Lecture: 33 min
N1754B3D
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Irène Luc, Première avocate générale à la Chambre commerciale de la Cour de cassation
le 27 Février 2025
Mots-clés : Autorité de la concurrence • loyauté de la preuve • juridictions • accès aux preuves • preuve illicite • principe de proportionnalité
L’application du principe de loyauté dans la procédure de l’Autorité de la concurrence emprunte beaucoup de caractéristiques au droit pénal, dans le respect de certaines différences tenant à sa nature spécifique. Devant les juridictions, qui appliquent également le droit de la concurrence dans une voie parallèle, l’appréciation de la loyauté des preuves tend à s’aligner sur les règles d’accès aux preuves, dans la droite ligne de la Cour européenne des droits de l’Homme. À défaut d’irrecevabilité automatique, le caractère illicite ou déloyal d’une preuve s’apprécie au regard des intérêts en présence et du principe de proportionnalité. C’est une évolution qui n’en est qu’à ses débuts.
La preuve conditionne l’exercice des droits. Sans preuve, pas de droit, comme l’énonce l’adage « idem est non esse et non probari ». Les conditions dans lesquelles le justiciable, désireux de préserver ses droits devant le juge ou l’autorité publique, peut recueillir des preuves et la nature des preuves admissibles sont déterminantes, car il lui appartient d’apporter les éléments de nature à les étayer. Ainsi, le droit à la preuve constitue-t-il un droit fondamental [1]. Il comporte le droit de produire des preuves et le droit d’en obtenir grâce aux mesures d’instruction et de production forcée de pièces ordonnées par le juge [2]. De même, les autorités publiques chargées de la défense de l’ordre public, sur lesquelles repose la charge de la preuve d’infractions administratives ou pénales, doivent pouvoir rechercher et recueillir les preuves nécessaires aux poursuites.
Mais ce principe d’accès à la preuve n’est pas illimité et absolu. Il doit se concilier notamment avec la loyauté de la preuve, érigée en principe du droit civil et du droit commercial par plusieurs arrêts de la Cour de cassation [3]. La déloyauté dans le recueil de la preuve peut recouvrir des cas dans lesquels la preuve est obtenue par surprise [4]. Le caractère ambigu de cette notion a été souligné par le professeur Loïc Cadiet, qui la décrit comme « du domaine des fausses évidences » [5] . Tendant à moraliser le droit et à relativiser l’objectif de recherche de la vérité, son « usage n’est pas sans risque » [6].
Irriguant le droit de la preuve [7], le principe de loyauté innerve particulièrement les droits à finalité répressive, tel le droit pénal, mais aussi le droit de la concurrence.
En effet, le droit de la concurrence est appliqué par l’Autorité de la concurrence, investie, pour la défense de l’ordre public économique, de pouvoirs de sanction et d’enquête. Il est également, en parallèle, appliqué par les juridictions administratives et judiciaires aux litiges interpersonnels de concurrence, pour lesquels elles disposent de pouvoirs d’injonction, d’annulation et de réparation. La façon dont le principe de loyauté saisit ces deux voies parallèles d’application du droit de la concurrence est nécessairement riche d’enseignements.
Assez logiquement, la procédure de l’Autorité de la concurrence a été calquée sur la procédure pénale (I). L’application du principe de loyauté au recueil des preuves effectué par les enquêteurs de l’Autorité fait l’objet d’une pratique décisionnelle et d’une jurisprudence abondante (II). Son application au recueil des preuves par les victimes de pratiques anticoncurrentielles fera l’objet de développements séparés (III).
I. Un système de preuves inspiré de la procédure pénale
La parenté de l’action de l’Autorité avec celle des juridictions pénales a conduit à un alignement de plus en plus prégnant de son régime de preuves sur celui du droit pénal (A), bien que la prudence soit de rigueur compte tenu de la spécificité du droit de la concurrence (B).
A. Un alignement sur la procédure pénale
Le droit de la concurrence présente de nombreux traits communs avec la « matière pénale », tels le caractère coercitif de la recherche des preuves, la rédaction d’actes d’accusation et le prononcé de sanctions d’un montant particulièrement élevé. Ces ressemblances se retrouvent dans le régime des preuves. En droit de la concurrence, comme dans le domaine répressif, l’appréciation de la valeur probatoire des preuves dépend de l’intime conviction du collège de l’Autorité de la concurrence [8]. La preuve par faisceaux d’indices, graves, précis et concordants, formule utilisée aussi en droit pénal, est la preuve la plus courante.
