Le Quotidien du 24 janvier 2025 : Entreprises en difficulté

[Commentaire] Annuler et infirmer ou confirmer ne vaut

Réf. : Cass. com., 11 décembre 2024, n° 23-19.807, F-B N° Lexbase : A15336MQ

Lecture: 8 min

N1523B3S

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Commentaire] Annuler et infirmer ou confirmer ne vaut. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/115057944-commentaireannuleretinfirmerouconfirmernevaut
Copier

par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Administration et liquidation des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201)

le 23 Janvier 2025

Mots-clés : liquidation judiciaire • prononcé d’une mesure de faillite personnelle • condamnation à la responsabilité pour insuffisance d’actif • annulation du jugement par la cour d’appel • possibilité de confirmer ou d’infirmer la décision après l’annulation (non)

En cas d’annulation par la cour d’appel d’un jugement prononçant une mesure de faillite personnelle et une condamnation à combler l’insuffisance d’actif, la cour d’appel ne peut infirmer ou confirmer la décision prononçant la mesure de faillite personnelle et condamnant à combler l’insuffisance d’actif et prononcer elle-même les condamnations.


 

L’effet dévolutif de l’appel permet beaucoup de chose, mais pas tout. La procédure civile se rappelle ainsi parfois aux juridictions qui en oublient certains principes, en se focalisant exclusivement sur le fond du droit.

En l’espèce, le 22 janvier 2019, la société Sud BTP, ayant pour président et actionnaire unique M. S. depuis le 10 janvier 2018, a été mise en liquidation judiciaire.

Mme Dauverchain, désignée liquidateur, a recherché la responsabilité de M. S. pour insuffisance d'actif et a demandé qu'une sanction personnelle soit prononcée contre lui.

Le tribunal de commerce de Rodez a fait droit aux demandes de la liquidatrice, et a ainsi condamné M. S. à supporter l'insuffisance d'actif de la société Sud BTP pour un montant de 634 055,25 euros. Ce même tribunal a prononcé la faillite personnelle non assortie de l'exécution provisoire de M. S. pour une durée de dix ans à compter du jugement.

M. S. a interjeté appel en demandant l’annulation du jugement au motif que le juge-commissaire suppléant de la procédure collective de la société Sud BTP avait présidé le tribunal de commerce de Rodez lors de l'audience du 13 juillet 2021, au cours de laquelle la mesure de sanction personnelle et la responsabilité pour insuffisance d’actif ont été prononcées.

La cour d’appel [1] a fait droit à sa demande d’annulation du jugement, mais considérant qu’il était fautif, a entendu statuer à nouveau. La cour d'appel a lors réformé le jugement « mais seulement en ce qu'il avait condamné M. S. au comblement du passif de la société Sud BTP dans la limite de 634 055,25 euros, et prononcé la faillite personnelle non assortie de l'exécution provisoire de M. S. […] pour une durée de dix (10) ans à compter du jugement » ; et elle l’a ainsi condamné à supporter l'insuffisance d'actif de la société Sud BTP pour un montant de 482 567,02 euros et prononcer à son encontre, une interdiction de gérer pour une durée de cinq années.

M. S s’est alors pourvu en cassation en faisant valoir la violation de l’article 562, alinéa 2, du Code civil N° Lexbase : L2381MLR.

Bingo : la cassation est encourue. La Cour de cassation juge en effet, au visa de l'article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile, qu’« il résulte de ce texte que, lorsqu'elle annule un jugement, la cour d'appel ne peut le confirmer ou l'infirmer. Après avoir annulé le jugement qui lui était déféré, la cour d'appel l'a réformé en ce qu'il a condamné M. S. à contribuer à l'insuffisance d'actif et prononcé sa faillite personnelle. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». 

Il est d’abord indiscutable qu’une grossière erreur procédurale avait été commise par le tribunal de commerce de Rodez.

Il faut d’abord refaire un peu d’histoire.

Sous l’empire de la loi du 25 janvier 1985 (loi n° 85-98 N° Lexbase : L7852AGW), la participation du juge-commissaire à la formation de jugement n’était pas une cause de nullité du jugement. Il avait été jugé qu’il n’y avait pas là violation de l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR, accordant au citoyen la possibilité d’un procès équitable [2].

Cette vision a ensuite été démentie par la Cour européenne des droits de l’Homme en matière de sanctions. La Cour de Strasbourg a, en réalité, jugé que la présence du juge-commissaire dans la formation de jugement était affaire d’espèce [3].

La loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), dans sa rédaction d’origine, plus respectueuse du droit à un procès équitable posé par l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, a prévu, pour sa part, que le juge-commissaire ne pourra siéger dans la formation de jugement, ni participer au délibéré, en matière de sanctions civiles.

A contrario, cela validait la participation du juge-commissaire à la formation de jugement pour les autres causes. La Cour de cassation a ainsi considéré, dans une instance où il était question de statuer sur l’adoption d’un plan de redressement, que le fait que le juge-commissaire ait établi un rapport plus que réservé, ne lui interdisait pas ensuite de participer à la juridiction de jugement, cet élément n’étant pas de nature à faire naître un doute raisonnable sur l’impartialité de la juridiction [4].

