Réf. : Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, Association Société philanthropique c/ Mme Olimpia Gravouil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0755DG3) ; Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, M. Philippe Cot c/ Société Climb, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW)
Lecture: 11 min
N4456ABN
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décisions
Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 02-41.113, Association Société philanthropique c/ Mme Olimpia Gravouil, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0755DG3) Cass. soc., 19 janvier 2005, n° 03-45.018, M. Philippe Cot c/ Société Climb, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0940DGW) Cassation partielle sans renvoi (CA Paris, 21e ch. C, 20 décembre 2001) et rejet (CA Riom, 4e ch. soc., 20 mai 2003) Textes visés et concernés : C. trav., art. L. 122-4 (N° Lexbase : L5554ACP) ; C. trav., art. 122-13 (N° Lexbase : L5564AC3) ; C. trav., art. L. 122-14-3 (N° Lexbase : L5568AC9) Mots clefs : salarié ; prise d'acte de la rupture du contrat de travail ; effets. Lien bases : |
Faits
1. Arrêt n° 122 : Mme Gravouil, engagée le 7 septembre 1990 en qualité de surveillante par la Société philanthropique et devenue animatrice sociale, a souscrit une convention de formation d'éducateur spécialisé en septembre 1993. Par courrier du 2 janvier 1998, elle a demandé à exercer les fonctions et à percevoir le salaire d'éducateur spécialisé, au motif qu'elle avait obtenu son diplôme en juin 1997. L'employeur ayant refusé de satisfaire à ses demandes, la salariée a, par lettre du 22 juillet 1998, pris acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur, avec effet au 1er août 1998. Par courrier du 27 juillet 1998, l'employeur a pris acte de la démission de la salariée et l'a dispensée de son préavis. Pour dire que la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel énonce que la démission ne pouvant résulter d'une lettre de prise d'acte, l'employeur a pris acte, à tort, de la démission qui n'en est pas une et n'a pas cru devoir licencier. Le défaut de lettre de licenciement rend celui-ci dépourvu de cause réelle et sérieuse. 2. Arrêt n° 124 : M. Cot, attaché technico-commercial de la société Climb a, par lettres adressées à son employeur, pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de ce dernier en se prévalant de retards dans le paiement de salaires, de frais de déplacement et de commissionnements. La société, qui contestait ces imputations, l'a mis en demeure de reprendre son travail puis, eu égard à son refus, l'a licencié pour faute grave. L'arrêt attaqué (Riom, 20 mai 2003), retenant cette qualification, a débouté M. Cot de toutes ses demandes tendant à faire juger qu'il avait été victime d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. |
Problème juridique
Quel est le sort réservé au licenciement prononcé par l'employeur d'un salarié qui a pris acte de la rupture du contrat de travail à ses torts ? |
Solution
1. Arrêt n° 122 : "Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire, d'une démission ; [...] le contrat de travail étant rompu par la prise d'acte de la rupture émanant du salarié, peu importe la lettre envoyée postérieurement par l'employeur pour lui imputer cette rupture". En affirmant l'existence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, "tout en constatant que la salariée avait pris acte de la rupture et que les manquements qu'elle reprochait à l'employeur n'étaient pas de nature à la justifier, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Cassation partielle sans renvoi. 2. Arrêt n° 124 "Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient soit, dans le cas contraire, d'une démission". "La cour d'appel, analysant l'ensemble des faits allégués par M. Cot au soutien de sa prise d'acte, a constaté qu'ils n'étaient pas établis, le seul décalage d'une journée ou deux de certains paiements s'expliquant par des jours fériés et ne pouvant en tout état de cause être considéré comme suffisamment grave pour justifier la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ; [...] ayant ainsi retenu qu'en l'absence de faits suffisamment graves pour justifier la rupture aux torts de l'employeur, la prise d'acte du salarié avait les effets d'une démission, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, abstraction faite des motifs relatifs au licenciement auquel l'employeur avait procédé après la prise d'acte du salarié et qui, de ce fait, devait être considéré comme non avenu". Rejet |
Commentaire
1. La prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié fixe définitivement les droits et obligations des parties
