitement viendrait en contradiction avec le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la DDHC (N° Lexbase : L1360A9A).
Sur ce point, il existe une jurisprudence relativement abondante qui a permis au Conseil d'Etat de développer une perspective stricte quant à l'appréciation de l'indépendance de la volonté du contribuable (4). Selon la Haute juridiction, l'octroi du dégrèvement ne peut être justifié par le fait que le bien soit impropre à la location, ou très difficilement louable. Le propriétaire doit démontrer qu'il n'a pu, malgré les démarches entreprises, surmonter le caractère impropre à la location de son bien. Dès lors où le contribuable n'a pas entrepris de telles démarches, il fait le choix de conserver son immeuble en état, c'est-à-dire impropre à la location, il ne peut donc demander le dégrèvement qui est subordonné à la condition que la vacance soit indépendante de sa volonté.
La décision commentée se situe dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure. Le Conseil d'Etat opère une distinction très nette entre le contribuable qui constate l'impossibilité de louer son bien et celui qui ne peut le louer malgré les efforts entrepris. Il s'agit de deux situations différentes, en conséquence il n'y a pas de rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors la question soulevée ne présente pas un caractère sérieux.
Le caractère sérieux ou non de la QPC est "au coeur du rôle de filtrage dévolu aux cours suprêmes" (5). Pour apprécier ce caractère sérieux, il apparaît à l'examen des premières décisions rendues sur ce point que le Conseil d'Etat estime disposer d'un pouvoir d'appréciation étendu quant à l'interprétation de la disposition, objet de la QPC. La présente décision vient valider cette constatation.
Le présent arrêt est relatif à la détermination de la valeur locative dans le cadre de la taxe professionnelle. Bien que cette imposition ait été supprimée à compter du 1er janvier 2010, cette décision est toujours d'actualité car la valeur locative sert d'assiette à l'ensemble des impôts locaux.
La valeur locative est déterminée par application de l'article 1498 du CGI (N° Lexbase : L0267HMT). Pour rappel, le mécanisme de cette disposition prévoit que la valeur locative est évaluée en prenant en compte le loyer (CGI, art. 1498, 1°), à défaut elle est déterminée par comparaison (CGI, art. 1498, 2°), enfin, si aucunes des deux méthodes précédentes n'est applicable, cette valeur sera établie par appréciation directe (CGI, art. 1498, 3°). Or, depuis 1970, il n'y a eu aucune révision des valeurs locatives, dès lors cette méthode est devenue d'une application extrêmement rare, l'évaluation par référence au loyer qui était la règle est devenue l'exception (6). Dans le même temps, si la méthode d'évaluation par comparaison s'est généralisée, elle nourrit cependant un contentieux important dont l'arrêt commenté fait partie.
La société L. avait demandé réduction de sa cotisation de taxe au titre de l'année 2003 à raison de l'ensemble immobilier qu'elle exploitait au motif que la procédure d'évaluation de l'immeuble exploité était irrégulière ; en conséquence la valeur locative était aussi irrégulière.
Devant le tribunal administratif d'Amiens, la société L. soutenait que l'administration aurait fait une application erronée du 2° de l'article 1498 du CGI. La base d'évaluation ne résultait pas, selon la société demanderesse, de l'application de la valeur au m² d'un bâtiment précisément identifié mais d'une valeur locative moyenne. Les juges du fond, dans un jugement en date du 9 juin 2005 (TA Amiens, 9 juin 2005, n° 0500089 N° Lexbase : A9390E7W), n'ont pas accueilli cette demande au motif que la valeur locative n'était pas déterminée par une moyenne mais au regard des caractéristiques propres des immeubles.
Cependant, la cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 3ème ch., 30 mai 2007, n° 05DA00996 N° Lexbase : A2516DXH) a infirmé la décision du tribunal. En effet, elle a procédé à un supplément d'instruction afin que l'administration établisse les éléments justifiant la valeur du local-type. Or, par appréciation souveraine, elle a jugé que l'administration n'établissait pas que le local-type comportait des caractéristiques similaires aux locaux objets de l'imposition. En conséquence, les termes de comparaison utilisés en vue d'appliquer le 2° de l'article 1498 du CGI n'étaient pas pertinents.
