Le Quotidien du 26 février 2002 : Baux commerciaux

[Jurisprudence] La Cour de cassation précise ce que n'est pas une sous-location

Réf. : Cass. civ. 3ème, 13 février 2002, n° 00-17.994, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0011AY3)

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le 07 Octobre 2010

En avançant différents critères de disqualification d'un contrat de sous-location, la Cour de cassation, par cet arrêt de la troisième chambre civile en date du 13 février 2002, reste fidèle à une jurisprudence déjà ancienne et rappelée récemment (Cass. civ. 3ème, 7 novembre 2001 N° Lexbase : A0434AXD). En l'espèce, pour écarter la qualification de contrat de sous-location, la Haute cour relève l'existence de limitations à la jouissance des lieux dans le temps, de nombreuses prestations relatives à l'équipement et à l'entretien des locaux assurés par le cocontractant et du contrôle de l'accueil et de la sécurité conservé par ce dernier.

Dans cette affaire, une société occupait des locaux en vertu d'un contrat de bail commercial. Elle avait conclu avec une autre société une convention qui permettait à cette dernière d'utiliser les locaux pour une durée limitée. Cette convention prévoyait, par ailleurs, que le preneur initial s'engageait à fournir un certain nombre de prestations relatives à l'équipement et à l'entretien des locaux et qu'il conserverait le contrôle de l'accueil et de la sécurité. Le bailleur, invoquant l'existence d'un contrat de location, avait demandé que le prix du loyer soit réajusté en raison de sous-locations consenties par le preneur.

On sait, en effet, qu'en vertu de l'article L. 145-31, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L5759AI7 ; anciennement article 21 du décret n° 53-960 du 30 septembre 1953), le bailleur peut exiger une augmentation du loyer principal si son locataire a consenti des sous-locations dont le prix est supérieur à la location principale. L'existence de ce droit à un réajustement du loyer principal est donc soumis à deux conditions : l'existence d'un contrat de sous-location (1) et un prix des sous-locations supérieur à celui du bail principal. Dans l'espèce commentée, c'est la première condition qui soulevait des difficultés (2).

Le contrat passé entre un preneur et un tiers qui utilise les lieux loués sera une sous-location à condition de répondre à la définition du contrat de bail. Ce dernier est défini par le Code civil comme le contrat "par lequel l'une des parties s'oblige à faire jouir l'autre d'une chose pendant un certain temps, et moyennant un certain prix que celle-ci s'oblige de lui payer" (C. civ., art. 1709 N° Lexbase : L1832ABH). En matière de bail portant sur un immeuble, ne constituera donc une sous-location que le contrat qui vise à conférer la jouissance des lieux pendant un certain temps et selon un certain prix. Si l'un de ces deux éléments vient à manquer (3), il sera certain que le contrat ne sera pas une sous-location.

La difficulté surgit lorsque les parties concluent un contrat dont l'objet excède la seule utilisation des lieux loués mais dont l'utilisation est l'un des effets. La jurisprudence offre différents exemples de ce type de contrat dont, pour les plus proches de l'espèce commentée, la location-gérance et la domiciliation d'entreprise. D'autres contrats, plus éloignés, permettent toutefois de mettre en lumière l'ensemble des solutions consacrées par la Cour de cassation.

