La lettre juridique n°310 du 26 juin 2008 : Éditorial

"Pléthorique, complexe et inadaptée" : nécessité d'une réforme de la prescription

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N3795BGN

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de publication

le 27 Mars 2014




"Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
"
(Apollinaire).

C'est précisément parce qu'une société a besoin d'oublier ses peines, sans pour autant les effacer trop promptement de sa mémoire, car elles participent de sa construction, que la prescription est un domaine sensible, aux aspects certes techniques, mais aux implications sociales débordantes. "La technicité du sujet ne doit pas masquer son importance pour la vie de nos concitoyens et la compétitivité de notre droit, enjeu stratégique dans une économie moderne" acte d'emblée le rapport du Sénat sur la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile.

En matière civile, la prescription fait de l'écoulement du temps, dans les conditions déterminées par la loi, un moyen d'acquérir un droit ou de se libérer d'une dette. La prescription répond, ainsi, à un impératif de sécurité juridique : le titulaire d'un droit resté trop longtemps inactif est censé y avoir renoncé ; la prescription sanctionne sa négligence tout autant qu'elle évite l'insécurité créée par la possibilité d'actions en justice tardives ; elle joue également un rôle probatoire, en permettant de suppléer la disparition éventuelle des preuves et en évitant à celui qui s'en prévaut d'avoir à les conserver trop longtemps.

Malgré ce rôle déterminant au sein de notre système juridique, les règles relatives à la prescription en matière civile se sont diversifiées et complexifiées à un point tel que leur manque de lisibilité et de cohérence était unanimement dénoncé et alimentait les contentieux. En 2004, un groupe de travail présidé par M. Jean-François Weber, président de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, recensait ainsi plus de deux cent cinquante délais de prescription différents dont la durée variait de trente ans à un mois. Cette disparité était source d'incertitudes et d'incohérences. Les modalités de computation des délais de prescription s'avéraient complexes en raison des incertitudes entourant parfois leur point de départ et des possibilités multiples d'interruption ou de suspension de leur cours. Les délais de la prescription se révélaient inadaptés au nombre et à la rapidité, croissants, des transactions juridiques, pouvait-on lire en parcourant la doctrine.

Aussi, la réforme prend en compte nombre de propositions formulées par le chapitre de l'avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription rédigé par le professeur Philippe Malaurie sous l'égide du professeur Pierre Catala ; la modernisation du droit de la prescription civile s'inscrit bien, alors, dans le vaste chantier à venir de la réforme du droit des obligations. La loi nouvellement adoptée repose sur trois axes : la réduction du nombre et de la durée des délais de la prescription extinctive ; la simplification de leur décompte ; et l'autorisation encadrée de leur aménagement contractuel. Enfin, l'une des innovations majeures de la loi consiste à créer un délai butoir qui conduit à la déchéance du droit d'agir. Ce délai butoir prévoit donc que le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.

Si certaines controverses ont pu être mises de côté, comme celle relative au régime unitaire des prescriptions qui oppose les professeurs Catala et Malaurie, d'une part, et Bénabent, d'autre part ; l'émoi est venu de la réduction sensible du délai de droit commun (ex. : pour les actions personnelles ou mobilières le délai est de 5 ans, à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par 10 ans à compter de la date de la consolidation du dommage initial ou aggravé) et de l'impact de la loi sur l'action en réparation des discriminations en matière sociale (la question de la durée et le point de départ de l'action du salarié, et celle de la réparation du préjudice). Aspects de droit social sur lesquels se propose de revenir, cette semaine, Sébastien Tournaux, Ater à l'Université de Montesquieu-Bordeaux IV. Les aspects proprement civils de la loi feront, bien entendu, l'objet d'une prochaine publication dans nos colonnes.

Pour certains députés, la diminution de 30 à 5 ans du délai au terme duquel les actions en matière civile sont prescrites risquerait, ainsi, de placer brutalement l'ensemble des relations contractuelles dans un rapport de forces inégal. En outre, la possibilité offerte par le texte de négocier les délais de prescription comporterait, en elle, le germe d'une déstabilisation des relations contractuelles, cette éventualité ne pouvant concrètement jouer qu'à la baisse des délais au profit des acteurs économiques les plus puissants, vis-à-vis desquels les autres parties se trouvent dans une situation de dépendance. D'autres parlementaires pronostiquent que le déroulement des procès en discrimination portera essentiellement, désormais, sur la prescription, les accusés actionnant ce motif pour tenter d'échapper à leur responsabilité, la HALDE s'étant, elle-même, inquiétée des problèmes engendrés par la loi.

Il conviendra donc, comme pour toute réforme, d'attendre quelques années pour en saisir tout l'impact : les effets bénéfiques de simplification et d'intelligibilité, comme les effets "pervers" à l'avantage de ceux qui n'ignorent pas la loi... portant réforme de la prescription en matière civile.

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