Le Quotidien du 27 janvier 2021 : Environnement

[Questions à...] Un « écocide » édulcoré, suffisant pour protéger l’environnement ? Questions à Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS

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[Questions à...] Un « écocide » édulcoré, suffisant pour protéger l’environnement ? Questions à Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/64608563-0
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le 20 Juillet 2021

 


Mots-clés : environnement • pollution • écocide

À l’origine défini par les participants de la Convention climat comme « toute action ayant causé un dommage écologique grave en participant au dépassement manifeste et non négligeable des limites planétaires, commise en connaissance des conséquences qui allaient en résulter et qui ne pouvaient être ignorées », le crime d’écocide s’est finalement mué dans le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dévoilé le 8 janvier 2021 (en raison des agissements des lobbies industriels de toute sorte, diront certains), en simple délit d’écocide, beaucoup moins répressif et contraignant pour les entreprises pouvant se rendre coupables d’atteinte à l’environnement. Pour savoir si cette édulcoration sera tout de même susceptible d’entraîner une protection accrue de l’environnement, Lexbase Public a rencontré Marta Torre-Schaub, directrice de recherche au CNRS, spécialiste du droit de l'environnement et de la justice climatique, enseignante à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directrice du réseau de chercheurs Droit et Climat*.


 

Lexbase : La création du délit général de pollution vous semble-t-elle une avancée satisfaisante pour le droit de l'environnement ? Que recoupe exactement cette notion ?

Marta Torre-Schaub : À l’origine, la question de la nécessité d’une réforme de la justice environnementale a été posée à la mission d'évaluation des relations entre justice et environnement, composée de membres de l’Inspection générale de la Justice et du Conseil général de l'Environnement et du Développement durable, qui a été chargée de rédiger un rapport intitulé « Une justice pour l'environnement ». Ce rapport pointe les obstacles et les difficultés inhérentes aux contentieux de l’environnement et propose une réforme de la justice en matière environnementale par la création notamment de juridictions spécialisées.

Suivra la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée (N° Lexbase : L2698LZX), qui introduit trois réformes majeures en matière environnementale : d’abord la création d’une convention judiciaire écologique, ensuite le renforcement de moyens de la justice pénale environnementale, puis, enfin, la création « des pôles interrégionaux spécialisés en matière d'atteintes à l'environnement et à la santé publique ».

Finalement, le projet de loi issu de la Convention citoyenne pour le climat intitulé « Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets » devait introduire quelques améliorations à la justice pénale environnementale. En effet, l’annonce avait été faite depuis le mois de novembre par le Garde des Sceaux et la ministre de l’Écologie de créer un « délit d’écocide ». Une des finalités de cette loi était de pouvoir condamner largement toute pollution des eaux, des sols et de l'air.

Si aux cinq titres que contient ce projet de loi est venu s’ajouter un sixième titre consacré à la protection judiciaire intitulé « Renforcer la protection judiciaire de l’environnement », l’on voit bien que la portée symbolique mais aussi pratique qui en résulte est beaucoup moins forte que la pénalisation initiale de l’écocide. Cette réforme reste donc finalement assez modeste et limite considérablement la possibilité de poursuivre des crimes graves commis contre les écosystèmes et l’environnement, d’autant que devra également être prouvée que la pollution causée a entraîné « des effets nuisibles graves et durables sur la santé, la flore, la faune » pendant une durée d’au moins dix ans, la notion de durabilité pouvant donner lieu à toutes sortes d’interprétations par le juge et être dans certains cas difficilement démontrable.

Lexbase : Que pensez-vous de l'abandon de la qualification de crime d’écocide en lieu et place d'un simple délit ?

Marta Torre-Schaub : Il était compliqué d’instaurer un crime d’écocide dans le droit français avant même de le consacrer au niveau international. Cela aurait posé des problèmes considérables notamment vis-à-vis de la compétence territoriale des juridictions et de la juridiction compétente ex materiae. C’est vrai aussi, cependant, que la France se serait érigée en premier pays à typifier ce type de crime dans notre droit. Pour autant, si le délit d’atteinte grave venait à être finalement ajouté à la nouvelle loi, cela ferait déjà considérablement avancer les choses en matière de répression criminelle des atteintes à l’environnement.

