Le Quotidien du 25 avril 2002 : Protection sociale

[Jurisprudence] Retraites "surcomplémentaires" : pacta sunt servanda

Réf. : Cass. soc., 11 avril 2002, n° 01-00.707, [lxb=A4915AYP]

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N2671AA8

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[Jurisprudence] Retraites "surcomplémentaires" : pacta sunt servanda. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3212703-0
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le 26 Septembre 2014

Les régimes appelés indistinctement "fonds de pension", "régime d'employeur", "régime d'entreprise", "complément retraite", "régime surcomplémentaire" ou "retraite surcomplémentaire" ont le vent en poupe : ils constituent des rémunérations non salariales très prisées à l'heure actuelle, notamment du fait de leur régime social et fiscal très avantageux. L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 avril 2002 vient nous rappeler que les choix du produit de retraite surcomplémentaire et de la technique de gestion ne sont pas neutres quant à la garantie des droits du salarié.

On sait que plusieurs options sont dès lors ouvertes à l'employeur. Elles concernent à la fois l'opérateur responsable du versement de la pension, le type de contrat retenu et le mode de mise en place dans l'entreprise. La population de bénéficiaires visés (1), le rôle du comité d'entreprise et les possibilités d'exonération de cotisations sociales, de réduction ou d'exonération d'impôts qui accompagnent certains de ces mécanismes à certaines conditions, doivent également être circonscrits.

La gestion peut être du fait de l'entreprise. Elle peut aussi être "externalisée" ; elle sera alors confiée à des organismes de protection sociale complémentaire ce qui était le cas dans notre affaire.

La garantie peut par ailleurs prendre deux formes majeures : le contrat individuel d'assurance en cas de vie ou le contrat de groupe. Dans les deux cas les régimes reposent sur des calculs actuariels, qui permettent notamment de déterminer le montant des primes ou cotisations à verser au vu de la population à couvrir (2).

La retraite supplémentaire, en cause dans notre affaire, peut résulter d'un contrat collectif d'assurance (appelé aussi assurance de groupe ou "assurance-groupe"). Les articles L. 140-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0158AA4) et L. 221-2, III, 1° du Code de la mutualité permettent, en effet, la conclusion de contrats de ce type pour "la couverture des risques liés à la durée de la vie humaine".

Un salarié d'un groupe d'assurance avait, dans notre espèce, été licencié le 26 mars 1993 pour inaptitude physique alors qu'il était âgé de 58 ans ; qu'ayant atteint l'âge de 60 ans, il a fait procéder à compter du 1er avril 1995 à la liquidation de ses droits à la retraite auprès du régime général de sécurité sociale et auprès du régime complémentaire du groupe d'assurance en question ; il a sollicité par la suite le versement d'une première retraite supplémentaire auprès d'une première caisse de retraite, et d'une seconde pension surcomplémentaire auprès d'un autre organisme. Refus de ces caisses, procès, le salarié est débouté par les juges du fond. Il se pourvoit en cassation, il est débouté de ses demandes.

La solution de la présente affaire n'est que difficilement compréhensible sans une explication sur les différentes techniques de gestion possibles de tels contrats de groupe. Deux grandes techniques de gestion peuvent être à l'oeuvre : certains régimes sont à prestations définies, d'autres à cotisations définies.

1. Dans les régimes à prestations définies, l'entreprise -ou l'organisme gestionnaire- s'engage sur le montant ou garantit, par convention, un niveau des prestations ; on parle "d'engagement de résultat". Par leur objectif -compléter les ressources des retraités dans des proportions déterminées dès l'origine- ces régimes à prestations définies sont nécessairement collectifs. Il y a accumulation de réserves qui permettent de garantir la prestation. Le salarié a droit au montant de retraite promis quelle que soit la valeur des placements qui ont pu être effectués pour couvrir l'engagement. Le salarié acquiert des droits à pension par le versement de primes ou de cotisations, mais il n'est pas ouvert autant de comptes individuels que de salariés. Un tel système ne connaît qu'un seul compte global (appelé parfois "fonds collectif"). Le plus souvent l'octroi de prestation de ces régimes est soumis à une condition d'ancienneté. La rente n'est versée que si le salarié est encore dans l'entreprise au moment de son départ à la retraite. Cette condition, qui doit figurer obligatoirement dans le contrat qui détermine les garanties offertes, n'est toutefois pas impérative, il peut être prévu une solution différente, par exemple "l'acquisition" du droit à versement d'une pension à partir d'une certaine ancienneté. Il existe deux grands types de régimes à prestations définies : les régimes dits "additifs" et les régimes dits "chapeau". L'engagement de résultat, caractéristique du régime à prestations définies peut prendre plusieurs formes. Il peut ainsi s'agir soit d'un montant fixe déterminé par la convention, soit d'une fraction du salaire ou d'un salaire de référence dont le mode de calcul aura été préalablement déterminé. En tous cas, la prestation est sans relation avec le montant des pensions de retraite versées par la Sécurité sociale ou par les caisses de retraite complémentaire obligatoire. On parle alors de "régime additif" ou de "retraite en droits supplémentaires". Ainsi, est un régime additif celui qui prévoit 0,5 % du dernier salaire d'activité par année d'ancienneté dans l'entreprise. L'entreprise ou l'organisme assureur (une société d'assurance, une mutuelle, une institution de prévoyance) peut également garantir un niveau global de rente. Il y a alors engagement de l'entreprise à verser la différence entre le montant promis et les prestations du régime général et des régimes complémentaires obligatoires ; on parle de "régime différentiel" ou de "régime-chapeau". Ainsi est un "régime chapeau" celui qui prévoit 2 % du dernier salaire d'activité multiplié par le nombre d'années d'ancienneté, déduction faite des prestations du régime général et des régimes AGIRC et ARRCO.

