Le Quotidien du 12 août 2022 : Procédure prud'homale

[Jurisprudence] La Chambre sociale de la Cour de cassation sonne-t-elle le glas d’une clause de médiation contenue dans un contrat de travail ?

Réf. : Cass. avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, FS-B N° Lexbase : A090977S

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par Véronique Hardouin, Avocate associée DROITFIL Avocats, Médiatrice et Praticienne en processus collaboratif

le 05 Août 2022

Mots-clés : clause préalable de conciliation • clause de différend • contrat de travail • procédure de conciliation préliminaire et obligatoire • médiation • MARD

En raison de l'existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l'occasion de ce contrat n'empêche pas les parties de saisir directement le juge prud'homal de leur différend.


La Chambre sociale de la Cour de cassation a reçu, le 15 mars 2022, une demande d’avis formée par la cour d’appel de Colmar dans une instance opposant un salarié à son employeur, formulée en ces termes :

 « La convention instituant un préliminaire obligatoire de médiation s'impose-t-elle au juge du fond dès lors que les parties l'invoquent et doit-elle en conséquence entraîner l'irrecevabilité d'une demande formée sans que la procédure de médiation ait été mise en œuvre ? »

La Cour de cassation répond le 14 juin 2022 par la négative :

« En raison de l'existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de médiation préalable en cas de litige survenant à l'occasion de ce contrat n'empêche pas les parties de saisir directement le juge prud'homal de leur différend », au visa de l’article L. 1411-1 du Code du travail [1].

Les praticiens attendaient avec curiosité voire impatience la position actuelle de la Cour de cassation sur la validité des clauses préalables de conciliation ou de médiation contenues dans un contrat de travail.

La pratique qualifie les clauses de médiation ou de conciliation inscrites dans des contrats intéressants de nombreux domaines comme des « clauses de différend ». Ces clauses trouvent leur source dans le contrat et ont pour objet de prévoir, dès la rédaction et la conclusion du contrat, la façon dont sera réglé un éventuel différend afférent à ce contrat.

Pour être valables, les clauses de différend ne doivent pas :

  • porter d’atteinte substantielle au droit au juge (l’accès au juge des référés reste possible) ;
  • être abusives ;
  • engendrer un avantage excessif.

En tout état de cause, ces clauses n’interdisent pas la saisine du juge, mais elles imposent, si elles sont valables, une tentative de conciliation ou de médiation en amont de la saisine du juge. La sanction est une fin de non-recevoir au visa des articles 122 N° Lexbase : L1414H47 et 124 N° Lexbase : L1417H4A du Code de procédure civile.

La question de la validité et des effets des clauses de différend avait été (apparemment) tranchée par la Cour de cassation, réunie en chambre mixte (comprenant la Chambre sociale), par une décision du 14 février 2003 [2], qui avait posé le principe suivant :

« Mais attendu qu'il résulte des articles 122 et 124 du nouveau Code de procédure civile que les fins de non-recevoir ne sont pas limitativement énumérées ; que, licite, la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, dont la mise en œuvre suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription, constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent ».

Cette position semblait devoir être suivie par la Chambre sociale.

Néanmoins, une décision ultérieure de la Chambre sociale de la Cour de cassation, en date du 5 décembre 2012 [3], avait remis en cause ce principe en matière prud’homale.

En effet, la Cour de cassation censure la décision de la cour d’appel : « en raison de l'existence en matière prud'homale d'une procédure de conciliation préliminaire et obligatoire, une clause du contrat de travail qui institue une procédure de conciliation préalable en cas de litige survenant à l'occasion de ce contrat n'empêche pas les parties de saisir directement le juge prud'homal de leur différend ».

Cette décision a été rendue au visa de l'article L. 1411-1 du Code du travail N° Lexbase : L1878H9G [4], qui rappelle la phase préliminaire de conciliation en matière prud’homale.

Une des particularités des prud’hommes est en effet que la phase judiciaire comporte un préliminaire de conciliation devant le « bureau de conciliation », devenu « bureau de conciliation et d’orientation » (BCO). Ce préliminaire, « cœur de la prud’homie », est un principe obligatoire et constitue une formalité substantielle ayant un caractère d’ordre public.

