La lettre juridique n°310 du 26 juin 2008 : Baux commerciaux

[Chronique] Chronique de l'actualité des baux commerciaux

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par Julien Prigent - Avocat à la cour d'appel de Paris

le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Julien Prigent, avocat à la cour d'appel de Paris, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de baux commerciaux. Se trouve, au premier plan de cette actualité, un arrêt de la Cour de cassation relatif à la prescription de l'action d'un occupant d'un local commercial, qui se prévaut de la qualité de preneur, tendant à faire déclarer inopposable un congé qui ne lui a pas été notifié. Sont, également, commentés un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation, qui rappelle que le motif grave et légitime du refus de renouvellement peut être constitué par une faute imputable au locataire ou aux personnes dont il répond, et un autre arrêt de la même formation qui précise la forme du refus à une demande de déspécialisation plénière.
  • De la prescription en matière de bail commercial (Cass. civ. 3, 28 mai 2008, n° 07-12.277, FS-P+B N° Lexbase : A7850D8A)

Se prescrit par deux années, l'action d'un occupant d'un local commercial, qui se prévaut de la qualité de preneur, tendant à faire déclarer inopposable un congé qui ne lui a pas été notifié. Il peut, néanmoins, invoquer cette inopposabilité par voie d'exception à l'action reconventionnelle du bailleur en expulsion des locaux loués. Tel est le double enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 28 mai 2008.

En l'espèce, par acte du 28 avril 1976, un propriétaire avait donné à bail à une personne des locaux à usage commercial et d'habitation. Par acte du 20 novembre 1976, le preneur et son épouse, commune en biens, ont acquis un fonds de commerce exploité par un tiers dans les locaux loués. Par acte du 26 mai 1989, le preneur avait fait signifier à la commune, qui était devenue propriétaire de l'immeuble, une demande de renouvellement. La commune lui ayant signifié un refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction, le preneur l'avait assignée pour obtenir la nullité du congé et, subsidiairement, le paiement d'une indemnité d'éviction. Le locataire étant décédé le 2 décembre 1992, ses héritiers étaient intervenus à la procédure le 4 janvier 1996. Un jugement du 27 février 1997, confirmé par un arrêt devenu irrévocable du 19 novembre 1998, avait déclaré l'instance périmée. Par acte du 23 novembre 2001, l'épouse du preneur décédé avait fait assigner la commune aux fins de faire constater qu'elle était cotitulaire du bail commercial consenti à son époux et que, n'ayant reçu aucun congé, elle était en droit d'occuper les locaux loués dans lesquels elle exploitait le fonds de commerce acquis en commun avec son mari, du vivant de celui-ci. La commune avait demandé reconventionnellement son expulsion des lieux et de tous occupants de son chef. L'épouse du preneur en titre ayant été déclarée irrecevable en son action et, sur la demande reconventionnelle de la commune, jugée sans droit ni titre sur l'immeuble litigieux, elle s'est pourvue en cassation sur le fondement de différents arguments. L'un était relatif au pouvoir du maire de délivrer un congé dans le cadre du bail commercial. Sur ce point, la Cour de cassation a affirmé qu'un maire a le pouvoir de délivrer un tel acte sans avoir à être préalablement autorisé par une délibération du conseil municipal (sur cet aspect, voir nos observation, Sur les pouvoirs du maire en matière de bail commercial, Lexbase Hebdo n° 308 du 12 juin 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N2524BGL).

