La lettre juridique n°174 du 30 juin 2005 : Sécurité sociale

[Textes] Opposabilité des circulaires et rescrit social en matière de cotisations sociales

Réf. : Ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 relative à la garantie des droits des cotisants dans leurs relations avec les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales (N° Lexbase : L8435G8W)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Haute Alsace

le 07 Octobre 2010

L'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 relative à la garantie des droits des cotisants dans leurs relations avec les organismes de recouvrement des cotisations et contributions sociales (N° Lexbase : L8435G8W) comporte deux mesures qui renforcent la sécurité juridique des entreprises et des travailleurs indépendants. La première mesure rend opposables les circulaires ou instructions ministérielles publiées aux organismes de recouvrement du régime général mais, également, à ceux des travailleurs indépendants. Ainsi, un cotisant qui applique une circulaire ministérielle publiée ne pourra plus faire l'objet d'un redressement sur la période au cours de laquelle elle s'appliquait (1). La deuxième mesure concerne la mise en place, à l'image de ce qui existe déjà dans le domaine fiscal, de la procédure de rescrit social, c'est-à-dire la possibilité pour un cotisant de demander une prise de position à l'Urssaf ou à la CMSA sur l'application à son cas d'un dispositif d'exonération ou d'une réglementation spécifique (2). La prise de position sera opposable à l'organisme pour le cas précis signalé par le cotisant, pour l'avenir et pour autant que la situation de fait décrite correspond à la réalité et que la législation n'a pas évolué. Cette technique du rescrit social fait, pour la première fois en matière de cotisations sociales, l'objet d'une codification (Code de la sécurité sociale, Chap. 3, recouvrement des cotisations, section 3 bis, droit des cotisants, art. L 243-6-1 à L 243-6-3). La première disposition (CSS, art. L. 243-6-1 N° Lexbase : L0251DPY) a été insérée par la loi nº 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (N° Lexbase : L9699DLS) ; les deux autres (CSS, art. L. 243-6-2 et L. 243-6-3), par l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005. 1. Interprétation de la législation relative aux contributions et cotisations

L'interprétation de la législation en droit de la Sécurité sociale relève du pouvoir réglementaire (circulaires du ministère de la Santé ou du ministère du Travail et de l'Emploi, mais aussi circulaires Acoss). Elle peut être sollicitée directement par un cotisant auprès de l'Urssaf.

1.1. Interprétation existante : opposabilité des circulaires ou instructions

Jusqu'à présent, le régime de l'interprétation des textes de droit de la Sécurité sociale n'était pas fixé avec précision. Il en résultait une situation juridique délicate pour les cotisants (employeurs et travailleurs indépendants), dès lors qu'ils entendaient bénéficier d'une exonération de charges sociales prévue au titre d'un dispositif d'aide à l'emploi.

La loi nº 2003-1199 du 18 décembre 2003 de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (art. 72) (N° Lexbase : L9699DLS) a entendu sécuriser les rapports juridiques entre employeurs et travailleurs indépendants, avec les Urssaf, en posant la règle selon laquelle tout cotisant, confronté à des interprétations contradictoires concernant plusieurs de ses établissements dans la même situation au regard de la législation relative aux cotisations et aux contributions de Sécurité sociale, a la possibilité -sans préjudice des autres recours- de solliciter l'intervention de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss) en ce qui concerne l'appréciation portée sur sa situation par les organismes de recouvrement (visés aux articles L. 213-1 N° Lexbase : L4862ADG et L. 752-4 N° Lexbase : L7767G7S du Code de la Sécurité sociale).

Cette règle a été codifiée (CSS, art. L. 243-6-1 N° Lexbase : L0251DPY). L'utilité d'une telle règle n'est pas à démontrer, s'agissant d'exonérations de charges sociales dont le régime est parfois d'une redoutable complexité, rendue plus délicate pour les cotisants, par l'instabilité des textes, extrêmement évolutifs. Que l'on pense, par exemple, aux exonérations de charges sociales prévues au titre des zones franches urbaines et des zones de revitalisation rurale...