Ce principe connaît certes des exceptions importantes en pratique. Il n’y a en effet pas de préliminaire de conciliation dans l’hypothèse d’une procédure de référé, ou encore, par exemple, de demandes de requalification du contrat de travail (C. trav., art. L. 1245-2 N° Lexbase : L1491H94), d'une mission d'intérim (C. trav., art. L. 1251-41 N° Lexbase : L1598H93), d'une prise d'acte de la rupture (C. trav., art. L. 1451-1 N° Lexbase : L6248I3S). Dans ces dernières hypothèses, c’est le bureau de jugement qui est directement saisi sans étape devant le bureau de conciliation et d’orientation. Mais la conciliation reste un principe directeur de la procédure prud’homale.

Par sa décision du 5 décembre 2012, la Chambre sociale de la Cour de cassation refusait donc d’appliquer la solution posée par la décision du 14 février 2003, à savoir la sanction d’irrecevabilité. La Cour admettait la validité de la clause, mais la privait d’efficacité. En d’autres termes, elle était inopposable aux parties.

Néanmoins, cette décision avait été rendue avant le décret n° 2016-660, du 20 mai 2016 N° Lexbase : L2693K8A, qui a ouvert les modes amiables de règlement des litiges aux conflits du travail (C. trav., art. R. 1471-1 N° Lexbase : L6685LEC). En effet, la loi n° 2015-990, du 6 août 2015, pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques N° Lexbase : L4876KEC, a abrogé l’article 24 de la loi n° 95-125, du 8 février 1995 N° Lexbase : L1139ATD, qui limitait la validité des clauses préalables de médiation aux seuls litiges de droit du travail transfrontaliers.

Cette loi et son décret d’application du 20 mai 2016 ont également instauré de nouveaux outils de « conciliation et de médiation ». Cette loi a aussi augmenté les pouvoirs du bureau de conciliation, devenu bureau de conciliation et d’orientation, qui peut notamment enjoindre les parties de rencontrer un médiateur à tous les stades de la procédure. Ce n’est qu’à défaut d’accord constaté devant le bureau de conciliation et d’orientation que l’affaire est renvoyée devant le « bureau de jugement », lequel statue sur le fond.

Avec l’ouverture des modes amiables de règlement des litiges aux conflits du travail par ce dernier décret, la question s’est posée de savoir si la Cour de cassation maintiendrait sa position.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a reçu une demande d’avis, formée le 22 février 2022 par la cour d’appel de Colmar.

Pour mémoire, pour que le juge d'un tribunal ou d'une cour d'appel puisse obtenir de la Cour de cassation un éclairage sur une question de droit, l'objet de sa demande doit répondre à un certain nombre de critères.

La question posée doit :

  • être nouvelle ;
  • être de pur droit ;
  • présenter une difficulté sérieuse ;
  • se poser dans de nombreux litiges.

Une demande d’avis a pour effet de suspendre la procédure, la Cour de cassation ayant trois mois pour se prononcer. Les avis sont examinés par les chambres de la Cour. Les juridictions qui recourent à cet éclairage ne sont pas contraintes de suivre l’avis de la Cour de cassation, mais, le plus souvent, elles s'y conforment.

Cet avis, publié au bulletin, éclaire donc incontestablement la position de la Cour de la cassation.

Et, par cet avis, la Cour de cassation réaffirme la solution posée en 2012, en matière de clause de conciliation pour l’élargir à la clause de médiation. On notera que la Cour vise la « procédure de médiation » dans son avis, mais on peut penser qu’elle se réfère à la procédure de désignation et aux délais encadrés par la clause car, intrinsèquement, la médiation n’est pas une procédure.

Cet avis, négatif, a inquiété certains praticiens, car les clauses de conciliation, de médiation ou de processus collaboratif inscrites dans des contrats, préalables à la saisine du juge, participent au développement des modes amiables de développement des différends.

Dès lors, l’avis de la Cour de cassation met-il un frein au développement des MARD en droit du travail ? S’agit-il de trancher une opposition souvent dénoncée entre justice prud’homale et justice privée [5] ?

La Chambre sociale ne dit pas que la clause de médiation (ou de conciliation) est illicite : elle reconnaît sa licéité, mais elle la prive d’effet.

Cette décision peut interroger et on peut y lire une hostilité sous-jacente aux modes amiables de la part du juge du droit par un refus de donner toute efficience aux clauses de différend, même licites. En d’autres termes, les parties peuvent bien avoir conclu une clause de différend, on ne peut leur interdire de saisir d’emblée le juge du contrat de travail.