Le caractère spécifique de la procédure de l’Autorité, prévue par des textes spéciaux souvent lacunaires, a rendu parfois difficile la reconnaissance de cette parenté. C’est ainsi que, amenée à statuer sur la recevabilité de preuves recueillies par des procédés déloyaux par une victime de pratiques anticoncurrentielles et produites devant l’Autorité, la Cour de cassation avait estimé, dans l’arrêt de l’Assemblée plénière du 7 janvier 2011 que « sauf disposition expresse contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile s’appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l’Autorité de la concurrence ».
Cette difficulté a été tranchée, s’agissant spécifiquement du régime des preuves de l’Autorité, par l’ordonnance du 26 mai 2021 (ordonnance n° 2021-649 N° Lexbase : L6122L4I) [9]. En effet, le deuxième alinéa de l’article L. 463-1 modifié N° Lexbase : L6285L4K [10] prévoit désormais que « Les pratiques dont l'Autorité de la concurrence est saisie peuvent être établies par tout mode de preuve ». Cette phrase, qui constitue la reproduction de l’article 427 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L3263DGX [11], reconnaît donc clairement à l’Autorité la liberté de la preuve dont bénéficient les juridictions pénales.
B. Un alignement prudent
Si la parenté du droit de la concurrence avec le droit pénal semble évidente, il n’en demeure pas moins qu’il présente des spécificités qui justifient une certaine adaptation des règles de procédure pénale.
Le législateur a lui-même volontairement allégé les contraintes procédurales des autorités administratives indépendantes comme l’Autorité de la concurrence, par rapport à celles des juridictions, dans un souci d’efficacité. Historiquement, la création d’autorités administratives indépendantes (AAI) pour régir des secteurs économiques et juridiques à la place de l’administration ou des juridictions a répondu, en France, à un triple objectif de spécialisation, d’expertise et d’efficacité, ainsi que l’a souligné le Conseil d’ État, dans son rapport public de 2001 [12] : « […] les règles de fonctionnement simplifiées d’autorités administratives indépendantes permettent de trancher les litiges et de procéder aux éventuelles sanctions plus rapidement que les juridictions pénales de droit commun, surchargées de dossiers et soumises aux multiples contraintes de la procédure propre à cette matière. Cette capacité de réaction rapide des autorités administratives indépendantes, dans des matières très évolutives qui imposent l’immédiateté, explique les raisons pour lesquelles des pouvoirs de plus en plus étendus, notamment de sanction, leur ont été confiés dans le cadre défini par le Conseil constitutionnel : de nombreux secteurs avaient besoin de cette régulation souple, s’inscrivant dans des délais brefs, et s’exprimant de façon polymorphe ».
Mais cet objectif de rapidité d’action, qui fonde la légitimité des AAI, a progressivement été oublié. Le régime procédural de celles-ci s’est progressivement alourdi. Le Conseil d’ État avertissait déjà dans son rapport sur les dangers de la reconstitution des lourdeurs de la procédure pénale et appelait à « un consensus des juridictions et plus généralement des milieux concernés par la régulation sur l’idée que l’état de droit n’est pas menacé du seul fait que le régime juridique des sanctions administratives, en particulier lorsqu’elles sont prononcées par une autorité administrative « indépendante », n’est pas strictement identique au régime des sanctions pénales » [13]. Il signalait déjà à cette époque un risque de fragilisation de systèmes éprouvés [14].
Toute nouvelle extension des garanties pénales doit donc être pesée à l’aune des objectifs poursuivis.
Cette prudence s’impose d’autant plus que le droit de la concurrence est avant tout un droit européen. Les pratiques anticoncurrentielles sont sanctionnées en droit national, mais aussi en droit européen de la concurrence, qui prévaut. Or, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne, le régime des preuves en droit national ne saurait aboutir à rendre plus difficile l’établissement des infractions en droit de la concurrence de l’Union, ou l’exercice, par les justiciables, des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union, sauf à méconnaître le principe d’effectivité de ce droit [15]. Les règles de preuve nationales, adoptées en vertu du principe d’autonomie procédurale des États membres, doivent donc contribuer à l’effet utile du droit de l’Union [16].
Les spécificités de l’objet et des objectifs du droit de la concurrence militent également pour une adaptation mesurée et réfléchie des règles pénales au droit de la concurrence. L’Autorité sanctionne exclusivement des personnes morales et ne peut prononcer que des sanctions pécuniaires. Par ailleurs, contrairement au droit pénal qui oppose le plus souvent l’État à des individus, le droit de la concurrence cherche principalement à protéger la collectivité de l’action de grands groupes, aux moyens souvent considérables. L’application des mêmes garanties n’est donc pas toujours justifiable [17].