Le 25 juin 2003, la Cour de cassation posait le principe selon lequel "lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission". Depuis, la Cour de cassation s'est efforcée de préciser quelles étaient les fautes commises par l'employeur justifiant la prise d'acte, à ses torts, de la rupture du contrat de travail par le salarié ; ont, ainsi, été sanctionnés le refus de faire convoquer le salarié par la médecine du travail, au motif qu'il n'avait pas demandé à reprendre le travail (Cass. soc., 15 octobre 2003, n° 01-43.571, Société Aux produits du Nyonsais c/ M. Jacky Richard, inédit N° Lexbase : A8327C9B, Inaptitude médicale et autolicenciement : un employeur averti en vaut deux !, Lexbase Hebdo, n° 91 du 23 octobre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9165AAP), le retard répété dans le paiement des salaires, sans raison valable (Cass. soc., 24 avril 2003, n° 00-45.404, F-D N° Lexbase : A4999BM4), ou encore le refus de verser au salarié des primes qui lui sont normalement dues (Cass. soc., 21 janvier 2003, n° 00-44.502, FS-P+B+R N° Lexbase : A7345A4S). La Cour de cassation a, également, précisé que sa jurisprudence s'appliquait y compris lorsque le salarié avait formellement démissionné de l'entreprise, puis contestait la validité de celle-ci en justice (Cass. soc., 19 octobre 2004, n° 02-45.742, Société Ateliers Industriels Pyrénéens (AIPSA), F-P+B+R+I N° Lexbase : A6216DDL, Autolicenciement et démission : même combat !, Lexbase Hebdo n° 140 du 28 octobre 2004 - édition sociale N° Lexbase : N3313ABC).
On pouvait, toutefois, s'interroger sur la portée réelle de la formule selon laquelle la rupture "produit les effets", et, singulièrement, sur le rôle du juge saisi par le salarié. Le contrat de travail est-il rompu dès la prise d'acte par le salarié ou seulement par le jugement qui analyse la situation en tenant compte des torts, réels ou supposés, de l'employeur ?
C'est à cette question que répond la Cour de cassation dans ces deux décisions, en affirmant que le contrat de travail du salarié se trouve bien définitivement rompu, et les droits des parties établis, dès la prise d'acte par le salarié. Dans la première affaire (arrêt n° 122), la salariée prétendait ne pas être rémunérée à la hauteur de sa qualification professionnelle. L'employeur ayant refusé de satisfaire à ses demandes, la salariée avait pris acte par écrit de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur. L'employeur avait alors riposté en prenant acte, à son tour, de la rupture de son contrat et en la dispensant du préavis. Or, les juges du fond avaient considéré que la prise d'acte par la salariée était inopérante, sans doute parce que les griefs n'étaient pas établis, et s'étaient, par conséquent, concentrés sur l'analyse du licenciement par l'employeur. L'arrêt est cassé, "le contrat de travail étant rompu par la prise d'acte de la rupture émanant du salarié, peu importe la lettre envoyée postérieurement par l'employeur pour lui imputer cette rupture". Dans la seconde affaire (arrêt n° 124), un salarié se plaignait de retards dans le paiement de salaires, de frais de déplacement et de commissionnements, et avait également pris acte par écrit de la rupture du contrat aux torts de l'employeur. Les juges avaient bien analysé les torts de l'employeur, préalables à la prise d'acte par le salarié de la rupture du contrat de travail, mais avaient fondé le refus d'indemniser le salarié sur le caractère justifié du licenciement pour faute grave prononcé par l'employeur à la suite de la prise d'acte. Ici, le pourvoi est rejeté, même si la cour d'appel avait fondé le rejet des prétentions du salarié sur le caractère bien fondé du licenciement pour faute grave, dans la mesure où les magistrats avaient relevé que les griefs du salarié n'étaient pas fondés et qu'il n'avait, en toute hypothèse, droit à aucune indemnité. Ces deux solutions permettent donc d'affirmer, d'une part, que la prise d'acte par le salarié rompt bien, par principe, le contrat de travail et que c'est à ce moment qu'il convient de se situer pour analyser les droits et obligations des parties, le licenciement prononcé ultérieurement par l'employeur devant être considéré comme nul et non avenu. 2. Le licenciement intervenant après la prise d'acte du contrat de travail par le salarié est nul et non avenu
