Lexbase Avocats n°197 du 2 juillet 2015 : Aide juridictionnelle

[Jurisprudence] Aide juridictionnelle et absence de l'avocat

Réf. : Cass. civ. 2, 4 juin 2015, n° 14-18.884, F-D (N° Lexbase : A2288NKX)

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par Gaëlle Deharo, Professeur, Laureate International Universities (ESCE), Centre de recherche sur la justice et le procès, Université Paris 1

le 09 Juillet 2015

Par un arrêt du 4 juin 2015, la Cour de cassation a retenu que, si les juridictions doivent attendre la décision du bureau d'aide juridictionnelle avant de se prononcer sur le litige dont elles sont saisies, l'absence de l'avocat désigné au titre de l'aide à l'audience des débats ne fait pas, en soi, obstacle à ce qu'il soit statué. Dans le cadre d'une procédure l'opposant à la Caisse primaire d'assurance maladie, le demandeur avait sollicité et obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Un avocat avait été désigné et avait déposé des conclusions avant d'indiquer ne plus intervenir pour le demandeur. Celui-ci avait sollicité un renvoi qui lui fut accordé. Mais il n'avait pas ensuite comparu à l'audience et ne s'était pas fait représenter.

Les juges du fond, relevant que l'appelant doit comparaître personnellement ou se faire représenter, avaient conclu que l'appel n'était pas soutenu et l'avaient débouté de toutes ses demandes. Un pourvoi fut formé contre cette décision.

Le demandeur à la cassation relevait que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous les officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours. Cette assistance doit constituer un droit concret et effectif. En se déterminant par la considération que le demandeur n'avait pas comparu à l'audience et ne s'y était pas fait représenter, quand il résultait des mentions de l'arrêt relatives à la procédure que l'appelant avait, précédemment, sollicité le report de l'audience en faisant état d'une difficulté concernant la désignation d'un avocat pour le représenter au titre de l'aide juridictionnelle, la cour d'appel aurait violé l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR) et l'article 25 de la loi du 10 juillet 1991, relative à l'aide juridique (N° Lexbase : L8607BBE).

Le pourvoi tire argument de la jurisprudence classique rappelant que le droit à l'assistance et à la représentation doit être un droit concret et effectif (I). La Cour de cassation, quant à elle, vérifie que le demandeur était en mesure de bénéficier de l'aide d'un avocat et distingue selon que la demande de renvoi est formulée pour permettre de solliciter l'aide juridictionnelle ou au motif que l'avocat a renoncé à apporter son concours au plaideur (II).

I - Assistance et représentation : un droit concret et effectif

En application de l'article 899 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0369ITT), les parties, sauf dispositions contraires, sont tenues de constituer avocat. Le principe, devant la cour d'appel, est donc celui de la représentation obligatoire. Dans cette perspective, l'aide juridictionnelle est un bénéfice accordé aux personnes qui sont dans l'impossibilité d'exercer effectivement leurs droits en justice, en raison de l'insuffisance de leurs ressources (1). Elle procure le concours des avocats et de tous les officiers publics et ministériels (2). Aussi, la Cour européenne des droits de l'Homme a jugé qu'elle peut être considérée comme "déterminante pour le droit d'accès à un tribunal" (3) et impose aux Etats de garantir l'aide judiciaire lorsque la représentation par un avocat est obligatoire ou lorsque la complexité de la procédure l'impose (4).

L'accès à l'aide juridictionnelle n'est toutefois effectivement garanti que si les juges attendent pour statuer au fond que la demande d'aide juridictionnelle ait été examinée par le bureau d'aide juridictionnelle compétent. Dans cette perspective, les exigences du procès équitable imposent à la juridiction saisie de ne pas statuer lorsqu'une partie est dans l'attente d'une attribution de l'aide juridictionnelle.

Une distinction doit cependant être faite :

- lorsque la demande d'aide juridictionnelle a été formée avant la date de l'audience (6). La demande d'aide juridictionnelle ne produit effet que si elle a été formée avant l'audience et aux fins d'obtenir l'aide juridictionnelle. Sur le fondement des dispositions de l'article 25 de la loi du 10 juillet et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 mars 2015 a cassé la décision des juges du fond qui avaient statué sur une opposition après avoir constaté que son auteur n'avait pas comparu alors que celui-ci avait sollicité, avant la date de l'audience, le bénéfice de l'aide juridictionnelle qui lui a été accordé en cours de délibéré (7).

Les juridictions, informées de l'existence d'une demande d'aide juridictionnelle, doivent donc attendre la décision du bureau de l'aide juridictionnelle avant de se prononcer sur le litige dont elles sont saisies. Toutefois, l'absence de l'avocat pour assister le bénéficiaire de l'aide à l'audience des débats ne fait pas obstacle à ce qu'il soit statué (8).

