La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010

La lettre juridique - Édition n°419

Avocats/Responsabilité

[Chronique] La Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI) - Décembre 2010

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Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, la Chronique de responsabilité de l'avocat de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Au sommaire de cette nouvelle chronique seront présentés, d'une part, deux arrêts des cours d'appel de Versailles et Limoges qui rappellent le principes selon lequel les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat de son devoir de conseil, et, d'autre part, un arrêt de la cour d'appel de Colmar du 27 septembre 2010 qui retient la responsabilité de l'avocat qui engage des procédures inutiles et ne respecte pas les délais de procédure.
  • Les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat de son devoir de conseil (CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 16 septembre 2010, n° 09/03538 N° Lexbase : A7997E93 et CA Limoges, 20 octobre 2010, n° 10/00050 N° Lexbase : A3566GC3)

L'occasion a déjà été donnée, ici même, d'insister sur l'importance du devoir d'information et de conseil qui pèse sur les professionnels (1), et sur les professionnels du droit en particulier, relevant d'ailleurs que, en réalité, le conseil est avant tout l'instrument permettant d'atteindre l'exigence d'efficacité inhérente à leurs obligations, comme l'exprime l'arrêt "Boiteux" de la première chambre civile de la Cour de cassation du 22 avril 1981, suivant lequel le devoir de conseil du notaire est destiné à assurer la validité et l'efficacité des actes (2). Ainsi les notaires doivent-ils, avant de dresser les actes, procéder à la vérification des faits et conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité de ces actes (3), en même temps qu'ils doivent éclairer les parties et attirer leur attention sur les conséquences et les risques des actes qu'ils authentifient (4). Par où l'on voit bien que leur obligation d'assurer l'efficacité des actes auxquels ils prêtent leur concours implique l'obligation d'informer les parties des avantages, des conditions et des risques encourus, afin d'éclairer leur consentement. Des observations du même ordre peuvent être faites à propos de l'avocat : tenu, en tant que rédacteur d'acte, de prendre toutes dispositions utiles pour assurer la validité et l'efficacité de l'acte (5), il lui incombe d'apporter la diligence à se renseigner sur les éléments de droit et de fait qui commandent les actes qu'il prépare ou les avis qu'il doit fournir, et d'informer ses clients sur la portée de l'acte et sur la conduite à tenir (6). Et l'avocat est, bien entendu, également soumis à un devoir de conseil lorsqu'il intervient non plus simplement en tant que rédacteur d'actes, mais également en tant qu'il est investi d'une mission d'assistance et de représentation, soit en vertu d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général obligeant l'avocat, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, soit d'un mandat ad negotia, c'est-à-dire d'un mandat qui peut n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire ou bien être l'accessoire ou une extension du mandat ad litem. La caractérisation d'un éventuel manquement de l'avocat à ses obligations suppose alors naturellement de déterminer l'étendue de la mission qui lui a été confiée et qui ressort, précisément, de son mandat : la responsabilité de l'avocat ne peut valablement s'apprécier qu'au regard du mandat (7). Encore convient-il, dans toutes ces hypothèses, de s'interroger sur les limites de la responsabilité de l'avocat, et notamment sur le point de savoir si les compétences de son client sont susceptibles sinon d'effacer, du moins d'atténuer l'intensité de son devoir d'information et de conseil. Deux arrêts, l'un rendu par la cour d'appel de Versailles le 16 septembre 2010, l'autre par la cour d'appel de Limoges le 20 octobre 2010, méritent, à ce titre, d'être ici signalés.

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, il était reproché à un avocat chargé tant de la rédaction d'actes de cession de parts sociales que d'un acte de renonciation au paiement du solde du prix de ne pas avoir attiré l'attention de son client sur les conséquences fiscales d'un abandon de créance : en effet, la société cessionnaire s'étant trouvée libérée de toute obligation, le client, en sa qualité de cédant, faisait grief à l'avocat d'avoir dû payer des impôts sur des sommes qu'il n'avait pas perçues et qu'il ne pouvait plus recouvrir compte tenu de la renonciation, ce qu'il aurait pu éviter s'il avait été correctement informé. L'avocat soutenait quant à lui, pour échapper à toute responsabilité, que les compétences de son client l'auraient déchargé de son devoir de conseil. L'argument est écarté par la cour d'appel qui décide que l'avocat "n'est pas déchargé de son devoir de conseil par les compétences [de son client] au motif qu'il semblait disposer de solides connaissances dans la gestion des affaires".

Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Limoges, dès lors qu'il était établi qu'un avocat avait été investi du mandat de représenter une société lors d'une vente immobilière et d'enchérir pour son compte, il s'en déduisait naturellement que cette mission comportait l'obligation pour l'avocat d'attirer l'attention de son client, antérieurement à la vente aux enchères, sur une disposition du cahier des charges qui imposait à l'adjudicataire de payer, dans le délai de deux mois de l'adjudication, le montant de son prix par l'intermédiaire de son avocat entre les mains du Bâtonnier de l'Ordre des avocats, et sur les conséquences financières du non respect de cette clause, notamment le paiement d'importants intérêts. Et, une nouvelle fois, pour engager la responsabilité de l'avocat pour manquement à son devoir de conseil, la cour d'appel énonce que "les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par lui de toute obligation de conseil", de telle sorte que, en l'espèce, "c'est à tort que Me C. [l'avocat] recherche une exonération de sa responsabilité en invoquant la qualité de marchand de biens de la SARL CTI [le client] d'autant qu'il ne démontre pas la fausseté des déclarations de cette dernière lorsqu'elle affirme qu'il s'agissait de sa première acquisition à la barre du tribunal".

