Réf. : Cass. soc., 12 juin 2007, n° 05-44.337, Chambre de commerce et d'industrie du Var (CCIV), F-P+B (N° Lexbase : A7858DWX)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le juge prud'homal est compétent pour connaître des litiges s'élevant à la suite du maintien des contrats de travail de salarié d'une entité économique reprise en gestion par un service administratif tant que le nouvel employeur n'a pas placé le salarié dans un régime de droit public. En outre, en application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), l'ensemble des contrats de travail doit être repris, si bien qu'un salarié qui serait titulaire de deux contrats de travail avec l'entreprise cédante peut exiger la poursuite de ces deux contrats. |
1. La compétence prud'homale maintenue
La Cour de cassation a longtemps refusé que s'appliquent les règles relatives au maintien des contrats de travail issues de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, lorsque le cessionnaire était une personne morale de droit public (1). A la suite de l'intervention de la Cour de justice des Communautés européennes (2), elle a pourtant revu sa position en 2002, suivie dans cette voie par le Conseil d'Etat (3).
Ces décisions ont été, depuis, confirmées par le législateur avec l'article 20 de la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-843, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique N° Lexbase : L7061HEA) qui encadre plus précisément ce type de transfert (4). Néanmoins, les faits de l'espèce s'étant déroulés antérieurement à l'entrée en vigueur de ce texte, le juge ne pouvait en faire application.
Par hypothèse, dans ces affaires, les litiges mettaient en oeuvre un conflit de compétence positive, les deux ordres de juridiction pouvant s'estimer compétents. Le juge prud'homal était compétent du fait de l'existence d'un contrat de travail de droit privé au moment du transfert. Quant au juge administratif, sa compétence était envisageable de par la présence d'une personne morale de droit public.
Tout dépendait, en réalité, de la qualification de la relation de travail au moment du litige. S'agissait-il encore d'une relation de droit privé, auquel cas le juge judiciaire était compétent, ou d'une relation de droit public menant alors le juge administratif à se saisir de l'affaire ? Le tribunal des conflits a dû se pencher sur cette question. Il rendit un jugement le 19 janvier 2004 (T. confl., 19 janvier 2004, Mme Devun et autres, n° 3393 N° Lexbase : A3824DDY) qui précisa que le transfert ne modifiait pas la nature des contrats de travail qui restaient des contrats de droit privé tant que la personne publique ne les avait pas intégrés au droit administratif (5). Cela impliquait que le juge prud'homal demeurait compétent.
La Cour de cassation se place donc dans le droit fil de cette jurisprudence, ce qui n'est, finalement, guère étonnant.
La question qui aurait pu se poser est celle de l'influence de la loi du 26 juillet 2005 sur la solution de la Chambre sociale. La loi prévoit, en effet, que la personne publique qui reprend une entité jusqu'alors gérée par une personne de droit privé se doit de proposer aux salariés transférés un contrat de droit public. En cas de refus des salariés de voir leurs contrats modifiés, la personne publique peut prononcer un licenciement dont la cause réelle et sérieuse est induite par le texte lui-même (6).
Mais, les faits de l'espèce étant antérieurs à l'édiction de ce texte, il n'était pas envisageable pour le juge d'en faire application. Nul doute, pourtant, que la solution eut été différente puisque, dans ce cas, les relations entre le cessionnaire et le salarié auraient nécessairement eu une nature de droit public (7). Si les décisions de la Cour de cassation sont parfois influencées par la loi nouvelle non encore applicable à un litige, une telle orientation n'aurait pas été opportune en l'espèce, car cela aurait porté atteinte au principe selon lequel la loi nouvelle ne peut porter atteinte aux contrats en cours d'exécution.
Il faut, cependant, remarquer qu'il s'agit probablement de l'une des dernières hypothèses dans lesquelles le juge prud'homal sera compétent. A l'avenir, par l'effet de la loi, les contrats seront transformés en contrats de droit public, si bien que c'est le juge administratif qui sera compétent, exception faite, bien sûr, du cas de figure prévu par l'alinéa 3 de l'article 20 de la loi du 26 juillet 2005, selon lequel le salarié peut refuser la modification, la personne publique étant alors tenue de la licencier.
