Le Quotidien du 17 février 2022 : Terrorisme

[Questions à...] Terrorisme et constitution de partie civile - Questions à Mathieu Martinelle sur les arrêts du 15 février 2022

Réf. : Cass. crim., 15 février 2022, n° 21-80.670, FP-B N° Lexbase : A24707NS (attentat de Marseille) ; Cass. crim., 15 février 2022, n° 21-80.264, FP-B N° Lexbase : A24797N7 (attentat de Nice) ; Cass. crim., 15 février 2022, n° 21-80.265, FP-B N° Lexbase : A24677NP (attentat de Nice) ; Cass. crim., 15 février 2022, n° 19-82.651, FP-B N° Lexbase : A24737NW (assaut de Saint-Denis)

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[Questions à...] Terrorisme et constitution de partie civile - Questions à Mathieu Martinelle sur les arrêts du 15 février 2022. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/78864521-0
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par Mathieu Martinelle, Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles, Directeur du Diplôme Universitaire "Médiation et autres modes alternatifs de règlement des différends" - Université de Lorraine - Institut François Gény (EA 7301)

le 17 Février 2022

Lexbase : La Cour de cassation vient enfin de rendre ses décisions quant à la constitution de partie civile à la suite d’attentats terroristes (Nice et Marseille). En quoi peut-on estimer que ces décisions ont étendu la recevabilité de ces constitutions ?

Mathieu Martinelle : « Les spécificités des attentats terroristes conduisent la Cour de cassation à adopter une conception plus large de la notion de partie civile ». Par ces termes du communiqué de presse de la Cour de cassation, la portée des décisions du 15 février 2022 relatives aux attentats terroristes de Nice et de Marseille est affirmée : est étendue la recevabilité des constitutions de partie civile dans le cadre d’attentats terroristes, à tout le moins devant le juge d’instruction.

En effet, par ces décisions, la Cour de cassation reçoit favorablement les constitutions de parties civiles, présentées devant le juge d’instruction :

  • d’une part, des individus qui se sont exposés à des atteintes graves à la personne et ont subi un dommage en cherchant à interrompre l’attentat, car « leur intervention est indissociable de l’acte terroriste » ;
  • d’autre part, des individus qui, se croyant légitimement exposés, se blessent en fuyant un lieu proche de l’attentat, car « leur fuite est indissociable de l’acte terroriste ».

Ainsi, dans le cas spécifique d’un attentat terroriste, la Cour de cassation étend la recevabilité de la constitution de partie civile devant le juge d’instruction, en accueillant favorablement les individus qui ont subi un préjudice, même lorsque celui-ci résulte de leur propre comportement, dès lors que ce dernier est « indissociable » de l’acte terroriste. Selon l’appréciation des conditions applicables à ce stade de la procédure, la Cour de cassation affirme que ce type de préjudice doit être considéré comme étant possiblement en lien direct avec l’infraction.

Lexbase : Les arrêts relatifs à Nice et Marseille statuent sur la recevabilité de la constitution au stade de l’instruction. Cela préjuge-t-il de l'indemnisation à venir lors du procès ?

Mathieu Martinelle : Il n’est pas douteux que les arrêts en cause peuvent être interprétés comme un message positif à la destination des parties civiles concernées. Toutefois, gagner une bataille ne signifie pas gagner la guerre.

En effet, devant le juge d’instruction, les conditions de recevabilité de la constitution d’une partie civile sont appréciées de manière moins stricte. Il est de jurisprudence constante que, devant le juge d’instruction, il suffit que les circonstances de l’infraction fassent apparaître comme possibles l’existence d’un préjudice et sa relation directe avec l’infraction, pour que la constitution de partie civile soit recevable.

En d’autres termes, si un pas – certes important – vers l’indemnisation a été fait, il ne s’agit que du premier d’une longue marche. Deux étapes doivent encore être franchies, à savoir, d’une part confirmer la recevabilité de la constitution de partie civile devant les juridictions de jugement (sans pouvoir profiter des largesses appliquées au seul stade l’instruction), et d’autre part, confirmer le bien-fondé de l’action civile. Sur ce dernier point, portant précisément sur l’indemnisation, la question de la participation de la victime à la réalisation de son propre préjudice se posera certainement.

Lexbase : Dans l’affaire de l’assaut de Saint-Denis, la Cour a confirmé que certaines personnes devaient être indemnisées (proches des victimes d'attentats et les policiers), d’autres non (locataires, les propriétaires, le syndicat des copropriétaires et la commune). Pourquoi ? Sur quoi repose cette distorsion ?