Sans doute le devoir de conseil n'est-il pas sans limites. Il est, en effet, des circonstances qui libèrent le débiteur. Ainsi, en dehors même du fait que le devoir de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous (8) ou, inversement, qui sont ignorés de tous, rendant du même coup l'erreur invincible (9), on considère que le professionnel n'est pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties, du moins dans les hypothèses dans lesquelles aucun élément ne permettait de douter de leur exactitude. Aussi bien décide-t-on que lorsqu'une partie déclare n'avoir jamais fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, le notaire n'a pas à vérifier cette déclaration, sauf à ce qu'existent des raisons objectives de mettre en doute sa véracité (10). Et, s'agissant de l'avocat, il a été jugé qu'il "ne saurait être tenu, dans le cadre de son obligation de conseil, de vérifier les informations fournies par son client s'il n'est pas établi qu'il disposait d'informations de nature à les mettre en doute ni d'attirer son attention sur les conséquences d'une fausse déclaration" (11). Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 25 mars 2010 est d'ailleurs venu le redire, la Haute juridiction énonçant que "le devoir de conseil auquel est tenu le rédacteur d'actes s'apprécie au regard du but poursuivi par les parties et de leurs exigences particulières lorsque, dans ce dernier cas, le praticien du droit en a été informé ; que si le professionnel doit veiller, dans ses activités de conseil et de rédaction d'actes, à réunir les justificatifs nécessaires à son intervention, il n'est, en revanche, pas tenu de vérifier les déclarations d'ordre factuel faites par les parties en l'absence d'éléments de nature à éveiller ses soupçons quant à la véracité des renseignements donnés" (12).

En revanche, hormis ces hypothèses particulières, l'examen du droit positif atteste de la rigueur dont fait preuve la jurisprudence. Les deux arrêts de la cour d'appel de Versailles et de la cour d'appel de Limoges participent d'ailleurs de cette logique. Ils confirment une solution à présent bien établie : la compétence personnelle du client ne supprime pas dans son principe le devoir d'information et de conseil qui pèse sur le débiteur (13). La jurisprudence décide, en effet, de façon aujourd'hui constante, que les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par celui-ci de toute obligation de conseil (14), toute comme elle juge que le notaire n'est pas déchargé par les compétences personnelles de son client (15), y compris, d'ailleurs, lorsque le client est lui-même notaire (16), et, enfin, plus généralement, que les compétences personnelles du client ne dispensent pas le rédacteur d'actes de son devoir de conseil (17). Et, dans le même ordre d'idées, il est encore acquis que le devoir de conseil subsiste lorsque le créancier se fait assister par une personne compétente : ainsi a-t-il été jugé que la présence d'un avoué dans la procédure d'appel ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil (18), ou encore que la présence d'un conseiller personnel aux côtés d'un client ne saurait dispenser le notaire de son devoir de conseil (19).

  • Responsabilité de l'avocat qui engage des procédures inutiles et ne respecte pas les délais de procédure (CA Colmar, 3ème ch., 27 septembre 2010, n° 09/02274 N° Lexbase : A4956GAS)

Les contestations portant sur le montant ou le recouvrement des honoraires non tarifés des avocats sont soumises à une procédure spécifique régie par les articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, organisant la profession d'avocat (N° Lexbase : L8168AID), ce qui exclu qu'il puisse être recouru, pour ces contestations, à la procédure de référé-provision instituée par l'article 809, alinéa 2, du Code de procédure civile (N° Lexbase : L0696H4K) ou même à la procédure d'injonction de payer (20). Très concrètement, les contestations concernant le montant ou le recouvrement des honoraires des avocats sont soumises au Bâtonnier de l'Ordre auquel appartient l'avocat concerné. La décision du Bâtonnier, statuant sur la contestation d'honoraires, est susceptible d'un recours directement porté devant le premier président de la cour d'appel, dans le ressort de laquelle l'Ordre est établi. Les dispositions de droit commun concernant la compétence territoriale, et notamment l'article 47 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1212H4N), ne sont pas applicables à cette procédure spéciale (21). Le premier président de la cour d'appel ayant à connaître du recours formé contre la décision du Bâtonnier n'a pas compétence pour apprécier la qualité des diligences de l'avocat (22) mais doit en rechercher l'utilité (23) et la réalité (24). Autrement dit, il n'appartient pas au juge de l'honoraire de statuer sur d'éventuelles fautes de l'avocat, susceptibles d'engager sa responsabilité, cette appréciation relevant de la seule compétence du juge de droit commun (25). Il convient donc de nettement distinguer les deux actions, en contestation d'honoraires d'une part, soumise à une procédure spéciale, et en responsabilité d'autre part, soumise au droit commun, encore que, du point de vue du résultat, l'allocation de dommages et intérêts sur le terrain de la responsabilité civile pourra, certes indirectement, conduire à une réduction des honoraires. Mais encore faut-il, pour que l'action en responsabilité aboutisse, que certaines conditions soient remplies, en l'occurrence que la preuve d'une faute imputable à l'avocat ayant causé un préjudice à son client soit établie. Un arrêt de la cour d'appel de Colmar en date du 27 septembre 2010 n'est pas, sous cet aspect, sans appeler quelques observations.

