Le Quotidien du 13 octobre 2021 : Concurrence

[Brèves] Autorité de la concurrence : inapplicabilité de la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime

Réf. : Cass. civ. 2, 30 septembre 2021, deux arrêts, n° 20-18.672, FS-B+R (N° Lexbase : A054948T) et n° 20-18.302, FS-B (N° Lexbase : A050648A)

Lecture: 7 min

N9076BYS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Brèves] Autorité de la concurrence : inapplicabilité de la procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/73125201-0
Copier

par Vincent Téchené

le 12 Octobre 2021

► L’Autorité de la concurrence est une Autorité administrative indépendante et non une juridiction ;

Dès lors, les articles 341 (N° Lexbase : L6752LES) et suivants du Code de procédure civile instituant, devant les juridictions judiciaires statuant en matière civile, une procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, ne s'appliquent pas à l'Autorité de la concurrence

Faits et procédure. Des faits susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles ayant été identifiés, l’Autorité la concurrence a été saisie. Une instruction a alors été confiée notamment à un rapporteur. Se prévalant d'un défaut d'impartialité de ce rapporteur, les sociétés soupçonnées des pratiques illicites ont déposé, chacune, une requête en récusation auprès du premier président de la cour d'appel de Paris, sur le fondement des articles 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR) et 341 et suivants du Code de procédure civile, aux fins notamment qu'il soit ordonné à l'Autorité de la concurrence de procéder à la récusation du rapporteur et à son remplacement, juger non avenue la notification des griefs et écarter des débats tous les actes en découlant.

La cour d’appel de Paris ayant rejeté ces demandes (v. not., CA Paris, Pôle 1, 7ème ch., 24 juillet 2020, n° 20/08149 N° Lexbase : A66853RZ), deux pourvois en cassation ont été formés.

Décision. Aux termes de deux arrêts particulièrement motivés, la Cour de cassation rejette les pourvois.

Elle relève d’abord qu’il résulte des articles L. 461-1 (N° Lexbase : L5957LCM) à L. 461-4 (N° Lexbase : L5956LCL), L. 463-1 (N° Lexbase : L6285L4K) à L. 463-8 (N° Lexbase : L2199ATM), R. 461-3 (N° Lexbase : L7768L4H) à R. 461-10 (N° Lexbase : L5440LP8) et R. 463-4 (N° Lexbase : L0673HZX) à R. 463-16 (N° Lexbase : L0685HZE) du Code de commerce que l'Autorité de la concurrence, chargée par la loi notamment de veiller au libre jeu de la concurrence et de contrôler les opérations de concentration économique, régies par les articles L. 430-1 (N° Lexbase : L6589AIU) à L. 430-10 (N° Lexbase : L2163IC4) du même code, est une autorité administrative indépendante, dont l'organisation est fondée sur une stricte séparation des fonctions de poursuite et d'instruction, confiées à un service placé sous l'autorité d'un rapporteur général, et des pouvoirs de sanction, relevant du collège de l'Autorité de la concurrence. Outre cette organisation, ces textes fixent la composition de ce collège et organisent des procédures devant cette Autorité qui tendent à garantir l'impartialité et l'indépendance de cette Autorité, ainsi que le respect des droits de la défense.

En outre, la Cour de cassation relève qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que l'Autorité de la concurrence est une autorité de nature non juridictionnelle, même lorsqu'elle est appelée à prononcer une sanction ayant le caractère d'une punition (Cons. const., décision n° 2012-280 QPC, du 12 octobre 2012 N° Lexbase : A2619IUK).

