Le Quotidien du 2 février 2024 : Aide juridictionnelle

[Textes] Revalorisation de l’aide juridictionnelle : une nouvelle étape de la politique nationale de l’amiable

Réf. : Décret n° 2023-1299 du 28 décembre 2023 portant diverses dispositions en matière d'aide juridictionnelle et d'aide à l'intervention de l'avocat dans le cadre des modes amiables de règlement des différends et extension du dispositif de la convention locale relative à l'aide juridique à la Nouvelle-Calédonie N° Lexbase : L9083MKM

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par Fabrice Vert, premier vice-président au tribunal judiciaire de Paris, membre du Conseil national de la médiation, ambassadeur de l’amiable

le 01 Février 2024

Mots-clés : Texte • aide juridictionnelle • avocat • amiable • MARD

Le décret n° 2023-1299 du 28 décembre 2023 portant diverses dispositions en matière d’aide juridictionnelle et d’aide à l’intervention de l’avocat dans le cadre des modes amiables de règlement des différends et extension du dispositif de la convention locale relative à l’aide juridique à la Nouvelle-Calédonie est venue clôturer une année 2023, riche en matière amiable qui était l’« une des priorités absolues » du ministre de la Justice durant l’année passée et qui le restera en 2024 comme annoncé par ce dernier à la suite du bilan dressé de l’année écoulée avec les ambassadeurs de l’amiable le 16 janvier 2023 .


 

2023 : lancement d’une politique nationale de l’amiable

À la suite du rapport du Comité des États généraux de la justice « Rendre justice aux citoyens » qui faisait le constat d’un « état de délabrement avancé » de l’institution judiciaire et en particulier de la justice civile après des décennies d’abandon, le ministre de la Justice outre l’annonce de recrutements importants de magistrats et de fonctionnaires de justice, a décidé le 13 janvier 2023 de lancer une politique nationale de l’amiable, impulsant un changement de paradigme dans le rôle de l’avocat et dans l’office du juge civiliste de nature à redonner du sens à une fonction vivant une crise de vocation et à replacer au centre du dispositif le justiciable .

Cette politique nationale, s’inspirant de modèles étrangers mais aussi de propositions de pionniers de l’amiable en France, s’est déclinée en plusieurs étapes :

  • Éric Dupond Moretti a ouvert le 25 mai 2023, au Conseil de l’Europe à Strasbourg les 9èmes assises internationales de la médiation célébrant les 20 ans du « Groupement Européen Des Magistrats Pour La Médiation » (GEMME). Après avoir insisté sur la formation des acteurs judiciaires à l’amiable, le garde des Sceaux a indiqué que sera introduit le principe de coopération des acteurs du procès civil et celui de proportionnalité procédurale.
  • La création par le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 N° Lexbase : L3217MIY de deux nouveaux mécanismes amiables, l’audience de règlement amiable (ARA) et la césure :

- la césure consistant à ce que le juge statue sur le point nodal du litige qui lui est soumis, par exemple la responsabilité ou la prescription, puis, après avoir tranché cette question, à renvoyer les parties à un mode amiable pour évaluer notamment les préjudices ;

- l’audience de règlement amiable (ARA), inspirée de la conférence de règlement à l’amiable québécoise, participant de la renaissance de l’office conciliatoire du juge, cette audience étant présidée par un juge distinct du juge saisi du litige tenue en chambre du conseil, avec une confidentialité des échanges et la possibilité d’organiser des apartés.

  • Le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 N° Lexbase : L6288MHD a réécrit l’article 750-1 du CPC N° Lexbase : L6401MHK, prévoyant l’obligation d’un recours préalable à un mode amiable de résolution (médiation, conciliation de justice, convention de procédure participative) avant toute action judiciaire notamment pour les litiges jusqu’à 5000 euros ou les troubles anormaux de voisinage.
  • L’installation en mai 2023 du Conseil national de la médiation (créé par la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire) placé auprès du ministre de la Justice, chargé notamment de rendre des avis dans le domaine de la médiation, de proposer aux pouvoirs publics toutes mesures propres à l'améliorer, de proposer un recueil de déontologie applicable à la pratique de la médiation, de proposer des référentiels nationaux de formation des médiateurs ;
  • La désignation le 12 mai 2023 par le ministre de la Justice de 9 ambassadeurs de l’amiable (3 magistrats, 3 avocats médiateurs, 3 professeurs de droit) avec pour mission notamment d'accompagner la politique nationale de l’amiable sur le terrain, au plus près des acteurs concernés dans les juridictions et de permettre l’appropriation des nouveaux et anciens mécanismes de l’amiable dans les meilleures conditions.
  • Le 17 octobre 2023 à la cour d’appel de Paris, Éric Dupond Moretti a annoncé toutes une série de nouvelles mesures qui devraient se matérialiser en 2024 de nature à faire de la médiation, de la conciliation et des mécanismes amiables des modes habituels de règlement des litiges : sensibilisation à l’amiable dans les universités, revalorisation de l’aide juridictionnelle en cas de résolution amiable du litige, prise en compte dans l’évaluation des magistrats de leur engagement pour développer l’amiable, mise à jour des applicatifs métiers
  • Une circulaire du 17 octobre 2023 est venue préciser les modalités de mise en œuvre des deux nouveaux mécanismes de règlement amiable des litiges que sont l’Audience de Règlement Amiable et la césure du procès ainsi que la mise en œuvre de la nouvelle version de l’article 750-1 du Code de procédure civile sur l’amiable préalable obligatoire dans certains contentieux.