La domiciliation d'entreprise

S'agissant tout d'abord de la domiciliation d'entreprise (4), celle-ci comporte, selon M. Reboul (5), deux opérations contractuelles complémentaires dont l'objet est, d'une part, "l'attribution d'une adresse accompagnée de prestations de services" (contrat d'adresse commerciale) et, d'autre part, "la location de bureaux permettant au client d'accomplir à l'adresse où il est domicilié les tâches qui lui incombent" (contrat de mise à disposition de bureau). La domiciliation a donc pour effet la mise à disposition des lieux, précision faite que cette mise à disposition s'intègre dans un opération contractuelle qui la dépasse et pouvant s'analyser en contrat d'entreprise (attribution d'une adresse, prestation de services...). La cour d'appel de Paris (6) a d'ailleurs affirmé qu'un tel contrat n'était pas une sous-location, la société domiciliée ne disposant pas d'une partie du local. Par conséquent, l'interdiction d'une sous-location ne pouvait s'analyser en une interdiction de domiciliation (7). A ce propos, la Cour de cassation a simplement affirmé qu'il n'était pas possible d'assimiler une domiciliation à une sous-location sans caractériser cette dernière (Cass. civ. 3ème, 7 février 1996 N° Lexbase : A8651AGI). Un doute subsiste donc sur les rapports entre sous-location et domiciliation. Par ailleurs, une caractéristique du contrat de domiciliation, qui l'éloigne de la sous-location, réside dans l'intermittence de la mise à disposition des lieux loués et dans sa durée limitée.

La location-gérance

Si l'intermittence n'est pas une caractéristique du contrat de location-gérance, ce dernier offre un autre exemple de mise à disposition des lieux loués dans le cadre d'un contrat dont ce n'est pas le seul objet. Ce contrat permet au propriétaire d'un fonds de commerce de louer ce dernier à un locataire-gérant (C. com., art. L. 144-1 N° Lexbase : L5716AIK). Ce dernier va donc être amené à utiliser les lieux dans lesquels est situé le fonds de commerce puisqu'il va l'exploiter. Si le propriétaire du fonds de commerce est locataire des lieux dans lesquels le fonds est exploité, le contrat de location-gérance ne peut-il s'analyser en un contrat de sous-location ? La Cour de cassation a répondu par la négative par un arrêt de sa troisième chambre civile en date du 23 mai 1995 (N° Lexbase : A7660ABC) (8).
Cet arrêt s'inscrit dans la même ligne qu'une jurisprudence antérieure qui refuse à la location-gérance la qualification de bail commercial dans la mesure où ce dernier porte sur un immeuble bâti, alors que la première porte sur un bien meuble qu'est le fonds de commerce. Cette distinction, relative à l'objet du contrat, a été explicitement formulée par la Cour de cassation (Cass. com., 16 février 1993 N° Lexbase : A5618ABP).

D'autres solutions relatives à la qualification d'un contrat liant le locataire et un tiers occupant les lieux méritent qu'on s'y attarde en ce qu'elles permettent de comprendre l'ensemble des solutions précédemment énoncées et l'espèce commentée. La Cour de cassation a décidé, en effet, que le locataire qui met un logement à la disposition de l'un de ses employés en contrepartie de son travail consent une sous-location (Cass. civ. 3ème, 7 avril 1994 N° Lexbase : A6954AB8). Par ailleurs, le contrat en vertu duquel le locataire d'un terrain nu loue à un tiers l'immeuble situé sur ce terrain et dont il est propriétaire n'est pas un contrat de sous location (Cass. com., 9 octobre 1961, N° Lexbase : A9645AGC).

Au regard de ces différentes jurisprudences, faut-il considérer que le contrat passé entre le locataire et un tiers ne sera pas qualifié de sous-location si l'utilisation des lieux est l'accessoire d'un autre contrat dont l'objet est différent ? On peut le penser, avec cette précision que l'utilisation des lieux doit être indivisible du reste du contrat, ce qui n'est pas le cas du locataire qui met les lieux à disposition d'un salarié moyennant une partie de sa rémunération. Ne mérite donc la qualification de sous-location le contrat dont le seul objet est d'accorder la jouissance des lieux loués (totale ou partielle ) par le bailleur.