Un autre argument de l'occupante des lieux loués reposait sur sa prétendue qualité de locataire. Elle soutenait, en effet, que le congé lui était inopposable faute de lui avoir été signifié alors qu'elle était cotitulaire du bail. Il est vrai que la Cour de cassation avait eu l'occasion d'approuver les juges du fond qui avaient considéré qu'ils ne pouvaient se prononcer sur une demande d'expulsion alors que le congé n'avait pas été délivré à l'un des colocataires (Cass. civ. 3, 21 novembre 1968, n° 65-14.464, Fontalive c/ Consorts Bordas N° Lexbase : A1044AU9), à moins qu'ils se soient engagés solidairement à l'égard du bailleur (Cass. civ. 3, 21 octobre 1992, n° 90-21.738, Epoux Brazier c/ Consorts Robillard et autre N° Lexbase : A3301ACA). Un congé ne saurait, en outre, être jugé valide alors qu'il n'a pas été signifié à chacun des copreneurs, même lorsque cette qualité ne résulte pas du bail initial (comme dans l'espèce rapportée) mais de la transmission de ce dernier, par exemple aux héritiers du preneur en titre décédé (Cass. civ. 3, 2 novembre 2005, n° 04-16.311, F-D N° Lexbase : A3460DLQ).

Au préalable, se posait néanmoins la question de la prescription de l'action en inopposabilité du congé exercée par l'occupante, dans la mesure où ce congé avait été délivré plusieurs années avant l'exercice de cette action. En effet, toutes les actions exercées en vertu des dispositions du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans (C. com., art. L. 145-60 N° Lexbase : L8519AID).

La Cour de cassation, approuvant les juges du fond, a considéré, tout d'abord, que cette action, dans la mesure où elle dérivait du statut des baux commerciaux, était soumise à la prescription biennale. Toutefois, la qualité de cotitulaire d'un bail ne résulte pas, a priori, des dispositions du statut des baux commerciaux mais du droit commun des obligations et du contrat de louage. Il pourrait ainsi être soutenu que l'action de l'occupant qui tendrait uniquement à se voir reconnaître la qualité de copreneur devrait en conséquence être soumise à la prescription de droit commun, soit, initialement trente années (C. civ., anc. art. 2262 N° Lexbase : L2548ABY) ou, à certaines conditions, dix années pour les actions entre commerçants (C. com., anc. art. L. 110-4 N° Lexbase : L5548AIC) et, depuis la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I), cinq années (C. civ., art. 2224, nouv. et C. com., art. L. 110-4, nouv.). Ainsi, a-t-il pu être jugé que n'est pas soumise à la prescription de deux ans, édictée par l'article L. 145-60 du Code de commerce, l'action en résiliation pour inexécution des obligations contractuelles n'ayant pas son fondement dans des dispositions statutaires (Cass. civ. 3, 12 juillet 1989, n° 88-10.159, Commune de Villeurbanne c/ Madame Bornuat et autre N° Lexbase : A9985AA3) ou l'action du bailleur en exécution d'un congé, dont la régularité n'est pas contestée (Cass. civ. 3, 26 octobre 2004, n° 03-15.507, F-D N° Lexbase : A7409DDR).

Toutefois, ce n'est pas seulement la qualité de titulaire du bail qu'invoquait l'occupante, mais également les conséquences attachées à cette qualité, à savoir, le fait qu'un congé aurait dû lui être signifié. Or, la nécessité même d'un congé et ses modalités (forme et délais de préavis) sont réglementées par des dispositions du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-9 N° Lexbase : L5737AIC). Il pouvait ainsi être affirmé que l'action tendant à voir déclarer le congé inopposable était soumise à la prescription biennale.

En l'espèce, la Cour de cassation a considéré que l'action était prescrite, dans la mesure où l'assignation avait été délivrée le 23 novembre 2001 et que l'occupante avait eu nécessairement connaissance du congé litigieux à compter de son intervention à l'instance périmée en qualité d'héritière de son mari, soit le 4 janvier 1996. Il est intéressant de relever qu'implicitement, le point de départ du délai choisi n'est pas la date du congé litigieux, mais celle à laquelle l'occupante en a eu connaissance. La solution est similaire à celle consacrée par la loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile, pour le délai de droit commun qui court à compter "du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits permettant d'exercer [l'action]" (C. civ., art. 2224, nouv.).