C'est surtout pour les conséquences qui résultent du principe affirmé que ces deux arrêts présentent le plus vif intérêt. Dans la première affaire (n° 122), l'employeur avait eu la mauvaise idée de répondre au courrier de la salariée -par lequel elle prenait acte de la rupture- par un autre courrier par lequel il prenait acte, à son tour, de la rupture et il entendait la dispenser de l'exécution de son préavis. Les juges du fond avaient refusé de faire produire effet à la lettre de la salariée, en avaient déduit que le contrat s'était poursuivi et condamné l'employeur pour licenciement sans cause réelle et sérieuse puisqu'il avait "pris acte" de l'abandon de poste sans respecter la procédure de licenciement, ce qui se traduit nécessairement par une condamnation pour absence de cause réelle et sérieuse (principe rappelé par deux des arrêts rendus le 25 juin 2003, pourvois n° 01-41.150 N° Lexbase : A8975C8W et n° 01-40.235 N° Lexbase : A8974C8U, "l'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail ou qui le considère comme rompu du fait du salarié doit mettre en oeuvre la procédure de licenciement ; à défaut, la rupture s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse"). Cet arrêt est cassé, car les juges du fond auraient dû tenir pour acquis la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par la salariée et examiner le bien-fondé des griefs formulés contre l'employeur. Or, en l'espèce, il était apparu que les prétendues fautes commises par l'employeur n'étaient pas de nature à justifier la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par la salariée. On comprend mieux, dans ces conditions, pourquoi les juges du fond n'avaient pas tenu compte de la lettre de rupture de la salariée qui devait, nécessairement, les conduire à qualifier la rupture de démission et donc à ne lui attribuer aucune indemnité. En se fondant sur la prise d'acte de la rupture par l'employeur, en revanche, les juges du fond pouvaient valablement conclure à l'existence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et lui attribuer les indemnités afférentes. Voilà donc de quoi justifier la cassation et l'absence de renvoi. Dans la seconde affaire, l'analyse retenue par les juges du fond avait été plus confuse. Après avoir conclu que les griefs du salarié n'étaient pas de nature à justifier la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur, la cour d'appel avait considéré que le licenciement du salarié pour faute grave était parfaitement justifié et le privait, par conséquent, de toute indemnité. Le résultat du raisonnement était le même, puisque le salarié ne percevait aucune indemnité, mais le raisonnement était erroné. Or, cet arrêt est sauvé par le rejet du pourvoi, dans la mesure où les juges du fond, tout en fondant leur décision sur le caractère justifié du licenciement pour faute grave, avaient tout de même caractérisé que le comportement de l'employeur ne justifiait pas la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié.
La morale de ces deux affaires est donc identique. Le contrat de travail est rompu, par principe, lors de la prise d'acte du contrat de travail par le salarié. Pour déterminer ses droits, il convient nécessairement de se placer à ce moment et de vérifier si les griefs formulés à l'encontre de l'employeur étaient ou non de nature à justifier la rupture du contrat. Dans l'affirmative, la rupture "produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse". Dans l'hypothèse inverse, et c'est là que la solution revêt son plus grand intérêt, elle "produit les effets d'une démission", et ce même si l'employeur a cru bon de redoubler de prudence en procédant au licenciement du salarié "démissionnaire", dans des conditions qui pourraient justifier sa condamnation. On peut comprendre l'inquiétude des employeurs qui ne savent pas toujours comment réagir face au salarié qui prend acte de la rupture de son contrat et craignent de se voir, par la suite, condamnés pour n'avoir pas engagé la procédure de licenciement. Même si la Cour de cassation considère comme nul et non avenu ce licenciement de précaution, il n'est toutefois pas dénué d'intérêt. Il existe, en effet, des situations, en pratique assez nombreuses, où l'intention du salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail pourra apparaître comme équivoque, notamment lorsqu'il ne rédige pas de lettre claire et précise en ce sens. Si, d'aventure, les juges du fond considèrent que le salarié n'avait pas véritablement l'intention de prendre acte de la rupture de son contrat, alors l'inertie de l'employeur pourra se retourner contre lui. Au mieux, un licenciement tardif le privera de la faculté d'invoquer une faute grave (Cass. soc., 13 janvier 2004, n° 01-46.592, F-P+B N° Lexbase : A7800DA7, Abandon de poste : comment réagir ? Lexbase Hebdo n° 104 du 22 janvier 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0221ABS). Au pire, les juges du fond pourront considérer que l'employeur a pris acte de la rupture du contrat de travail et le condamneront pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Même si le licenciement sera généralement redondant, il ne sera donc pas systématiquement inutile. Un employeur averti en vaut, décidément, deux ! |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:14456