2. Dans les régimes dits "à cotisations définies", l'entreprise (et le cas échéant le salarié) ne s'engage que sur le financement du système. L'employeur alimente un fonds (nécessairement géré par une entité distincte) pour le compte de chaque salarié affilié en fonction de certains critères définis au moment de la mise en place. Il y a accumulation d'un capital et les pensions sont prélevées sur ce capital jusqu'à son épuisement. Ces régimes connaissent deux modalités techniques, la rente viagère immédiate et la rente viagère différée. La première technique (la rente viagère immédiate) consiste à ce que les cotisations soient épargnées pendant la durée de la vie active. Le capital ainsi accumulé est transformé en rente viagère à la date et selon les conditions figurant dans le contrat. La rente viagère différée repose sur l'idée d'achat, année par année, en fonction d'un tarif individuel ou collectif, sous forme de points ou de francs, de droits à retraite qui ne seront toutefois liquidés que le jour de la réalisation du risque. Dans les deux cas, les prestations sont très largement fonction du rendement des placements du capital. Les salariés n'acquièrent de droits que ceux résultant directement des cotisations (ou primes) versées en leur nom, et des produits financiers en résultant. Les droits à la retraite peuvent être exprimés soit en euros, soit en points. Dans ce cas, le nombre de points acquis chaque année par le salarié est alors égal à la cotisation nette divisée par le prix d'achat de la rente viagère à l'âge de la retraite (3). Mais les droits à la retraite peuvent également être exprimés en unités de compte ; le nombre d'unités de compte acquis par le salarié est égal à la cotisation nette divisée par l'unité de compte, elle-même variable en fonction de la valeur de l'actif support du produit (4). Dans ce système l'obligation de l'employeur ne porte que sur le financement prédéfini, pas sur le montant de la prestation. L'entreprise n'a aucune obligation de payer des cotisations supplémentaires si le fonds n'a pas suffisamment d'actifs pour servir toutes les pensions surcomplémentaires.

Dans l'affaire ayant donné lieu à un litige, on était d'évidence en présence non seulement d'un contrat à prestations définies à gestion collective mais de deux : a priori, le salarié bénéficiait d'une couverture importante en plus des prestations du régime de base et des régimes complémentaires retraite obligatoire (ARRCO et éventuellement AGIRC s'il était cadre).

L'institution à laquelle la gestion de cette assurance vie avait été confiée a modifié son règlement intérieur. Il était exigé un âge de départ à la retraite de 60 ans ; tout départ avant cet âge contribuait à repousser la date de versement de la pension surcomplémentaire à 65 ans. Et c'est vainement que le plaideur, qui était parti pour cause d'incapacité à 58 ans, demande le versement de sa pension de retraite surcomplémentaire à 60 ans. Dans la technique de gestion retenue, il n'y a pas de droit acquis au fur et à mesure mais le droit à pension ne naît qu'au moment fixé dans le contrat ou le règlement intérieur de l'institution de gestion. Notre plaideur doit donc attendre 65 ans pour toucher son complément facultatif de pension.

Dans le second contrat, le versement de la pension surcomplémentaire était soumis à deux conditions d'ancienneté alternatives (15 ans ou 35 ans dans l'entreprise) auxquelles s'ajoutait une condition de date de réalisation du risque (60 ans ou à 65 ans). Or, là encore, le salarié était parti avant ces dates, le contrat ne pouvait donc prendre effet.

On le voit, la logique de ces contrats d'assurance en cas de vie est très différente de celle des régimes gérés en répartition puisqu'ils sont fonction de la réalisation de l'événement prévu au contrat (5). La surprise a du être grande pour ce salarié de se retrouver ainsi privé de ces deux pensions surcomplémentaires ; espérons pour le moins que ce régime n'avait pas été un régime obligatoire avec cotisations salariales mais qu'il était financé par son seul employeur durant sa vie active.

Il convient donc d'être extrêmement vigilant au moment de la mise en place de ce type de contrats...

Francis Kessler
Maître de conférences de droit privé à l'université de Paris I Panthéon Sorbonne


(1) Ces choix supposent notamment que l'ancienneté et la position hiérarchique de chacun des salariés, la composition actuelle de l'effectif en termes d'âge ou encore le taux de rotation du personnel, aient été au préalable précisément recensés ;

(2) Deux tables de mortalité sont couramment utilisées dans le domaine de la retraite surcomplémentaire : la table TD 88-90 des assurances en cas de vie ou la table TPRV93 génération des années 1987 à 1993 pour les rentes viagères simplifiées ou autre. Il se peut que l'organisme choisisse une table autre ou qu'il soit convenu d'une table différente ;

(3) L'engagement de l'assureur est alors exprimé en espèces, à charge pour lui de gérer au mieux les dépôts de ses assurés ;

(4) Dans ce cas l'assuré choisi le ou les titres qui vont servir de support à son contrat souvent des produits d'épargne collective (SICAV, FCP, SII, SCPI par exemple ) ;

(5) Sous l'appellation courante "d'assurance vie" il est possible de repérer deux types d'assurances radicalement différentes. L'assurance en cas de vie se distingue de l'assurance décès en ce que pour le premier le risque se réalise dès lors que le bénéficiaire du contrat atteint un certain âge fixé dans le contrat, alors que l'assurance décès à pour objet le versement d'un capital ou d'une rente aux bénéficiaires mentionnés dans le contrat dès lors que la personne assurée décède.

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