Cependant, en l'espèce, le bailleur ne se contentait pas de s'opposer à l'action en inopposabilité du congé de l'occupante, mais il sollicitait également à titre reconventionnel son expulsion. L'occupante se trouvait ainsi en position de défenderesse par rapport à cette demande. Or, en vertu de l'adage quae temporalia sunt agendum perpetua sunt ad excipiendum, si la prescription éteint l'action en justice, elle n'éteint pas l'exception corrélative. Cet adage a vocation à s'appliquer, également, en présence de la prescription biennale du statut des baux commerciaux (voir, par exemple, Cass. civ. 3, 18 juin 2002, n° 01-03.209, F-D N° Lexbase : A9429AYU).

L'application de cet adage a suscité deux catégories de difficultés. La première est liée à la qualification d'exception du moyen défense opposé par le défendeur. Ainsi, il a été jugé que la demande reconventionnelle en paiement d'une indemnité d'éviction ne constituait pas une exception à une action en expulsion qui a fait suite à un congé (Cass. civ. 3, 5 février 1971, n° 69-12.040, Société des transports automobiles Clément c/ Dame Martinier N° Lexbase : A6635AGT). La seconde difficulté tient à la détermination de la position procédurale, demandeur ou défendeur, de celui auquel est opposé la prescription, ce point n'étant, au demeurant, pas sans lien avec la qualification d'exception du moyen de défense. Il a été jugé que le preneur ne pouvait invoquer la nullité d'une clause relative à la révision du loyer alors qu'il avait assigné le bailleur en révision du loyer (Cass. civ. 3, 1er février 1983, n° 81-10.317, Société des Bazars du Var c/ Société d'Exploitation et de Gestion Industrielle et Commerciale SEGIC N° Lexbase : A7550AGQ), cette demande du locataire impliquant nécessairement la nullité de la clause de renonciation insérée au bail et le preneur n'étant donc pas défendeur en opposant cette nullité au bailleur (Cass. civ. 3, 19 juillet 1984, n° 83-12.355, Compagnie d'Assurances La Populaire c/ Société Primistères N° Lexbase : A7648AGD). En revanche, si le bailleur a pris l'initiative de solliciter la révision du loyer en se prévalant d'une clause nulle, le preneur peut, malgré la prescription, invoquer la nullité de cette clause (Cass. civ. 3, 18 juin 2002, n° 01-03.209, préc.). Dans une espèce où, à la suite d'un congé sans offre d'indemnité d'éviction délivré par le bailleur, le preneur avait assigné ce dernier en nullité de la clause du bail qui accordait au bailleur une faculté de résiliation sans indemnisation, il a été jugé que le preneur ne pouvait échapper à la prescription de son action, dans la mesure où il avait assigné et qu'il n'était donc pas défendeur (Cass. civ. 3, 24 novembre 1999, n° 98-12.694, Epoux Simon c/ Epoux Deiber N° Lexbase : A8710AH3). La Cour de cassation semble ainsi s'en tenir à une approche stricte de la notion de défense à une action. La partie qui a pris l'initiative du procès ne pourrait se prévaloir d'un droit "prescrit" dont elle demande la reconnaissance, quand bien même sa demande constituerait également une défense à une demande reconventionnelle de l'autre partie et ce, même dans l'hypothèse où cette demande n'aurait pas été formée expressément mais serait un préalable implicite à sa prétention. Il doit néanmoins être relevé que, dans l'arrêt du 24 novembre 1999, n'est pas évoquée la demande en expulsion que le bailleur n'a pourtant pas dû manquer de former à titre reconventionnel.

