Le Quotidien du 29 mars 2023 : Bancaire

[Brèves] Crédit immobilier : nécessité de laisser un préavis raisonnable en cas d’échéances impayées

Réf. : Cass. civ. 1, 22 mars 2023, n° 21-16.044, FS-B N° Lexbase : A06929KT

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N4838BZ9

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par Jérôme Lasserre-Capdeville

le 28 Mars 2023

► Crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d’un contrat de prêt immobilier qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable. Une telle clause est alors abusive au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776, du 4 août 2008.

Les banques peuvent logiquement prévoir, dans les contrats de crédit immobilier, des clauses prévoyant la résiliation ou la déchéance du terme.

Il découle d’ailleurs des articles L. 313-50 N° Lexbase : L3840K7D et L. 313-51 N° Lexbase : L3281K9E du Code de la consommation qu’en cas de défaillance de l'emprunteur, le prêteur est susceptible d’exiger le remboursement immédiat du capital restant dû. Dans ce dernier cas, le prêteur est en droit de demander à l’emprunteur défaillant une indemnité qui ne peut excéder un montant qui, dépendant de la durée restant à courir du contrat, est fixé suivant un barème déterminé par décret. Aujourd’hui, cette indemnité ne peut dépasser 7 % des sommes dues au titre du capital restant dû ainsi que des intérêts échus et non versés (C. consom., art. R. 313-28 N° Lexbase : L0661K9D).

La jurisprudence est cependant venue ajouter une étape dans la procédure menant jusqu’au prononcé de cette déchéance du terme. Elle exige désormais, d’un point de vue formel, qu’une mise en demeure ait été réalisée avant le prononcé de la déchéance du terme, sauf si une disposition expresse et non équivoque du contrat ne dispense la banque de la satisfaction de cette exigence. À défaut, la Haute juridiction n’hésite pas à casser les décisions des juges du fond (v. par exemple, Cass. civ. 1, 3 juin 2015, n° 14-15.655, FS-P+B N° Lexbase : A2186NK8 ; Cass. civ. 1, 22 juin 2017, n° 16-18.418, F-P+B N° Lexbase : A1024WK7 ; Cass. civ. 1, 13 mars 2019, n° 17-27.102, F-D N° Lexbase : A0160Y4P ; Cass. civ. 1, 22 mai 2019, n° 18-13.246, FS-D N° Lexbase : A5909ZCT).

Une limite est cependant à observer, en la matière, avec le droit des clauses abusives. Pour mémoire, il résulte de l’article L. 212-1, alinéa 1er, du Code de la consommation N° Lexbase : L3278K9B, que « dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ». Une clause jugée ainsi abusive est réputée non écrite (C. consom., art. L. 241-1 N° Lexbase : L1415K7K).

La décision sélectionnée témoigne alors de l’importance de cette limite.

Faits et procédure. Par acte notarié du 22 juillet 2008, la banque X. avait consenti un prêt immobilier à M. et Mme W. Après déchéance du terme, elle avait engagé une procédure d'exécution forcée sur des immeubles appartenant aux emprunteurs. Ceux-ci avaient invoqué le caractère abusif de la clause de déchéance du terme et de la clause pénale.

La cour d’appel de Metz avait, par une décision du 18 février 2021, rejeté la demande des emprunteurs, fixé la créance de la banque et ordonné la vente forcée par adjudication de leurs immeubles. Les intéressés avaient alors formé un pourvoi en cassation. Plusieurs moyens y étaient invoqués.

Décision. En premier lieu, ils faisaient grief à l’arrêt d’avoir fixé la créance de la banque et d’avoir rejeté leurs demandes, alors que dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont présumées abusives, sauf au professionnel à rapporter la preuve contraire, les clauses ayant pour objet ou pour effet d’imposer au consommateur qui n'exécute pas ses obligations une indemnité d'un montant manifestement disproportionné. Dès lors, en retenant que la clause d’un contrat de prêt immobilier par laquelle le consommateur, débiteur défaillant, devait au créancier professionnel une indemnité contractuelle égale à 7 % du capital restant dû et des intérêts échus et non payés n’était pas abusive, faute de disproportion du montant ainsi stipulé, la cour d’appel aurait violé les articles L. 212-1 et R. 212-2 N° Lexbase : L0547K97 du Code de la consommation.

En outre, ils rappelaient qu’en tout état de cause le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter le montant résultant de l'application d'une clause pénale, si elle est manifestement excessive ou dérisoire, en considération du préjudice subi par le créancier. Dès lors, en retenant que le montant de la clause pénale correspondant à 7 % des sommes dues par les époux à la banque n'était pas disproportionné, sans caractériser le préjudice subi par la banque du fait de l'absence de paiement, la cour d'appel aurait privé sa décision de base légale au regard des articles 1226 N° Lexbase : L1340ABA et 1152 N° Lexbase : L1253ABZ du Code civil, dans leur rédaction applicable à l'espèce, antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131, du 10 février 2016.

La Cour de cassation rejette cependant le moyen.

Selon elle, en ayant relevé que la clause stipulant une indemnité contractuelle de 7 %, prévoyait qu’elle était due au titre du capital restant dû et des intérêts échus et non payés et retenu qu’elle n'apparaissait pas manifestement disproportionnée en son montant, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir que la clause critiquée ne dérogeait pas aux dispositions du Code de la consommation et que les emprunteurs ne démontraient pas qu’elle créait un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, en avait déduit à bon droit que celle-ci n'était pas abusive.

