Le Quotidien du 16 décembre 2021 : Voies d'exécution

[Jurisprudence] L’indivisibilité de l’appel en matière de saisie immobilière : la vigilance s’impose

Réf. : Cass. civ. 2, 2 décembre 2021, n° 20-15.274, F-B (N° Lexbase : A90977DB)

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N9772BYL

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par Frédéric Kieffer, Avocat au Barreau de Grasse, Membre du Conseil de l’Ordre, Président d’honneur de l’AAPPE

le 16 Décembre 2021


Mots clés : saisie immobilière • appel • créanciers inscrits • défaut • déclaration de créance • indivisibilité

En matière de saisie immobilière, l’appel de l'une des parties à l'instance devant le juge de l'exécution doit être formé contre toutes les parties à l'instance, à peine d'irrecevabilité de l'appel et la procédure de saisie immobilière étant indivisible tous les créanciers inscrits à la date de publication du commandement de payer doivent être appelés en la cause, quand bien même n’auraient-ils pas déclaré leur créance dans les délais.


 

Les faits et la procédure

Une banque poursuit la saisie immobilière d’un bien en vertu de la copie exécutoire d’un acte notarié. La partie saisie élève des contestations et, par jugement d’orientation du 3 octobre 2018, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Quimper déboute la banque.

Cette dernière interjette appel de ce jugement à l’encontre de la partie saisie et du seul créancier inscrit ayant déclaré sa créance, sans attraire en cause d’appel les créanciers inscrits non déclarants.

La partie saisie soutient qu’en raison de l’indivisibilité de la procédure de saisie immobilière, l’appel formé par la banque serait irrecevable, la banque ayant omis certains créanciers inscrits dans sa déclaration d’appel.

Suivant arrêt du 2 juillet 2019, la cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 2 juillet 2019, n° 18/07072 N° Lexbase : A4756ZHM) déclare l’appel recevable retenant que les créanciers omis dans la déclaration d’appel n’ayant pas déclaré leurs créances, ils sont déchus de leur sûreté pour la distribution du prix de vente et par voie de conséquence, le principe d’indivisibilité ne doit pas leur être appliqué ce qui rend l’appel recevable.

Dans le même arrêt, la cour d’appel infirme le jugement d’orientation, fixe la créance du poursuivant, ordonne la vente forcée et renvoie celle-ci devant le juge de l’exécution quimpérois.

La partie forme un pourvoi, lequel a donné lieu à l’arrêt commenté.

Rappel des modalités de l’appel du jugement d’orientation

Ce commentaire donne l’occasion de rappeler les règles régissant l’appel du jugement d’orientation en reprenant les principaux arrêts de la Cour de cassation sur le sujet.

Tout d’abord, il faut préciser que l’appel contre le jugement d’orientation est formé, instruit et jugé selon la procédure à jour fixe et uniquement sous cette forme (CPCEx, art. R. 322-19 N° Lexbase : L2438ITH).

En effet, la Cour de cassation a jugé que l’appel qui n’est pas formé selon les dispositions des articles 917 (N° Lexbase : L0969H4N) et suivants du Code de procédure civile, en application des articles R. 322-7 (N° Lexbase : L2426ITZ) et R. 322-19 du Code des procédures civiles d’exécution était irrecevable (Cass. civ. 2, 7 septembre 2017, n° 16-19.202, F-D N° Lexbase : A1179WR4 ; Cass. civ. 2, 25 septembre 2014, n° 13-19.000, FS-P+B N° Lexbase : A3338MXW).

Ensuite, la partie qui entend relever appel du jugement d’orientation doit former une déclaration d’appel (Cass. civ. 2, 19 mars 2015, n° 14-11.120, F-D N° Lexbase : A1917NEQ), déposer une requête afin d’être autorisée à assigner à jour fixe dans les huit jours de la déclaration d’appel (Cass. civ. 2, 19 octobre 2017, n° 16-24.140, F-D N° Lexbase : A4436WW9 ; Cass. civ. 2, 26 septembre 2019, n° 15-24.702, F-D N° Lexbase : A0347ZQW).

La requête, pour être autorisé à assigner à jour fixe doit contenir les conclusions au fond et les pièces (Cass. civ. 2, 7 avril 2016, n° 15-11.042, F-P+B (N° Lexbase : A1482RCU).

Lorsque dans l’ordonnance, contra legem, le premier président fixe un délai pour la délivrance de l’assignation à jour fixe, le non-respect de ce délai non prévu par les textes n’entraîne pas l’irrecevabilité de l’appel (Cass. civ. 2, 10 novembre 2016, n° 15-11.407, FS-P+B (N° Lexbase : A9100SG7).

