Réf. : Cass. soc., 14 juin 2005, n° 03-42.311, Société Métropole télévision (M6), F-P+B (N° Lexbase : A7532DIS)
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N6015AIM
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par Anne Lemonnier, Avocat à la Cour, Cabinet Fromont, Briens & Associés
le 07 Octobre 2010
Décision
Cass. soc., 14 juin 2005, n° 03-42.311, Société Métropole télévision (M6), F-P+B (N° Lexbase : A7532DIS) Irrecevabilité des pourvois (CA Versailles, 15ème chambre sociale, 28 janvier 2003 ). Textes visés : NCPC, art. 606 (N° Lexbase : L2861ADC) ; NCPC, art. 607 (N° Lexbase : L2862ADD) ; NCPC, art. 608 (N° Lexbase : L2863ADE) Mots-clés : arrêt avant dire droit ; appel en intervention forcée ; mesure d'expertise ; irrecevabilité du pourvoi ; excès de pouvoir. Lien bases : |
Résumé de la décision
Ne peut être reçu indépendamment de la décision à intervenir sur le fond un pourvoi en cassation formé contre une décision qui ne tranche pas le principal ou qui statue sur une exception ou une fin de non-recevoir sans mettre fin à l'instance. Ces règles ne reçoivent exception qu'en cas d'excès de pouvoir |
Faits
La Chambre sociale de la cour d'appel de Versailles devait, en l'espèce, statuer sur une demande en paiement et sur un appel en intervention forcée de sociétés non parties en première instance. Elle a rendu un arrêt le 28 janvier 2003, lequel a déclaré recevable l'appel en intervention forcée des sociétés et ordonné une expertise. Trois pourvois immédiats ont été formés à l'encontre de cette décision avant dire droit. Ceux-ci étant connexes, ils ont été joints. Pour tenter de démontrer la recevabilité de leur pourvoi, les parties ont prétendu que l'arrêt de la cour d'appel aurait, d'une part, méconnu la condition d'évolution du litige assortissant l'intervention forcée en cause d'appel posée par l'article 555 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2805ADA) et, d'autre part, ordonné une mesure d'instruction palliant la carence d'une partie dans l'administration de la preuve et délégant au technicien un pouvoir d'appréciation en méconnaissance des articles 146 (N° Lexbase : L2261AD4) et 232 (N° Lexbase : L2436ADL) du même code. |
Solution
1. Irrecevabilité des pourvois au visa des articles 606, 607, 608 du Nouveau Code de procédure civile. 2. "Et attendu que ne caractérisent pas un excès de pouvoir les griefs faits à l'arrêt, motif pris des articles 555, 146 et 232 du Nouveau Code de procédure civile, d'une part d'avoir méconnu la condition d'évolution du litige assortissant l'intervention forcée en cause d'appel et, d'autre part, d'avoir ordonné une mesure d'instruction palliant la carence d'une partie dans l'administration de la preuve et délégant au technicien un pouvoir d'appréciation ; D'où il suit que les pourvois ne sont pas recevables". |
Commentaire
1. L'appréciation parfois mal aisée des cas d'ouverture du pourvoi en cassation Le Nouveau Code de procédure civile (NCPC) prohibe, dans certains cas strictement arrêtés, l'exercice immédiat du pourvoi en cassation. La création prétorienne est, cependant, venue ajouter un tempérament à ces derniers : l'excès de pouvoir.
Les articles 606, 607 et 608 du Nouveau Code de procédure civile indiquent très précisément que les jugements (entendus au sens large) rendus en dernier ressort, tranchant une partie du principal et ordonnant une mesure d'instruction ou une mesure provisoire, ainsi que ceux statuant sur une exception de procédure, une fin de non-recevoir ou tout autre incident et mettant fin à l'instance, sont susceptibles de pourvoi en cassation. De la sorte, les décisions rendues en dernier ressort et qui, dans leur dispositif, ne mettent pas fin à l'instance, ne sont pas susceptibles de pourvoi en cassation de façon immédiate. Le pourvoi ne pourra être exercé que concomitamment avec le pourvoi formé contre la décision statuant au fond. Cette notion de "décision mettant fin à l'instance" a fait l'objet de divergences. En effet, il n'est parfois pas aisé de déterminer si le principal a été tranché. La question s'est ainsi posée lorsque le juge, dans son dispositif, a déclaré l'action recevable et, par ailleurs, a ordonné une mesure d'instruction ou une mesure provisoire. Le fait que l'action soit déclarée recevable permet-il de considérer qu'une partie du principal a été tranché ? La jurisprudence classique a répondu par la négative (Cass. civ. 2, 12 juin 1991, n° 90-11.004, M. Bourgais c/ Assédic de Haute-Normandie, publié N° Lexbase : A5030AHR). Désormais, il est admis que met fin à l'instance la décision en dernier ressort qui tranche définitivement le litige, la juridiction ayant épuisé sa saisine, qu'il le tranche au fond ou par le biais d'une exception de procédure ou d'une fin de non-recevoir (Ass. plén., 5 décembre 1997, n° 95-17.858, Assurances Générales de France (AGF) et autre c/ Syndicat des Copropriétaires de la Résidence La Batarelle et autres, publié N° Lexbase : A0622ACZ). Dans l'arrêt du 5 décembre 1997, l'Assemblée Plénière avait considéré qu'était irrecevable un pourvoi formé à l'encontre d'une décision confirmant une ordonnance du juge de la mise en état ayant alloué une provision, décision qui n'avait pas mis fin à l'instance engagée devant le tribunal. Malgré les textes et la jurisprudence, il est cependant encore parfois très complexe de déterminer si une décision met définitivement fin à l'instance. Cette distinction est pourtant fondamentale en pratique pour déterminer si la partie doit ou non exercer un pourvoi immédiat dans le délai strict de 2 mois.