II. La loyauté dans le recueil des preuves par les enquêteurs
L’Autorité de la concurrence, comme la Commission européenne, est dotée de pouvoirs de sanction et de pouvoirs d’enquête. Sous l’influence conjuguée de la Cour de cassation, du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l’Homme, la procédure de l’ancien Conseil de la concurrence s’est distinguée de celle de la Commission et de celle des autres autorités nationales de concurrence européennes : les services d’instruction, dotés de pouvoirs d’enquête, sont séparés du collège doté du pouvoir de décision et de sanction. La loyauté de l’enquête est garantie et les procédés déloyaux d’enquête sont prohibés.
A. La loyauté de l’enquête
L’enquête devant l’Autorité de la concurrence comporte deux phases : une phase d’enquête proprement dite, non contradictoire au cours de laquelle les preuves sont recherchées et réunies, puis une phase d’instruction à compter de la rédaction de l’acte d’accusation, appelé « notification de griefs », pleinement contradictoire, au cours de laquelle les entreprises mises en cause peuvent produire des observations en réponse. La phase d’enquête qui comporte l’usage de pouvoirs non coercitifs de recueil de documents sur place, d’audition, de demandes de renseignements, ou de pouvoirs coercitifs de visite et saisie sur autorisation judiciaire préalable, n’est pas soumise aux mêmes garanties que la phase d’instruction, les parties n’ayant, notamment, pas accès au dossier de l’Autorité. Il s’agit à ce stade, dans un souci d’effectivité, de ne pas entraver la recherche de la vérité. Toutefois, comme d’autres principes, tels le principe de durée raisonnable de la procédure ou la protection du secret des correspondances avocats-clients, le principe de loyauté s’applique à ces deux phases, d’enquête et d’instruction : il s’agit d’éviter que la phase d’enquête ne se prête à des procédés déloyaux et ne porte une atteinte disproportionnée aux droits de la défense, qui ne serait plus rattrapable ultérieurement.
Signalons que la façon dont les rapporteurs instruisent leur dossier est souvent critiquée sur le fondement de la déloyauté. Il est ainsi souvent allégué devant le collège de l’Autorité que les entreprises ont volontairement communiqué des informations ou des pièces incriminantes [18], en se méprenant sur leur portée, que les rapporteurs n’ont retenu que les pièces à charge, que les délais impartis aux entreprises pour formuler leurs observations étaient trop courts, que l’ensemble des éléments à décharge ne sont pas repris ou encore que l’absence d’audition des chefs d’entreprises, constituent des procédés déloyaux.
Le collège de l’Autorité, lorsqu’il statue sur les mérites des griefs notifiés par les rapporteurs, puis les juridictions de contrôle, amenées à contrôler la décision du collège, doivent examiner ces allégations, la cour d’appel de Paris rappelant que « seule la déloyauté dans l'interprétation ou la présentation des pièces, ou encore dans la façon d'interroger les personnes en cause ou les tiers, peut conduire à constater une atteinte aux droits de la défense des parties », ce qu’il revient aux parties d’étayer par des éléments de preuve » [19].
L’indication, par les enquêteurs, de l’objet de l’enquête doit garantir aux personnes entendues qu’elles ont répondu aux questions en connaissance de cause. Cette indication leur permet de ne pas s’auto-incriminer.
Les personnes entendues durant l’enquête ou auxquelles sont demandés des informations ou documents, qui sont tenues à une obligation de coopération loyale à l’enquête, sous peine d’encourir des sanctions pénales ou administratives pour non-coopération à l’enquête, doivent être préalablement informées de son objet, afin qu’elles ne soient pas conduites à s’auto-incriminer.
Afin de permettre de vérifier que cette obligation a bien été respectée, chaque acte d’enquête est consigné et authentifié dans un procès-verbal qui contient l’objet de l’enquête [20]. La jurisprudence se satisfait d’une mention préimprimée.
Si l’entreprise est amenée à s’auto-incriminer en répondant aux questions orales ou aux demandes de renseignement écrites, elle peut faire valoir son droit au silence et s’abstenir de répondre sans encourir de sanctions pour non-coopération à l’enquête [21]. Le contenu des questions posées ressort en général des procès-verbaux d’audition, même si la jurisprudence n’exige pas, à peine de nullité, que la mention des questions y figure.