L'arrêt rapporté semble assouplir cette approche restrictive. En effet, l'occupante avait pris l'initiative du procès en assignant et en sollicitant expressément l'inopposabilité du congé. Or, si elle a été jugée irrecevable à agir par voie principale, il lui a été reconnu le droit de se prévaloir de la qualité de preneur par voie d'exception à l'action reconventionnelle en expulsion des locaux loués. La situation peut être comparée à celle qui avait donné lieu aux arrêts des 1er février 1983 (Cass. civ. 3, 1er février 1983, n° 81-10.317, préc.) et 19 juillet 1984 (Cass. civ. 3, 19 juillet 1984, n° 83-12.355, préc.). Le preneur prend l'initiative procédurale (action en révision du loyer impliquant la nullité de la clause de révision du bail/inopposabilité du congé) ; le bailleur, à titre reconventionnel, demande le rejet de cette prétention qui constitue le préalable à sa propre demande (demande de révision fondée sur la clause litigieuse/demande d'expulsion). Dans les deux arrêts précités, la demande du preneur tendant à voir déclarer nulle la clause est jugée irrecevable tandis que, dans l'arrêt du 28 mai 2008, le preneur a pu solliciter l'inopposabilité du congé à titre d'exception tendant au rejet de la demande d'expulsion. Il est vrai que les configurations de chacune de ces espèces ne sont pas parfaitement symétriques puisque l'action en expulsion est une demande hétérogène par rapport à celle tendant à voir déclarer un congé inopposable, même si elle implique sa validité, tandis que la demande de révision du bailleur a la même nature que celle que le preneur avait formé par voie principale.

Il ne suffit toutefois pas qu'une action soit recevable pour que la demande soit accueillie. En l'espèce, la Haute cour a approuvé les juges du fond d'avoir décidé que l'occupante n'était pas cotitulaire du bail à la date du congé et que sa demande, formée par voie d'exception et en conséquence recevable, ne pouvait prospérer au fond.

  • Rappel sur l'auteur de l'infraction pouvant justifier un refus de renouvellement pour motif grave et légitime (Cass. civ. 3, 11 juin 2008, n° 07-14.256, FS-P+B N° Lexbase : A0576D99)

Le motif grave et légitime du refus de renouvellement peut être constitué par une faute imputable au locataire ou aux personnes dont il répond. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2008.

En l'espèce, par acte du 26 mars 1994, un local commercial avait été donné à bail. Le bailleur avait cédé, le 29 novembre 2002, l'immeuble dans lequel était exploité le fonds donné à bail. Il semble en conséquence que ce fonds de commerce ait été mis en location-gérance. Le preneur avait, ensuite, demandé le renouvellement de son bail le 17 juillet 2003. Le 22 octobre 2003, le nouveau propriétaire lui avait donné congé avec refus de renouvellement et refus d'indemnité d'éviction sur le fondement, selon toute vraisemblance, d'un motif grave et légitime. Le preneur avait alors saisi le tribunal d'une demande de renouvellement du bail et avait cédé son fonds de commerce le 23 février 2004. Les juges du fond ayant considéré que le refus de renouvellement du bail était non justifié, ils ont déclaré nul le congé du 22 octobre 2003 et dit que le bail s'était renouvelé à son échéance. Le bailleur s'est alors pourvu en cassation.

Le preneur, même en cas de mise en location-gérance de son fonds, à la condition qu'elle soit régulière, dispose, à certaines conditions, d'un droit au renouvellement de son bail qui se traduit par l'obligation pour le bailleur de lui régler une indemnité d'éviction s'il refuse le renouvellement (C. com., art. L. 145-14 N° Lexbase : L5742AII). Le bailleur ne sera cependant pas tenu au paiement de cette indemnité "s'il justifie d'un motif grave et légitime à l'encontre du locataire sortant" à la condition, sauf exception, de l'avoir préalablement mis en demeure de cesser l'infraction (C. com., art. L. 145-17 N° Lexbase : L5745AIM).

Dans la mesure où les locaux, de manière "régulière", peuvent être occupés par une personne différente du locataire en titre mentionné au bail, la question s'est posée de savoir à qui le bailleur pouvait reprocher des manquements justifiant un refus de renouvellement pour des motifs graves et légitimes. La question se pose de manière symétrique en présence d'un changement de bailleur, par exemple, à la suite d'une vente de l'immeuble comprenant les locaux loués.

Sur ce dernier point, il a été jugé qu'il ne pouvait être refusé à l'acquéreur de l'immeuble la faculté de se prévaloir d'un infraction du preneur antérieure à la vente alors que celle-ci s'est poursuivie après cet acte (Cass. com., 9 janvier 1967, n° 65-10.732, Epoux Levy c/ SociétéE d'atomisation de produits alimentaires (SAPRA) N° Lexbase : A2904AU4). Cette décision ne permet pas de déterminer si, à défaut de poursuite de l'infraction, le nouveau bailleur aurait pu se prévaloir d'une infraction antérieure.

