Jurisprudence : CE 3/8 ch.-r., 10-12-2021, n° 457050



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 457050

Séance du 01 décembre 2021

Lecture du 10 décembre 2021

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème chambres réunies)


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 27 septembre et 19 novembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la société en nom collectif (SNC) MCC Axes demande au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 juillet 2021 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté sa demande tendant à l'abrogation des paragraphes nos 1, 10 et 20 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 et des paragraphes nos 1, 10, 20 et 45 des commentaires administratifs publiés sous la même référence les 4 avril 2018, 7 juin 2018 et 16 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;

- les arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne C-434/05 du 14 juin 2007, Horizon college, C-445/05 du 14 juin 2007, Werner Haderer et C-449/17 du 14 mars 2019, A et G Fahrschul-Akademie GmbH ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de l'éducation ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 2 décembre 2021, présentée par la société MCC Axes ;

Considérant ce qui suit :

1. La société MCC Axes demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le refus du ministre de l'économie, des finances et de la relance d'abroger les paragraphes nos 1, 10 et 20 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts les 12 septembre 2012 sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 et les paragraphes n os 1, 10, 20 et 45 des commentaires administratifs publiés sous la même référence les 4 avril 2018, 7 juin 2018 et 16 octobre 2019, par lesquels celui-ci a fait connaître son interprétation des dispositions du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛, relatives, notamment, à l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons de biens et prestations de services se rapportant à l'enseignement scolaire et universitaire.

Sur les interventions :

2. Les sociétés Cote Ouest Services 2, MHM Formation, Française d'Enseignement et de Formation et M. F C justifient d'un intérêt suffisant à l'annulation du refus d'abrogation attaqué. Leurs interventions au soutien de la requête de la société MCC Axes sont par suite recevables.

Sur la recevabilité de la requête :

3. Les commentaires administratifs des dispositions du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛 publiés les 12 septembre 2012, 4 avril 2018 et 7 juin 2018 se sont respectivement substitué les uns aux autres, la plus récente de ces versions ayant elle-même été remplacée depuis le 16 octobre 2019 par de nouveaux commentaires des mêmes dispositions législatives. Par suite, la demande tendant à l'annulation du refus du ministre de procéder à l'abrogation des versions de ces commentaires antérieures à celle publiée le 16 octobre 2019, dépourvue d'objet à la date de son introduction, est irrecevable.

Sur le cadre juridique applicable :

4. Aux termes de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : () / i) l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse, l'enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d'autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l'État membre concerné ; / j) les leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire ; () ".

5. Au sens de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par ses arrêts du 14 juin 2007, Horizon college, (C-434/05) et du 14 mars 2019, A et G Fahrschul-Akademie GmbH (C-449/17), les prestations d'enseignement scolaire ou universitaire exonérées sont celles qui sont rendues dans le cadre d'un système intégré qui inclut concomitamment des éléments relatifs aux relations s'établissant entre enseignants et étudiants ainsi que ceux formant le cadre organisationnel des établissements, dont l'objet est la transmission en son sein de connaissances et de compétences portant sur un ensemble large et diversifié de matières, ainsi qu'à l'approfondissement et au développement de ces connaissances et de ces compétences par les élèves et les étudiants au fur et à mesure de leur progression au sein des différents degrés constitutifs de ce système.

6. Par ailleurs, il ressort de la lettre même des dispositions du j du 1 de l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006, lesquelles doivent être lues indépendamment de celles du i du même 1, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 14 juin 2007, Werner Haderer (C-445/05), que l'exonération qu'elles prévoient pour les " leçons () portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire " ne bénéficie qu'aux leçons données, dans des matières relevant de ces enseignements, par des enseignants intervenant à titre personnel. De telles leçons, lorsqu'elles sont données par les enseignants dans le cadre de l'activité d'une personne morale qui les emploie n'entrent pas dans le champ de ces dispositions. Elles peuvent toutefois être exonérées sur le fondement du i précité si elles participent d'une activité d'enseignement scolaire ou universitaire, au sens rappelé au point précédent, exercée par l'établissement qui les fournit.

7. Aux termes de l'article 261 du code général des impôts🏛, par lequel la France a transposé ces dispositions : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : () / 4. () / 4° a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre : / de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés régis par les articles L. 151-3, L. 212-2, L. 424-1 à L. 424-4, L. 441-1, L. 443-1 à L. 443-5 et L. 731-1 à L. 731-17 du code de l'éducation🏛🏛🏛 ; () / b. les cours ou leçons relevant de l'enseignement scolaire (), dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves () ". Aux termes de l'article L. 321-4 du code de l'éducation🏛 : " Dans les écoles, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés () ". Aux termes de l'article L. 332-4 du même code🏛 " Dans les collèges, des aménagements particuliers et des actions de soutien sont prévus au profit des élèves qui éprouvent des difficultés () ". Aux termes du douzième alinéa de l'article D. 333-2 du même code🏛 : " Des dispositifs d'accompagnement personnalisé sont mis en place pour tous les élèves selon leurs besoins dans les classes de seconde, première et terminale préparant aux baccalauréats général, technologique et professionnel. Ils comprennent des activités de soutien, d'approfondissement, d'aide méthodologique et d'aide à l'orientation, pour favoriser la maîtrise progressive par l'élève de son parcours de formation et d'orientation () ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

9. La société MCC Axes soutient que les dispositions du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛 citées au point 7 méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, en ce que les exonérations qu'elles prévoient respectivement ne s'étendent pas aux prestations fournies par les organismes de soutien scolaire visés par les articles L. 445-1 et L. 445-2 du code de l'éducation🏛🏛.

