Réf. : Cass. com., 19 avril 2005, n° 02-13.599, M. Jean Lecca c/ Société Cabinet Plasseraud, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9509DHN)
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par Marine Parmentier, Avocat à la cour d'appel de Paris
le 07 Octobre 2010
Il mettait en exergue le fait que le gérant avait manqué à son obligation légale de rendre des comptes aux associés, obligation découlant de l'article 1856 du Code civil (N° Lexbase : L2053ABN) et de l'article 41 du décret du 3 juillet 1978 (n° 78-704, N° Lexbase : L1802A4I).
La question qui se posait alors était celle de savoir quelle est la sanction encourue en cas de violation de ces dispositions ?
I - L'obligation de reddition de comptes du gérant de société civile
Le gérant de société civile est tenu, au moins une fois par an, de rendre des comptes aux associés. Cette reddition de comptes porte, non seulement, sur sa gestion, mais également sur la situation comptable de la société (il sera rappelé, à cette occasion, que les sociétés civiles doivent, lorsqu'elles dépassent certains seuils, établir chaque année un bilan, un compte de résultat et une annexe : voir C. com., art. L. 612-1, al. 1er N° Lexbase : L3089DY3).
En effet, il résulte de l'article 1856 du Code civil que, "les gérants doivent, au mois une fois dans l'année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d'ensemble sur l'activité de la société au cours de l'année ou de l'exercice écoulé comportant l'indication des bénéfices réalisés ou prévisibles, des pertes encourues ou prévues".
L'article 41 du décret du 3 juillet 1978 précise que "lorsque l'ordre du jour de l'assemblée porte sur la reddition de comptes des gérants, le rapport d'ensemble sur l'activité de la société prévu à l'article 1856 du Code civil, les rapports de l'organe de surveillance ou des commissaires aux comptes s'il y a lieu, le texte des résolutions proposées et tous autres documents nécessaires à l'information des associés sont adressés à chacune d'eux par lettre simple, quinze jours au moins avant la réunion de l'assemblée. Les mêmes documents sont, pendant ce délai, tenus à la disposition des associés au siège social, où ils peuvent en prendre connaissance ou copie".
Toutefois, cette dernière disposition n'est pas applicable lorsque tous les associés sont gérants.
Si les obligations du gérant sont clairement définies, il est important de connaître la sanction encourue dans l'hypothèse d'une violation de ces impératifs.
II - La sanction de la violation des dispositions encadrant le droit à l'information des associés de société civile
Tout d'abord, rappelons que les obligations qui pèsent sur le gérant d'une société civile en matière d'information des associés en vertu des articles 1855 (N° Lexbase : L2052ABM) et 1856 du Code civil ne sont pas pénalement sanctionnées (QE n° 42005 de M. Delalande Jean-Pierre, JOANQ 22 avril 1991 p. 1577, min. Just., réponse publ. 30 novembre 1992 p. 5456, 9e législature N° Lexbase : L4166GUT).
Sur le plan civil, la violation de ces obligations peut fonder une action en responsabilité civile à l'encontre du gérant, lequel est responsable individuellement envers la société et envers les tiers, soit des infractions aux lois et règlements, soit de la violation des statuts, soit des fautes commises dans sa gestion (C. civ., art. 1850 N° Lexbase : L2047ABG).
Un associé peut, également, envisager de solliciter la nullité de l'assemblée générale ou de certaines de ses délibérations.
En effet, il résulte de l'article 1844-10, alinéa 3, du Code civil (N° Lexbase : L2030ABS) que "la nullité des actes ou délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent titre ou de l'une des causes de nullité des contrats en général".
C'est précisément sur ce texte qu'était fondé le pourvoi dans l'arrêt rapporté.
Deux questions peuvent alors être posées : d'une part, faut-il considérer l'article 1856 du Code civil comme une disposition impérative du Titre IX du Code civil relatif aux sociétés ? D'autre part, faut-il considérer les dispositions de l'article 41 du décret du 3 juillet 1978 comme un prolongement des articles du Code civil relatifs aux sociétés civiles (et notamment de l'article 1856) et considérer qu'elles peuvent être constitutives de dispositions impératives dont la violation entraînerait la nullité de l'assemblée ?
Concernant cette seconde question, rappelons que la jurisprudence est aléatoire. Ainsi, a-t-il pu être jugé que la violation de l'article 40 du décret du 3 juillet 1978 entraînait la nullité de l'assemblée, la convocation des associés par lettre recommandée étant prescrite à peine de nullité selon la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 4 octobre 1988, n° 86-11.320, M. Dauphin et autres c/ Mme Bosc et autres, publié N° Lexbase : A1771AH3 Bull. civ. I, n° 271).
