Le Quotidien du 17 novembre 2022 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] Concentration des moyens en saisie immobilière : précisions

Réf. : Cass. civ. 2, 20 octobre 2022, n° 21-11.783, F-B N° Lexbase : A52308QR

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par Aude Alexandre Le Roux, avocat associé AARPI Trianon Avocats, secrétaire-adjoint de l’AAPPE

le 17 Novembre 2022

Mots-clés : saisie immobilière • commandement valant saisie • compétence • juge de l’exécution • autorité de chose jugée • dommages et intérêts • exécution • audience d’orientation • concentration des moyens

Dans cet arrêt du 20 octobre 2022, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient préciser les conditions d’application de la sanction prévue à l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution tout en rappelant l’office du juge de l’exécution résultant de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire.


 

Les faits de l’espèce sont les suivants :  une banque a procédé à la saisie immobilière de biens appartenant à ses débiteurs en vertu de plusieurs copies exécutoires d’actes notariés contenant prêts.

Les biens saisis ont été vendus soit à l’amiable, soit sur adjudication, dans le cadre de la saisie immobilière ; le prix n’a toutefois pas couvert le solde de la créance du prêteur.

Dans ces conditions, la banque a initié une procédure de saisie des rémunérations pour recouvrement du solde.

Postérieurement à la vente, une des débitrices a saisi le tribunal de grande instance au fond d’une action en responsabilité pour manquements de la banque à ses obligations d'information et de mise en garde lors de la souscription des prêts immobiliers.

Le tribunal de grande instance a déclaré irrecevable l’action de la débitrice et l’a condamnée à payer une indemnité au titre de l’article 700 du Code de procédure civile N° Lexbase : L5913MBM.

Devant la cour d’appel, la débitrice sollicitait l’infirmation du jugement et notamment la condamnation de la banque à lui payer plus de deux millions d’euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices allégués de perte de chance.

La banque soutenait que le principe de concentration des moyens est sanctionné par l’irrecevabilité prononcée d’office en vertu du Code des procédures civiles d’exécution.

Par arrêt du 8 décembre 2020 la cour d'appel de Lyon (CA Lyon, 8 décembre 2020, n° 19/05138 N° Lexbase : A1707394), confirme le jugement déféré ayant déclaré irrecevables les contestations formées sur le fond du droit en vertu de l'autorité de la chose jugée attaché au jugement d'orientation au visa des articles L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L7740LPD et R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution N° Lexbase : L2391ITQ.

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation n’est pas du même avis et casse au visa des articles 1355 du Code civil N° Lexbase : L2391ITQ, de l’article L. 213-6 alinéas 1er, 2, 3 et 4 du Code de l’organisation judiciaire et R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution et annule en toutes ses dispositions l’arrêt du 8 décembre 2020 et renvoie l’affaire devant la cour d’appel de Lyon autrement composée.

Cet arrêt est l’occasion de confronter deux notions d’importance. L’implacabilité du principe édicté à l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution s’en voit atténuée, l’office du juge de l’exécution en matière de saisie immobilière est précisé.

I. Vers une atténuation de la rigueur posée à l’article R. 311-5 du CPCEx ?

A . L’implacabilité de l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution

Le principe de concentration des moyens est, en matière de saisie immobilière, érigé à l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution.

Les praticiens vigilants connaissent bien la rigueur des dispositions de cet article.

Celui-ci énonce qu’aucune contestation ni aucune demande incidente ne peut, sauf dispositions contraires, être formée après l'audience d'orientation, sauf si elle porte sur des actes postérieurs à celle-ci.

Dans cette dernière hypothèse, les contestations devront être émises dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte litigieux.

À retenir : l’obligation de concentration des moyens érigée à l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution participe à la volonté de célérité de la procédure de saisie immobilière depuis sa réforme introduite par l'ordonnance n° 2006-461, du 21 avril 2006 N° Lexbase : L3737HIA.

Ce texte a toujours reçu une application stricte des Hauts magistrats.

Ainsi dès 2011, la deuxième chambre énonçait que c’était « sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales N° Lexbase : L7558AIR que la cour d'appel a décidé que M. et Mme X... n'étaient plus recevables à former des contestations portant sur la procédure antérieure à l'audience d'orientation » et ce dès lors qu’ils y avaient régulièrement été assignés (Cass. civ. 2, 17 novembre 2011, n° 10-26.784, F-P+B N° Lexbase : A9447HZW).

L’office du juge dans l’application de cette règle est en outre prépondérante dès lors que la juridiction doit relever d’office l’irrecevabilité des demandes présentées après l’audience d’orientation (Cass. civ. 2, 14 octobre 2010, n° 09-69.580, F-D N° Lexbase : A4360GCH).