Mais, la participation du juge-commissaire à la formation de jugement, en dehors même des mesures de sanction ou de la responsabilité pour insuffisance d’actif, a ensuite largement fait débat en doctrine. Et l’on comprend le raisonnement : comment celui qui établit obligatoirement un rapport sur tout ce qui concerne la faillite peut-il participer au jugement rendu sur son rapport ? Où se trouve l’impartialité objective requise du juge ? Et il n’est dès lors pas étonnant que les textes aient ensuite évolué.

L’article 92 de l’ordonnance du 12 mars 2014 (ordonnance n° 2014-326 N° Lexbase : L7194IZH) mène la réflexion jusqu’à son terme. Elle interdit purement et simplement au juge-commissaire, une fois désigné, de participer à la formation de jugement et aux délibérés. La solution est posée à l’article L. 662-7 du Code de commerce N° Lexbase : L2741LB7).

Un observateur averti avait fait remarquer cependant que le texte ne disait rien du juge suppléant [5]. Nous avions déduit que tant qu’il n’avait pas occupé la fonction de juge-commissaire dans le dossier, sa participation à la formation de jugement ne devrait, selon nous, pas poser de difficulté [6]. En effet, ce qui condamne sa participation à la formation de jugement tient au fait que le juge-commissaire établit des rapports pour éclairer le tribunal dans la décision à prendre. Mais, si, en tant que juge-commissaire suppléant il n’a établi aucun rapport, pourquoi condamner sa participation dans la formation de jugement ? Où se trouve  la violation de l’impartialité objective ?

La législation a cependant évolué. En effet, la loi de modernisation de la justice du xxie siècle, dite loi « J21 » ( loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 N° Lexbase : L1605LB3)[7], a étendu l’interdiction au juge-commissaire suppléant (C. com., L. 662-7,3°). Cette extension nous apparaît excessive, compte tenu des explications données ci-dessus et pose nécessairement problème dans les petits tribunaux. Il faut des juges expérimentés pour les formations de jugements en matière de sanctions. Et dans les petits tribunaux, évidemment, ils ne sont pas nombreux. Il aurait donc été préférable de limiter l’interdiction à l’hypothèse où le juge-commissaire suppléant aurait été amené à établir un rapport pour l’audience au cours de laquelle il allait statuer. Dans cette hypothèse et dans celle-là seulement, il lui aurait été interdit de siéger.

Quoi qu’il en soit, c’est ce texte dont la cour d’appel a fait en l’espèce une juste application, pour en tirer la conséquence que le jugement rendu était nul du fait de la participation interdite du juge-commissaire suppléant dans la juridiction de jugement.

L’article 562, alinéa 1er, du Code de procédure civile, dispose que « l'appel défère à la cour la connaissance des chefs du dispositif de jugement qu'il critique expressément et de ceux qui en dépendent ». L’alinéa 2 ajoute « Toutefois, la dévolution opère pour le tout lorsque l'appel tend à l'annulation du jugement ».

En l’espèce, l’appel tendait à l’annulation du jugement. Par conséquent, la cour d’appel, après avoir annulé le jugement des premiers juges, devait faire jouer l’effet dévolutif de l’appel et statuer à nouveau. Elle pouvait donc parfaitement prononcer une mesure de faillite personnelle et condamner à l’insuffisance d’actif, mais dans une limite :  elle ne pouvait aggraver le sort de l’appelant, sauf appel incident.

Mais, au lieu de cela, la cour d‘appel a cru devoir infirmer le jugement des premiers juges. Elle ne pouvait le faire puisqu’elle avait annulé le jugement. Ce qui est nul ne produit plus d’effet et l’on ne peut donc pas réformer un jugement nul. La cassation était inévitable pour violation des règles présidant à l’annulation du jugement et à l’effet dévolutif du jugement annulé en application de l’article 562, alinéa 2, du Code de procédure civile.

En l’espèce, la cassation est intervenue également pour d’autres motifs. Il appartiendra à la cour d’appel de Nîmes de statuer à nouveau, en prenant garde cette fois à s’appuyer sur des motifs pertinents permettant tout à la fois de condamner à combler l’insuffisance d’actif et à la faillite personnelle le dirigeant.


[1] CA Montpellier, 13 juin 2023, n° 21/05813 N° Lexbase : A264293A.

[2] CEDH, 6 juin 2000, req. n° 34130/96 N° Lexbase : A7094AWN, RJ com., 2001, 20, n° 1568, note J.-P. Sortais – Adde, obs. B. Soinne, RPC 2000, p. 201, n° 13.

[3] CEDH, 18 octobre 2000, req. n° 34130/96, préc.

[4] Cass. com., 19 février 2013, n° 11-28.256, F-D N° Lexbase : A4266I8I, Gaz. Pal., 1er mai 2013, n° 121, p. 17, note N. Fricero.

[5] Ch. Delattre, Le juge-commissaire suppléant peut-il siéger dans la formation de jugement, RPC 2015. Focus 9, p. 3.

[6] P. -M.  Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 12ème éd. 2023/2024, n° 331.821 – L’opinion a été conservée » par Pierre Cagnoli, in 13ème éd., 2025/2026, n° 331.92.

[7] Loi n° 2016-1547 du18 novembre 2016, dite « loi J21 ».

newsid:491523

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus