Le Quotidien du 22 octobre 2019 : Avocats/Gestion de cabinet

[Brèves] «AGN Avocats» contre le barreau de Limoges : la décision de l’Autorité de la concurrence est validée

Réf. : CA Paris, 10 octobre 2019, n° 18/23386 (N° Lexbase : A8746ZQY)

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[Brèves] «AGN Avocats» contre le barreau de Limoges : la décision de l’Autorité de la concurrence est validée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/54113541-0
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par Marie Le Guerroué

le 21 Octobre 2019

► C'est à juste titre que l'Autorité de la concurrence a constaté que les décisions ordinales refusant l’ouverture de bureaux secondaires (délibérations du conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Limoges du 10 janvier 2018 et 28 février 2018) s'inscrivaient dans le cadre des missions dévolues par la loi aux Ordres des avocats et manifestaient l'exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique.

 

Telle est la décision rendue par la cour d’appel de Paris le 10 octobre 2019 (CA Paris, 10 octobre 2019, n° 18/23386 N° Lexbase : A8746ZQY ; v., préc., CA Limoges, 9 janvier 2019, n° 18/00018 N° Lexbase : A5142YUY ; sur les différentes étapes de l’affaire v., notamment, G. Royer, La vitrine de l’avocat : suite et… encore !, in Lexbase Professions, n° 279, 2019 N° Lexbase : N7592BXH).

Procédure. La société requérante avait formé un recours en annulation ou réformation de la décision de l'Autorité de la concurrence n° 18-D-18 du 21 septembre 2018 (Décision Autorité de la concurrence relative à une demande de mesures conservatoires présentée par la société "AGN Avocats" dans le secteur des prestations juridiques N° Lexbase : X1498AUZ ; v., aussi, Refus par un Ordre de l'ouverture d'une agence d'avocats : incompétence de l'Autorité de la concurrence, in Lexbase Professions, n° 271, 2018 N° Lexbase : N5816BXP). Elle demandait à la cour d’appel, en substance, de réformer la décision attaquée, d'une part, en ce que l'Autorité n'avait pas appliqué le test concurrentiel pertinent applicable aux décisions ordinales prises dans le cadre de prérogatives de puissance publique, d'autre part, en ce que l'Autorité a omis de statuer sur la délibération du 11 juillet 2018 du conseil de l'Ordre des avocats de Limoges. L'Ordre des avocats de Limoges concluait au rejet du recours. L'Autorité de la concurrence et le ministère public concluaient pareillement au rejet du recours.