En ce qui concerne l'auteur de l'infraction, deux cas sont à envisager : celui où le bail change de titulaire et celui où, bien que le titulaire reste identique, les lieux sont occupés par un tiers. Ces deux situations peuvent ne pas être exclusives comme le démontre la décision commentée.

La Cour de cassation a, tout d'abord, précisé, s'appuyant sur la lettre de l'article L. 145-17 du Code de commerce qui vise le "locataire sortant", que le cessionnaire ne peut se voir refuser le renouvellement du bail sans indemnité d'éviction pour motif grave et légitime fondé sur une infraction commise par le cédant (Cass. civ. 3, 4 octobre 2000, n° 99-12.722, Société Rox Mariel c/ Mme Lagrue N° Lexbase : A7742AH9), même s'il a reconnu avoir pris connaissance du congé portant refus de renouvellement sans offre d'indemnité d'éviction et qu'il s'est engagé à faire son affaire personnelle du litige sur ce point avec le bailleur (Cass. civ. 3, 10 janvier 2007, n° 05-20.634, FS-D N° Lexbase : A4815DTI). Le cessionnaire pourra se voir toutefois refuser le renouvellement pour un motif grave et légitime, précédemment imputable au cédant, s'il a perpétué l'infraction (Cass. civ. 3, 30 janvier 2002, n° 00-16.284, FS-P+B N° Lexbase : A8948AXP).

S'agissant de l'occupation des lieux par un tiers au contrat de bail, la Haute cour a également précisé que le bailleur pouvait valablement reprocher au preneur les infractions au bail commises par un sous-locataire, "le locataire principal étant tenu vis-à-vis du propriétaire de l'exécution des obligations du bail comme s'il occupait lui-même" (Cass. civ. 3, 13 juin 1969, n° 67-14.101, SARL Perrette et Cottigny c/ Compagnie d'assurances La Nationale-Vie N° Lexbase : A3143ATL). Dans cette décision, l'infraction de l'occupant du chef du preneur avait été sanctionnée par la résiliation du bail, mais, compte tenu de la généralité des termes employés, il pourrait être soutenu que l'infraction commise par un sous-locataire pourrait également fonder un refus de renouvellement pour motif grave et légitime.

Il a été, enfin, jugé que le bailleur pouvait se prévaloir de toutes les infractions au bail, qu'elles aient été commises par le locataire ou par le gérant libre que celui-ci a introduit dans les lieux (Cass. civ. 3, 9 novembre 1981, n° 80-11.067, Société civile particulière Mazagran c/ Société Cristal Hôtel SARL N° Lexbase : A7478AG3 et Cass. civ. 3, 29 mai 1991, n° 89-20.432, Mme Longhi c/ Consorts Farhi N° Lexbase : A4848AHZ).

L'arrêt commenté rappelle cette dernière solution, tout en la généralisant, en affirmant que "le motif grave et légitime du refus de renouvellement peut être constitué par une faute imputable au locataire ou aux personnes dont il répond". En l'espèce, les juges du fond s'étaient contentés de relever qu'aucun manquement ne pouvait être reproché au locataire lui-même, alors que, semble-t-il, les lieux étaient occupés par un locataire-gérant qui pouvait être l'auteur des infractions.