En outre, il est compliqué de créer un « crime » nouveau, celui d’écocide, qui suppose de lui donner un statut égal aux crimes contre l’Humanité comme le génocide, sans avoir au préalable entamé une concertation au niveau international sur la définition et le périmètre de ce crime. L’on parle d’élargir le statut de Rome en matière pénale internationale en ajoutant un crime commis contre l’environnement et les écosystèmes. Ce crime pourrait donc être celui d’écocide. Mais tant que cette réforme n’est pas faite au niveau de la Cour pénale internationale, je ne suis pas certaine que ce soit vraiment efficace de la faire au niveau d’un État seul. Attendons donc de voir comment cette question va évoluer dans les mois à venir.

Au final, le délit d’écocide est présent dans l’article 64 du projet de loi qui concerne les délits concernés par les nouveaux articles L. 230-1 et L. 230-2 (délit général de pollution des eaux et de l’air) du Code de l’environnement « lorsque ces faits sont commis de manière intentionnelle » et là aussi avec des effets susceptibles de durer au moins dix ans, alors que la plupart des atteintes avérées à l’environnement résultent le plus souvent de simples négligences ou imprudences. Pour ces faits, la peine de cinq ans d’emprisonnement est portée à dix ans d’emprisonnement et la peine d’amende d’un million d’euros est portée à 4,5 millions d’euros, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction. Le tribunal pourra aussi imposer au condamné de procéder à la restauration du milieu naturel.

Mais, ce qui est important pour l’heure en France, c’est de doter de moyens matériels, humains et financiers à la justice environnementale afin de pouvoir appliquer de manière effective le droit qui existe déjà.

Lexbase : Qu’en est-il du délit de mise en danger de l’environnement ?

Marta Torre-Schaub : L’article 63 du projet de loi réprime les agissements qui « exposent directement la faune, la flore ou la qualité de l’eau à un risque immédiat d’atteinte grave et durable », mais concerne uniquement les faits prévus aux articles L. 173-1 (N° Lexbase : L5958LZP) et L. 173-2 (N° Lexbase : L6333LCK) du Code de l’environnement (le fait d’exploiter une installation soumise à autorisation sans posséder cette dite autorisation), et à l’article L. 1252-5 du Code des transports (N° Lexbase : L8142INU) (transport illégal de marchandises dangereuses), ce qui ne fait que renforcer un délit déjà existant, ce qui peut paraître notoirement insuffisant, d’autant plus qu’il faudra prouver que l’auteur des faits a agi de manière délibérée et que ces agissements ont des effets graves et durables sur l’environnement qui pourraient perdurer au moins dix ans.

Notons que ces faits seront punis de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au triple de l’avantage tiré de la commission de l’infraction.

Lexbase : La création de juridictions spécialisées de l’environnement entraînera-t-elle selon vous une augmentation du contentieux et le prononcé de peines plus lourdes ?

Marta Torre-Schaub : Il y aura très certainement une augmentation des affaires portées devant les juridictions, mais la création d’une Convention judiciaire d’intérêt général, écologique, prévue dans la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020, relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée, permettra aussi justement « d’éviter » des contentieux et d’augmenter le nombre d’affaires réglées à l’amiable, via la nouvelle Convention.

Par conséquent, il n’est pas du tout certain que les peines soient plus lourdes, d’autant que comme je l’ai souligné auparavant, les délits environnementaux nouvellement créés supposent la preuve de l'intentionnalité ou de la violation d'une mesure de type réglementaire, ce qui exclut de facto les arrêtés d’autorisation d’installations dont le non-respect donne lieu à de nombreuses atteintes à l'environnement.

Reste que ce projet de loi crée des nouvelles infractions intéressantes comme, par exemple, en matière de publicités susceptibles de porter atteinte à l’environnement et d’aggraver le changement climatique, de ralentissement du rythme de l’artificialisation des sols, de la fin des véhicules les plus polluants et de la limitation des vols intérieurs.

* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public.

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