En l'espèce, le préfet du Bas-Rhin avait notifié à un ressortissant congolais sa décision de rejet de demande de carte de séjour temporaire et une injonction de quitter le territoire national dans un délai d'un mois. L'intéressé avait alors demandé à un avocat d'introduire toutes les procédures nécessaires afin de pouvoir rester légalement en France. L'avocat, ayant accepté ce mandat, avait introduit un recours gracieux puis, à la suite de l'interpellation de son client et de son placement en centre de rétention, deux recours devant le tribunal administratif de Strasbourg. Ces deux recours ont finalement été rejetés, mais l'histoire ne devait pas trop mal se terminer pour l'étranger qui a obtenu la délivrance d'une carte de séjour temporaire à la suite de l'intervention d'un député. Toutefois, celui-ci a entendu contester le montant des honoraires réclamés par son avocat. Alors que celui-ci avait fait valoir que le tribunal d'instance saisi était incompétent, la cour d'appel de Colmar décide que s'il résulte effectivement, ainsi d'ailleurs qu'on l'a rappelé plus haut, de l'article 174 du décret du 27 novembre 1991 que les contestations concernant le montant et le recouvrement des honoraires d'avocat ne peuvent être réglées que par le Bâtonnier, "cette procédure spéciale ne s'applique qu'aux contestations relatives à la fixation et au recouvrement des honoraires. Ni le Bâtonnier ni le premier président saisi d'un recours n'ont le pouvoir de connaître, même à titre incident, de la responsabilité de l'avocat au titre d'un éventuel manquement à son obligation d'information ou d'une faute commise par ce dernier". Et finalement de considérer, au cas d'espèce, que "c'est à bon droit qu'il [le tribunal] s'est déclaré compétent, la contestation [...] s'analysant en une demande de dommages-intérêts". Il restait alors à rapporter la preuve des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'avocat. Or, estime la cour, tel était bien le cas : non seulement le recours en référé-suspension était dépourvu d'objet au motif que le recours en annulation suspend l'obligation de quitter le territoire français en vertu de l'article L. 512-1, alinéa 1er, du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L6590HWY), mais encore le recours en annulation était prescrit faute d'avoir été intenté dans le mois suivant la notification de la décision du préfet. Dès lors, parce que "l'avocat doit s'abstenir d'engager des procédures inutiles et doit être vigilant quant au respect des délais de procédure quelle que soit la complexité de la législation du droit des étrangers", il commet une faute lorsque, bien que son assistance ait été réelle, "elle s'est néanmoins avérée inefficace en raison de son mauvais choix procédural et de l'inutilité des recours introduits".

Sans doute la mission d'assistance en justice emporte-t-elle pouvoir et devoir de conseiller les parties, si bien que manque à son devoir de conseil l'avocat qui omet d'informer son client sur les moyens de défense, quelles qu'aient d'ailleurs été les instructions reçues (26), ou sur les voies de recours existant contre les décisions rendues à son encontre (27). Et sur le terrain non plus de son devoir d'information et de conseil, mais sur celui d'assurer la validité et l'efficacité des actes, il est également acquis que l'avocat engage sa responsabilité en cas de faute lors d'une action en justice, par exemple à raison d'une action intentée hors délai (28), ou bien en méconnaissance d'une nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation (29). On se souvient en outre, pour l'avoir ici même commenté, qu'il a été jugé que l''avocat qui a laissé prescrire l'action et qui a sciemment trompé son client en lui donnant de faux renseignements lui laissant croire que les assignations avaient été délivrées à un moment où il était encore temps d'empêcher le dommage commet une faute intentionnelle au sens de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH) (30).

Tout cela est, à vrai dire, parfaitement connu, et l'arrêt de la cour d'appel de Colmar du 27 septembre dernier participe de la même logique : la faute de l'avocat paraissait, en effet, indiscutable. On avouera cependant demeurer un peu perplexe à la lecture de l'arrêt, dans la mesure où, pour que la responsabilité de l'avocat soit engagée, encore faut-il, en dehors de la preuve d'une faute qui puisse lui être imputée, qu'il en soit résulté un préjudice pour le client. Or, au cas d'espèce, si l'on peut comprendre que la cour approuve le tribunal d'avoir alloué à la victime une somme de 500 euros en raison de son préjudice moral -celui-ci résultant de l'incertitude dans laquelle il avait été placé quant à sa présence régulière sur le territoire national en raison du caractère suspensif du recours en annulation s'il avait été introduit dans le délai alors que, dès le rejet de ce recours, il avait dû vivre clandestinement afin d'éviter une expulsion-, on aura plus de mal à justifier l'affirmation de la cour selon laquelle "compte tenu de la faute commise par l'avocat, il convient d'allouer à [son client] une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts". On aura d'ailleurs d'autant plus de mal à le faire que les magistrats colmariens relèvent, dans la foulée, que le client "ne peut se prévaloir d'une perte de chance car en définitive, il n'a pas été expulsé. En outre, il n'est pas établi que si le recours en annulation avait été introduit dans le délai, la régularisation de la situation de l'intimé aurait été plus rapide, le tribunal administratif disposant d'un délai de trois mois pour statuer". En somme, la cour ne dit-elle pas que le client de l'avocat, qui n'a finalement pas été expulsé, n'a pas subi de préjudice ? Les dommages et intérêts alloués seraient-ils alors des dommages et intérêts punitifs ? La formule utilisée par la cour, établissant un lien entre l'existence d'une faute imputable à l'avocat et la condamnation à des dommages et intérêts ("compte tenu de la faute commise par l'avocat, il convient d'allouer à M. M. une somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts") pourrait le suggérer. A moins que, retour au point de départ, il ne s'agisse, dans tout cela, que de procéder à une réduction -indirecte- des honoraires de l'avocat ?