Il n'est, toutefois, pas à exclure a priori que les juges du fond aient refusé le renouvellement au motif que le cessionnaire, d'ailleurs partie à la procédure, n'avait pas commis d'infraction. Néanmoins, ce n'est pas ce dernier qui devrait pouvoir se prévaloir d'un droit au renouvellement, puisqu'en l'espèce, il semble que la cession soit intervenue postérieurement à la demande du preneur, au refus du bailleur et à la date d'expiration du bail et que, en outre, c'est à la date du refus de renouvellement qu'il convient de se placer pour apprécier les griefs (Cass. com., 18 décembre 1961, n° 58-12.973, Borie c/ Noiret et autres N° Lexbase : A9641AG8). Le cessionnaire pourrait seulement devenir rétroactivement un occupant sans droit ni tire puisque le bail prétendument cédé n'existerait plus à la date de la cession. La question se pose toutefois de la faculté pour le bailleur de refuser un renouvellement pour des infractions postérieures au congé et à la date d'expiration du bail qui auraient été commises par le cessionnaire, dans la mesure où il est possible pour le bailleur d'invoquer, en cours d'instance, des motifs non connu lors de la délivrance du congé (Cass. civ. 3, 17 novembre 1981, n° 80-12.242, Ponthieu c/ Dame Ouspensky N° Lexbase : A7479AG4). Bien que le bail puisse avoir cessé, il pourrait être soutenu que le cessionnaire est précisément une personne dont le preneur doit répondre tant que son droit au renouvellement n'est pas consacré. Le cédant pourrait ainsi perdre son droit au renouvellement du fait des agissements du cessionnaire pendant cette période qui à son tour perdrait son droit au bail.

  • La forme du refus à une demande de déspécialisation plénière (Cass. civ. 3, 11 juin 2008, n° 07-14.551, FS-P+B N° Lexbase : A0581D9E)

Le bailleur qui, dans les trois mois, ne signifie pas son refus à une demande de déspécialisation plénière par acte extrajudiciaire est réputé avoir acquiescé à cette demande. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 11 juin 2008.

Le preneur d'un bail commercial est tenu en principe, de se conformer à la destination contractuelle du bail et il ne peut modifier cette dernière sans autorisation du bailleur, à peine de résiliation du bail (Cass. civ. 3, 5 juin 2002, n° 00-20.348, FS-P+B N° Lexbase : A8535AYR) ou de refus de renouvellement pour motif grave et légitime (Cass. civ. 3, 5 juillet 1995, n° 93-12.188, M. Bernard, Louis, Hubert Durville et autres c/ Mme Caroline Fredenucci, veuve Spinosi et autres N° Lexbase : A6857AHG). Il existe cependant certaines exceptions à ce principe (voir l’Ouvrage "baux commerciaux", Les exceptions légales à l'obligation pour le preneur de respecter la destination du bail commercial N° Lexbase : E5236AZX). Il peut ainsi, par exemple, bénéficier, à certaines conditions, d'un droit à la déspécialisation qui peut être partielle (C. com., art. L. 145-47 N° Lexbase : L5775AIQ) ou totale (C. com., art. L. 145-48 N° Lexbase : L5776AIR).

En matière de déspécialisation totale, encore qualifiée de plénière, le preneur peut être autorisé, sur sa demande, à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier (C. com., art. L. 145-48).

Cette demande doit, à peine de nullité, comporter l'indication des activités dont l'exercice est envisagé et elle doit être formée par acte extrajudiciaire (C. com., art. L. 145-49 N° Lexbase : L5777AIS). L'article L. 145-49, dernier alinéa, du Code de commerce précise qu'à défaut par le bailleur d'avoir, dans les trois mois de la demande, "signifié" son refus, son acceptation ou encore les conditions auxquelles il subordonne son accord, il est réputé avoir acquiescé à la demande.

L'arrêt rapporté précise que ce refus doit être formé par acte extrajudiciaire. Cette solution peut se justifier par l'emploi du terme "signifié" à l'article L. 145-49 du Code de commerce. En effet, aux termes de l'article 651 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2917ADE), la signification est une notification par faite par acte d'huissier de justice. Le refus du bailleur doit donc être notifié par acte d'huissier de justice.

En conséquence, le refus formé par lettre recommandé avec demande d'avis de réception, selon l'arrêt commenté, n'est susceptible d'entraîner aucun effet et la situation est identique à celle dans laquelle le bailleur aurait gardé le silence. Il sera ainsi réputé avoir accepté la demande du preneur, à tout le moins s'il ne régularise pas ce refus par lettre recommandée par un acte d'huissier dans le délai de trois mois.

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