Le décret de revalorisation de l’aide juridictionnelle participe d’un accès égalitaire aux modes amiables

L’annonce faite par le garde des Sceaux le 17 octobre 2023 de revalorisation de l’aide juridictionnelle a été réalisée par le décret n° 2023-1299 du 28 décembre 2023.

Une politique publique nationale de l’amiable doit permettre à chacun de nos concitoyens, sur tout le territoire national de pouvoir bénéficier d’un mode amiable pour résoudre ses conflits, s’agissant d’un instrument constituant une chance supplémentaire de régler rapidement et efficacement un litige, et un financement de ces modes amiables doit être organisé pour les justiciables les plus défavorisés.

Plusieurs dispositifs permettent déjà un accès gratuit aux modes amiables comme l’institution des conciliateurs de justice qui sont plus de 2600 et qui, soit sur saisine directe, soit sur délégation de certains juges peuvent dans de nombreux contentieux, notamment de la vie quotidienne concilier bénévolement des parties en conflit. La médiation familiale quant à elle bénéficie d’un financement croisé modulant le coût d’une séance de médiation en fonction des revenus des médiés. Plus méconnu, le réseau national d’accès au droit et de la médiation (RENADEM) regroupe des médiateurs citoyens d’origine professionnelle diverse, bénévoles mais formés à la médiation et supervisés, et offre un service de médiation gratuit. L’assurance de protection juridique peut également assurer un financement de l’amiable. En outre, il existe de nombreux médiateurs institutionnels ou sectoriels dont l’accès est gratuit. Enfin, un projet de plateforme numérique de l’amiable est actuellement à l’étude à la Chancellerie .

Un nouveau barème consacrant un changement de paradigme valorisant l’avocat accompagnateur d’un mode amiable

Mais la refonte du système d’aide juridictionnelle en matière amiable était particulièrement attendue pour permettre aux justiciables les plus défavorisés d’accéder à la voie amiable dans le cadre contentieux ou précontentieux, étant observé que jusqu’à ce décret le système ne valorisait pas la voie amiable et même au contraire la défavorisait, car l’avocat d’une partie bénéficiant de l’AJ était moins rétribué en cas d’accord au cours de l ’instance (que celui qui obtenait un jugement de fond) alors qu’il avait accompli de nombreuses diligences pour accompagner son client dans la voie amiable .

Le nouveau décret consacre un changement important de paradigme symbolique et matériel puisque désormais l’avocat à l’AJ qui accompagnera son client dont le litige se résoudra par un accord (issu de pourparlers transactionnels, ou d’une convention de procédure participative) sera rétribué 50 % de plus que si le litige se termine par une décision tranchant le litige.

Le décret incite également les belligérants à trouver un accord par la voie de la médiation en modulant et majorant de la manière suivante le nombre d’unités de valeurs de référence accordées à l’avocat bénéficiant de l’aide juridictionnelle :

 

 - médiation judiciaire sans accord : huit UV ;

 - médiation judiciaire avec accord partiel rédigé par l’avocat : douze UV ;

 - médiation judiciaire avec accord rédigé par l’avocat mettant fin à l’entier différend : seize UV.

Le décret prévoit une modulation identique en cas d’audience de règlement amiable.

Le nombre d’UV passe également de huit à douze UV en cas de demande d’homologation d’un accord conventionnel, les diligences accomplies par l’avocat aux fins d’un accord transactionnel étant ainsi plus justement rémunérés.

Ce décret innove également par l’instauration d’un barème à l’acte pour les conventions de procédure participative aux fins de mise en état qui permettra à l’avocat d’être rétribué (outre pour la convention elle-même) pour les actes accomplis à l’occasion de cette procédure participative (consignation des auditions des parties, entendues successivement en présence de leurs conseils, comportant leur présentation du litige, leurs prétentions, les questions de leurs avocats ainsi que leurs réponses et les observations qu’elles souhaitent présenter, consignation des déclarations de toute personne acceptant de fournir son témoignage sur les faits auxquels il a assisté ou qu’il a personnellement constatés, recueillies ensemble par les avocats, spontanément ou sur leur interrogation, consignation des constatations ou avis donnés par un technicien recueillies ensemble par les avocats, en cas de recours à un technicien mentionné aux articles 1546-3, 4° N° Lexbase : L9362LTW, et 1547 N° Lexbase : L8362IR7 à 1554 N° Lexbase : L5425L8G du Code de procédure civile).