1.2. Interprétation sollicitée : procédure du rescrit social

Les droits des cotisants ont été renforcés par la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2004 (loi nº 2003-1199 du 18 décembre 2003), selon des modalités déjà examinées (supra). Etait-ce suffisant ? Non, parce que les cotisants peuvent avoir recours à un autre mode de sécurisation de leurs rapports avec les Urssaf, dit "rescrit social". La technique du rescrit social, mise en place une première fois dans le cadre de la loi "Madelin", fait enfin l'objet d'un régime juridique général, par l'ordonnance du 6 juin 2005.

  • Loi "Madelin"

La loi du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle, dite loi "Madelin" (N° Lexbase : L3026AIW) a inséré, dans le Code de la Sécurité sociale, un article L. 311-11 (N° Lexbase : L5023ADE), selon lequel les entrepreneurs ne relèvent du régime général de la Sécurité sociale que s'il est établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard d'un donneur d'ordre.

Ils peuvent demander aux Urssafs (organismes chargés du recouvrement des cotisations du régime général) de leur indiquer si cette activité relève de ce régime (c'est la procédure du rescrit). A défaut de réponse dans le délai de 2 mois suivant la date de cette demande ou en cas de réponse négative, les personnes en cause ne peuvent se voir imposer ultérieurement une affiliation au régime général que si les conditions d'exercice de leur activité ont été substantiellement modifiées ou si les informations fournies étaient erronées (J.-P. Chauchard, Le rescrit social, procédure d'interrogation de l'Urssaf, loi du 11 février 1994, art. 35, Dr. soc. 1995, p. 642).

Le pouvoir réglementaire a apporté d'utiles précisions sur le régime de ce rescrit social (Circ. DSS, n° 94-37, du 4 juillet 1994, portant application de l'article 35 de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle N° Lexbase : L5774G9Q).

  • L'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005

La technique du rescrit social n'avait, jusqu'à présent, qu'un domaine limité (loi "Madelin", supra) et, de manière générale, un statut juridique stable et lui-même sécurisant. L'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005 comble opportunément cette lacune juridique.

Il se dessine autour de cette réforme introduite par l'ordonnance du 6 juin 2005 une unanimité, car le rescrit social permet de répondre à deux objectifs :

- la procédure du rescrit fiscal permet aux contribuables de consulter l'administration fiscale afin de s'assurer qu'ils remplissent bien les conditions requises pour bénéficier de certains dispositifs fiscaux de faveur (LPF, art. L. 80 A N° Lexbase : L8568AE3). Selon le Conseil économique et social, la technique du rescrit a vocation à être étendue à d'autres domaines juridiques, tels que le droit de la Sécurité sociale, le droit de la concurrence et le droit environnemental, qui sont particulièrement complexes.

Le Conseil économique et social souligne que la procédure du rescrit a pour effet d'accroître la sécurité juridique et la confiance qu'ont les usagers dans les dispositifs qui leur sont applicables, et observe que les chefs d'entreprise et les investisseurs internationaux en sont particulièrement demandeurs, à l'instar de ce qui peut être obtenu à l'étranger.

Mais le rescrit social ne peut se développer avec la sécurité requise que si, d'après le Conseil économique et social, l'administration s'organise pour que les services responsables de ces procédures soient pleinement informés des règles applicables par leurs homologues chargés des contrôles et des sanctions. D'où cette suggestion : la mise en place d'une instance de coordination, s'assurant que la délivrance des rescrits se fait bien en connaissance de cause. Cette instance constituerait un échelon de recours pour un arbitrage en cas de divergence d'interprétation (A. Duthilleul, Entreprises et simplifications administratives, Avis et Rapport du Conseil économique et social, mai 2005, disponible sur le site internet du CES).