Il y a lieu de signaler que la jurisprudence Orkem [22], qui définit le droit au silence dans le cadre du droit européen, concerne un cas dans lequel la Commission européenne avait enjoint la fourniture de renseignements ou de documents par voie de décision assortie d’astreinte [23]. Cette jurisprudence incite les rapporteurs ou les enquêteurs à ne pas interroger les entreprises sur leur stratégie. En revanche, les questions de fait demeurent possibles. Ainsi, s’agissant de pratiques de fixation de prix, lors de réunions, la Cour énonce que : « Si ces questions ne sont pas sujettes à critiques en tant que la Commission vise à obtenir des précisions factuelles sur l'objet et les modalités de ces initiatives, il en va différemment de celles qui portent sur la finalité de l'action entreprise et l'objectif poursuivi par ces initiatives » [24]. L’arrêt du 2 février 2021 de la Cour de justice [25] vient préciser, s’agissant d’une personne physique poursuivie pour délit d’initié par la commission de bourse italienne, qu’elle ne peut être sanctionnée, pour non-coopération à l’enquête, pour avoir refusé de s’auto-incriminer ou de répondre à des questions de fait. Cet arrêt n’est pas contradictoire avec l’arrêt Orkem, mais précise la portée du principe de non auto-incrimination pour les personnes physiques, celui-ci s’étendant aux questions de fait.
Ce principe de non auto-incrimination conduit, en droit pénal, à signaler, avant tout interrogatoire, le droit au silence. Depuis 2021, le Conseil constitutionnel exige en effet que le législateur étende ce signalement aux actes de procédure pénale à chaque fois que le prévenu peut être amené à reconnaître les faits qui lui sont reprochés. De fait, cette formalité s’est largement répandue en procédure pénale.
Or, en droit de la concurrence, ce droit est d’ores et déjà prévu dans les cas d’enquêtes lourdes, par le renvoi, dans l’article L. 450-4 du Code de commerce N° Lexbase : L6272L43, à l'article 61-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7280LZN. Cet article prévoit, en effet, depuis 2008 [26], que « les agents mentionnés à l’article L. 450-1 peuvent procéder au cours de la visite à des auditions de l'occupant des lieux ou de son représentant en vue de recueillir les informations ou explications utiles aux besoins de l'enquête » , mais que, « conformément à l'article 28 du code de procédure pénale, l'article 61-1 du même code est applicable lorsqu'il est procédé à l'audition d'une personne à l'égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ». Cet article 61-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7280LZN, prévoit qu’une telle personne « ne peut être entendue librement sur ces faits qu'après avoir été informée […] 4° du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire ».
De fait, même concernant des personnes sur lesquelles ne pèse aucun soupçon, l’Autorité préfère ne pas recueillir, durant les opérations de visites et saisies, des déclarations recueillies sous « forme de questions/réponses ciblées sur les agissements frauduleux supposés », qui pourraient révéler une atteinte aux droits de la défense de l'entreprise. En revanche, des déclarations spontanées ou des réponses à des demandes de renseignements nécessaires au contrôle peuvent être recueillies [27], telles par exemple des questions aux gestionnaires des ordinateurs saisis, sur leur fonctionnement, les mots de passe et les serveurs éventuels.
Au-delà, la volonté d’élargir ce principe de notification du droit au silence en droit de la concurrence aux personnes dont les déclarations sont recueillies durant des enquêtes simples semble inutile, à ce stade de la procédure et en l’absence de situation de contrainte.
Les enquêteurs ne peuvent utiliser des procédés ou manœuvres déloyaux pour rechercher les preuves, sauf dispositions express de la loi.
Le Conseil de la concurrence a ainsi pu, dès 1997, écarter les preuves recueillies par des enquêteurs, qui, s’étant fait passer pour des clients ordinaires, avaient vérifié les tarifs pratiqués par les taxis d’Agen, sans décliner leur qualité d’enquêteurs [28].
Mais le moyen de déloyauté dans le recueil des preuves, fréquemment soulevé par les entreprises mises en cause, n’est pas toujours accueilli avec faveur par les juridictions de contrôle. C’est ainsi, par exemple, que le recueil de déclarations anonymes n’a pas été jugé déloyal en soi, dès lors que celles-ci sont corroborées par d’autres indices et ne fondent pas la preuve à elles seules [29]. De même, l’utilisation, dans une procédure de concurrence, de pièces provenant d’autres procédures, n’est pas jugée déloyale, dès lors qu’elles sont soumises au contradictoire. Ainsi, le versement au dossier de l’Autorité de pièces de dossiers d’instruction communiquées sur le fondement de l’article L. 463-5 du Code de commerce N° Lexbase : L8248IB4 n’a pas été jugé contraire au principe de loyauté [30]. De même, en vertu du principe de liberté de la preuve en droit de la concurrence de l’Union, la Cour de justice admet la recevabilité de pièces pénales ou tirées de procédure administratives, dès lors qu’elles ont été contradictoirement débattues [31].
