Réf. : Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile (N° Lexbase : L9102H3I)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Avant cette réforme, il était habituellement enseigné que le délai de prescription de droit commun, en matière civile, était fixé à trente ans, par application de l'ancien article 2262 du Code civil (N° Lexbase : L2548ABY) (4). A côté de ce délai de droit commun existaient de nombreux délais d'exception. Parmi les plus courants, on trouvait le délai de dix ans pour les actions en responsabilité civile extra-contractuelle (C. civ., art. 2270-1, anc. N° Lexbase : L2557ABC) ou pour les actions exercées contre les personnes légalement habilitées à représenter ou à assister les parties en justice (C. civ., art. 2277-1, anc. N° Lexbase : L2565ABM), etc. ; le délai de cinq ans pour les salaires, les arrérages des rentes, les pensions alimentaires, les loyers, les intérêts de sommes versées et "généralement, de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus court" (C. civ., art.2277, anc. N° Lexbase : L5385G7L). La répartition de ces délais a été profondément bouleversée.
L'article 1-III de la loi du 17 juin 2008 crée une nouvelle section première au chapitre II du titre XX du livre III du Code civil relatif à la prescription extinctive, section qui s'intitule "Du délai de droit commun et de son point de départ" et qui comprend un article unique (C. civ., art. 2224, nouv.), lequel dispose que les "actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans". Le délai de prescription de droit commun devient donc le délai quinquennal, des exceptions étant ménagées pour les actions immobilières (trente ans, C. civ., art. 2227, nouv.) et des actions en responsabilité nées à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel (dix ans ou vingt ans, C. civ., art. 2226, nouv.) (5).
En raison de l'existence d'un délai de prescription spécifique en matière de rémunération en droit du travail, les règles de prescription du Code civil y trouvent assez peu à s'appliquer (6). Pourtant, dans quelques hypothèses, plus ou moins marginales, le juge faisait appel à la prescription trentenaire de droit commun dont il devra, désormais, se séparer.
En effet, la prescription trentenaire étant, désormais, réservée aux actions immobilières, il n'est plus question de pouvoir l'appliquer au paiement d'indemnités de licenciement (7). De la même manière, les créances que pouvait avoir l'employeur contre le salarié, jusque-là soumises à une prescription de trente ans, devront, désormais, être poursuivies dans un délai de cinq ans (8).
Le nouvel article 2226 du Code civil prévoit, désormais, que "l'action en responsabilité née à raison d'un événement ayant entraîné un dommage corporel, engagée par la victime directe ou indirecte des préjudices qui en résultent, se prescrit par dix ans à compter de la date de la consolidation du dommage". Le délai de prescription décennal s'en trouve, ainsi, très largement circonscrit puisqu'il concernait, avant la réforme, l'ensemble des actions de responsabilité extra-contractuelle.
Cette évolution aurait suffit, à elle seule, à mettre fin aux atermoiements de la Chambre sociale de la Cour de cassation en matière de répétition de l'indu en droit du travail, ce quasi contrat relevant clairement de la responsabilité extra-contractuelle (9). Rappelons que la jurisprudence distingue, en la matière, entre l'action en paiement, prescrite après cinq ans, et l'action en répétition des salaires, prescrite après trente ans. La nouvelle organisation des délais de prescription aurait probablement poussé la Chambre sociale à réduire ce délai à cinq ans. En outre, comme l'avait annoncé le Professeur Radé (10), l'article 16-II de la loi vient modifier l'article L. 3245-1 du Code du travail et prévoit, désormais, que "l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans".
Si les modifications introduites en matière civile ne concernent donc qu'assez marginalement le droit du travail, l'article 16 de la loi est intégralement consacré à la modification de dispositions du Code du travail et, plus particulièrement, à l'élaboration d'un régime de prescription spécifique en matière de discrimination.
