Le Quotidien du 21 novembre 2022 : Autorité parentale

[Brèves] Condamnation de l’Italie pour avoir contraint des enfants, et leur mère, aux rencontres avec un père violent

Réf. : CEDH, 10 novembre 2022, Req. 25426/20, I.M. et autres c/ Italie N° Lexbase : A13088TM

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N3320BZY

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[Brèves] Condamnation de l’Italie pour avoir contraint des enfants, et leur mère, aux rencontres avec un père violent. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/89868623-0
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par Laure Florent

le 18 Novembre 2022

► Prenant en compte les éléments de fait qui lui ont été soumis, notamment la nécessité d’un soutien psychologique pour les enfants, et le comportement agressif, destructeur et méprisant du père lors des rencontres père-enfants ordonnées par le tribunal, la CEDH en conclut que les enfants ont été contraints de rencontrer leur père dans des conditions ne garantissant pas un environnement protecteur et que, malgré les efforts déployés par les autorités pour maintenir le lien entre leur père et eux, leur intérêt supérieur à ne pas être contraints à des rencontres se déroulant dans les conditions précitées a été méconnu ;
► Ne justifie pas son ingérence dans la vie privée et familiale de la mère, par des motifs pertinents et suffisants, le tribunal qui a suspendu l’autorité parentale de la mère en se fondant sur le comportement prétendument hostile de celle-ci aux rencontres et à l'exercice de la coparentalité par le père sans tenir compte de tous les éléments pertinents de l'affaire.

Faits et procédure. Une mère et ses deux enfants estimaient que l’État italien avait failli à son devoir de protection et d’assistance envers eux lors des rencontres organisées avec le père des enfants, un toxicomane et alcoolique accusé de mauvais traitements et de menaces lors des rencontres.

Les juridictions italiennes avaient également décidé de suspendre l’autorité parentale de la mère, considérée par elles comme un parent « hostile aux rencontres avec le père », au motif qu’elle avait invoqué des faits de violence domestique et le manque de sécurité des rencontres pour refuser d’y prendre part.

Invoquant les articles 3 N° Lexbase : L4764AQI (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 N° Lexbase : L4798AQR (droit au respect de la vie privée et familiale), les requérants estiment être victimes de violences domestiques. Ils font valoir que les rencontres avec le père des enfants ne se seraient pas déroulées dans les conditions de « stricte protection » prescrites par le tribunal et que les manquements des autorités les auraient exposés à de nouvelles violences.

Sous l’angle des mêmes articles, la mère se plaint d’avoir été qualifiée de « parent non coopératif » et d’avoir été suspendue, de ce fait, de son autorité parentale au seul motif, selon elle, qu’elle avait voulu protéger ses enfants en mettant en exergue le manque de sécurité de ceux-ci. Elle estime donc avoir subi une victimisation secondaire.

Intérêt supérieur des enfants à ne pas être contraints à des rencontres dans des conditions ne garantissant pas un environnement protecteur. Concernant la protection de l’intégrité physique et morale d’un individu face à autrui, la Cour rappelle ses propos antérieurs : les obligations positives qui pèsent sur les autorités – dans certains cas en vertu de l’article 2 N° Lexbase : L4753AQ4 ou de l’article 3 de la CEDH, et dans d’autres cas en vertu de l’article 8, considéré seul ou combiné avec l’article 3 – peuvent comporter un devoir de mettre en place et d’appliquer en pratique un cadre juridique adapté offrant une protection contre les actes de violence pouvant être commis par des particuliers (CEDH, 12 novembre 2013, Req. 5786/08, Söderman c/ Suède).

En ce qui concerne les enfants, qui sont particulièrement vulnérables, la Cour rappelle que les dispositifs créés par l’État pour les protéger contre des actes de violence tombant sous le coup des articles 3 et 8 doivent être efficaces et inclure des mesures raisonnables visant à empêcher les mauvais traitements dont les autorités avaient ou auraient dû avoir connaissance ainsi qu’une prévention efficace mettant les enfants à l’abri de formes aussi graves d’atteinte à l’intégrité de la personne (CEDH, 12 novembre 2013, Req. n° 5786/08, Söderman c/ Suède, spéc. § 81, et dans le contexte de la violence domestique, CEDH, 30 novembre 2010, Req. n° 2660/03, Hajduová c. Slovaquie, spéc. § 49). Pareilles mesures doivent viser à garantir le respect de la dignité humaine et la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (CEDH, 20 mars 2012, Req. 26692/05C.A.S. et C.S. c. Roumanie, spéc. § 82).

En l’espèce, la Cour note qu’elle ne comprend pas pourquoi le tribunal italien, auquel des signalements avaient été adressés dès le début, et réitérés par la suite, a décidé de maintenir les rencontres père-enfants alors que le bien-être et la sécurité des enfants n’étaient pas assurés. Elle considère que le tribunal n’a à aucun moment évalué le risque auquel les enfants étaient exposés et n’a pas mis en balance les intérêts en présence. En particulier, la motivation de ses décisions ne fait pas, selon elle, apparaître que les considérations tenant à l’intérêt supérieur des enfants devaient l’emporter sur l’intérêt du père à maintenir des contacts avec eux et à poursuivre les rencontres.

Prenant en compte les éléments de fait qui lui ont été soumis, concernant notamment la nécessité d’un soutien psychologique pour les enfants, et le comportement agressif, destructeur et méprisant du père lors des rencontres, la Cour en déduit que les enfants ont été contraints de rencontrer leur père dans des conditions ne garantissant pas un environnement protecteur et que, malgré les efforts déployés par les autorités pour maintenir le lien entre leur père et eux, leur intérêt supérieur à ne pas être contraints à des rencontres se déroulant dans les conditions précitées a été méconnu. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef des deux enfants.

Atteinte à la vie privée et familiale de la mère. La Cour énonce qu’elle partage les inquiétudes du GREVIO, soulignées dans son rapport d’évaluation de référence sur l’Italie publié le 13 janvier 2020, quant à l’existence d’une pratique, très répandue parmi les tribunaux civils italiens, consistant à considérer les femmes qui invoquent des faits de violence domestique pour refuser de prendre part aux rencontres de leurs enfants avec leur ex-conjoint et s’opposer au partage de la garde avec lui ou à ce qu’il bénéficie d’un droit de visite comme des parents « non coopératifs » et donc des « mères inaptes » méritant une sanction.

En l’espèce, le tribunal n’avait pas pris en compte les difficultés et la violence de la situation, ainsi que la procédure pénale pendante contre le père pour mauvais traitements, alors que, relève la Cour dans le rapport du GREVIO, la sécurité du parent non violent et des enfants devait être un facteur central pour décider de l’intérêt supérieur de l’enfant en matière de garde et de droit de visite.

Les juridictions nationales s’étaient fondées sur le comportement prétendument hostile de la mère aux rencontres et à l’exercice de la coparentalité par le père, sans tenir compte de tous les éléments pertinents de l’affaire, pour retirer l’autorité parentale à la mère.

Elle considère donc que les juridictions italiennes n’ont pas fait état de motifs suffisants et pertinents pour justifier leur décision de suspendre l’autorité parentale de la mère, et ont violé l’article 8 de la CEDH.

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