Enfin, il y a lieu de signaler que la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 N° Lexbase : L0526LDT permet aux enquêteurs de retarder la déclinaison de leur identité, dans des conditions très restrictives prévues à l’article L. 450-3-2 du Code de commerce N° Lexbase : L0997LDB [32]. Par ailleurs, s’agissant des investigations sur Internet, une identité d’emprunt leur est autorisée [33] .
III. La loyauté des preuves recueillies par les victimes de pratiques anticoncurrentielles
Si le régime des preuves devant l’Autorité est désormais clairement régi par la liberté de la preuve, de par la volonté du législateur, et autorise dès lors la recevabilité des preuves déloyales recueillies par les victimes de pratiques anticoncurrentielles et utilisées devant elle (A), celles utilisées devant les instances judiciaires ou commerciales relèvent des règles de recevabilité prévues en matière civile, qui ont récemment évolué (B).
A. La recevabilité de principe des preuves déloyales produites par les victimes de pratiques anticoncurrentielles devant l’Autorité de la concurrence
Partant du constat d’une liberté probatoire, le Conseil de la concurrence, puis l’Autorité, a toujours estimé, au regard de la finalité de la preuve en droit de la concurrence, que la convergence de la procédure pénale et du contentieux de la répression des pratiques anticoncurrentielles devait conduire à une convergence dans le régime de l'admissibilité des preuves.
Ainsi, dans une affaire ayant donné lieu à la décision n° 05-D-66 du 5 décembre 2005 [34], le Conseil de la concurrence avait été saisi par l’exploitant d’une enseigne, de pratiques d’ententes sur les prix dont il était victime, dans le secteur des produits d’électronique grand public. Il avait fourni comme preuves des enregistrements effectués à l’insu de leurs auteurs, les responsables des entreprises en cause. Le Conseil avait retenu ces enregistrements comme preuves, en considérant qu’ils n’émanaient ni des enquêteurs, ni des rapporteurs, qu’ils étaient produits par la partie plaignante à l’appui de sa saisine, qu’ils avaient été soumis à un large débat contradictoire et notamment à l'égard de ceux dont les propos avaient été enregistrés, de façon à ce qu'ils aient pu en contester l'exactitude et, enfin, que ces éléments de preuve étaient corroborés par d'autres éléments pour constituer, ensemble, un faisceau d'indices convergents.
Ce raisonnement a été invalidé par la Cour de cassation, dans son arrêt de 2011 précité, la Haute juridiction ayant appliqué les règles de procédure civile, qui n’admettaient pas, alors, la recevabilité de telles preuves.
Comme vu supra, le nouvel article L. 463-1 du Code de commerce autorise l’Autorité, sous réserve de l’interprétation souveraine des juges, à s’inspirer, s’agissant des preuves déloyales recueillies par les victimes et utilisées devant elle, de la jurisprudence de la Chambre criminelle. En effet, la Chambre criminelle déduit de la liberté de la preuve prévue par l'article 427 du Code de procédure pénale la recevabilité des preuves obtenues de manière déloyale par les parties. La solution est ancienne et sans cesse réitérée [35]. Elle est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme ou de la Cour de justice. En effet, ces juridictions ne font pas de la déloyauté une cause d'irrecevabilité des pièces, mais les apprécient au regard des règles du procès équitable. Ainsi, la CEDH vérifie que, globalement, la procédure est équitable, ce qui suppose que le requérant a bénéficié de la possibilité de contester la recevabilité de la preuve et de discuter le bien-fondé de celle-ci [36]. Si la Cour se refuse à apprécier la légalité du mode de preuve retenu, elle vérifie in concreto si la procédure a été équitable dans son ensemble [37] : « il faut rechercher notamment si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude » [38]
Se fondant sur un arrêt Goldfish rendu en matière de droit de la concurrence par le Tribunal de l’Union européenne [39], l’Autorité avait anticipé cette évolution, dès sa décision 16-D-21 [40].