David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)


(1) Sur la consécration d'un devoir général de conseil à la charge du vendeur professionnel : Cass. civ. 1, 28 octobre 2010, n° 09-16.913, F-P+B+I (N° Lexbase : A7996GC7).
(2) Cass. civ. 1, 22 avril 1981, n° 80-11.398 (N° Lexbase : A4212EXB), Bull. civ. I, n° 126.
(3) Cass. civ. 1, 4 janvier 1966, n° 62-12.459 (N° Lexbase : A9526DUD), Bull. civ. I, n° 7 ; Cass. civ. 1, 20 janvier 1998, n° 96-14.385 (N° Lexbase : A2257ACL), Bull. civ. I, n° 22.
(4) Cass. civ. 1, 7 novembre 2000, n° 96-21.732 (N° Lexbase : A7765AH3), Bull. civ. I, n° 282.
(5) Cass. civ. 1, 5 février 1991, n° 89-13.528 (N° Lexbase : A4419AH7), Bull. civ. I, n° 46.
(6) Cass. civ. 1, 27 novembre 2008, n° 07-18.142, F-P+B sur la première branche (N° Lexbase : A4608EBB), Bull. civ. I, n° 267, jugeant que l'avocat, unique rédacteur d'un acte sous seing privé, est tenu de veiller à assurer l'équilibre de l'ensemble des intérêts en présence et de prendre l'initiative de conseiller les deux parties à la convention sur la portée des engagements souscrits de part et d'autre, peu important le fait que l'acte a été signé en son absence après avoir été établi à la demande d'un seul des contractants.
(7) Voir, encore, pour un rappel récent du principe, Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697 (N° Lexbase : A1017E33).
(8) Cass. civ. 3, 20 novembre 1991, n° 90-10.286 (N° Lexbase : A2944ABN), Bull. civ. III, n° 284. Comp. Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 97-18.737 (N° Lexbase : A3478AUD), Bull. civ. I, n° 101, jugeant que nul ne peut voir sa responsabilité engagée pour ne pas avoir rappelé à une autre partie des obligations relevant de l'obligation de bonne foi qui s'impose en matière contractuelle, ou les conséquences de leur transgression.
(9) Cass. civ. 1, 21 novembre 2000, n° 98-13.860 (N° Lexbase : A9344AHK), Bull. civ. I, n° 300 (usucapion ignoré de tous et ultérieurement constaté dans une décision judiciaire).
(10) Cass. civ. 1, 28 septembre 2004, n° 01-01.081 (N° Lexbase : A4564DDE).
(11) Cass. civ. 1, 30 octobre 2007, n° 05-16.789 (N° Lexbase : A2275DZB).
(12) Cass. civ. 1, 25 mars 2010, n° 09-12.294, F-P+B+I (N° Lexbase : A1345EUD).
(13) Du moins sur le notaire ou l'avocat. En revanche, la jurisprudence paraît considérer que le devoir de conseil qui pèse sur le vendeur n'existe que si le "client est dépourvu de toute compétence" : Cass. com., 11 juillet 2006, n° 04-17.093, F-D (N° Lexbase : A4304DQH), D., 2006, AJ, p. 2788, obs. X. Delpech.
(14) Voir not. Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.775 (N° Lexbase : A2743ATR), Bull. civ. I, n° 15.
(15) Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-15.659 (N° Lexbase : A8057C48), Rép. Defrénois, 1996, p. 361, obs. J.-L. Aubert.
(16) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831 (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(17) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-14.192 (N° Lexbase : A4535AG3), Bull. civ. I, n° 238.
(18) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132.
(19) Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-16.894 (N° Lexbase : A9438CGN), Bull. civ. I, n° 312 ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758 (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (présence d'un autre notaire aux côtés d'une des parties à l'acte).
(20) Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-17.016, FS-P+B (N° Lexbase : A8265BSW), Bull. civ. II, n° 131.
(21) Cass. civ. 1, 13 mai 2003, n° 00-18.184, FS-P (N° Lexbase : A0123B7P), Bull. civ. II, n° 113.
(22) CA Aix-en-Provence, 5 oct. 2005, n° 05/03430 ; CA Aix-en-Provence, 19 mars 2008, n° 07/14995.
(23) CA Aix-en-Provence, 17 mai 2006, n° 05/18460.
(24) CA Aix-en-Provence, 8 mars 2006, n° 05/21715.
(25) Cass. civ. 1, 29 février 2000, n° 97-17.487 (N° Lexbase : A3898A7I), Bull. civ. I, n° 67 ; Cass. civ. 1, 26 novembre 2002, n° 00-18.346, F-P (N° Lexbase : A1143A44), Bull. civ. I, n° 284.
(26) Cass. civ. 1, 9 mai 1996, Bull. civ. I, n° 191.
(27) Cass. civ. 1, 13 novembre 1997, n° 94-14.022 (N° Lexbase : A9795ABE), Bull. civ. I, n° 303.
(28) Cass. civ. 1, 28 janvier 1992, n° 89-17.661 (N° Lexbase : A4681AHT), Bull. civ. I, n° 29.
(29) Cass. civ. 1, 15 octobre 1985, n° 84-12.309 (N° Lexbase : A5508AAA), Bull. civ. I, n° 257.
(30) Cass. civ. 2, 1er juillet 2010, n° 09-14.884, FS-P+B (N° Lexbase : A6725E3H).

