Le Quotidien du 17 janvier 2025 : Actualité judiciaire

[A la une] Les questions que pose le projet de Gérald Darmanin d’enfermer les « cent plus gros narcotrafiquants français » dans une seule et même prison

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[A la une] Les questions que pose le projet de Gérald Darmanin d’enfermer les « cent plus gros narcotrafiquants français » dans une seule et même prison. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/114902118-alaunelesquestionsqueposeleprojetdegeralddarmanindenfermerlescentplusgrosnarcotrafi
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par Vincent Vantighem

le 15 Janvier 2025

Ses détracteurs parlent de « gesticulations » ou « d’activisme ». Lui préfère parler « d’énergie » et de « méthode ». La méthode mise en place il y a des années par son mentor, Nicolas Sarkozy. Après une pause de trois mois consécutive à la dissolution, Gérald Darmanin a retrouvé une place au gouvernement de François Bayrou en devenant, fin décembre, Garde des Sceaux, ministre de la Justice. Quelques centaines de mètres seulement séparent l’hôtel de Beauvau de la place Vendôme. Aussi, pas question de changer de fonctionnement pour l’élu tourquennois (Nord). De déplacements dans les tribunaux aux établissements pénitentiaires, Gérald Darmanin occupe l’espace. Sur le terrain évidemment mais aussi dans les médias.

Après une première annonce dans les colonnes du Parisien, le 28 décembre, il a confirmé, dimanche 12 janvier, sur l’antenne de LCI, son projet de réunir dans une seule et même prison française les cent plus gros narcotrafiquants. Si personne n’oserait nier sa volonté d’agir dans un gouvernement qui semble, comme son prédécesseur, en sursis permanent, l’annonce n’a pas manqué de faire réagir dans les rangs de la pénitentiaire mais aussi de la magistrature.

Concrètement ? « Nous allons prendre une prison française, on va la vider des personnes qui y sont et on y mettra, puisqu’on l’aura totalement isolée, totalement sécurisée, avec des agents pénitentiaires particulièrement formés, anonymisés, les cent plus gros narcotrafiquants. On va montrer que, quand on est en prison et qu’on est un narcotrafiquant, on ne peut pas téléphoner et on ne peut pas avoir une vie agréable », a-t-il ajouté sur LCI. Pas besoin d’en dire davantage pour que chacun pense aux têtes de pont de la DZ Mafia qui, depuis leur cellules, sont accusés de poursuivre tranquillement leurs petits trafics. Et à Mohamed Amra qui a pu utiliser, en l’espace de quelques mois avant de s’évader, neuf téléphones portables, alors qu’il se trouvait derrière les barreaux.

Quel établissement pour accueillir les « gros poissons » ?

Mais évidemment, l’annonce du Garde des Sceaux pose question. Plusieurs questions. La première d’entre elles étant sûrement de savoir à quel établissement pénitentiaire il pense pour son projet. On le sait bien : créer une nouvelle prison est une mesure qui prend entre cinq et sept ans. Plutôt que de se lancer dans de grands projets architecturaux, Gérald Darmanin entend donc se baser sur l’existant … sans préciser lequel. Selon les informations de Lexbase, ses services ont déjà ciblé deux établissements qui pourraient faire l’affaire. Notamment le centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), construit récemment et qui répond déjà à certaines exigences sécuritaires. Mais que faire des détenus qui y demeurent actuellement ? Que faire de Salah Abdeslam, le dernier terroriste vivant des attentats du 13-Novembre ? Et Redoine Faïd qui a, encore récemment, été placé en garde à vue pour de prétendus projets d’évasion ? Le ministre considère-t-il qu’ils font partie des « plus gros narcotrafiquants » ? Ou faudra-t-il leur trouver un point de chute avant de réattribuer leurs cellules ?