B. La recevabilité de principe des preuves déloyales produites par les victimes de pratiques anticoncurrentielles devant les juridictions
Si les victimes de pratiques anticoncurrentielles peuvent se prévaloir devant l’Autorité de l’article L. 463-1 du Code de commerce, elles ne le peuvent devant les juridictions civiles ou commerciales, qui ne sont pas concernées par cet article et devant lesquelles s’applique le Code de procédure civile.
Or, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence en la matière. Alors que sous l’empire de l’arrêt de 2011, les preuves déloyales ou illégales devaient être, en principe, déclarées irrecevables, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 décembre 2023 [41], a admis désormais leur recevabilité : « Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
Ainsi doivent-elles réunir deux conditions cumulatives pour être recevables : elles doivent être indispensables pour l’exercice des droits du justiciable, car lui refuser la preuve le priverait de son droit à la preuve ; l’atteinte aux droits causée par la déloyauté de la preuve doit être proportionnée au but poursuivi.
Le régime des preuves déloyales en droit civil et commercial se rapproche donc du régime général de l’accès à la preuve, prévalant en droit civil et commercial, le contrôle du juge sur les demandes d’accès à une preuve portant sur son caractère nécessaire et proportionné, et, en cas de risques d’atteinte à d’autres droits, à la mise en balance des différents intérêts en présence.
Au total, on est donc passé d’un régime de loyauté de la preuve à la loyauté procédurale [42] en droit de la concurrence, dans la procédure devant l’Autorité et devant les juridictions.
Conclusion
Le régime des preuves déloyales de l’Autorité s’alignera-t-il complètement sur le régime pénal, ce qui impliquerait, en partie, de relâcher encore les contraintes qui pèsent sur elle, ou au contraire, de resserrer certaines ? On a vu que les recueils de déclarations dans les enquêtes simples de l’Autorité sont concernés par des réflexions portant sur l’éventuelle notification du droit au silence. En sens inverse, la jurisprudence de la Chambre criminelle sera-t-elle entièrement transposable dans la procédure de l’Autorité ? On sait, par exemple, que si, en procédure pénale, la provocation à la commission d’une infraction de la part d’agents de l’autorité publique constitue une violation du principe de loyauté, la Chambre criminelle [43] ne considère pas que les stratagèmes employés par un agent de l'autorité publique pour la constatation d'une infraction ou l'identification de ses auteurs constituent en soi une atteinte au principe de loyauté de la preuve, « seul [étant] proscrit le stratagème qui, par un contournement ou un détournement d'une règle de procédure, a pour objet ou pour effet de vicier la recherche de la preuve en portant atteinte à l'un des droits essentiels ou à l'une des garanties fondamentales de la personne suspectée ou poursuivie ».
Devant les juridictions civiles ou commerciales, la pratique des clients mystères [44], contestée pour l’heure en droit commercial, qui pourrait par exemple être utilisée par une tête de réseau pour constater la violation de son réseau de distribution, sera-t-elle considérée comme recevable ?
Gageons que la jurisprudence sera riche en nouveauté.
[1] Cass. civ. 1, 5 avril 2012, n° 11-14.177, F-P+B+I N° Lexbase : A1166IIZ – Cass. civ. 1, 31 octobre 2012, n° 11-17.476, FS-P+B+I N° Lexbase : A3196IWB – Cass. civ. 1, 5 février 2014, n° 12-20.206, FS-D N° Lexbase : A9221MDU.
[2] N. Hoffschir, Périsse le principe de loyauté plutôt que le droit à la preuve, Dalloz Actualité, 9 janvier 2024.
[3] Voir notamment Cass. ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667, P+B+R+I N° Lexbase : A7431GNK.
[4] L. Aynès, L’obligation de loyautéArch. phil. Droit 44 (2000), p. 204.
[5] L. Cadiet, Le principe de loyauté devant le juge civil et le juge commercial, Procédures n° 12, décembre 2015, dossier 10.
[6] Ibidem
[7]J.-D. Bretzner, Le principe de loyauté irrigue le droit de la preuve et forme son « ADN », obs. ss Cass. soc., 6 février 2013, n° 11-23.738, FP-P+B N° Lexbase : A6342I7Z, D., 2013, 2802.
[8] La seule exception étant les procès-verbaux d’enquête dont la valeur probatoire est déterminée par la loi : en vertu de l’article L. 450-2 du Code de commerce N° Lexbase : L7897IZI, les procès-verbaux dressés par les enquêteurs et les rapporteurs font foi jusqu’à preuve contraire, rapportée par des écrits ou par des témoignages.