Par ailleurs, un second appel, formé dans le délai légal est possible et recevable, même si le premier appel ne respectant pas le formalisme de la procédure à jour fixe a été déclaré irrecevable (Cass. civ. 2, 7 septembre 2017, n° 16-16.847, FS-P+B N° Lexbase : A1136WRI).

Enfin et surtout, en la matière, la Cour de cassation affirme avec constance l’indivisibilité de la procédure de saisie immobilière que ce soit pour la recevabilité du pourvoi (Cass. civ. 2, 13 novembre 2014, n° 14-11.986,F-P+B N° Lexbase : A2939M3A ; Cass. civ. 2, 3 septembre 2015, n° 14-17.027, F-D N° Lexbase : A4883NN8) ou pour l’appel (Cass. civ. 2, 2 juin 2016, n° 15-19.435, F-D N° Lexbase : A8621RRQ) :

« Mais attendu que la cour d'appel a exactement retenu qu'en application de l'article 553 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6704H7G), dans une procédure de saisie immobilière l'indivisibilité s'applique à tous les créanciers, poursuivants ou autres, de sorte que l'appel de l'une des parties à l'instance devant le juge de l'exécution doit être formé par déclaration d'appel dirigée contre toutes les parties à cette instance »

Ainsi, l’appel doit être formé à l’encontre de tous les créanciers inscrits : même s’il s’agit d’un appel limité à la seule contestation du montant de la créance du créancier poursuivant (Cass. civ. 2, 21 février 2019, n° 17-31.350, F-P+B N° Lexbase : A8802YYN) et qu’aucune prétention n’est formée à l’encontre des créanciers non intimés, peu important que l’appel soit limité à certains chefs du dispositif et que les créances du ou des créanciers non intimés soient probablement éteintes (Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 16-25.122, F-D N° Lexbase : A4861XCZ ; Cass. civ. 2, 7 décembre 2017, n° 16-23.745, F-D N° Lexbase : A1162W78).

L’une des conséquences de cette indivisibilité est la caducité de la déclaration d’appel lorsque l’une des parties intimées n’a été assignée qu’après la date fixée pour l’audience dans l’ordonnance autorisant l’assignation à jour fixe par application de l’article 992 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1186H4P) (Cass. civ. 2, 1er février 2018, n° 16-25.122, F-D N° Lexbase : A4861XCZ).

En cas d’oubli, l’article 552 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6703H7E) offre une soupape de sécurité :

« En cas de solidarité ou d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel formé par l'une conserve le droit d'appel des autres, sauf à ces dernières à se joindre à l'instance.Dans les mêmes cas, l'appel dirigé contre l'une des parties réserve à l'appelant la faculté d'appeler les autres à l'instance ».

Car en cas d’indivisibilité l’article 553 (N° Lexbase : L6704H7G) du même code dispose que :

« En cas d'indivisibilité à l'égard de plusieurs parties, l'appel de l'une produit effet à l'égard des autres même si celles-ci ne se sont pas jointes à l'instance ; l'appel formé contre l'une n'est recevable que si toutes sont appelées à l'instance ».

De la combinaison de ces deux textes, il en résulte que si l’appelant a omis de faire figurer une partie dans sa déclaration d’appel, il pourra y remédier par voie de déclaration séparée, même après l’expiration des délais à la condition bien sûr que ce soit avant que le juge ne statue (Cass. civ. 2, 10 janvier 2019, n° 17-27.060, F-D N° Lexbase : A9770YSN ; Cass. civ. 2, 2 juillet 2020, n° 19-14.855, F-P+B+I N° Lexbase : A56523QE).

Ainsi, en cas d’indivisibilité, il a été jugé que : « la seconde déclaration d’appel formée par l’appelant pour appeler à la cause les parties omises dans la première déclaration d’appel régularise l’appel, sans créer une nouvelle instance, laquelle demeure unique » (Cass. civ. 2, 19 novembre 2020, n° 19-16.009, F-P+B+I N° Lexbase : A945134S).