La décision des juges d'appel a été soumise au Conseil d'Etat qui l'a infirmée. Cette décision d'annulation est fondée sur la méconnaissance de son office par le juge d'appel. En effet, la cour administrative d'appel de Douai a écarté le terme de comparaison apporté par l'administration au motif qu'il n'était pas pertinent et en a déduit que la société L. devait être déchargée de la cotisation de taxe professionnelle au titre de 2003. Or, elle n'a pu prendre cette décision sans méconnaître l'étendue de son office. Dès lors où la cour administrative d'appel écartait un terme de comparaison proposé par les parties, elle aurait dû rechercher un terme de comparaison pertinent soit en demandant un supplément d'instruction, soit au vu des éléments qui était en sa possession. A défaut de terme de comparaison pertinent, elle devait appliquer la méthode d'appréciation directe (CGI, art. 1498, 3°).
Le Conseil d'Etat prend soin de préciser que l'estimation de la pertinence ou non d'un terme de comparaison relève du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond. Faisant application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le Conseil règle directement l'affaire au fond.
Cette décision, à notre connaissance, est la première à se prononcer sur cet aspect du contentieux né de l'application de l'article 1498 du CGI. Cependant, on peut la situer dans la ligne jurisprudentielle développée par le Haut conseil à la fois quant aux modalités d'application de l'article 1498 du CGI et s'agissant du rôle du juge dans la détermination des éléments à prendre en compte pour évaluer la valeur locative.
Comme il est indiqué dans cette décision, le juge -à défaut de terme de comparaison pertinent- doit appliquer la méthode d'évaluation par appréciation directe. Dans une décision en date du 25 novembre 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 25 mai 2007, n° 264323 N° Lexbase : A8911DXC) (7), le Conseil d'Etat jugeait qu'il résultait des termes même de l'article 1498 que la méthode d'appréciation directe s'appliquait qu'à défaut soit de pouvoir retenir la valeur locative sur le fondement du 1° de cette disposition, soit de trouver des termes de comparaison pertinents. Pour autant si l'administration ne peut appliquer des termes de comparaison qui ne sont pas pertinents, elle doit procéder à l'évaluation par appréciation directe. De même le juge ne peut décharger un contribuable de sa cotisation de taxe au motif que les parties n'ont pas fourni des termes de comparaison pertinents ; dans cette hypothèse comme dans la précédente il doit être fait application du 3° de l'article 1498 du CGI.
Cette décision rejoint aussi un arrêt du 5 mai 2006 (CE 3° et 8° s-s-r., 5 mai 2006, n° 272706 N° Lexbase : A2376DPP) d'où il ressortait que le juge de l'impôt ne peut pas donner raison à l'administration faute d'alternative. De même dans la présente décision, il est jugé que le juge d'appel ne pouvait accorder de décharge au contribuable faute de termes de comparaison pertinents apportés par l'administration. Cette solution résulte du régime de la preuve objective applicable en matière de contentieux relatif à la fiscalité locale. Le juge forge sa conviction en fonction des éléments de l'instruction (8). Cette solution est ancienne : "lorsque la valeur locative est fixée par la méthode de comparaison, l'Administration doit, en cas de contestation de la part du contribuable, porter à sa connaissance les éléments sur lesquels elle entend s'appuyer, le contribuable pouvant le cas échéant, fournir d'autres éléments de comparaison afin de donner au juge les éléments pour trancher le litige" (9). Faute que les parties fournissent les éléments utiles, le juge de l'impôt devra ordonner un supplément d'instruction.
Cet arrêt vient s'ajouter à une série de décisions qui est venue préciser les modalités du débat sur le choix des termes de comparaison entre l'administration et le contribuable afin "d'organiser les conditions d'un dialogue plus efficace" (10). Néanmoins, quelle que soit la qualité du travail jurisprudentiel, il n'en reste pas moins que le silence du législateur devient extrêmement problématique, car il ne peut résoudre le déséquilibre de plus en plus flagrant entre les méthodes d'évaluation de l'article 1498 du CGI.
