La lettre juridique n°310 du 26 juin 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Le fait que licenciement économique soit notifié par le débiteur en redressement judiciaire ne suffit pas à le priver de cause réelle et sérieuse

Réf. : Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.352, Société Vogt et compagnie Tréfileries et a. c/ M. Jacques Mezzarobra et a., F-P+B (N° Lexbase : A0623D9X)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010


Lorsqu'une entreprise fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le Code de commerce permet de procéder à des licenciements économiques présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable. Ces derniers, soumis à l'avis des représentants du personnel et préalablement autorisés par le juge-commissaire, sont, ensuite, notifiés, en vertu de la loi elle-même, par l'administrateur judiciaire éventuellement nommé. Ce dernier dispose donc, en la matière, d'un droit propre, qui ne saurait, a priori être exercé par le débiteur. L'arrêt rendu le 11 juin 2008 donne l'occasion à la Cour de cassation de préciser que la circonstance que le licenciement prononcé au visa de l'ordonnance du juge-commissaire ait été notifié par le débiteur, au lieu de l'administrateur, ne suffit pas à le priver de cause réelle et sérieuse, mais ouvre droit à indemnisation pour inobservation de la procédure.
Résumé

Si, en application de l'article L. 621-37 du Code de commerce (N° Lexbase : L6889AIY, art. L. 631-17, nouv., N° Lexbase : L4028HBS, créé par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), après autorisation donnée par ordonnance du juge-commissaire, il appartient à l'administrateur judiciaire de procéder aux licenciements pour motif économique présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable, la circonstance que le licenciement prononcé au visa de cette ordonnance ait été notifiée par le débiteur ne suffit pas à le priver de cause réelle et sérieuse, mais ouvre droit à indemnisation pour inobservation de la procédure.

Commentaire

I Licéité des licenciements économiques prononcés pendant la période d'observation

  • Principe et procédure

Lorsqu'une société est placée en redressement judiciaire, l'activité est, par principe, poursuivie et les contrats de travail sont, de ce fait, continués. Toutefois, les difficultés constatées peuvent, dès l'ouverture de la période d'observation et pendant toute sa durée, justifier la rupture immédiate de certains contrats de travail.

Plus précisément, et ainsi que l'affirme la loi, "lorsque des licenciements pour motif économique présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable pendant la période d'observation, l'administrateur peut être autorisé, par le juge-commissaire, à procéder à ces licenciements" (1).

Préalablement à la saisine du juge-commissaire, l'administrateur se doit, dans un premier temps, de consulter le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, dans les conditions prévues à l'article L. 1233-58 du Code du travail . Cette étape achevée, l'administrateur doit, dans un deuxième temps, informer l'administration du travail (2).

Enfin, et dans un troisième et dernier temps, l'administrateur adresse une demande au juge-commissaire. Dans sa requête, il expose la situation, justifie le caractère urgent, inévitable et indispensable des licenciements requis par la loi, indique le nombre de salariés et les catégories professionnelles concernées. A l'appui de sa demande, il joint l'avis recueilli auprès des représentants du personnel et les justifications de ses diligences en vue de faciliter l'indemnisation et le reclassement des salariés.

  • L'autorisation de licenciement

Ainsi qu'il l'a été mentionné précédemment, le licenciement pour motif économique envisagé au cours de la période d'observation est subordonné à l'autorisation préalable du juge-commissaire. Par suite, le licenciement prononcé avant la demande d'autorisation est injustifié (3). L'ordonnance du juge-commissaire indique le nombre de salariés dont le licenciement est autorisé, ainsi que les activités et catégories professionnelles concernées (4). En revanche, une liste nominative des salariés licenciés n'a pas à être dressée par le juge-commissaire et se trouve dépourvue d'effet (5).

Muni de l'autorisation du juge-commissaire, l'administrateur est en mesure de prononcer les licenciements. Il est important de rappeler que la lettre de notification doit comporter le visa de l'ordonnance du juge-commissaire autorisant les licenciements économiques. A défaut, en effet, le licenciement est, là encore, réputé sans cause réelle et sérieuse (6).

Lorsque ces prescriptions ont été respectées, le licenciement est, en principe, valide et ne peut donner lieu à contestation devant le juge prud'homal, compte tenu de la décision préalable du juge-commissaire (7). La Cour de cassation considère, toutefois, que l'autorisation délivrée par ce dernier n'interdit pas à la juridiction prud'homale de statuer sur les demandes des salariés licenciés au regard de leur situation individuelles (8).

Pour en venir à l'espèce qui nous intéresse, l'ensemble de ces exigences semblait avoir été respecté, si ce n'est que, postérieurement à l'autorisation délivré par le juge-commissaire, un salarié avait été licencié, non pas par l'administrateur, mais par le débiteur lui-même, en l'occurrence, le directeur général de la société. Pour décider que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué avait retenu que, en période de redressement judiciaire, seul l'administrateur judiciaire a qualité pour notifier le licenciement pour motif économique autorisé par le juge-commissaire et que le licenciement prononcé par une personne dépourvue de qualité pour y procéder est nécessairement sans cause réelle et sérieuse.