C’est toute la question du projet de la place Vendôme. Interrogé à ce sujet, son entourage refuse pour le moment d’indiquer si les détenus visés sont des personnes définitivement condamnées ou en détention provisoire dans l’attente de leurs procès. Parce que cela pose une question de droit ? Voire même de philosophe ? Peut-on considérer qu’une personne présumée innocente fait partie des « cent plus gros narcotrafiquants » du pays ? Sur ce point, la place Vendôme se contente de répondre qu’il y a des « choses à inventer , en faisant notamment référence à l’Italie qui a mis en place un système similaire il y a une vingtaine d’années pour rompre avec les années mafieuses.

Des prisons surpeuplées et des conditions de détention dignes exigées

Au-delà de l’aspect purement logistique d’un tel projet à l’heure où les prisons françaises débordent (80 792 détenus pour 62 404 places opérationnelles au 1er décembre 2024, soit un taux d’occupation de 129,4%), c’est aussi l’aspect humain qui interroge. Gérald Darmanin a donc martelé sur LCI qu’être en prison ne devait pas permettre d’avoir une « vie agréable ». Une notion qui ne semble plus faire débat depuis le dernier grand prix de kart de la prison de Fresnes (Val-de-Marne), à l’été 2023. Le droit français ne prévoit pas de « vie agréable » aux personnes condamnées. En revanche, il impose des « conditions de détention dignes » qui passent notamment par le maintien des liens familiaux. Comment faire pour que les cent plus gros narcotrafiquants qui seront donc issus des quatre coins de la métropole pour maintiennent leurs liens ? Comment organiser les parloirs ? De même, on ignore aussi si Gérald Darmanin entend placer tous ces détenus à l’isolement permanent pour éviter les trafics et les ententes. Dans un tel cas, ce projet risque d’entraîner une avalanche de recours de la part de détenus qui pourraient, et auraient le droit, de contester ces mesures.

Comment les juges d’instruction vont-ils pouvoir travailler ?

Gérald Darmanin, lui, préfère parler du problème général que des questions d’intendance légitimes. Il rappelle à qui mieux mieux le rapport sénatorial de mai 2024 qui a estimé que la France était « submergée par le narcotrafic » et qu’il faut donc agir. Là encore, personne ne pourrait lui opposer quoi que ce soit, tant l’actualité est rythmée par les narchomicides de la région marseillaise quand ce ne sont pas ceux de Nîmes, d’Avignon ou de Grenoble. Mais comment définir les choses ? Interrogé, l’entourage du ministre explique que la liste des « cent plus gros » a été dressée en lien avec les services de police, de gendarmerie et du renseignement pénitentiaire. Les chats ne font pas des chiens et Gérald Darmanin n’oublie pas son long bail au sein de la place Beauvau. Mais dans l’équation, il semble y avoir un absent de taille : la magistrature. Pourquoi ne pas avoir consulter les magistrats spécialisés ? Notamment ceux de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) à Paris ou encore ceux des Juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), à commencer par celle de Marseille (Bouches-du-Rhône).

Si le projet du ministre est d’embastiller au même endroit cent détenus définitivement condamnés, aucun souci ! Mais s’il s’agit de prévenus encore au cœur d’informations judiciaires, cela pose question. Comment les juges vont-il s’organiser pour entendre, auditionner, confronter les prévenus en l’attente de leurs procès ? Après l’évasion sanglante de Mohamed Amra sur le péage d’Incarville, la question des transferts pénitentiaires est dans toutes les têtes. A moins que le ministre ne grave dans le marbre de sa réforme l’obligation d’utiliser, pour les magistrats, l’option de la visioconférence, ce à quoi ils ne sont pas tous favorables.

« Je n’ai pas besoin de passer par la loi, a résumé Gérald Darmanin. J’ai juste besoin d’un peu d’argent et on verra ça d’ici à cet été. » Si le Gouvernement de François Bayrou survit, son ministre de la Justice devrait organiser plusieurs déplacements pour en dire davantage».
 

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