- lorsque la demande d'aide juridictionnelle a été formée en cours de délibéré. Les juges du fond n'ont pas à ordonner le renvoi de l'affaire dès lors que, la procédure étant orale, une partie ne s'est pas présentée à l'audience, bien que régulièrement convoquée et n'a formé une demande d'aide juridictionnelle qu'en cours de délibéré (9).

En l'espèce, la demande d'aide juridictionnelle avait été formée avant la date de l'audience et imposait aux juges d'attendre que le bénéficiaire ait été mis en mesure de recevoir l'assistance d'un avocat. Celui-ci avait été désigné, mais avait ensuite décidé de ne plus intervenir pour son client. La difficulté ne trouvait donc pas sa source dans la procédure d'admission à l'aide juridictionnelle, mais dans la relation de l'avocat et de son client.

II - L'objet de la demande de renvoi

L'aide juridictionnelle est régie par les dispositions de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et du décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 (N° Lexbase : L0627ATE) pris pour son application (10). Plus spécialement, les articles 24 et suivants précisent les effets de l'aide juridictionnelle. L'article 25 dispose que "le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle a droit à l'assistance d'un avocat et à celle de tous officiers publics ou ministériels dont la procédure requiert le concours. Les avocats et les officiers publics ou ministériels sont choisis par le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle. Ils peuvent l'être également par l'auxiliaire de justice choisi ou désigné. A défaut de choix ou en cas de refus de l'auxiliaire de justice choisi, un avocat ou un officier public ou ministériel est désigné, sans préjudice de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, par le Bâtonnier ou par le président de l'organisme professionnel dont il dépend. L'auxiliaire de justice qui prêtait son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle avant que celle-ci ait été accordée doit continuer de le lui prêter. Il ne pourra en être déchargé qu'exceptionnellement et dans les conditions fixées par le Bâtonnier ou par le président de l'organisme dont il dépend".

La Cour de cassation doit donc concilier le droit d'accès à une juridiction, soutenue par cette disposition, et le respect des règles de procédure. En ce sens, elle tient compte des difficultés rencontrées par les justiciables pour obtenir la désignation d'un avocat une fois l'aide juridictionnelle obtenue (11). Aussi, lorsqu'un plaideur a obtenu l'aide juridictionnelle qu'il avait sollicitée et n'a pas bénéficié du concours d'un avocat, la juridiction ne peut se contenter de relever que le plaideur est non comparant pour le condamner (12) ou confirmer la décision critiquée.

La Cour de cassation a clairement posé la règle selon laquelle "si les juridictions doivent attendre la décision du bureau d'aide juridictionnelle avant de se prononcer sur le litige dont elles sont saisies, l'absence de l'avocat désigné au titre de l'aide à l'audience des débats ne fait pas obstacle à ce qu'il soit statué" (13). Les juges du fond doivent donc s'assurer que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle avait bien été en mesure (14) d'obtenir le concours, utile (15), d'un avocat (16). En conséquence, lorsque l'avocat avait été désigné mais n'a pas comparu, l'absence de l'avocat à l'audience ne constitue pas en soi une violation du principe de la contradiction et des exigences du procès équitable (17). Il ne suffit pas que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle n'ait pas comparu et n'ait pas été assisté d'un avocat pour que les juges du fond soient empêchés de statuer (18). Plus spécialement, la Cour de cassation avait, dans une décision précédente, jugé que les juges du fond qui avaient constaté que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, "qui s'était vu désigner un conseil pour l'assister au titre de l'aide juridictionnelle, avait été régulièrement convoqué, mais n'avait pas comparu et ne s'était pas fait représenter à l'audience", avaient pu statuer sans méconnaître les règles régissant l'aide juridictionnelle et les exigences du procès équitable (19).

Sous cet éclairage, le moyen du pourvoi n'avait que peu de chances de prospérer, le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle s'étant lui-même vu désigner un avocat et ayant été régulièrement convoqué. Dans un arrêt récent, la Cour de cassation avait déjà précisé que les juges ne sont pas tenus d'attendre pour statuer si le renvoi de l'affaire est sollicité au motif que l'avocat qu'il avait contacté avait renoncé à lui apporter son concours et non pour lui permettre de solliciter l'aide juridictionnelle, laquelle n'avait formé cette demande que pendant le cours du délibéré (20). Or, tel était le cas en l'espèce : le demandeur ne sollicitait pas le renvoi pour obtenir l'aide juridictionnelle mais afin de remplacer l'avocat qui avait été initialement désigné.

Cette circonstance est reprise dans les motifs de la décision du 4 juin 2015. Confirmant la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation relève que le demandeur "avait été mis en mesure d'être assisté par l'avocat désigné à cette fin par le bâtonnier, lequel n'avait pas, le jour de l'audience, relevé cet avocat de son mandat, c'est sans méconnaître les règles régissant l'aide juridictionnelle et exigences du procès équitable que les juges du fond ont confirmé le jugement déféré".


(1) S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile. Droit interne et droit de l'Union européenne, Dalloz, 2014, n° 216, p. 209.
(2) S. Guinchard, C. Chainais, F. Ferrand, Procédure civile, op. cit., n° 238, p. 222.
(3) CEDH, 10 juillet 2008, n° 9090/06 (N° Lexbase : A5463D99) ; N. Fricéro, Atteinte au droit d'accès à un tribunal, Procédures, 2008, comm., 235.
(4) CEDH, 9 octobre 1979, Req. 6289/73 (N° Lexbase : A2971EBN), série A, n° 32 ; C. Jamin (Dir.), Avocats, JCP éd. G, 2007, I, 151, n° 7.
(5) Cass. civ. 2, 18. Janvier 2007, n° 06-10.294, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6271DTG) ; J. Bougrab, L'aide juridictionnelle, droit fondamental effectif, JCP éd. G, 2007, act., 56.
(6) Cass. civ. 2, 12 mars 2015, n° 14-12.416, F-D (N° Lexbase : A3125ND4) ; Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-20.680, F-P+B (N° Lexbase : A1266IQX) ; Cass. civ. 2, 5 décembre 2013, n° 12-22.041, F-D (N° Lexbase : A8408KQH).
(7) Cass. civ. 2, 12 mars 2015, n° 14-12.416, F-D (N° Lexbase : A3125ND4).
(8) Cass. civ. 2, 6 janvier 2011, n° 09-17.375, F-D (N° Lexbase : A7442GNX), Procédures, 2011, comm., 82, obs. Perrot ; Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-44.605, F-D (N° Lexbase : A4781DDG).
(9) Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-15.763, F-D ([LXB=A1942NEN ]) ; Cass. civ. 2, 3 avril 2008, trois arrêts, n° 07-12.341 (N° Lexbase : A7713D7S), n° 07 -12.342 (N° Lexbase : A7714D7T) et n° 07-12.343 (N° Lexbase : A7715D7U), F-D.
(10) J.-P. Dumas, L'aide juridictionnelle et le pourvoi en cassation, JCP éd. G, 2009, 296.
(11) Cass. civ. 2, 22 février 2012, n° 11-10.307, F-D (N° Lexbase : A3254IDU) ; pour une hypothèse dans laquelle l'aide juridictionnelle a été sollicitée mais non obtenue : Cass. civ.2, 3 avril 2008, trois arrêts, n° 07-12.341, 07-12.342, 07-12.343, F -D.
(12) Cass. civ. 2, 5 février 2009, n° 07-21.246, F-D (N° Lexbase : A9515ECE).
(13) Cass. civ. 2, 6 janvier 2011, n° 09-17.375, F-D (N° Lexbase : A7442GNX), comm. 82, obs. R. Perrot ; Cass. civ. 2, 21 octobre 2010, n° 09-16.962, F-D (N° Lexbase : A4218GC9) ; Cass. civ. 2, 25 septembre 2014, n° 13-22.799, F-D (N° Lexbase : A3024MXB).
(14) Cass. civ. 2, 18 octobre 2012, n° 11-24.187, F-D (N° Lexbase : A7070IUE) ; Cass. soc., 29 septembre 2004, n° 02-44.605, F-D (N° Lexbase : A4781DDG). Adde Cass. civ. 3, 7 mai 2003, n ° 01-16.936, FS-P+B (N° Lexbase : A0205B7Q) ; V. pour l'hypothèse d'un avocat omis du tableau : Cass. civ. 2, 8 juillet 2004, n°02-15.374, FS-P+B (N° Lexbase : A0235DD3).
(15) Cass. civ. 2, 6 mai 2004, n° 02-16.165, F-P+B (N° Lexbase : A1610DCM).
(16) Cass. civ. 2, 21 février 2008, n° 07-10.592, F-D (N° Lexbase : A0614D7U) ; Cass. civ. 2, 25 septembre 2014, n° 13-19.469, F-D (N° Lexbase : A3215MXD). V. également Cass. civ. 2, 5 décembre 2013, n° 12-14.553, F-D (N° Lexbase : A8396KQZ) ; Cass. civ. 2, 17 octobre 2013, n° 12-24.300, F -D (N° Lexbase : A0989KNX) ; Cass. civ. 2, 28 juin 2012, n° 11-20.680, F-P+B ([LXB=A1266IQX ]) ; Cass. civ. 3, 19 décembre 2012, n° 11-26.778, FS-D (N° Lexbase : A1756IZ3).
(17) Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.657, F-D (N° Lexbase : A5026EAE). - Adde Cass. soc., 24 novembre 2004, n° 02-45.126, F-P+B (N° Lexbase : A0304DEY).
(18) Cass. civ. 2, 10 novembre 2010, n° 09-17.172, F-P+B (N° Lexbase : A9006GGN).
(19) Cass. civ. 2, 9 juillet 2009, n° 08-16.997, F-D (N° Lexbase : A7408EI9).
(20) Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-15.763, F-D (N° Lexbase : A1942NEN).

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