Cette décision est censurée par la Cour de cassation qui, après avoir visé les articles L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9), devenu l'article L. 1235-1 du Code du travail et L. 621-37 du Code de commerce, considère que si, en application de ce dernier texte, "après autorisation donnée par ordonnance du juge-commissaire, il appartient à l'administrateur judiciaire de procéder aux licenciements pour motif économique présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable, la circonstance que le licenciement prononcé au visa de cette ordonnance ait été notifié par le débiteur, au lieu de l'administrateur, ne suffit pas à la priver de cause réelle et sérieuse mais ouvre droit à indemnisation pour inobservation de la procédure".

II Licéité des licenciements économiques prononcés par le débiteur

  • Une prérogative propre de l'administrateur

Si, ainsi que nous allons le voir, la solution retenue par la Cour de cassation peut être justifiée, elle n'avait, cependant, rien d'évident, au moins au regard des règles relevant du droit des entreprises en difficulté.

En phase de redressement judiciaire, la nomination d'un administrateur ne rime pas nécessairement avec le dessaisissement du débiteur (9) et, si l'administrateur se voit conférer des prérogatives spécifiques par la loi, sa mission est définie au cas par cas par le tribunal. Parmi les pouvoirs qui lui sont reconnus de plein droit, indépendamment de sa mission judiciaire, figure la prérogative de licencier certains salariés, telle qu'elle a été décrite précédemment. A ce titre, on peut considérer, avant comme après la loi de 2005, que le pouvoir de licencier est un pouvoir propre de l'administrateur (10).

Le fait que l'administrateur soit, ainsi, investi par la loi du pouvoir de licencier les salariés pour motif économique pendant la période d'observation signifie, au premier chef, que celui-ci n'a nullement besoin du concours du débiteur pour agir. Mais, en allant au-delà, on peut considérer que le débiteur, qui agit en lieu et place de l'administrateur, dépasse ses pouvoirs et vient empiéter sur ceux que la loi reconnaît expressément à ce dernier. Les dispositions légales étant d'ordre public, cet empiètement pourrait être sanctionné par la nullité.

Pour être soutenable au regard du droit des entreprises en difficulté, cette assertion l'est-elle, également, au regard du droit du travail ? On est tenté de répondre par la négative, dans la mesure où la nullité du licenciement suppose classiquement l'existence d'un texte la prévoyant ou, à tout le moins, une atteinte à une liberté fondamentale (11). Toutefois, dans un arrêt en date du 13 septembre 2005, la Cour de cassation a décidé que "l'absence de qualité à agir du signataire d'une lettre de licenciement constitue une irrégularité de fond qui rend nul le licenciement" (12). Pour certains auteurs, il n'y a pas lieu de s'offusquer d'une telle solution dans la mesure où "la cour considère que l'absence de qualité à agir du signataire d'une lettre de licenciement constitue une irrégularité de fond. Or, une irrégularité de fond affecte, en principe, la validité de l'acte lui-même et entraîne sa nullité. C'est pourquoi, la Cour de cassation estime qu'en l'espèce, le licenciement est nul. Elle ne se place pas sur le terrain de la cause du licenciement puisqu'en toute hypothèse la décision de licenciement est censée n'avoir jamais existé" (13).

Au vu de cette décision, on peut être surpris de la solution retenue dans l'arrêt rapporté, d'autant plus que, nous l'avons vu, c'est la loi elle-même qui reconnaît au seul administrateur la qualité pour agir. Non seulement, la Cour de cassation ne prononce pas la nullité du licenciement, mais elle refuse de considérer qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

  • Le caractère justifié des licenciements prononcés par le débiteur

Ainsi que le signifie la Chambre sociale dans l'arrêt rapporté, la seule circonstance que les licenciements aient été notifiés par le débiteur ne suffit pas à les priver de cause réelle et sérieuse. Cette solution peut être approuvée. En effet, il serait, pour le moins, excessif d'affirmer que la notification des licenciements par l'administrateur a trait aux garanties de fond dont bénéficie le salarié ou, pour le dire autrement, relève de l'exigence d'une cause réelle et sérieuse. Ce qui importe, à ce titre, en la matière, c'est que les licenciements présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable, que le juge-commissaire les ait autorisés et que les lettres de notification visent cette autorisation.

Par voie de conséquence, le fait que les licenciements soient notifiés par le débiteur constitue un simple vice de forme qui ouvre droit, ainsi que le précise la Chambre sociale, à une indemnisation pour inobservation de la procédure.

Il reste, cependant, pour le moins difficile de concilier cette solution avec celle retenue dans l'arrêt précité du 13 septembre 2005. On pourrait, certes, avancer que cette décision, n'ayant pas fait l'objet d'une publication, seule celle retenue par l'arrêt sous examen devrait, aujourd'hui, l'être. Par suite, l'absence de qualité à agir du signataire d'une lettre de licenciement constituerait, désormais, dans tous les cas, une simple irrégularité de forme. Il nous semble, toutefois, possible de concilier les deux solutions, en affirmant que les licenciements économiques prononcés pendant la période d'observation doivent faire l'objet d'un traitement particulier. En effet, et ainsi que nous l'avons vu, même si un administrateur est nommé, la loi autorise à laisser une certaine place au débiteur dans la procédure (14). La décision commentée en constituerait une nouvelle illustration. En outre, compte tenu de l'intervention du juge-commissaire pour autoriser les licenciements économiques présentant un caractère urgent, inévitable et indispensable et le nécessaire visa de son ordonnance dans la lettre de notification, on peut considérer que le salarié bénéficie de solides garanties de fond.