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Éditorial

Quand le droit du travail entre dans la "Quatrième dimension"...

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N6996BQ8

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Nous sommes transportés dans une autre dimension, une dimension faite de sons, mais aussi d'esprits. Un voyage au bout des ténèbres où il n'y a qu'une destination : la Quatrième dimension"... Et, si je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, c'est pour évoquer une musique bohême, celle entonnée par un doit du travail quelque peu triste et déroutant. Car, en la matière, nous sommes plus proches de la "zone crépusculaire" (twilight zone) de Rod Serling, le créateur de la série, pour désigner l'instant précis où un pilote est incapable de voir la ligne d'horizon alors qu'il est en phase d'atterrissage que, véritablement, de la "quatrième dimension", le temps, chère à Einstein.

En feuilletant l'almanach de droit social, de ces dernières semaines, la chose est, ainsi, frappante : l'Homme n'existe que sous le prisme du "travailleur". Dire que le juge social appréhende l'Homme uniquement comme un "salarié", en tout lieu, en tout temps, sans entrevoir qu'il puisse faire ou être "autre chose", c'est faire le procès du médecin qui ne voit ses patients que du point de vue pathologique, celui du peintre qui n'entrevoit pas son sujet mais uniquement la perspective, celui du fiscaliste -plaidons pour notre paroisse- qui ne voit, dans les circonvolutions historiques du monde, qu'une perpétuelle révolte fiscale... Mais, jugez plutôt sur pièce, et commençons en douceur.

Le 9 novembre 2010, la Chambre sociale de la Cour de cassation retenait que l'exercice, par le salarié, pendant le soir et la nuit, de fonctions attribuées pendant la journée à un autre membre du personnel, spécialement affecté à la réception des appels d'urgence, caractérise bel et bien l'exercice d'un travail effectif. En l'espèce, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale en vue d'obtenir le paiement de rappels de salaires, heures supplémentaires, repos compensateurs, service continu et repos hebdomadaire. Pour la Haute juridiction, "compte tenu de l'obligation pour la société employeur d'assurer une permanence téléphonique continue de sécurité 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, le salarié exerçait le soir et la nuit les fonctions attribuées pendant la journée à un autre membre du personnel spécialement affecté à la réception des appels d'urgence, la cour d'appel de Colmar a [, à juste titre,] caractérisé l'exercice d'un travail effectif". Sans revenir sur le fait qu'un gardien concierge, à qui l'on demande, en contrepartie d'un logement, d'assurer une permanence téléphonique, effectue un travail effectif continu, on pourra être interloqué par le fait que, prosaïquement, un salarié puisse, dès lors, travailler "effectivement", 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, sans que l'on crie à l'esclavagisme... La décision, pour favorable qu'elle soit au salarié, n'en est pas moins préjudiciable, mais révélatrice, sur la condition de l'Homme vis-à-vis de la société -unité de production oblige-.

Le même jour, la cour d'appel de Versailles faisait "coucou" au Quai de l'Horloge, se dressant ainsi dans son lit, en caractérisant un lien de subordination entre les anciens participants du jeu "L'île de la tentation" et la société de production... Les douze appelants avaient signé avec la société de production, un "règlement participants", par lequel ils s'engageaient à participer au tournage de l'émission, durant douze jours, et devaient partager leur quotidien avec des personnes de sexe opposé, sous les yeux des caméras. Soumis à de nombreuses obligations qui résultaient de ce fameux "règlement participants", ils étaient assujettis au choix de vêtements de la production, à des horaires imposés, à l'obligation de vivre sur le site et l'impossibilité de se livrer à des occupations personnelles. Pour les juges du fonds, les participants se trouvaient sous la subordination juridique de la société de production et il existait entre les parties une relation d'employeur à salariés.... Là aussi, nul besoin de revenir sur la polémique opposant moralité et exégèse du droit du travail ! Toujours est-il que participer à un jeu télévisé, pour faire du jet ski sous les tropiques et s'adonner à des parades "amoureuses" des plus intimes, ne relève donc pas de la vie privée, mais de l'exercice d'une activité professionnelle -on aurait préféré, sans doute, l'absence de "règlement participants", afin que le jeu tourne sans limite aucune à la paresse et à la luxure-.

Et, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt de trancher, le 19 novembre 2010 : des propos tenus sur le site Facebook peuvent justifier un licenciement ! Si cette décision n'emporte pas l'aliénation définitive de l'Homme au travail -nous disons au travail et non à l'employeur ou l'entreprise, la théorie marxiste étant, en l'espèce, hors de propos-, elle raye la frontière, certes ténue, entre vie privée et vie professionnelle. Pour le juge prud'homal, les salariées ont abusé de leur droit d'expression visé à l'article L. 1121-1 du Code du travail. Elles ont, également, porté atteinte à l'autorité et à la réputation de leur supérieur hiérarchique et ont nuit à l'image de l'entreprise, leurs propos pouvant être lus par des personnes extérieures à la société. Leur comportement est, ainsi, constitutif d'une faute grave. Et, pourtant, dans cette affaire, point d'insulte, point de discrédit expressif, juste quelques railleries, sans doute de mauvais ton, mais guère plus... Une fois encore, le juge social n'entrevoit le justiciable que sous l'angle salarial ; le moyen selon lequel les mêmes propos entendus au café commerce n'auraient pas entraîner une sanction équivalente ne peut être que rejeté : c'est oublier que le célèbre réseau est un social network et, dans sa terminologie originelle, le "travail" apparaît encore et toujours.