La seule exception à la prohibition du pourvoi immédiat est l'existence d'un excès de pouvoir. Il est ainsi de jurisprudence constante que, dans tous les cas, le pourvoi est immédiatement recevable lorsque la décision rendue en dernier ressort est entachée d'un excès de pouvoir. Le même principe avait été dégagé par la jurisprudence pour les décisions qui étaient insusceptibles d'appel immédiat. Les jugements avant dire droit sont ainsi susceptibles d'appel immédiat et non différé lorsqu'ils sont entachés d'excès de pouvoir. Tel est le cas des décisions rendues par le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes. La difficulté de cette exception réside dans son appréciation. Tout en les distinguant de l'excès de pouvoir, la jurisprudence a donné les mêmes effets à l'erreur de droit grossière ou encore à l'irrégularité flagrante. A travers ces notions, il s'agit de sanctionner une décision qui, privée de voie de recours, n'en apparaît pourtant pas moins entachée d'un vice fondamental, contraire à la loi au sens large. C'est ainsi que la méconnaissance du principe contradictoire, du principe de l'autorité de la chose jugée ou celui encore du caractère non suspensif du pourvoi ont été considérés comme des motifs graves et légitimes propres à justifier un recours contre la décision avant dire droit. Tel a encore été le cas d'une violation du principe "Le criminel tient le civil en l'état". L'analyse des décisions en la matière force à conclure que seule la violation de principes de droits fondamentaux est à même de caractériser l'excès de pouvoir et, donc, l'ouverture du recours. 2. La notion d'excès de pouvoir, une position jurisprudentielle constante et rigide
La Chambre sociale de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 14 juin 2005, confirme la jurisprudence établie en matière de recours des décisions avant dire droit. D'une part, la Haute juridiction réaffirme ici que le seul fait de juger recevable une action (en l'espèce, l'intervention forcée en cause d'appel) et d'ordonner une expertise ne confère pas à la décision un caractère définitif susceptible de l'exposer à un recours. Il s'agit d'une décision avant dire droit, même édictée en cause d'appel. D'autre part, la Cour confirme expressément qu'une telle décision ne peut être susceptible de pourvoi immédiat, indépendamment de la décision à intervenir sur le fond. Le visa des articles 606, 607 et 608 du Nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'un attendu de principe particulièrement explicite, mettent en exergue la force rappelée d'une telle règle de procédure civile, voire son caractère d'ordre public. Enfin, l'exception au pourvoi immédiat tirée de la notion d'excès de pouvoir est précisée. Ainsi, la Haute juridiction considère que les règles de procédure civile figurant aux articles 555 (N° Lexbase : L2805ADA), 146 (N° Lexbase : L2261AD4) et 232 (N° Lexbase : L2436ADL) du Nouveau Code de procédure civile et portant sur la condition de recevabilité d'une intervention forcée en cause d'appel et les conditions de désignation d'un expert, ne sont pas suffisantes à démontrer un quelconque excès de pouvoir. Ces griefs pourront faire l'objet d'un pourvoi différé, exercé "concomitamment", pour reprendre les termes de la jurisprudence en la matière, avec le pourvoi sur la décision intervenue sur le fond.
Si une telle jurisprudence permet d'éviter les recours dilatoires et non fondés contre des expertises ordonnées dans le cadre de décisions qui ne jugent pas encore le fond, elle présente cependant un caractère rigide ne permettant pas d'exclure des "irrégularités flagrantes" dans la tenue de la procédure. Pour reprendre l'espèce, que penser d'une expertise ordonnée pour pallier uniquement la carence de preuve d'une des parties et, plus grave, qui donnerait un pouvoir d'appréciation au technicien commis ? Une telle expertise pourrait être, sans nul doute, remise en cause. On peut alors se demander s'il est de l'intérêt d'une bonne justice d'exécuter une mesure d'expertise, pouvant entraîner un coût non négligeable pour ensuite la voir, avec la décision intervenue au fond, annulée. A un degré moindre de juridiction, la loi a pourtant elle-même tenté d'éviter de telles situations. En effet, lorsqu'une expertise est ordonnée en première instance, l'article 272 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2481ADA) ouvre aux parties la voie de l'appel immédiat indépendamment de la décision à intervenir sur le fond. Ce recours est conditionné par l'autorisation du premier président de la cour d'appel et par la justification d'un motif grave et légitime. Dans notre espèce, le non-respect des principes de recevabilité d'une intervention forcée en cause d'appel et les conditions de désignation d'un expert auraient été examinés au regard d'un certain degré de gravité et de légitimité. En pratique, même à ce niveau de juridiction, on s'aperçoit toutefois que la notion de "motif grave et légitime" est identifiée à la celle d'"excès de pouvoir". On pourrait donc s'interroger sur la nécessité de voir assouplir ces règles en matière de recours (pourvoi et appel) immédiats, aux fins d'administration d'une bonne justice, principe lui aussi fondamental. La Cour de cassation ne semble pourtant pas aller dans ce sens. |
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