Cela étant, et compte tenu du pouvoir propre reconnu en la matière à l'administrateur par la loi, il n'aurait pas été choquant d'admettre que le licenciement prononcé par le débiteur soit sanctionné par la nullité ou, à tout le moins, par l'absence de cause réelle et sérieuse. Cette solution aurait, cependant, produit de graves conséquences pratiques pour une entreprise dont la survie est, par définition, menacée et qui cherche à se redresser.


(1) Enoncée par l'article L. 621-37 du Code de commerce, antérieurement à la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, cette règle figure, désormais, à l'article L. 631-17 du même code.
(2) Dans la mesure où le procès-verbal de la réunion des représentants du personnel doit être transmis à l'administration du travail, la consultation des premiers doit nécessairement précéder l'information de la seconde.
(3) Cass. soc., 3 mai 2001, n° 99-41.813, M. Robert Taguet c/ Imprimerie Douriaut (N° Lexbase : A5335AGP), Bull. civ. V, n° 151.
(4) Cette ordonnance est notifiée au comité d'entreprise, à défaut, aux délégués du personnel ou, le cas échéant, au représentant des salariés. Elle est transmise au ministère public, à l'administrateur et au mandataire judiciaire (C. com., art. R. 631-26 N° Lexbase : L1009HZE). Elle peut faire l'objet d'un recours.
(5) Cass. soc., 5 octobre 2004, n° 02-42.111, Société Etablissements Levrat, F-P+B (N° Lexbase : A5636DD4), Bull. civ. V, n° 244.
(6) Ass. plén., 24 janvier 2003, n° 00-41.741, M. Robert Galay c/ Société Wirth et Gruffat (N° Lexbase : A7381A47), Bull. civ., n° 1 et les obs. de P.-M. Le Corre, Le visa de l'ordonnance du juge-commissaire dans la lettre de licenciement du salarié en période d'observation, Lexbase Hebdo n° 58 du 12 février 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N5939AA9).
(7) V., par ex., Cass. soc., 10 mai 2005, n° 03-40.623, M. Patrick Boulet c/ Société civile professionnelle (SCP) Guérin et Diesbecq, F-D (N° Lexbase : A2300DIZ).
(8) V., notamment : Cass. soc., 8 juin 1999, n° 96-44.811, Mme Pouplin c/ Société Soparcos et autres (N° Lexbase : A7555AX4). Le juge peut, ainsi, vérifier que l'obligation de reclassement a été respectée ou, encore, la pertinence du plan de sauvegarde de l'emploi.
(9) Il faut rappeler que la nomination d'un administrateur n'est pas toujours obligatoire.
(10) V., en ce sens, C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Domat Montchrestien, 4ème éd., 2001, § 496.
(11) Sans parler des conséquences pratiques d'une telle nullité, qui exigerait la réintégration de salariés et/ou l'indemnisation de salariés travaillant dans une entreprise dont la survie apparaît compromise et qui cherche à se redresser.
(12) Cass. soc., 13 septembre 2005, n° 02-47.619, Caisse régionale de Crédit mutuel du Sud-Ouest c/ M. Christian Grzeskiewiez, F-D (N° Lexbase : A4399DK7). En l'espèce, l'employeur faisait grief à l'arrêt attaqué d'avoir jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse alors, selon le moyen, que la signature de la lettre de licenciement par une personne ayant reçu délégation du directeur général de la Caisse Régionale, en violation de l'article 31 de la Convention collective des employés, gradés et cadres de la fédération du Crédit mutuel du Sud-Ouest, qui donne pouvoir au seul conseil d'administration de la Fédération régionale de décider des licenciements, constitue un simple vice de forme ouvrant droit à des dommages-intérêts.
(13) S. Béal et M.-N. Rouspide, L'absence de qualité à agir du signataire d'une lettre de licenciement constitue une irrégularité de fond qui rend nul le licenciement, JCP éd. S, 2005, 1397.
(14) Débiteur qui, normalement, aurait eu qualité pour licencier les salariés.

Décision

Cass. soc., 11 juin 2008, n° 07-40.352, Société Vogt et compagnie Tréfileries et a. c/ M. Jacques Mezzarobra et a., F-P+B (N° Lexbase : A0623D9X)

Cassation de CA Colmar (ch. soc., sect. A), 23 novembre 2006

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9, art. L. 1235-1, recod. N° Lexbase : L9997HW8) et C. com., art. L. 621-37 (N° Lexbase : L6889AIY)

Mots clefs : redressement judiciaire ; période d'observation ; licenciements économique ; qualité pour agir ; notification par le débiteur ; vice de forme.

Lien base :

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