Alors que le salarié se croit en "vacances" de son entreprise, le réseau social l'anesthésie et le plonge dans un "village", un lieu virtuel et idyllique, habité par une communauté de "villageois" tous vêtus d'habits colorés et d'un badge numéroté les identifiant, et dont les meneurs, comme cet "ami" Numéro 2, passent leur temps à lui "demander des renseignements". Le "village" en question est surveillé constamment par quantité de caméras, cookies et autres vecteurs de traçabilité. Ce "village" est une caricature du monde quotidien, un univers esthétique et ludique empreint de téléphones sans fil, portes automatiques, cartes de crédit, et envahi par la publicité... Pour les soixante-huitards, cette description partiale de Facebook évoque, nécessairement, Patrick McGoohan et une série britannique mythique. Pour les autres, il s'agit du Prisonnier, cette série reprenant le thème kafkaïen de 1984 de Georges Orwell, dans laquelle un homme tente désespérément de s'évader d'un "village" qui progressivement nie son humanité... Et, dans ce "village", il faut prendre grand soin de ne pas être dupe de ses "amis" : à la lumière de la dernière jurisprudence sociale, on ne sait jamais de quel côté du "mur" leur coeur balance...

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Fonction publique

[Doctrine] Loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : présentation des principales mesures concernant la fonction publique

Réf. : Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9)

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N8186BQA

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par Christophe de Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 04 Janvier 2011

La loi du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, a été publiée au Journal officiel du 10 novembre 2010 (1), après avoir été déclarée, la veille, conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, à l'exception des articles 63 à 75 relatifs à la réforme de la médecine du travail (2). Cette loi vise à faire face à l'évolution constante et prévisible de la démographie et du marché du travail (3). En effet, le système de financement des retraites est, d'ores et déjà, déséquilibré alors qu'une retraite sur dix est financée par l'emprunt. Ce besoin de financement ne peut que s'accroître compte tenu des déséquilibres démographiques. Le Gouvernement s'est fixé l'objectif d'un rétablissement de l'équilibre des régimes de retraite à l'horizon 2018. Pour y parvenir, diverses mesures de financement doivent figurer dans les prochaines lois de finances et de financement de la Sécurité sociale. Il s'agit de l'aspect "recettes". La loi portant réforme des retraites porte, quant à elle, sur l'aspect "dépenses". Elle comprend essentiellement deux mesures de relèvement de deux ans des deux "bornes d'âge". Ces deux mesures d'âge représentent environ la moitié du besoin de financement estimé en 2018. D'une part, la loi relève l'âge parfois qualifié de "départ à la retraite", qui est, plus exactement, l'âge dit "de liquidation" auquel un assuré peut demander la liquidation de sa retraite ou de sa pension. Cette première borne d'âge est rehaussée de deux ans, c'est-à-dire de 60 à 62 ans. D'autre part, la loi relève l'âge limite de départ à la retraite qu'il faut plus justement, compte tenu des dérogations, qualifier d'âge de fin de la décote. Cette seconde borne d'âge est, également, rehaussée de deux ans, c'est-à-dire de 65 à 67 ans (4). C'est précisément ces deux "mesures phares" qui étaient contestées par les députés et sénateurs requérants (5). Concernant plus spécifiquement les fonctionnaires, les précédentes réformes des retraites dans les années 1990 (6) n'avaient touché que les salariés du privé mais, dans la suite de la réforme de 2003, (7) qui a procédé à un premier rapprochement entre les deux principaux régimes de retraite (salariés du privé et deux fonctionnaires) (8), la réforme de 2010 concrétise le rapprochement ainsi entamé en plaçant l'ensemble des nouvelles mesures sous le sceau du "principe d'équité" entre le secteur public et le secteur privé (9).

La période de référence pour le calcul des pensions (six mois versus ving-cinq ans) et le taux de remplacement représenté par la pension par rapport au dernier salaire (75 % versus 50 %) ont été des éléments souvent invoqués pour illustrer les disparités entre les deux principaux régimes de retraite et justifier les pistes de réforme. Mais la remise en cause du calcul de la retraite sur les six derniers mois aurait été un véritable bouleversement, car on sait que c'est cet avantage comparé aux salariés du secteur privé qui permet de mieux faire accepter aux fonctionnaires la lenteur de leur avancement et l'absence de prise en compte de leurs primes (10). Les données ne sont pas nécessairement comparables entre secteur privé et public. Ainsi, contrairement aux carrières des salariés du privé, rarement linéaires, celles des fonctionnaires évoluent en fonction de cadres fixés par un statut (catégories A, B, C, points d'indice, échelons) et, si les dernières années sont toujours les plus favorables, les fins de carrières sont souvent marquées par de longues périodes de stagnation. De plus, dans le salaire de référence pour le calcul de la pension des fonctionnaires (six derniers mois), les primes ne sont pas prises en compte alors qu'elles peuvent représenter de 7 à 40 % de la rémunération. Les fonctionnaires ne touchent une retraite complémentaire sur une petite partie de leurs primes que depuis la création du système de retraite additionnelle en 2003.