La Cour de cassation faisait même une application extensive de cette règle et jugeait qu’elle devait également recevoir application à l’égard du créancier poursuivant. Ainsi, dans une instance où ce dernier n’avait pas jugé opportun de répliquer aux contestations formées par la partie saisie lors de l’audience d’orientation, elle censurait la cour d’appel qui avait fait droit au moyen d’irrecevabilité de la contestation soulevée par le poursuivant devant la cour (Cass. civ. 2, 22 juin 2017, F-P+B, n° 16-18.343 N° Lexbase : A1123WKS). Cette position d’une extrême fermeté avait emporté un vif débat doctrinal.

L’application stricte de ces dispositions à l’égard de l’ensemble des parties avait encore été renforcée par l’arrêt du 14 novembre 2019 (Cass. civ. 2, 14 novembre 2019, n° 18-21.917, F-P+B+I N° Lexbase : A6600ZY4) aux termes duquel la deuxième chambre civile précisait qu’un simple moyen exposé pour la première fois en cause d’appel contrevenait aux dispositions de l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution. Peu importait que celui-ci ait été exposé en réponse à la fin de non-recevoir tiré de la prescription opposée par le débiteur et que le moyen soulevé ait consisté à opposer la qualité de professionnel du débiteur saisi et, par voie de conséquence se prévaloir de l'application de la prescription quinquennale.

B. La définition des demandes incidentes et contestations soumises à l’article R. 311-5 du CPCEx

L’obligation de concentration des moyens ne doit toutefois pas être mal interprétée.

En effet, si l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution impose au débiteur (et donc à l’ensemble des parties) d’opposer ses contestations et demandes incidentes préalablement à l’audience d’orientation, ou, dans l’hypothèse d’actes postérieurs à celles-ci dans les quinze jours à compter de la notification de ces derniers, il importe de ne pas se méprendre sur les contestations qui entrent dans le champ de ces dispositions.

Cette obligation de concentration des moyens ne saurait porter sur des demandes qui n’entreraient pas dans les attributions du juge de l’exécution, rappelées à l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire, qui tire pourtant de ces dispositions un champ d’intervention très vaste.

À retenir : ainsi, la Cour de cassation, a déjà pu confirmer que constituait une fin de non-recevoir le moyen tiré du défaut de pouvoir juridictionnel de la juridiction et non une exception d'incompétence. Dans cette affaire, une demande de condamnation avait été formée devant le juge de l’exécution à l’égard des notaires résultant de leur responsabilité dans l'inaccomplissement de formalités dans la rédaction de l'acte de vente. La deuxième chambre relève que cette demande est étrangère aux conditions d'exécution de la saisie et n'entrait donc pas dans le champ des attributions du juge de l'exécution qui connaît des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcées (Cass. civ. 2, 8 janvier 2015, n° 13-21.044, F-P+B N° Lexbase : A0821M9B).

Dans une affaire dont les faits de l’espèce se rapprochaient davantage de ceux de l’arrêt commenté ; la deuxième chambre civile avait par un arrêt inédit dressé les contours de la solution dégagée dans l’arrêt du 20 octobre 2022.

Par cette décision du 22 juin 2017 (Cass. civ. 2, 22 juin 2017, n° 15-24.385, F-D N° Lexbase : A1222WKH) la Cour de cassation était venue censurer une cour d’appel ayant confirmé l’irrecevabilité de la demande de dommages et intérêts formée par des débiteurs devant le tribunal de grande instance alors que le juge de l’exécution était par ailleurs saisi d’une procédure de saisie immobilière en jugeant que cette contestation ne relevait pas de sa compétence.

Cette solution peut paraître controversée.

En effet, l’issue de la procédure de saisie immobilière et le bien-fondé des poursuites initiées pourraient naturellement être mises en péril dès lors que la banque, créancier poursuivant, verrait sa responsabilité engagée alors que cette contestation serait opposée préalablement à l’audience d’orientation.

Toutefois la deuxième chambre civile ne semble pas séduite par cette analyse.

La demande de dommages et intérêts qui résulterait d’une faute de la banque ne peut donc être tranchée par le juge de l’exécution dès lors que cette demande n’est pas considérée par la haute juridiction comme constituant une contestation de la procédure de saisie immobilière et que le juge de l’exécution ne peut prononcer des condamnations autres que celles visées aux articles L. 121-2 N° Lexbase : L5805IRG et L.121-3 N° Lexbase : L5806IRH du Code des procédures civiles d’exécution.

II. L’office du JEX

A. Les attributions du juge de l’exécution

Le législateur a entendu doter le juge de l’exécution des plus larges pouvoirs par les dispositions de l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire.