Défaut de mise en œuvre du «test concurrentiel». La cour rejette le moyen de réformation pris d’une prétendue omission de statuer. Sur la demande de réformation de la décision attaquée pour défaut de mise en œuvre du "test concurrentiel pertinent applicable aux décisions ordinales prises dans le cadre de prérogatives de puissance publique", la société requérante fait valoir que les délibérations incriminées n'avaient que l'apparence de décisions relevant de l'exercice de prérogatives de puissance publique et qu'une analyse des motifs pour lesquels elles ont été prises démontre qu'en réalité, le conseil de l'Ordre des avocats de Limoges avait seulement entendu limiter la concurrence de nouveaux entrants.
Jurisprudence européenne. La cour rappelle qu’il résulte de l'arrêt «Tribunal de l'Union ONP e.a./Commission», (TPIUE, 10 décembre 2014, aff. T-90/11 N° Lexbase : A1164M7A), que, si une activité qui, par sa nature, par les règles auxquelles elle est soumise et par son objet se rattache à l'exercice de prérogatives de puissance publique, échappe à l'application des règles de concurrence du TFUE, en revanche, "l'exercice manifestement inapproprié" de telles prérogatives, à ce titre constitutif d'un détournement de pouvoir, est quant à lui soumis aux règles de la concurrence.
Analyse. La cour recherche si, comme le soutient la requérante, en adoptant les délibérations des 10 janvier et 28 février 2018, le conseil de l'Ordre a exercé les prérogatives de puissance publique qui lui ont été dévolues dans une mesure manifestement inappropriée. Elle considère que, pour pouvoir qualifier l'exercice de prérogatives de puissance publique de "manifestement inapproprié", il faut que le mal-fondé de la décision prise en vertu de telles prérogatives ressorte avec la force de l'évidence, de sorte que seule la volonté de l'auteur de la décision de détourner le pouvoir qui lui a été confié est susceptible d'expliquer ladite décision. Force est de constater, pour la cour, que tel n'est pas le cas des deux délibérations incriminées.
Délibération du 10 janvier 2018. En premier lieu, s'agissant de la délibération du 10 janvier 2018, le rejet de la demande de la société «AGN Avocats» d'ouverture d'un bureau secondaire à Limoges était fondé sur le constat de la violation des articles 2, 4.1, 11.3, 10.2 et 10.6 du RIN (N° Lexbase : L4063IP8) par le "modèle du concept d'agence AGN Avocats", notamment caractérisé par l'installation des cabinets dans des locaux vitrés en rez-de-chaussée. Or, si, par son arrêt du 9 janvier 2019, précité, la cour d'appel de Limoges a annulé la délibération du 10 janvier 2018 pour des motifs procéduraux, cette cour, statuant sur le fond par l'effet dévolutif de l'appel, a à son tour rejeté la demande de la société «AGN Avocats» en ouverture d'un bureau secondaire à Limoges. La circonstance qu'un arrêt de cour d'appel «à l'encontre duquel la société ‘AGN Avocats’ n'indique pas avoir formé un pourvoi en cassation» a adopté la même analyse que celle effectuée par le conseil de l'Ordre dans la délibération du 10 janvier 2018 suffit pour constater que ce dernier a pu retenir de bonne foi l'interprétation des textes légaux et réglementaires qu'il a mis en œuvre et, partant, que cette délibération ne constituait pas un exercice manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique dévolues à l'Ordre.
Délibération du 28 février 2018. En second lieu, s'agissant de la délibération du 28 février 2018, le rejet de la demande d'inscription au barreau de Limoges de la «SELASU PFAL» était fondé sur le constat que l'une des conditions exigées par l'article 3 du décret du 25 mars 1993 (N° Lexbase : L4321A4S), précité, n'était pas remplie, faute pour l'unique associé de cette société d'être inscrit au barreau de Limoges. Il résulte du libellé même de cet article qu'une société d'exercice libéral ne peut être inscrite à un barreau que si à la fois elle a son siège dans le ressort du tribunal de grande instance auprès duquel ce barreau est établi et l'un au moins de ses associés est inscrit audit barreau. La requérante soutient que, depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques (dite loi «Macron» N° Lexbase : L4876KEC), qui autorise l'avocat unique associé d'une SELASU à vendre ses actions dans cette société à un avocat non inscrit au barreau dans lequel cette société est inscrite, l'article 3 du décret du 25 mars 1993 est devenu caduc, et fait valoir que telle avait été l'analyse du conseil de l'Ordre des avocats au barreau de Nantes dans une délibération du 28 novembre 2017. Mais pour la cour d’appel de Paris, d'une part, il ne résulte pas des pièces produites qu'aucun des associés de la société d'exercice libéral dont le conseil de l'Ordre des avocats de Nantes a autorisé l'inscription au barreau de Nantes par sa délibération du 28 novembre 2017, n'était inscrit au barreau de Nantes. Au surplus, compte tenu de l'autonomie reconnue au conseil de chaque Ordre d'avocats, le conseil de l'Ordre des avocats de Limoges n'était nullement tenu par l'analyse qu'a pu faire celui de Nantes de l'effet de la loi du 6 août 2015 sur l'applicabilité de l'article 3 du décret du 25 mars 1993. D'autre part, et en tout état de cause, le bien-fondé de l'analyse juridique soutenue par la requérante ne s'impose pas avec la force de l'évidence, s'agissant d'écarter comme caduque la disposition non abrogée d'un décret au vu d'une interprétation d'un texte de loi ultérieur. Aussi, là encore, la cour constate que cette délibération ne constituait pas un exercice manifestement inapproprié des prérogatives de puissance publique dévolues à l'Ordre.
Rejet. Dès lors, c'est à juste titre que l'Autorité a constaté que les décisions ordinales portées à sa connaissance par la plainte de la requérante s'inscrivaient dans le cadre des missions dévolues par la loi aux ordres des avocats et manifestaient l'exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique. Ces décisions ordinales échappant, par voie de conséquence, à l'application des règles de concurrence, c'est également à juste titre que l'Autorité a considéré qu'elle n'était pas compétente pour en connaître.
Le recours de la requérante est rejetée (cf. l’Ouvrage «La profession d’avocat» N° Lexbase : E1788E7D, N° Lexbase : E7705ETK, N° Lexbase : E7714ETU).

 

 

 

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