[9] Cette ordonnance du 26 mai 2021, prise sur habilitation de l’article 37 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, dite « DADUE » N° Lexbase : L8685LYC, transpose en droit français les dispositions de nature législative de la Directive (UE) n° 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dite « ECN+ » N° Lexbase : L9459LNN.
[11] En vertu de ce texte, « Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction »
[13] Rapport public du Conseil d’État 2001, préc., p. 363.
[14] Ibid. « […] on risque de fragiliser rapidement un dispositif de sanctions administratives qui a fait ses preuves, en le rendant nécessairement plus lourd et plus lent ».
[15] CJUE, 7 décembre 2010, aff. C-439/08, Vlaamse federatie van verenigingen van Brood- en Banketbakkers, Ijsbereiders en Chocoladebewerkers (VEBIC) VZW N° Lexbase : A4956GMI.
[16] CJUE, 6 juin 2013, aff. C-536/11, Bundeswettbewerbsbehörde c/ Donau Chemie AG N° Lexbase : A3854KGT ; voir aussi les conclusions du 7 février 2013 de l’avocat général Jääskinen dans cette affaire (§ 50) [en ligne].
[17] V. à cet égard, les conclusions de l’avocat général Damaso Ruiz-Jarabo Colomer du 17 octobre 2002 dans CJCE, 18 septembre 2003, Volkswagen AG, C-338/00 P, § 66 : « de manière générale, […], le domaine du droit de la concurrence ne fait pas l’objet d’une transposition en bloc de l’ensemble des garanties développées dans le cadre du droit pénal, lequel met en présence l’Etat sanctionnateur, d’une part, et l’individu présumé auteur de l’infraction, de l’autre. Les dites garanties visent précisément à compenser ce déséquilibre entre les pouvoirs. En matière de libre concurrence, ces paramètres se trouvent modifiés, dans la mesure où l’on cherche à protéger la communauté d’individus que constitue la société, composée de groupes de consommateurs, face à de puissants groupes qui disposent de moyens considérables. Reconnaître à ces auteurs d’infractions les mêmes garanties procédurales qu’au particulier plus nécessiteux témoignerait non seulement d’une singulière ironie mais impliquerait, quant au fond, une diminution de la protection, en l’occurrence économique, de l’individu, principale victime des agissements contre la concurrence. J’estime dès lors important que les règles de procédure s’adaptent au domaine spécifique de la concurrence. Les conditions de la preuve par indices, par exemple, doivent être considérées comme moins contraignantes puisque, dans de nombreux cas, seule cette méthode permet de révéler l’intention de commettre une infraction ».
[18] Aut. conc., décision n° 04-D-07, du 11 mars 2004, relative à des pratiques relevées dans le secteur de la boulangerie dans le département de la Marne, § 87 à 92 N° Lexbase : X6160AC7.
[19] CA Paris, 17 mai 2018, n° 2016/16621, § 86 N° Lexbase : A2312XNX.
[20] Cass. com., 20 novembre 2001, n° 99-16.776 et n° 99-18.253 N° Lexbase : A2172AXQ.
[21] CJCE, 18 octobre 1989, aff. C-374/87, Orkem, pt 35 N° Lexbase : A8544AUY – Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-17.147 et n° 07-17.196, FS-P+B N° Lexbase : A9362D8A.
[22] CJCE, Orkem, préc. pt 34.
[23] Pour un rappel du principe, CJCE, 25 janvier 2007, aff. C-407/04 P, Dalmine, pt 34 N° Lexbase : A6351DTE.
[24] CJCE Orkem, préc. pt 38.
[25] CJUE, 2 février 2021, aff. C-481/19, DB N° Lexbase : A23374EB.
[26] La loi n° 2008-776 du 4 août 2008 N° Lexbase : L7358IAR leur a permis cette faculté, car il leur était auparavant interdit d'y procéder pendant les opérations, sauf à consigner des déclarations spontanées des personnes présentes (Cass. com., 29 novembre 1994, n° 93-15.711, publié au Bulletin N° Lexbase : A4980ACG).
[27] CA Paris, 5-1, 28 juin 2017, n° 15/21311 N° Lexbase : A4383WLW.
[28] Cons. conc., décision n° 97-D-40, 4 juin 1997 N° Lexbase : X7781AC8 – Cons. conc., décision n° 03-D-15, 17 mars 2003 N° Lexbase : X4805ACX.