II - L'introduction dans le Code du travail de nouvelles règles relatives à la prescription en matière de discrimination
Comme cela vient d'être évoqué, l'article 16 de la loi du 17 juin 2008 unifie, tout d'abord, les délais de prescription des actions en paiement et en répétition des salaires.
L'article comporte, également, une mise à jour d'un renvoi opéré par le Code du travail vers le Code civil. En effet, la référence à l'ancien article 2274 du Code civil opérée par l'article L. 3243-3 du Code du travail (11) est supprimée.
Mais, c'est surtout le paragraphe III de l'article 16 de la loi qui apporte la modification la plus remarquable. Ce texte crée un nouvel article L. 1134-5 au Code du travail dans le Chapitre IV (intitulé "Actions en justice") du Titre troisième du Livre premier, titre relatif aux discriminations.
La Cour de cassation appliquait, depuis quelques années déjà, la prescription trentenaire de droit commun à l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination (12). Cette solution n'avait pas manqué de soulever la critique. En effet, s'il était parfaitement justifié de ne pas appliquer la prescription quinquennale relative aux salaires à des sommes de nature indemnitaire, il était, en revanche, contestable de ne pas limiter la prescription à dix ans, l'action étant manifestement délictuelle plutôt que contractuelle (13).
Les modifications apportées par la loi vont, pourtant, bien plus loin qu'un simple retour de l'action en réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination dans le giron de la responsabilité délictuelle. Le premier alinéa de l'article L. 1134-5 dispose, en effet, que "l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination". Cette réduction drastique du délai de prescription a, au moins, le mérite de l'homogénéité puisque, nous l'avons vu, seules les actions en responsabilité réparant l'atteinte à un dommage corporel conservent un délai de prescription de dix ans.
Pour le reste, il faut bien avoir conscience que ce nouveau délai fermera la porte à de nombreuses actions relatives à des faits anciens. Il contraindra les salariés victimes de discrimination à introduire rapidement une action après le constat des faits, alors même, probablement, que leur relation contractuelle sera toujours en cours. Cette mesure s'inscrit donc en faux de la politique actuelle visant, au moins en apparence, à lutter contre les traitements discriminatoires dans l'entreprise.
Bien heureusement, la loi met en place deux garde-fous, qui permettront de limiter les effets néfastes de la réduction de la prescription et de les concilier avec une diminution espérée du contentieux en la matière.
La réduction du délai de prescription aurait pu avoir un effet indirect sur le montant de l'indemnisation perçue par le salarié à la suite de son action, puisque seuls les faits de discrimination s'étant produits moins de cinq ans après leur révélation auraient dû pouvoir faire l'objet d'une réparation.
Pour éviter une telle conséquence, le troisième alinéa du nouvel article L. 1134-5 met en place une distorsion peu habituelle entre le délai d'action et la durée sur laquelle les faits de discriminations doivent être pris en compte si l'action est recevable. En effet, le texte dispose que "les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée".
A première vue, une telle assertion peut paraître surprenante puisque, s'agissant d'une action de responsabilité délictuelle, c'est bien le principe de réparation intégrale du préjudice qui doit normalement s'appliquer. En étendant la prise en compte du préjudice subi à toute la durée de la discrimination, le législateur ménage la chèvre et le chou. D'un côté, il réduit le risque de conflictualité pour l'employeur ayant fait subir des discriminations à ses salariés, ce dont il faut se féliciter au vu de la longueur de l'ancien délai de trente ans auquel il était astreint (14). De l'autre, il permet aux salariés victimes de discriminations d'invoquer des faits qui, normalement, auraient dû être prescrits.