Cette solution emporte l’adhésion. Une indemnité de 7 %, qui correspond au maximum envisagé par l’article art. R. 313-28 du Code de la consommation, n’est pas en soi abusive. Il ne peut en aller différemment que si l’emprunteur parvient à démontrer qu’elle crée à son détriment un déséquilibre significatif.

En second lieu, les emprunteurs considéraient qu’est abusive la clause d’un prêt, conclu entre un établissement prêteur professionnel et un consommateur, par laquelle le créancier s’autorise, en raison d’un manquement du débiteur à son obligation de rembourser tout ou partie d’une échéance du prêt au jour prévu, de prononcer la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure infructueuse d’avoir à régler, sans mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement. Or, en l’espèce, la cour d’appel avait constaté que selon l'offre de prêt acceptée par les époux W. :  « le contrat de prêt sera résilié de plein droit et les sommes prêtées deviendront immédiatement exigibles, huit jours après une simple mise en demeure adressée l'emprunteur, par lettre recommandée avec avis de réception ou par acte extrajudiciaire, mentionnant l'intention du prêteur de se prévaloir de la clause de résiliation… au gré du prêteur quel que soit le type de prêt… en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur échéance ou de toute somme avancée par le prêteur ». La cour d’appel de Metz avait cependant considéré que la clause précitée n’était pas abusive, au motif qu’elle ne prévoyait pas de faculté de résiliation discrétionnaire et sanctionnait le non-respect de l’obligation essentielle à remboursement, conformément au mécanisme de la clause résolutoire, sans créer aucun déséquilibre significatif, au détriment des emprunteurs consommateurs, entre les droits et obligations des parties, ni n’entraînait une modification majeure de l’économie du contrat. Dès lors, en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations que la clause susmentionnée revêtait un caractère abusif, en ce qu'elle autorisait le prononcé par l'organisme prêteur de la déchéance du terme huit jours seulement après mise en demeure d’avoir à régler les impayés éventuels, et sans prévision d'un mécanisme de nature à permettre la régularisation d'un tel retard de paiement, la cour d'appel aurait violé les articles L. 132-1 N° Lexbase : L6478ABK (devenu l’article L. 212-1) et L. 218-2 du Code de la consommation.

La Haute juridiction se montre réceptive à la critique.

Elle commence par rappeler qu’il résulte de l’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Elle précise ensuite que par un arrêt du 26 janvier 2017 (CJUE, 26 janvier 2017, aff. C-421/14 N° Lexbase : A9995TM7), la Cour de justice de l’Union européenne a dit pour droit que l’article 3, paragraphe 1 de la Directive n° 93/13 N° Lexbase : L7468AU7 devait être interprété en ce sens que, s’agissant de l’appréciation par une juridiction nationale de l’éventuel caractère abusif de la clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations pendant une période limitée, il incombait à cette juridiction d’examiner si la faculté laissée au professionnel de déclarer exigible la totalité du prêt dépendait de l’inexécution par le consommateur d’une obligation qui présentait un caractère essentiel dans le cadre du rapport contractuel en cause, si cette faculté était prévue pour les cas dans lesquels une telle inexécution revêtait un caractère suffisamment grave au regard de la durée et du montant du prêt, si ladite faculté dérogeait aux règles de droit commun applicables en la matière en l’absence de dispositions contractuelles spécifiques et si le droit national prévoyait des moyens adéquats et efficaces permettant au consommateur soumis à l’application d’une telle clause de remédier aux effets de ladite exigibilité du prêt.

De plus, par arrêt du 8 décembre 2022 (CJUE, 8 décembre 2022, aff. C-600/21 N° Lexbase : A02078YC, G. Poissonnier, Lexbase Affaires, janvier 2022, n° 742 N° Lexbase : N3960BZP), la même CJUE a dit pour droit que l’arrêt précité devait être interprété en ce sens que les critères qu'il dégageait pour l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle, notamment du déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au contrat que cette clause créait au détriment du consommateur, ne pouvaient être compris ni comme étant cumulatifs ni comme étant alternatifs, mais devaient être compris comme faisant partie de l’ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d’apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle.

Or, pour exclure le caractère abusif de la clause stipulant la résiliation de plein droit du contrat de prêt, huit jours après une simple mise en demeure adressée à l'emprunteur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte extrajudiciaire, en cas de défaut de paiement de tout ou partie des échéances à leur date ou de toute somme avancée par le prêteur, l'arrêt avait retenu que la déchéance du terme avait été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l'obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire.

Dès lors, en statuant ainsi, alors que la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d’une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, la cour d'appel avait violé le texte précité.

La Cour de cassation casse et annule la décision des juges du fond en ce qu’elle avait rejeté les demandes de M. et Mme W. tendant à voir juger prescrit le titre exécutoire du 22 juillet 2008, fixé la créance de la banque et ordonné la vente forcée par adjudication de leurs immeubles.

La solution retenue peut paraître sévère pour la banque qui ne pourra plus se contenter d’une clause du contrat visant la possibilité pour l’établissement prêteur de résilier ce dernier huit jours après une mise en demeure adressée à l’emprunteur restée sans effet.

La réponse ici donnée par la Cour de cassation présente cependant des incertitudes. D’une part, de combien de jours doit être ce délai pour que le préavis devienne raisonnable ? Dix, quinze, trente jours ? D’autre part, la décision étudiée aura-t-elle des incidences sur le délai figurant classiquement dans la mise en demeure pour que le débiteur puisse honorer les échéances impayées ? Il serait heureux que la Haute juridiction nous éclaire sur ces points. Voilà, au final, une décision bien floue…

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