[29] CJCE, 25 janvier 2007, aff. C-411/04 P, Salzgitter Mannesmann GmbH c/ Commission N° Lexbase : A6352DTG ; voir aussi, s’agissant de déclarations anonymes par téléphone, CA Paris, 13 décembre 2001, 1ère ch., sect. H, n° 2001/03672 N° Lexbase : A6149DH9 ; v. de même CA Paris, 1er février 2017, n° 16/05677 – CA Rouen, 27 mars 2019, n° 18/03984.
[30] Cass. com., 18 février 2014, n° 12-27.643, FS-P+B N° Lexbase : A7597ME4.
[31] Preuves tirées de la procédure pénale : CJCE, 25 janvier 2007, Dalmine, préc. ; preuves tirées de la procédure fiscale : CJCU, 27 avril 2017, aff. C-469/15 P, FSL Holdings NV N° Lexbase : A8170WAT
[32] Le I de cet article prévoit que : « Lorsque l'établissement de la preuve de l'infraction ou du manquement en dépend et qu'elle ne peut être établie autrement, les agents mentionnés à l'article L. 450-1 peuvent différer le moment où ils déclinent leur qualité au plus tard jusqu'à la notification à la personne contrôlée de la constatation de l'infraction ou du manquement ».
[33] En vertu du II du même article, « Pour le contrôle de la vente de biens et de la fourniture de services sur internet et pour celui des accords ou pratiques concertées mentionnés à l'article L. 420-2-1, les agents mentionnés au I peuvent faire usage d'une identité d'emprunt »
[34] Cons. conc., décision n° 05-D-66, 5 décembre 2005 N° Lexbase : X4745AD4.
[35] Se fondant sur ce texte, la Chambre criminelle a décidé, dans un arrêt du 15 juin 1993, que: « les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale ; il leur appartient seulement d’en apprécier la valeur probante ; méconnaît les dispositions de l’article 427 du code de procédure pénale la cour d’appel qui déclare irrecevable en preuve, un document produit par la partie civile poursuivante parce qu’elle n’avait pu l’obtenir que de façon illicite » (Cass. crim., 15 juin 1993, n° 92-82.509 N° Lexbase : A4067ACM) ; voir aussi Cass. crim., 11 juin 2002, 01-85.559, F-P+F N° Lexbase : A8856AYN (testing organisée par SOS Racisme devant les boîtes de nuit ) et Cass. crim., 13 octobre 2004, n° 03-81.763, FS-P+F N° Lexbase : A6196DDT (enregistrement d'une cassette à l'insu de l'auteur des propos enregistrés).
[36] « Si la convention garantit en son article 6 le droit à un procès équitable, elle ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui dès lors relève du droit interne. La cour ne saurait donc exclure par principe et in abstracto, l’admissibilité d’une preuve recueillie de manière illégale […] Il lui incombe seulement de rechercher si le procès de M. Schenk a présenté dans l’ensemble un caractère équitable. » (CEDH, 12 juillet 1988, Req. 8/1987/131/182, Schenk N° Lexbase : A6480AWW, point 46)
[37] M. Mekki, Le principe de loyauté probatoire a-t-il encore un avenir dans le contentieux de la concurrence ?, Recueil Dalloz, 2016 p. 2355.
[38] CEDH, 10 mars 2009, Req. 4378/02, Bykov c/ Russie N° Lexbase : A4528EMN , § 90.
[39] Trib. UE, 8 septembre 2016, aff. T-54/14, Goldfish N° Lexbase : A5233RZT : le Tribunal s'inspirant de la jurisprudence de la CEDH a admis la recevabilité d'enregistrements privés effectués par un des membres de l'entente auprès d'un concurrent, à son insu, saisis par les enquêteurs au cours d'une inspection communautaire.
[40] Aut. conc., décision n° 16-D-21, 6 octobre 2016, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des titres-restaurant N° Lexbase : X9303APA.
[41] Cass. ass. plén., 22 décembre 2023, n° 20-20.648, B+R N° Lexbase : A27172AU.
[42] R. Amaro, L’avenir incertain du principe de loyauté dans l’administration de la preuve dans le contentieux des pratiques anticoncurrentielles, Concurrences, n° 1-2017, p 73-80.
[43] Cass. ass. plén., 9 décembre 2019, n° 18-86.767, P+B+R+I N° Lexbase : A3135Z7A.
[44] Cass com, 10 novembre 2021, deux arrêts, n° 20-14.669, F-B N° Lexbase : A45277BB et n° 20-14.670, F-B N° Lexbase : A45287BC.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:491754