10. Toutefois, d'une part, les organismes de soutien scolaire se bornent à dispenser de manière ponctuelle des leçons dans des matières relevant de l'enseignement scolaire et universitaire, sans fournir de prestations d'enseignement scolaire et universitaire, telles que définies au point 5, faisant l'objet du i du 1 de l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006. D'autre part, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que les prestations qu'ils assurent n'entrent pas davantage dans les prévisions du j du 1 du même article.

11. Par suite, en excluant les prestations rendues par les organismes de soutien scolaire du champ des exonérations prévues au a et au b du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛, le législateur s'est borné à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles des i et j du 1 de l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006, sans mettre en cause aucune règle, ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

12. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

13. Eu égard à l'argumentation qu'elle soulève, la société MCC Axes doit être regardée comme contestant le refus d'abroger le dernier alinéa du paragraphe n° 1, le deuxième alinéa du paragraphe n° 10, les premier et troisième alinéas du paragraphe n° 20 et les premier et deuxième alinéas du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019.

14. En premier lieu, la société MCC Axes soutient que ces commentaires réitèrent, au deuxième alinéa de leur paragraphe n° 10 et au premier alinéa de leur paragraphe n° 20, les dispositions du a du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛 qui méconnaitraient elles-mêmes les dispositions du i du 1 de l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006 et le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée en ce qu'elles n'incluent pas dans leur champ les prestations rendues par les organismes de soutien scolaire.

15. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 10, les prestations fournies par les organismes de soutien scolaire ne sauraient être regardées comme des prestations d'enseignement scolaire et universitaire, telles que définies par le i du 1 de l'article 132 de la directive, dans l'interprétation qu'en donne la Cour de justice de l'Union européenne. Par suite, en ne mentionnant pas ces organismes dans la liste figurant au deuxième alinéa du a du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛, le législateur n'a pas méconnu cette directive. Les organismes de soutien scolaire ne pouvant de ce fait être regardés comme ayant des fins comparables à celles des établissements publics d'enseignement scolaire et universitaire, la société requérante ne saurait davantage utilement soutenir que le législateur, en ne les incluant pas dans le champ de l'exonération, aurait méconnu le principe de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée dans l'exercice de la faculté que lui laisse la directive de déterminer les conditions dans lesquelles une personne peut être reconnue comme ayant des fins comparables à de tels établissements.

16. En deuxième lieu, si la société requérante soutient que le troisième alinéa du paragraphe n° 20 méconnaît les dispositions législatives qu'il a pour objet d'éclairer en indiquant que l'exonération s'applique aux opérations effectuées dans le cadre d'un agrément obtenu par l'établissement concerné alors que l'ouverture d'un établissement privé d'enseignement n'est soumis qu'à un régime de déclaration, il ressort des termes mêmes de ce troisième alinéa que l'agrément auquel il fait référence est celui, délivré par leur Etat d'origine, auquel est soumis le bénéfice de l'exonération pour les établissements étrangers implantés en France.

17. En troisième lieu, la société MCC Axes soutient que les commentaires contestés réitèrent, au dernier alinéa de leur paragraphe n° 1 et aux deux premiers alinéas de leur paragraphe n° 45, des dispositions législatives qui méconnaissent les i et j du 1 de l'article 132 de la directive de 2006 en ce qu'ils énoncent que les prestations de soutien scolaire ne sont exonérées que lorsqu'elles sont dispensées soit sous forme de cours particuliers donnés par des personnes physiques rémunérées directement par les élèves, soit dans le cadre de l'activité des établissements d'enseignement publics et privés régis par les dispositions du code de l'éducation mentionnées au deuxième alinéa du a du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts🏛. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 10 qu'en limitant ainsi le champ de l'exonération des cours de soutien scolaire, sans y inclure les cours dispensés par des organismes de soutien scolaire, les dispositions législatives en cause ne méconnaissent pas la directive qu'elles ont pour objet de transposer.

18. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre de l'économie, des finances et de la relance, que la société MCC Axes n'est pas fondée à demander l'annulation du refus d'abroger les commentaires administratifs qu'elle conteste.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les interventions des sociétés Cote Ouest Services 2, MHM Formation, Française d'Enseignement et de Formation et de M. F C sont admises.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société MCC Axes.

Article 3 : La requête de la société MCC Axes est rejetée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société en nom collectif MCC Axes, à la société à responsabilité limitée Cote Ouest Services 2, à la société à responsabilité limitée MHM Formation, à la société par actions simplifiée Française d'Enseignement et de Formation, à M. F C et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 1er décembre 2021 où siégeaient : M. Guillaume Goulard, président de chambre, présidant ; M. Pierre Collin, président de chambre ; M. H K, M. D J, M. I G, M. A L, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat, M. Jean-Marc Vié, maître des requêtes et M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 10 décembre 2021.

Le président :

Signé : M. Guillaume Goulard

Le rapporteur :

Signé : M. Jonathan Bosredon

La secrétaire :

Signé : Mme B E457050- 5 -

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