- certains travaux parlementaires, rappelant que les règles relatives à la gestion des exonérations de cotisations sociales sont d'une grande complexité, ont pris l'exemple du vote de la loi du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi, dite loi "Fillon" (N° Lexbase : L0300A9Y). Il avait été proposé aux entreprises une simplification des dispositifs d'allégement de cotisations sociales autour d'un plafond de référence fixée à 1,7 Smic. Or, les engagements pris par le Gouvernement lors du vote de cette loi ont été déjà retouchés par le projet de loi de finances pour 2005, qui ramène à 1,6 Smic le montant maximal de l'exonération (A. Vasselle, Prélèvements sociaux : quelles voies pour la stabilité ?, Rapport d'information n° 50, 2004-2005, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 3 novembre 2004).

Le Sénat a montré, à cette occasion, que les entreprises ont besoin de visibilité pour embaucher. Elles réclament des mesures d'accompagnement durable sur lequel elles puissent construire une stratégie à moyen ou plus long terme. Pour le Sénat, en matière de sécurité juridique, l'introduction du rescrit social constitue un instrument destiné à rassurer les employeurs : ils ne seront pas victimes d'un arbitraire social de l'Urssaf.

Mais le Sénat considère que le rescrit social n'est pas, en soi, un outil de clarification. Aussi, il a entendu aller plus loin, en proposant la fusion des règles relatives aux exonérations de cotisations sociales dans un dispositif général, qui pourrait être le dispositif "Fillon", accompagné d'une prime modulée en fonction des objectifs supplémentaires poursuivis par les pouvoirs publics.

2. Régime du rescrit social

S'inspirant du régime du rescrit tel qu'il a été mis en place en droit fiscal, le pouvoir réglementaire a fixé les grandes lignes d'un régime juridique du rescrit social, avec l'ordonnance du 6 juin 2005.

2.1. Champ d'application

L'ordonnance du 6 juin 2005 vise le cas général des employeurs régis par le droit commun (régime des salariés : CSS, art. L. 243-6-2). Les dispositions transposent l'opposabilité des circulaires et des instructions ministérielles pour les cotisants relevant du régime général à ceux qui relèvent du régime des non-salariés non-agricoles (II, III et IV de l'art. 1er de l'ordonnance du 6 juin 2005), c'est-à-dire de la Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes (Canam), de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des artisans (Cancava), d'Organic, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) et de la Caisse nationale des barreaux français (CNBF).

2.2. Conditions de sa mise en oeuvre

Pour bénéficier du rescrit social, il faut que :

- premièrement, la demande entre dans un champ défini, portant sur la réglementation relative à des exonérations de cotisations limitées à une zone géographique ou conditionnées par la mise en place de régimes de retraite supplémentaire ou de régimes de prévoyance, ainsi que de la réglementation sur les avantages en nature et les frais professionnels (CSS, art. L. 243-6-3 ; s'agissant des exonérations de cotisations limitées à une zone géographique susceptibles de donner lieu au rescrit social, un décret en Conseil d'Etat en dressera la liste) ;

- deuxièmement, l'Urssaf puisse se prononcer en toute connaissance de cause ;

- troisièmement, la situation de fait décrite corresponde à la réalité. La position de l'Urssaf ne sera opposable que pour le cas exposé.

2.3. Délais de réponse et effets de la saisine par l'employeur, de l'Urssaf, sur une procédure de redressement

La décision explicite doit intervenir dans un délai fixé par voie réglementaire (4 mois). Lorsqu'à l'issue de ces 4 mois, l'organisme de recouvrement (Urssaf) n'a pas notifié au demandeur sa décision, il ne peut être procédé à un redressement de cotisations ou contributions sociales, fondé sur la législation au regard de laquelle devait être appréciée la situation de fait exposée dans la demande, au titre de la période comprise entre la date à laquelle le délai a expiré et la date de la notification de la réponse explicite (CSS, art. L. 243-6-3).