L'arrêt apportait, également, une précision quant à l'objet du transfert, reprécisant, une nouvelle fois, que tous les contrats de travail devaient être transférés par application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail.
2. Le transfert de l'ensemble des contrats de travail
L'alinéa 2 de l'article L. 122-12 du Code du travail est on ne peut plus clair : "tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise".
Cette règle est appliquée sans partage. Tous les contrats sont concernés, qu'il s'agisse de contrats à durée déterminée ou indéterminée, de contrats de qualification, de contrats d'apprentissage (8). Peu importe, d'ailleurs, que le contrat du salarié ait été suspendu ou qu'il se trouve en phase de préavis (9).
Pourtant, des situations particulières semblent ne pas avoir été encore envisagées par le juge.
La situation présentait un caractère très spécifique puisque le salarié était titulaire de deux contrats de travail avec l'entreprise cédante. Pour être précis, le salarié avait des fonctions de maître de port pour un premier contrat à temps partiel et des fonctions de directeur technique pour un autre contrat de ce type. La difficulté provenait du fait que les activités de l'entreprise cédante n'avaient pas été transférées au même moment. Un premier transfert, opéré en 1998, avait emporté le transfert du contrat de travail concernant les activités de maître de port. Mais le salarié avait été licencié quelques mois plus tard. Il demeurait, cependant, salarié de l'entreprise cédante pour ses fonctions de directeur technique. Cette activité est transférée en 2000 à l'établissement public cessionnaire qui refuse de transférer le contrat de travail.
Le juge prud'homal, suivi par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, décide que le salarié ne doit pas recevoir de salaire pour la période et le temps d'activité non repris, mais doit être indemnisé pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La Chambre sociale casse et annule la décision d'appel en estimant que le second contrat de travail aurait dû être poursuivi à compter du transfert de la seconde entité économique, le premier licenciement intervenu étant sans portée à cet égard.
Sur un plan purement logique, il n'y a là finalement qu'une application à la lettre du principe du maintien des contrats de travail. Qu'il s'agisse de deux contrats conclus avec des salariés différents ou avec le même salarié, tous les contrats doivent être transférés et ce principe ne souffre d'aucune exception.
Ce qui paraît finalement le plus surprenant, c'est qu'il ait été distingué deux contrats de travail entre la même société et le même salarié. S'il existe de nombreux salariés en situation de cumul d'emploi à temps partiel, cela s'effectue le plus souvent dans deux entreprises différentes. Au contraire, un salarié qui accomplit deux tâches différentes dans une même entreprise n'est, le plus souvent, pas pour autant titulaire de deux contrats de travail. A moins que les contrats de travail n'aient été formellement distingués, la scission des deux activités du salarié en deux contrats de travail paraît n'être qu'une affaire d'opportunité destinée à permettre au salarié le maintien d'au moins une de ses deux activités. On imagine bien les conséquences que la pérennisation d'une telle solution pourrait avoir sur des relations de travail complexes dans lesquelles un salarié peut parfois assumer de nombreuses tâches différentes dans l'entreprise...
Décision
Cass. soc., 12 juin 2007, n° 05-44.337, Chambre de commerce et d'industrie du Var (CCIV), F-P+B (N° Lexbase : A7858DWX) Cassation partielle sans renvoi (CA Aix-en-Provence, 18ème chambre, 28 juin 2005) Textes visés : C. trav., art. L. 122-12, al. 2 (N° Lexbase : L5562ACY), interprété à la lumière de la Directive 98/50/CE du 29 juin 1998 (N° Lexbase : L9988AUH). Mots-clés : transfert d'une entité économique ; service public administratif ; compétence prud'homale ; multiplicité de contrats de travail ; maintien des contrats. Liens bases : ; ; . |
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