Il est à espérer que cette incitation financière permettra un développement de la convention de procédure participative de mise en état très peu utilisée malgré ses nombreux avantages.

Une rétribution de l’avocat dans le cadre de l’AJ est également prévue en cas de recours au mécanisme de la césure.

Enfin, ce décret améliore les conditions de rémunération du médiateur judiciaire en lui garantissant un minimum de rétribution lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle.

Le décret prévoit un plancher minimum de rétribution fixé à la moitié du maximum. Lors de sa taxation, la rétribution du médiateur fixée par le magistrat taxateur oscillera entre un minimum de 128 euros HT et un maximum de 256 euros HT lorsqu’une seule partie bénéficie de l’aide juridictionnelle. Lorsque plusieurs bénéficient de l’aide juridictionnelle, le montant total de la rétribution est fixé au minimum à 256 euros HT et au maximum à 512 euros HT.

Des mécanismes d’incitations financières favorisant le recours à l’amiable

Ce décret est une avancée indéniable pour permettre aux plus démunis de recourir à un mode amiable, mais instaure aussi un barème de rétribution des avocats les incitant à aider leurs clients à trouver une issue amiable à leur conflit, ce qui est particulièrement remarquable.

Dans de nombreux pays, ce sont des incitations financières qui ont été organisées pour favoriser le recours à la voie amiable. Au Québec, des séances de médiations sont offertes gratuitement aux justiciables en matière familiale et désormais pour les petites créances un système de médiation obligatoire est mis en œuvre, gratuitement pour les justiciables. Dans de nombreux pays, comme en Allemagne, les frais de justice sont moindre en cas de résolution à l’amiable du litige tandis que d’autres pays avec notamment le système de l’adverse costs order sanctionnent financièrement la partie qui de manière déraisonnable refuse un accord.,

En France, dans ce sens, l’article 27 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027 N° Lexbase : L2962MKW prévoit, devant les futurs tribunaux des affaires économiques, qu’une contribution pour la justice économique est due par la partie demanderesse(sont concernées les personnes physiques ou morales employant plus de 250 salariés) lors de l’introduction de l’instance, dans la limite de 5 % du montant du litige et pour un montant maximal de 100 000 euros, ce barème tenant compte du montant de la demande, de la nature du litige, de la capacité contributive de la partie demanderesse

Cet article ajoute que cette contribution n’est pas due notamment en cas de recours à un mode amiable de règlement du différend emportant extinction de l’instance et de l’action ou de désistement, et qu’il est procédé au remboursement de la contribution. En cas de comportement dilatoire ou abusif, une amende civile peut être prononcée dans les conditions de l’article 32-1 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6815LE7.

Cet aspect d’incitations financières est essentiel pour consacrer une politique nationale effective de l’amiable.

Un rapport de 2011 du Parlement européen (direction générale des politiques internes, « Quantifiant the cost of not using mediation », PE 453, 180) sur la « quantification du non-recours à la médiation » a constaté que le coût moyen d’une action en justice dans l’Union européenne était de 10 449 euros, tandis que le coût moyen de la médiation était de 2 497 euros. En conséquence, lorsque la médiation est réussie, il est économisé plus de 7 500 euros par conflit. Le point d’équilibre pour le coût est de 24 % de réussite des médiations[1].

L’aspect économique doit faire partie intégrante de la politique nationale de l’amiable si on veut installer un circuit habituel de règlement amiable dans les juridictions, et la rétribution des avocats doit être intégrée dans cette réflexion.

Il serait également judicieux de confier à des experts renommés une étude scientifique sur les nombreux avantages et bénéfices économiques, directs ou indirects que peut procurer une politique nationale de l’amiable, et qui nous permettrait de mieux évaluer les déterminants du succès ou de l’échec des solutions amiables ainsi que les coûts et les bénéfices « complets » de la médiation comme le suggère régulièrement un des pionniers de la médiation en France, le professeur d’Université Bruno Deffains.

Le garde des Sceaux faisant de l’amiable en 2024 l’une de ses priorités absolues, le chantier de l’amiable se poursuit avec une mobilisation sans faille de tous ses acteurs, au service d’une justice garante de la paix sociale et accessible à tous.

 

[1] H. Dheghani-Azar et F. Vert, Médiation : comment trouver les 50 milliards !, Gazette du palais, 30 avril 2014.

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