En revanche, la troisième chambre civile de la Cour de cassation a eu l'occasion de préciser, dans un arrêt du 19 juillet 2000 (Cass. civ. 3, 19 juillet 2000, n° 98-17.258, M. Becam et autre c/ Mme Creach et autre, publié N° Lexbase : A9105AGC Bull. civ. III, n° 150), que les dispositions de l'article 44 du décret du 3 juillet 1978 relatives au procès-verbal de l'assemblée générale ne constituent pas des dispositions impératives dont la violation entraîne la nullité de l'assemblée.
Ainsi, le point de savoir si la nullité d'une assemblée peut être encourue sur le fondement de la violation d'une disposition du décret de 1978 est discuté.
Nous sommes donc invités à répondre à la première de nos deux interrogations : les dispositions encadrant l'obligation de reddition de compte du gérant de société civile sont-elles des dispositions impératives du Code civil ?
Les juges du fond, pour leur part, avaient retenu que la reddition de compte écrite du gérant de société civile n'est pas prévue à peine de nullité (CA Paris, 3e ch., sect. A, 12 février 2002, n° 2001/09026, Monsieur Lecca Jean c/ Société civile cabinet Plasseraud N° Lexbase : A3133A3G). Cela impliquerait, donc, que l'article 1856 du Code civil n'est pas, aux yeux des premiers juges, une disposition impérative du Titre IX du Code civil.
Dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation ne se prononce pas directement sur cette question. Elle retient, par des motifs propres, que le prononcé de la nullité attachée au non respect de l'obligation faite au gérant de rendre compte de sa gestion par écrit est subordonné à l'existence d'un préjudice causé par cette irrégularité.
En cela, la Chambre commerciale de la Cour de cassation rejoint la position qu'avait adoptée la première chambre civile dans un arrêt du 31 octobre 1989 (Cass. civ. 1, 31 octobre 1989, n° 87-10.005, M. Fontaine c/ M. Redt N° Lexbase : A3990AGU). Dans cet arrêt, la Cour de cassation précisait que "si la sanction de nullité s'attache à un défaut total d'information et en particulier à l'obligation de rendre compte par écrit faite au gérant par l'article 1856 du Code civil, la même sanction n'est pas attachée aux simples irrégularités formelles dans l'accomplissement des actes d'information, au demeurant cumulatifs, prescrits par le décret du 3 juillet 1978, dès lors que les associés ont, en dépit de ces irrégularités, bénéficié d'une information suffisante".
L'arrêt de la Chambre commerciale semble, donc, parfaitement s'inscrire dans ce raisonnement. La Haute juridiction semble vouloir échapper à une nullité systématique de l'assemblée générale et requiert, pour que cette sanction soit prononcée, que la preuve de l'existence d'un préjudice soit rapportée.
Il s'agirait, donc, d'une nullité facultative subordonnée à la preuve de l'existence d'un préjudice, lequel consisterait en une insuffisance d'information.
Cette dernière notion devient, donc, la condition de la nullité ou de la validité de l'assemblée générale tenue en violation des dispositions relatives au droit à l'information des associés et à l'obligation de reddition de compte du gérant.
Il est, alors, nécessaire d'apprécier la gravité de la violation des dispositions précitées. Dès lors qu'il est avéré qu'il n'y a pas eu d'information ou que celle-ci s'est très clairement révélée insuffisante, la nullité sera encourue.
En revanche, s'il est établi que l'associé a pu, par ailleurs, bénéficier d'une information suffisante, la nullité ne sera pas prononcée. C'est précisément ce qui ressort de l'arrêt rapporté puisqu'il est indiqué "qu'en l'état de ces constatations et observations, dont il résulte, d'un côté, que M. Lecca avait eu, préalablement à l'assemblée générale, connaissance de tous les documents utiles à l'exercice d'un contrôle des propositions mises aux votes, ce qui l'a conduit à ne pas les voter, de l'autre, que les griefs invoqués étaient sans lien avec la cause de nullité qu'il invoquait".
Ainsi, non seulement l'associé avait bénéficié d'une information préalable puisque, conformément à l'article 41 du décret du 3 juillet 1978, le texte des résolutions lui avait été envoyé quinze jours avant l'assemblée, mais encore, il ne démontrait l'existence d'aucun grief en rapport avec les causes de nullité qu'il alléguait. Dès lors, si l'on suit le raisonnement de la Cour de cassation, l'assemblée ne pouvait être frappée de nullité.
Si, pour certains, "le critère de 'l'information suffisante', séduisant à première vue, est trop lourd d'arbitraire pour pouvoir être adopté" (P. Le Cannu, Bull. Joly sociétés, 1990, § 19), pour d'autres, en revanche, "une appréciation raisonnable de ses termes peut être retenue par les juges du fond sans pour autant que soient éludées les garanties dues aux associés" (E. Alfandari et M. Jeantin, RTD com. 1990, p. 215).
Quoiqu'il en soit, le recours à cette notion est pour le moment relativement rare.
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