Il reste que des questions pratiques ne manqueront pas de se poser quant à l'application concrète de cette distinction. Les comportements discriminatoires ne sont, en effet, pas nécessairement continus. Un salarié peut avoir, par exemple, été écarté d'une phase de promotion dans l'entreprise il y a quinze ans et ne plus avoir subi d'autres discriminations pendant plus de dix ans. Si, pour autant, intervient un nouveau comportement discriminatoire, le salarié qui introduira une action devra-t-il se contenter d'invoquer le dernier fait allégué, entrant dans le délai de prescription, ou pourra-t-il, en outre, invoquer les faits s'étant produits quinze ans auparavant ? On perçoit aisément les difficultés que peuvent générer la distorsion entre délai d'action et durée sur laquelle les faits doivent être pris en compte.
La loi semble mettre en place un second garde-fou en interdisant l'aménagement contractuel du délai de prescription.
Parmi les dispositions générales de la loi du 17 juin 2008 figure, aux nouveaux articles 2254 et suivants du Code civil, la possibilité d'un aménagement conventionnel des délais de prescription. Le délai peut, ainsi, être abrégé ou allongé par les parties, à la condition, toutefois, de ne pas "être réduit à moins d'un an ni étendu à plus de dix ans". Le texte exclut ces possibilités d'aménagement pour les délais autrefois encadrés par l'article 2277 du Code civil (salaires, loyers, intérêts, etc.). D'autres exceptions ont été mises en place, comme c'est le cas pour les actions en réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination.
En effet, le paragraphe II de l'article 16 de la loi, créant le second alinéa de l'article L. 1134-5 du Code du travail, prévoit que le délai de cinq ans prévu au premier alinéa "n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel". Autrement dit, il s'agit d'un délai d'ordre public absolu, si l'on veut bien entendre derrière le terme "conventionnel" à la fois le contrat de travail et les conventions collectives.
Le premier sentiment à la lecture de cette disposition consiste à penser qu'une telle mesure devrait être favorable aux salariés. L'impossibilité d'aménager ce délai permettra d'éviter qu'un contrat ou une convention ne le réduise au minimum prévu par l'article 2254 du Code civil, c'est-à-dire à un an. Pour autant, une analyse plus approfondie démontre que cette interdiction de tout aménagement est plutôt favorable aux employeurs.
En effet, rappelons que les conflits de normes en droit du travail sont habituellement et, sauf exception, réglés par le principe de faveur (15). Si aucune interdiction d'aménagement du délai n'avait été prévue par le texte, le résultat aurait été favorable aux salariés. En effet, si un contrat de travail ou une convention collective avait prévu un délai plus long, celui-ci aurait pu être appliqué aux salariés de par son caractère plus favorable. Au contraire, le contrat de travail ne pouvant comporter de dispositions moins favorables que la loi et l'accord collectif ne pouvant être dérogatoire qu'à la condition que le législateur l'ait expressément prévu, le raccourcissement de ce délai n'aurait pas été applicable aux salariés.
Or, en interdisant tout aménagement conventionnel du délai de prescription, c'est à la fois l'allongement -favorable aux salariés- mais, aussi, le raccourcissement -favorable à l'employeur- qui sont proscrits. L'employeur sera donc prémuni contre toute tentative de négociation, principalement au niveau conventionnel, visant à allonger les délais de prescription, alors même que, concrètement, cette limitation ne change rien aux droits des salariés. Ce qui pouvait donc paraître comme constituant une limite aux effets néfastes du raccourcissement du délai de prescription de trente à cinq ans n'est donc, en réalité, qu'un trompe-l'oeil.
(1) L'ensemble de ces modifications emporte, au passage, un véritable chambardement de la numérotation du Titre XX du Livre Troisième du Code civil.
(2) C'est, également, le cas de l'article 17 de la loi, qui modifie un renvoi opéré par le Code de la Sécurité sociale au délai trentenaire de l'ancien article 2262 du Code civil.
(3) Le paragraphe IV, classé avec les dispositions relatives au droit du travail, concerne la discrimination dans la fonction publique, signe des temps, s'il en fallait encore, du rapprochement du statut des travailleurs des entreprises privées et des statuts de la fonction publique.