Cette taxe a instituée par la loi d'orientation foncière du 30 décembre 1967, elle constitue une imposition générale et forfaitaire venant grever les opérations de constructions. Elle est affectée au financement des dépenses générales d'urbanisation de la commune. La jurisprudence relative à cette imposition est assez peu fournie, d'où l'intérêt du présent arrêt commenté.
L'office public départemental de l'habitat des Hauts de Seine (OPDH), établissement public administratif, a obtenu le 20 décembre 2002 un permis pour construire un immeuble destiné à accueillir un établissement d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD). A ce titre l'OPDH a été assujetti à la taxe locale d'équipement ainsi qu'au versement pour dépassement du plafond légal de densité. Le tribunal administratif de Versailles, par un jugement en date du 10 mai 2007, a rejeté sa demande de décharge pour les cotisations de TLE et du versement pour dépassement du plafond légal de densité.
S'agissant du bien-fondé de la cotisation due au titre du versement pour dépassement du plafond légal de densité, le Conseil d'Etat a considéré que le contribuable n'était pas fondé à demander l'annulation du jugement des juges du fond. En revanche pour la cotisation de TLE, par application de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), le juge de cassation a annulé la décision du tribunal administratif et déchargée de toute cotisation l'OPDH.
Aux termes de l'article 1585 C du CGI (N° Lexbase : L0227IKM), les constructions destinées à être affectées à un service public ou d'utilité publique sont exclues du champ d'application de la TLE, si ils figurent sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat et indiquée au 2° de l'article 317 bis de l'annexe II du CGI (N° Lexbase : L2718IEE). Cette liste comprend, notamment, "les constructions destinées à recevoir affectation d'assistance, de bienfaisance, de santé, d'enseignement ou culturelle, scientifique ou sportive lorsque ces constructions sont édifiées par des établissements publics n'ayant pas un caractère industriel ou commercial".
En dépit d'éléments factuels allant dans le sens de l'exclusion de cette construction du champ d'application de la TLE : gestion assurée par un organisme à but non lucratif et 75 % des places réservées à des personnes de condition modeste, le tribunal avait jugé que ces éléments étaient sans incidence quant à l'affectation de la construction et, qu'en conséquence, la TLE était due. Le Conseil d'Etat a jugé que les juges du fond avaient commis une erreur de droit et que la prise en compte de ces éléments autorisait l'exclusion de la construction du champ de la TLE. Ainsi l'OPDH était déchargé de sa cotisation de TLE au titre de cette construction.
Cette décision n'est pas fondamentale au plan des principes, mais elle apporte une précision importante quant au champ d'application de la TLE.
(1) Marc Guillaume, La question prioritaire de constitutionnalité, Justice et cassation, 2010, p. 7.
(2) Op. cit..
(3) Procédure de question prioritaire de constitutionnalité : rapide tour du nouvel horizon, RJF, 7/10, p. 533.
(4) Frédéric Dieu, note sous CE, 29 août 2008, n° 300444 (N° Lexbase : A0643EA3), DF, 2008, n° 47, comm. 586
(5) Vincent Daumas, op. cit., p. 537.
(6) Yohann Benard, Valeur locative des locaux commerciaux : les limites du système, RJF, 2/06, p. 100.
(7) Conclusions L. Olléon, BDCF, 2/06, n° 19.
(8) Note sous CE, 5 mai 2006, n° 272706 (N° Lexbase : A2376DPP), DF, 2007, n° 14, comm. 380.
(9) CE, 23 juillet 1976, n° 1390 (N° Lexbase : A6155B8H), RJF, 11/1976, n° 493, cité par Christophe de La Mardière, La preuve en droit fiscal, Litec fiscal, 2009, 327 pages, p. 159.
(10) Yohann Benard, Valeur locative foncières : panorama de la jurisprudence 2006, RJF, 2/07, p. 98.
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