Elle énonce ensuite que selon l'article L. 464-8 du même code (N° Lexbase : L0141LZA), les décisions de l'Autorité mentionnées aux articles L. 462-8 (N° Lexbase : L6284L4I), L. 464-2 (N° Lexbase : L6286L4L), L. 464-3 (N° Lexbase : L2071ICP), L. 464-5 (N° Lexbase : L2089ICD), L. 464-6 (N° Lexbase : L8607IBE), L. 464-6-1 (N° Lexbase : L8715IBE) et L. 752-27 (N° Lexbase : L0145LZE) sont notifiées aux parties en cause et au ministre chargé de l'Économie, qui peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris.
Par ailleurs, l'article R. 464-11 du même code (N° Lexbase : L5261ITZ) prévoit que l'Autorité de la concurrence est partie à l'instance, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 7 décembre 2010, aff. C-439/08 N° Lexbase : A4956GMI). Le président de l'Autorité de la concurrence peut former un pourvoi en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris ayant annulé ou réformé une décision de l'Autorité.

La Haute juridiction poursuit en relevant que en tant que membre du réseau européen de concurrence (REC), créé par le Règlement n° 1/2003 du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence (N° Lexbase : L9655A84), renforcé par la Directive n° 2019/1 du 11 décembre 2018, visant à doter les autorités de la concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur (N° Lexbase : L9459LNN), l'Autorité de la concurrence peut infliger des sanctions administratives afin de garantir l'application effective des articles 101 (N° Lexbase : L2398IPI) et 102 (N° Lexbase : L2399IPK) du TFUE. Elle peut être dessaisie par la Commission de l'instruction d'affaires en application de l'article 11.6 du Règlement n° 1/2003.

Ainsi, pour la Cour de cassation, il résulte de ces textes du droit de l'Union européenne, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'Autorité de la concurrence n'est pas une juridiction apte à lui poser une question préjudicielle en application de l'article 267 du TFUE (N° Lexbase : L2581IPB ; cf. CJUE, 16 septembre 2020, aff. C-462/19 N° Lexbase : A76323TT).

Par ailleurs, selon la Cour européenne des droits de l'Homme (not. CEDH, 23 octobre 1995, Req. 31/1994/478/560 N° Lexbase : A8407AWB – CEDH, 27 septembre 2011, Req. 43509/08 N° Lexbase : A6270HYU), le respect de l'article 6 de la CESDH n'exclut pas que, dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit prononcée d'abord par une autorité administrative, à la condition que la décision de l'autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions de l'article 6 § 1, soit soumise au contrôle ultérieur d'un organe juridictionnel de pleine juridiction. Elle précise que parmi les caractéristiques d'un organe juridictionnel de pleine juridiction figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l'organe inférieur. Il doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi.

Or, le recours en annulation ou en réformation devant la cour d'appel de Paris, prévu à l'article L. 464-8 du Code de commerce, doit être regardé comme un recours de pleine juridiction au sens de l'article 6 § 1. Il confère, en particulier, à cette juridiction le pouvoir de statuer sur tout grief tiré d'une atteinte à l'impartialité de l'Autorité de la concurrence, qu'il concerne la phase d'instruction placée, en application des articles L. 461-4 et R. 463-4 du Code de commerce, sous la direction de son rapporteur général, ou la phase décisionnelle, confiée au collège de l'Autorité.

La Cour de cassation en conclut que les articles 341 et suivants du Code de procédure civile instituant, devant les juridictions judiciaires statuant en matière civile, une procédure de récusation ou de renvoi pour cause de suspicion légitime, ne s'appliquent pas à l'Autorité de la concurrence.

Précisions. On relèvera que récemment la Cour de cassation (Cass. civ. 2, 4 juin 2020, n° 19-13.775, F-D N° Lexbase : A05823NU) a pourtant retenu que lorsqu'elle est amenée à prononcer une sanction, l'Autorité polynésienne de la concurrence (APC) est une juridiction au sens des articles 6 § 1 de la CESDH et L. 111-8 du COJ (N° Lexbase : L7809HNK), de sorte que, même en l'absence de disposition spécifique, toute personne poursuivie devant elle doit pouvoir demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant la juridiction ayant à connaître des recours de cette autorité.

newsid:479076

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.