L'Urssaf devra répondre de manière explicite dans un délai qui sera fixé par décret en Conseil d'Etat à 4 mois. Ce délai doit permettre aux organismes d'absorber, dans de bonnes conditions, le flux de demandes. Ce délai ne saurait être trop long car il pénaliserait le cotisant en cas de réponse négative de l'organisme. En effet, à la différence du domaine fiscal où la demande peut être largement antérieure à la date de mise en oeuvre de l'avantage sollicité, en matière sociale, les déclarations et le paiement des cotisations et contributions sociales sont mensuels ou trimestriels.

En cas d'absence de réponse de l'organisme dans le délai imparti, le dispositif permet de ne pas pénaliser le cotisant. En effet, l'organisme ne pourra pas redresser le cotisant sur le point visé par la saisine sur la période de retard qui lui incombe. Cette disposition vise, également, à inciter l'organisme à se prononcer dans le délai prévu (Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2005-651 du 6 juin 2005).

2.4. Portée juridique du rescrit

Le rescrit social ne s'applique qu'au seul demandeur et est opposable, pour l'avenir, à l'organisme qui l'a prononcé (Urssaf), tant que la situation de fait exposée dans la demande ou la législation au regard de laquelle la situation du demandeur a été appréciée n'a pas été modifiée.

De plus, un cotisant affilié auprès d'un nouvel organisme peut se prévaloir d'une décision explicite prise par l'organisme dont il relevait précédemment, tant que la situation de fait exposée dans sa demande ou la législation au regard de laquelle sa situation a été appréciée n'a pas été modifiée (CSS, art. L. 243-6-3).

Cette opposabilité du rescrit ne signifie pas que l'Urssaf soit tenue d'interpréter une règle en droit de la Sécurité sociale de manière figée. Très logiquement, l'ordonnance du 6 juin 2005 prévoit que l'organisme de recouvrement (Urssaf) a la possibilité de modifier pour l'avenir sa décision. Dans ce cas, il en informe le cotisant, qui peut solliciter, sans préjudice des autres recours, l'intervention de l'Acoss. Celle-ci transmet à l'organisme de recouvrement sa position quant à l'interprétation à retenir. Celui-ci la notifie au demandeur dans le délai d'un mois (CSS, art. L. 243-6-3).

Cette opposabilité d'une interprétation d'un texte (en l'espèce, en droit de la Sécurité sociale) s'inspire du droit fiscal, selon lequel il n'est procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration (jurisprudence assez abondante : CAA Marseille, 3e ch., 30 avril 2001, n° 98MA00756, M. Serge Bayle N° Lexbase : A4792BMG ; CAA Paris, 2e ch., 14 octobre 1997, n° 95PA02938, Ministre de l'économie et des finances c/ Timsit N° Lexbase : A9824BHC ; CAA Paris, 2e ch., 12 juillet 1994, n° 92PA00803, Mlle Meunier N° Lexbase : A9516BHW ; CAA Paris, 3e ch., 30 décembre 1993, n° 91PA00666, M. et Mme Attali N° Lexbase : A3055BIY).

2.5. Mise en oeuvre de l'ordonnance et modalités d'application, précisées ultérieurement par d'autres textes

L'ordonnance du 6 juin 2005 doit entrer en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'Etat et, au plus tard, au 1er octobre 2005.

Ce régime juridique du rescrit, en l'état, reste incomplet. Un décret en Conseil d'Etat précisera les modalités d'application du dispositif : la forme de la demande, le délai de réponse, les informations qui doivent être fournies, les modalités selon lesquelles l'organisme communique sa décision et les modalités de l'arbitrage éventuel de l'Acoss.

Un arrêté du ministre chargé de la Sécurité sociale fixera, également, les informations nécessaires à l'instruction de la demande en fonction des dispositifs ou réglementations concernés.

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