Ainsi, si le Gouvernement n'a pas fait le choix d'une réforme systémique qui n'aurait en rien résolu les problèmes financiers auxquels notre système de retraite est confronté, il s'est orienté vers une plus grande convergence des règles régissant chacun des régimes publics et privés. Il a, en effet, jugé que la multiplicité de ces règles était incompréhensible pour nos concitoyens et nourrissait les inquiétudes des uns et des autres, qui ont toujours le sentiment que le voisin est privilégié. Depuis la réforme de 2003, la durée d'assurance, la décote, la surcote et l'indexation des salaires sur les prix, qui constituent des paramètres fondamentaux pour les régimes de retraite, sont appliquées dans les mêmes conditions dans la fonction publique et dans le secteur privé. Afin de maintenir l'égalité de traitement entre les Français, cette évolution commune des principaux paramètres de calcul des droits sera poursuivie avec le relèvement de l'âge d'ouverture des droits (I). Dans la même logique, et pour faire face, notamment, à certaines critiques, le législateur a supprimé les départs anticipés sans condition d'âge des parents de trois enfants ayant quinze ans de services. A la différence du secteur privé, les fonctionnaires pouvaient partir, jusqu'à présent, à la retraite à l'âge de leur choix, lorsqu'ils avaient, à la fois, quinze ans de service effectif et trois enfants, bénéficiant ainsi d'une retraite anticipée (11). Ce dispositif avait été étendu aux hommes en 2004, mais bénéficiait surtout aux femmes à 99 % (12) . Pour autant, il a fait l'objet de plusieurs critiques, notamment de la part du Conseil d'orientation des retraites (COR) (13), pour son mode de calcul différent des règles de droit commun et son manque de cohérence avec le développement de l'emploi des seniors, mais aussi de la part de la Commission européenne pour le caractère discriminant hommes-femmes justifiant, ainsi, sa suppression dans la loi commentée (II).

I - La poursuite de la dynamique de rapprochement entre secteur public et secteur privé

Dans la réforme de 2003, l'alignement du secteur public sur le secteur privé n'était que progressif et, du moins, pas encore synonyme d'égalité (A). Celui opéré dans la réforme de 2010 ne parvient toujours pas à cette égalité puisque le projet de réforme ne modifie pas les modalités spécifiques de calcul de la retraite des fonctionnaires. Le taux de liquidation de leur retraite reste fixé à 75 % de leur dernier traitement, sous réserve qu'ils aient accompli une carrière complète. En revanche, il comporte différentes mesures destinées à se rapprocher encore davantage du régime de celui des salariés de droit privé (B).

A - La réforme de 2003 et la mise en oeuvre de la convergence entre secteur public et privé

L'une des dispositions phares de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 a été d'organiser, en premier lieu, un alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du régime général de façon progressive dès 2003. Le taux maximal de liquidation de la pension étant obtenu après 40 années de services contre 37,5 années depuis 2008, avec un allongement progressif de la durée de la cotisation faite au rythme d'un semestre supplémentaire par an (article 66 de la loi). La durée de cotisation passant à 41 annuités à partir de 2012.

Le législateur s'est, également, inspiré des mécanismes du secteur privé pour inciter les fonctionnaires à allonger, autant que faire se peut, la durée de leur carrière. L'article 51 de la loi (C. pens. retr., art. L. 14 N° Lexbase : L3139INL) a institué une sorte de décote à compter de 2006 appelée "coefficient de minoration". Celui-ci sanctionnant l'absence de trimestres nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum de la pension (coefficient de minoration de 1,25 % par trimestre dans la limite de 5 ans). Ce coefficient s'élèvera à 3 % par annuité manquante en 2011 et à 5 % en 2015. Toutefois, la minoration ne s'applique pas dans quatre cas : celui des fonctionnaires ayant atteint la limite d'âge de leur corps ; celui des fonctionnaires handicapés dont l'incapacité permanente est au moins égale à 80 %, ou mis à la retraite pour invalidité ; celui des pensions de réversion lorsque la liquidation de la pension dont le fonctionnaire aurait pu bénéficier intervient après son décès ; celui des militaires radiés des cadres par suite d'infirmité. Le coefficient de minoration étant, par ailleurs, progressivement réduit à l'égard des salariés du secteur privé afin d'harmoniser leur régime avec celui de la fonction publique.

Venant un peu en contrepartie du système précédent, le législateur a mis en place un "coefficient de majoration" applicable au montant de la pension liquidée et destinée à ce que les fonctionnaires continuent de travailler au-delà de 60 ans. Ce coefficient est de 0,75 % par trimestre supplémentaire dans la limite de cinq ans (article 51 de la loi et nouvel article L. 14-III du Code des pensions civiles et militaires de retraite, précité). De même, les pensions ont été revalorisées, non plus sur la base de la valeur du point de la fonction publique, mais selon l'inflation prévue par la loi de finances, avec un éventuel rattrapage si l'inflation constatée est différente de celle initialement prévue. Les pensions seront revalorisées chaque année en fonction de l'évolution prévisionnelle de l'indice des prix à la consommation prévue dans le rapport économique, social et financier annexé à la loi de finances pour l'année considérée. Un ajustement est prévu en cas de différence constatée avec l'évolution réelle des prix. Auparavant, les pensions étaient indexées sur les traitements des actifs. A une époque où l'augmentation du traitement de ces derniers évolue moins vite que l'indice des prix, la mesure paraît favorable aux retraités. Mais il n'en a pas toujours été ainsi au gré des Gouvernements qui se sont succédés et inégalement souciés du pouvoir d'achat de leurs agents.