(4) V. F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., n° 1477.
(5) On remarquera, au passage, que ne sont plus visées les actions en responsabilité extra-contractuelle, mais, seulement, les actions réparant un dommage corporel, ce qui conduira nécessairement à réduire le champ de la prescription décennale à chaque fois que la responsabilité civile sera engagée pour réparer un préjudice matériel, voire un préjudice moral.
(6) C. trav., art. L. 3245-1 .
(7) Appliquant la prescription trentenaire, v. Cass. soc., 4 mars 1992, n° 88-45.753, Société Sergent Guy c/ M. Boulay, publié (N° Lexbase : A9363AAZ) ; CE Contentieux, 29 juillet 1998, n° 146319, Fédération générale des clercs de notaire - fédération des services CFDT (N° Lexbase : A7895AS9).
(8) Appliquant, là encore, la prescription trentenaire, v. Cass. soc., 25 janvier 2006, n° 03-46.618, Mlle Sandrine Thouron c/ Société MSM, FS-P+B (N° Lexbase : A5504DMS) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Prescription des rémunérations : salaire 5, autres sommes 30, Lexbase Hebdo n° 201 du 9 février 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4102AK7), RJS, 2006, n° 445.
(9) V., Cass. soc., 13 février 2008, n° 06-14.386, Assedic Aquitaine c/ M. Jean Descamps, F-D (N° Lexbase : A9186D4Y) et les solutions variables selon les chambres de la Cour de cassation retracées par Ch. Radé, Prescription des actions en paiement et en répétition des sommes indûment payées : bientôt l'éclaircie ?, Lexbase Hebdo n° 294 du 28 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N2175BEB).
(10) Ibid., note 16.
(11) Texte refusant au bulletin de salaire la valeur de compte arrêté ou réglé permettant la fin anticipée du délai de prescription.
(12) Cass. soc., 11 octobre 2000, n° 98-43.472, Société Renault véhicules industriels c/ Mme Micheline Bujard, inédit (N° Lexbase : A9860ATD) ; dans le même sens, Cass. soc., 30 janvier 2002, n° 00-45.266, Société Peugeot Citroën automobiles (PCA) c/ M. Jean-Claude Travel, F-D (N° Lexbase : A8781AXI) ; Cass. soc., 15 mars 2005, n° 02-43.560, M. Patrick Monange, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A2741DHY) et les obs. de Ch. Radé, L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale se prescrit par trente ans, Lexbase Hebdo n° 161 du 31 mars 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N2499AIE), Gaz. Pal., 22 juin 2005, p. 8, obs. D. Allix ; Cass. soc., 22 mars 2007, n° 05-45.163, Société Alcatel, F-D (N° Lexbase : A7483DUP).
(13) En ce sens, v. Ch. Radé, préc..
(14) Délai certainement trop long pour le monde de l'entreprise. On se souviendra, à titre de comparaison, du tollé qu'avait provoqué l'arrêt "La Samaritaine", en raison, justement, des conséquences que pouvait avoir, de nombreuses années après les faits, le prononcé de la nullité des licenciements et, surtout, les réintégrations qui les accompagnaient. V. Cass. soc., 13 février 1997, n° 96-41.875, Société des Grands Magasins de la Samaritaine c/ Mme Benoist et autre (N° Lexbase : A9112AAQ), Bull. civ. V, n° 64, D., 1997, p. 171, note A. Lyon-Caen, Dr. soc., 1997, p. 254, concl. av. gén. P. de Caigny, Dr. ouvrier, 1997, p. 96, note P. Moussy ; JCP éd. S, 1997, II, 22843, chron. F. Gaudu.
(15) A. Jeammaud, Le principe de faveur. Enquête sur une règle émergente, Dr. soc., 1999, p. 115 ; J. Pélissier, Existe-t-il un principe de faveur en droit du travail, in Mélanges dédiés à M. Despax, 2001, p. 289.
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