C'est dans ce contexte que la Cour de cassation a rendu deux arrêts similaires, dont celui commenté dans ces lignes.
Le premier concernait la qualification d'une convention par laquelle le locataire de locaux à usage commercial mettait à la disposition de ses clients un studio d'enregistrement et du matériel de haute-technologie sous son contrôle et avec la collaboration d'un ingénieur. La Haute cour, rappelant ces circonstances qui entouraient l'occupation des lieux par un client, refuse de qualifier la convention de sous-location (Cass. civ. 3ème, 7 novembre 2001 N° Lexbase : A0434AXD).
Dans l'arrêt commenté, un contrat unissait une société, locataire de locaux à usage commercial, à une autre société qui utilisait les lieux. La Cour de cassation refuse de reconnaître l'existence d'un contrat de sous-location en relevant la durée de jouissance limitée dans le temps, l'existence de la part du locataire de prestations (équipement, entretien, accueil et sécurité). Excepté la durée limitée, qui rapproche cette convention de celle de domiciliation, l'hypothèse est très proche de l'arrêt précédent et permet de conclure que si l'utilisation des lieux fait partie d'un contrat plus vaste de prestation de services dont elle n'est qu'un élément, il n'y a pas sous-location. Eu égard à ce qui a été dit précédemment, un tel contrat n'a pas le même objet que celui de la location principale. La solution est donc cohérente au regard de la jurisprudence antérieure portant sur des hypothèses différentes (9).

La Cour de cassation, reprenant la motivation des juges du fond, énonce quelques critères permettant de distinguer ces deux hypothèses (utilisation d'un matériel ou d'un équipement dans les lieux loués avec éventuellement l'assistance du locataire, sécurité et entretien assuré par le locataire...). Reposant sur un "faisceau d'indices", la qualification pourra s'avérer parfois problématique.

Julien Prigent
SGR - Baux commerciaux


(1) La qualification du contrat qui lie le locataire et un tiers occupant les lieux loués est importante également en ce que s'il est une sous-location, ce contrat nécessitera l'accord du bailleur et sa participation. Si ces formalités ne sont pas respectées, le contrat de sous-location sera inopposable au bailleur, qui pourra par ailleurs demander la résiliation du bail à titre de sanction ou refuser le renouvellement sans être tenu au paiement d'une indemnité d'éviction.

(2) Sur la distinction de la sous-location et des contrats proches, voir Christian Lavabre, Les particularités de la sous-location commerciale, RJDA 6/95, p. 519, n° 3 à 8.

(3) En pratique, il n'est pas rare qu'une clause de bail assimile la mise à disposition gratuite des lieux à une sous-location, ce qui rend caduque le recours à l'article 1709 du Code civil.

(4) Sur la question des rapports entre la domiciliation et la sous-location, voir Y. Reboul, Nature et régime juridique de la domiciliation commerciale, note sous CA Paris, 16ème ch. section B, 8 janvier 1993, n° 91/018934, Martenot contre SARL Azuelos Szwarc, Bull. Joly 1993, § 135 ; C. Meyer, De la domiciliation à la sous-location, AJPI 1993, p. 328 ; C. Hannoun, La domiciliation collective d'un groupe de société, Bull. Joly 1994, § 245.

(5) Y. Reboul, note précitée. En ce sens, voir également C. Hannoun, note précitée, pour qui la convention de domiciliation est "pour l'essentiel une prestation de service".

(6) CA Paris, 16ème ch. section B, 8 janvier 1993, n° 91/018934, Martenot contre SARL Azuelos Szwarc, note précitée.

(7) Toutefois, dans le même arrêt, la cour d'appel de Paris affirme également que la domiciliation est un acte extérieur à la propriété commerciale et qu'elle est inopposable au bailleur qui ne l'a pas acceptée.

(8) Encore faut-il que le contrat de location-gérance soit... un contrat de location-gérance ! En effet, si aucun élément du fonds de commerce n'a été transmis, notamment et en premier chef, la clientèle, le contrat qualifié par les parties de location-gérance sera qualifié de bail portant sur des locaux à usage commercial et pourra, le cas échéant, être constitutif d'une sous-location (voir, par exemple, Cass. civ. 3ème , 5 octobre 1994, N° Lexbase : A8548AGP).

(9) Ces arrêts récents ne viennent-il pas confirmer le fait que la domiciliation ne peut être assimilée à une sous-location et mettre un terme à la jurisprudence ambiguë de la Cour de cassation sur cette question ?

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