En réalité, il ne semble pas que cela procède d’une volonté de s’opposer au développement des modes amiables en droit du travail, mais plutôt, à couvert de la phase de conciliation obligatoire (qui ne l’est pas toujours, comme vu supra) d’une inquiétude sur l’effet des clauses de différend qui pourraient être d’une redoutable efficacité si la fin de non-recevoir s’imposait en cas de licéité de la clause, inquiétude qui ne concerne que le requérant donc le salarié, lequel requérant connait déjà des délais insupportables dans certaines sections pour voir son dossier jugé en première instance puis en appel.

Dans les faits, deux options sont envisageables en cas de conflit sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail. Soit les deux parties, dans la logique de l’amiable qui a prévalu lors de la rédaction du contrat, vont saisir un médiateur selon la procédure de désignation qu’ils auront organisée dans le contrat pour tenter de résoudre leur différend, soit le salarié, à qui cette clause aura été imposée plus que négociée et craignant que la médiation ne soit qu’une manœuvre dilatoire de son employeur, préfèrera opter pour la saisine de la juridiction prud’homale (ce qui ne l’empêchera d’ailleurs pas d’opter au décours de la procédure pour une médiation).

Il est incontestable que la phase de conciliation est souvent très décevante pour le salarié requérant. Certes, les conseillers cherchent pour l’essentiel à concilier, mais c’est plus posture que sérieusement envisageable. Une conciliation ne s’improvise pas, même si cette étape ne se déroule pas en audience publique, a fortiori quand les avocats se découvrent à l’audience et que les pièces n’ont pas été échangées par les deux parties avant l’audience du BCO. Le taux de conciliation est inférieur pour la plupart des sections à 10 % et s’il peut être supérieur à ce taux devant la section de l’encadrement, ce n’est qu’au travers du barème forfaitaire de conciliation (C. trav., art. D. 1235-21 N° Lexbase : L3515LBS).  Dans ce cas, le dossier est déjà quasi finalisé par les avocats avec un projet du procès-verbal de conciliation envoyé au greffe avant l’audience. De surcroît, nombre de dossiers sont devenus extrêmement complexes sur le plan juridique et nécessitent un examen long et attentif des demandes et argumentaires. Enfin, la conciliation réduite à quinze ou vingt minutes, en ce compris le rappel des chefs de demande et un rappel des faits, n’assure pas le travail de maïeutique d’un processus de médiation. La conciliation a toute sa force dans des dossiers où le litige peut être réglé simplement et expliqué aisément par les conseillers à l’employeur qui sauront convaincre du bien-fondé d’une conciliation (demande de salaires, congés payés, etc.). Sur des litiges plus lourds, tant dans le quantum des demandes que souvent dans le vécu des parties à revisiter, la phase de conciliation ne permet pas de concilier.

L’avis de la Cour cassation sonne-t-il le glas des clauses de médiation inscrites dans les contrats de travail ?

Est-ce à dire que la Cour de cassation est inconsciente de la réalité de la conciliation et hostile aux modes amiables en droit du travail ?

Je ne le crois pas.

Je la crois plutôt soucieuse de préserver les intérêts du salarié à qui cette clause peut avoir été imposée. On sait qu’en pratique, peu de contrats de travail sont véritablement négociés.

Or, la médiation est un processus volontaire. Elle n’aurait rien à gagner à être une étape contrainte pour les salariés.

Pour autant, il faut continuer de prévoir des clauses de différend (médiation, processus collaboratif) dans les contrats de travail, car ces clauses participent au développement des modes amiables. Il faut les expliquer, expliquer le bienfait d’un règlement non contentieux des litiges et continuer à prôner une culture de l’amiable sans l’imposer. C’est ainsi que les MARD se développeront. L’invitation à l’amiable. Sans contrainte.


[1] Cass. avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, FS-B N° Lexbase : A090977S.

[2] Cass. ch. mixte, 14 février 2003, n° 00-19.423 N° Lexbase : A1830A7W.

[3] Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 11-20.004, FP-P+B+R N° Lexbase : A5778IYN.

[4] « Le conseil de prud'hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu'ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n'a pas abouti ».

[5] T. Grumbach et E. Séverin, Dans l'air du temps de la marchandisation de la justice : la mise en concurrence du juge prud'homal avec les services de justice privée, in Faut-il renforcer les modes alternatifs de résolution des litiges entre employeurs et salariés ?, RDT, 2010, p. 205.

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