Plus récemment, la Cour de cassation est venue préciser les modalités de cette régularisation (Cass. civ. 2, 15 avril 2021, n° 19-21.803 N° Lexbase : A79634PM, A. Martinez-Ohayon, Saisie immobilière – appel du jugement d’orientation : conditions de validité de la régularisation de l’appel interjeté uniquement à l’encontre du créancier poursuivant en omettant d’intimer les créanciers inscrits, Lexbase, Droit privé, avril 2021, n° 863 N° Lexbase : N7276BY7) en retenant que la seconde déclaration d'appel formée par l'appelant pour appeler à la cause les parties omises dans la première déclaration d'appel régularise l'appel, sans créer une nouvelle instance, laquelle demeure unique ; dès lors, lorsque l'instance est valablement introduite selon la procédure à jour fixe, la première déclaration d'appel ayant été précédée ou suivie d'une requête régulière en autorisation d'assigner à jour fixe, laquelle n'a pour objet que de fixer la date de l'audience, la seconde déclaration d'appel n'implique pas que soit présentée une nouvelle requête.

Autrement indiqué, il est inutile de présenter une seconde requête pour être autorisé à assigner à jour fixe lorsqu’elle a été présentée dans les formes et délais à la suite de la première déclaration d’appel ; en cas d’omission d’un intimé dans une instance indivisible soumise à la procédure à jour fixe, il suffira de former une seconde déclaration d’appel et d’assigner à jour fixe pour la date d’audience donnée dans l’ordonnance.

Ce panorama de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière d’appel du jugement d’orientation lorsqu’une partie à la saisie immobilière a été omise dans la déclaration d’appel permet de mieux comprendre la solution retenue par la Cour de cassation dans cet arrêt du 2 décembre 2021.

La solution de l’arrêt

La Cour de cassation rappelle les dispositions des articles 553 du Code de procédure civile et R. 322-6 du CPCEx (N° Lexbase : L2425ITY), soit d’une part l’indivisibilité qui impose que l’appel soit formé à l’encontre de toutes les parties, à peine d’irrecevabilité de l’appel, et d’autre part que les créanciers inscrits sont parties à la procédure.

De ce constat, la cour d’appel pouvait-elle considérer que les créanciers inscrits qui n’avaient pas déclaré leur créance encourraient la perte du bénéfice de leur sûreté (CPCEx, art. L. 331-2 N° Lexbase : L5894IRQ), et que par voie de conséquence, le principe d’indivisibilité ne devait pas leur être appliqué ce qui rendait l’appel recevable ?

À juste titre, la Cour de cassation répond par la négative en retenant que :

« En statuant ainsi, alors que les créanciers inscrits étant admis à faire valoir leurs droits sur la répartition du prix de vente, en application de l'article L. 331-1 du code des procédures civiles d'exécution, quand bien même ils auraient perdu le bénéfice de leur sûreté pour défaut de déclaration de leur créance, la procédure demeure indivisible à leur égard peu important qu'ils aient omis de déclarer leur créance, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».

La cour d’appel a tout simplement perdu de vue que, même non déclarant, même déchu du bénéfice de sa sûreté, le créancier inscrit est invité à « actualiser » sa créance et il reste admissible à faire valoir ses droits sur la répartition du prix de vente (CPCEx, art. L.331-1 N° Lexbase : L5893IRP), il reste donc partie à la procédure.

C’est donc en toute logique qu’elle casse l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, sans renvoi puisque l’irrecevabilité de l’appel rend inutile tout renvoi.

En effet, le juge de l’exécution avait débouté la banque et puisque l’appel formé à l’encontre de ce jugement est irrecevable, la procédure de saisie immobilière a pris fin avec le jugement du juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Quimper, il était donc inutile de désigner une cour de renvoi.

En conclusion, il est permis de s’interroger sur l’entêtement du créancier poursuivant, car, plutôt que d’affirmer que la déchéance de la sûreté rendait inutile la présence des créanciers inscrits non déclarant, pour tenter de justifier la recevabilité de son appel malgré l’absence de certains créanciers inscrits, le poursuivant aurait dû utiliser les nombreuses soupapes de sécurité que lui offraient les articles 552 et 553 du Code de procédure civile et les nombreux arrêts de la deuxième chambre civile, car, en procédure d’appel, les filets de rattrapage sont si rares, qu’il est malheureux de ne pas s’emparer de ceux qui nous tendent les mains.

Apport pratique de l’arrêt :

Dans le cadre de la procédure de saisie immobilière, le caractère indivisible de la procédure impose de former appel contre toutes les parties, notamment tous les créanciers inscrits, même non déclarants ; à défaut l’appelant s’expose à voir son appel déclarer irrecevable. Aussi, même si le créancier n’a pas constitué avocat, n’a pas déclaré sa créance, s’est désisté voire a précisé que sa créance était éteinte, il sera prudent de former appel à son encontre pour sécuriser la régularité du recours.

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