Mathieu Martinelle : À l’occasion de l’arrêt du 15 février 2022 portant sur les attentats du 13 novembre 2015 à Saint-Denis, la Cour de cassation a, d’une part, confirmé la décision de la cour d’appel de Paris en date du 29 mars 2019 quant à l’indemnisation des victimes, de leurs proches et des policiers qui sont intervenus lors des attentats, et, d’autre part, infirmé ladite décision quant à l’indemnisation des locataires, des propriétaires, du syndicat des copropriétaires et de la commune de Saint-Denis, déclarant leur constitution de partie civile irrecevable.

Si une certaine distorsion semble a priori apparaître, celle-ci s’explique – là encore – à l’aune des conditions de recevabilité d’une constitution de partie civile. En effet, la solution retenue par la Cour de cassation repose sur l’appréciation du caractère direct (ou non) des préjudices dont la réparation était sollicitée de part et d’autre.

Cependant, à la différence des autres décisions du même jour (attentats Nice et Marseille), la procédure était ici au stade du jugement. Le lien de causalité entre les préjudices dont la réparation était sollicitée et l’infraction ne pouvait plus se satisfaire d’un « possible » caractère direct pour justifier la recevabilité de la constitution des parties civiles : le caractère direct du lien de causalité devait être certain.

Précisément alors, concernant les victimes, leurs proches et les policiers qui sont intervenus lors des attentats, il a été retenu que l’accusé (en l’espèce, le « logeur ») a retardé l’arrestation des terroristes en leur procurant une cache. De ce fait, ces premières parties civiles ont vécu dans « l’attente angoissée de [la] neutralisation [des terroristes], tout en faisant face à la continuité d’une menace imminente ». Ce préjudice – d’ordre moral – est jugé comme résultant directement de l’infraction de recel de malfaiteurs, cette dernière retardant en effet l’arrestation des terroristes. La recevabilité de l’action et l’indemnisation de ces premières parties civiles telles que retenues par les juges de la cour d’appel ont donc été confirmées.

À l’inverse, il est jugé que « ni les dégâts matériels subis lors de l’assaut par les locataires, les propriétaires et le syndicat des copropriétaires de l’immeuble, ni le préjudice d’image invoqué par la ville de Saint-Denis, ne résultent directement du recel de malfaiteurs ». Le caractère indirect de ces préjudices – dont l’existence n’est toutefois pas remise en cause – conduit à déclarer irrecevable leur constitution de partie civile. Les demandes d’indemnisation de ces secondes parties civiles ne sauraient donc aboutir au moyen de l’exercice d’une action civile.

Lexbase : Quelle est la particularité du statut de victime dans le champ terroriste ? À quoi sert ici le FGTI ?

Mathieu Martinelle : Les arrêts du 15 février 2022 relatifs aux attentats de Nice, Marseille et Saint-Denis doivent être lus à la lumière du nouveau statut des victimes d’actes terroristes, spécialement depuis la loi de programmation de la justice du 23 mars 2019 [1].

En effet, l’article L. 217-1 du Code de l’organisation judiciaire N° Lexbase : L9048LQ8 donne désormais une compétence exclusive au juge civil du tribunal judiciaire de Paris pour traiter le contentieux de l’indemnisation de ces victimes particulières. Aujourd’hui, sous le contrôle du juge pour l’indemnisation des victimes d’acte de terrorisme (JIVAT), le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) indemnise ces victimes de leurs préjudices, en application des dispositions prévues aux articles L. 126-1 N° Lexbase : L7531LPM et L. 422-1 N° Lexbase : L9878I3A à L. 422-3 N° Lexbase : L9633IAZ du Code des assurances.

Par voie de conséquence, le nouvel article 706-16-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L7218LPZ prévoit que l’action civile exercée par une victime d’un acte terroriste devant le juge pénal ne peut tendre à l’indemnisation de ses préjudices : une telle action ne vise, désormais, qu’à corroborer l’action publique.

À ce titre, alors que certains commentaires pourraient être formulés à l’égard de la loi du 23 mars 2019 excluant la face indemnitaire de l’action civile d’une victime d’un acte terroriste devant le juge pénal, nous pourrions – déjà – rappeler que les décisions du 15 février 2022 relatives aux attentats de Nice et Marseille visent à étendre la recevabilité des constitutions de partie civile dans le cadre d’attentats terroristes, à tout le moins devant le juge d’instruction. Si une certaine distorsion semble à nouveau apparaître, n’est-ce pas ainsi que la victime corrobore, le plus efficacement et utilement, à la procédure ?

 

 

[1] Loi n° 2019-222, du 23 mars 2019, de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice N° Lexbase : L6740LPC.

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