Celui-ci est en effet seul compétent pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires et des difficultés et contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, et ce, même si elles portent sur le fond du droit.

Cette attribution relevait en réalité d’une impérieuse nécessité. Si le juge de l’exécution n’avait pas eu compétence pour connaître des contestations portant sur le fond du droit ; la plupart des procédures d’exécution s’en seraient trouvées totalement paralysées à par des contestations de débiteurs qui n’auraient pas manqué de solliciter nombre de sursis à statuer devant le juge de l’exécution dans l’attente que la difficulté soit tranchée par un juge du fond.

À retenir : le juge de l’exécution connaît également de la procédure de saisie immobilière et de celle de la distribution du prix.

L’unique limite posée au vaste pouvoir du juge de l’exécution par l’article L. 213-6 du Code de l’organisation judiciaire concerne les contestations relevant de l’ordre administratif.

Les pouvoirs du juge de l’exécution sont donc particulièrement larges en sa qualité de juge du principal et sont encore accrus en matière de saisie immobilière.

En effet, par avis du 12 avril 2018 (Cass. avis, 12 avril 2018, n° 15008 N° Lexbase : A2017XLB), la deuxième chambre civile est venue préciser que la fixation du montant de la créance du poursuivant est revêtue de l’autorité de chose jugée au principal.

Le juge de l’exécution statuant en matière de saisie immobilière procèdera donc lors de l’audience d’orientation à la vérification de la conformité du montant de la créance aux énonciations du titre exécutoire et opérera cette vérification même en l’absence de contestations de ce chef en sa qualité de juge du principal (CPCEx., art. R. 121-14 N° Lexbase : L2158IT4).

Le principe de l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution qui impose une rigoureuse concentration des moyens lors de cette audience se trouve quelque peu nuancé par les pouvoirs de vérification du juge de l’exécution qui pourra donc relever d’office certaines difficultés que n’auraient pas soulevées les parties saisies.

L’autorité de chose jugée attachée au jugement d’orientation n’est pas nouvelle et avait déjà été affirmée par arrêt de la Chambre commerciale du 13 septembre 2017 (Cass. com., 13 septembre 2017, n° 15-28.833, F-P+B N° Lexbase : A0870WSZ). Dans cette espèce, la Chambre commerciale avait retenu que l’autorité de chose jugée attachée au jugement d’orientation rendait irrecevable la contestation formée par le liquidateur judiciaire de la société débitrice sur le principe et le montant de la créance.

L’autorité de la chose jugée n’apparaît toutefois pas comme un principe extensif selon la deuxième chambre.

En effet, dans l’arrêt commenté, elle considère que c’est à tort que la cour d’appel a opposé l’autorité de chose jugée attachée au jugement d’orientation pour déclarer irrecevable la contestation de la débitrice pour manquement de la banque à ses obligations, alors que cette demande ne constituait pas une contestation de la saisie immobilière, l’autorité de chose jugée ne pouvait donc trouver application.

L’autorité de chose jugée attachée au jugement d’orientation ne pourra donc être opposée dans une instance postérieure qu’à la condition expresse que le juge de l’exécution ait été compétent pour connaître de la contestation.

À défaut les dispositions de l’article R. 311-5 du Code des procédures civiles d’exécution ne peuvent s’appliquer.

B. Les limitations au pouvoir du juge de l’exécution

Le juge de l’exécution dispose donc d’attributions très larges confiées par le législateur.

La jurisprudence dresse régulièrement leurs limites.

Ainsi, bien que compétent pour connaître des difficultés relatives aux titres exécutoires, le juge de l’exécution est incompétent pour connaître de ces difficultés en l’absence de mesures conservatoires ou d’exécution. La Cour de cassation le rappelle régulièrement. (Cass. civ. 2, 25 mars 2021, n° 19-25.156, F-P N° Lexbase : A66824MG).

Il est également indispensable de prendre en compte avec précision les demandes qui pourront lui être soumises dès lors que le juge de l’exécution dispose d’un pouvoir de condamnation limité par les articles L. 121-2 et L. 121-3 du Code des procédures civiles d’exécution.

Ainsi, le juge de l’exécution peut prononcer uniquement deux types de condamnation s’agissant de dommages et intérêts : celle du créancier en cas d’abus de saisie ou celle du débiteur dans l’hypothèse d’une résistance abusive de ce dernier.

Toutefois, il n’entre pas dans ses attributions de se prononcer sur une demande de condamnation à des dommages et intérêts contre le créancier saisissant qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure.

C’est précisément l’apport de l’arrêt commenté.

Le créancier bancaire qui a procédé à la vente des biens de son débiteur n’est donc pas à l’abri et peut encore voir sa responsabilité engagée à l’issue d’une procédure de saisie immobilière…

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