Depuis le 1er janvier 2005, a été créé, toujours dans la même logique, un régime complémentaire : une partie des primes, heures supplémentaires et indemnités (comme l'indemnité de résidence) des agents des trois fonctions publiques est prise en compte pour la retraite et constitue des droits à pension additionnelle à côté de la retraite de base (moyennant une cotisation de 10 %, dans la limite de 20 % du traitement indiciaire brut total). Cette retraite additionnelle étant versée sous forme de rente ou en capital. Enfin, ce sont aussi les conditions du cumul emploi-retraite qui ont été améliorées : un retraité de la fonction publique peut bénéficier de l'intégralité de sa pension et d'un salaire versé par une entreprise privée ou publique ou une association.

B - La réforme de 2010 et la poursuite de la convergence entre secteur public et secteur privé

L'âge auquel les fonctionnaires peuvent faire liquider leur retraite, à condition d'avoir accompli au moins quinze ans de services dans la fonction publique, sera progressivement relevé de deux ans à partir de juillet 2011. Ce relèvement devrait se faire au même rythme que celui applicable aux salariés du privé, à raison de 4 mois supplémentaires par génération. Cet âge devrait passer d'ici à 2018 : de 60 à 62 ans pour les fonctionnaires occupant un emploi sédentaire de la catégorie A ; de 55 à 57 ans pour ceux ayant un emploi de la catégorie B active qui présente des risques particuliers ou occasionnent des fatigues exceptionnelles (agents de la police municipale, infirmières, aides soignants, sages-femmes) ; de 50 à 52 ans pour certains fonctionnaires de la catégorie B ayant accompli au moins ving-cinqans de services (agents de la police nationale, surveillants de prison, contrôleurs aériens). La seule exception à ce principe concerne les infirmières actuellement en activité qui, dans le cadre de la réforme de leur statut, ont pu opter pour un emploi sédentaire de la catégorie A (alors qu'elles relevaient de la catégorie B) : l'âge de l'ouverture de leurs droits à retraite est maintenu à 60 ans (elles ne seront pas concernées par le relèvement de deux ans). En revanche, les nouvelles diplômées se verront appliquer le relèvement de deux ans.

Relever le taux de cotisations pour les retraites des fonctionnaires a été l'autre piste très sérieusement évoquée et retenue au risque, selon les syndicats, d'amputer le pouvoir d'achat des fonctionnaires si leur traitement n'est pas revalorisé. Le taux des cotisations de retraite prélevées sur les traitements des fonctionnaires est, ainsi, aligné sur celui du secteur privé. Il devrait passer progressivement de 7,85 % aujourd'hui à 10,55 % en 2020 (14). Ce dernier taux correspond à la somme des cotisations salariales en vigueur dans le secteur privé (régime général et régimes complémentaires obligatoires AGIRC-ARRCO). En effet, la pension dans le secteur privé relève de deux régimes (base et complémentaire). Quant au régime de retraite de la fonction publique, il s'agit d'un régime unique (dit "intégré"). A salaire équivalent, la pension d'un fonctionnaire est similaire, voire supérieure, à la retraite d'un salarié du secteur privé. En revanche, l'effort contributif pour bénéficier de cette pension est sensiblement plus faible puisque l'écart de taux de cotisation pour le fonctionnaire est de 2,7 points (soit 26 % plus faible).

Le régime des fonctionnaires prévoit un minimum garanti de pension, dont l'équivalent dans le secteur privé est le minimum contributif. Ce minimum garanti dans la fonction publique présente plusieurs spécificités par rapport à celui du secteur privé. Les fonctionnaires, contrairement aux salariés du privé, bénéficient de ce minimum dès qu'ils atteignent l'âge d'ouverture des droits (60 ans pour l'âge légal de droit commun), même s'ils n'ont pas tous leurs trimestres. Dans le secteur privé, un salarié ne peut avoir le minimum contributif qu'en poursuivant son activité jusqu'au moment où il a tous ses trimestres (62 ans par exemple), ou sous réserve qu'il attende l'âge de départ à partir duquel cette exigence de trimestres tombe (l'âge du "taux plein", à savoir 65 ans dans le droit commun). Son montant est plus élevé dans la fonction publique (15). Avec la réforme, le minimum garanti ne sera plus accordé qu'aux agents qui ont accompli une carrière complète, ou à l'âge d'annulation de la décote, comme c'est le cas dans le secteur privé. A l'avenir donc, les salariés du secteur public comme du privé accèderont à ce minimum avec les mêmes conditions d'assurance (16). En revanche, le montant du minimum garanti, plus favorable, n'est pas remis en cause afin de respecter l'engagement de ne pas baisser les pensions.

Malgré ce rapprochement, les différences entre régime de droit privé et régime de droit public n'en demeurent pas moins importantes : exclusion des primes de l'assiette des cotisations dans la fonction publique, sauf (en partie) pour la retraite additionnelle de la fonction publique ; calcul de la pension sur les six derniers mois et non sur les ving-cinqmeilleures années ; absence de plafonnement, tant des cotisations que du montant de la pension de la fonction publique ; impossibilité de percevoir une pension de la fonction publique en deçà de quinze ans de services ; absence de caisse de retraite pour la fonction publique d'Etat, même si le compte d'affectation spéciale "Pensions" retrace les ressources et les charges du régime ; minimum garanti de la fonction publique évoluant selon un taux décroissant au fur et à mesure des années de services ; et règles différentes en matière de réversion.

II - La suppression des départs anticipés sans condition d'âge des parents de trois enfants ayant quinze ans de services

La suppression des départs anticipés sans condition d'âge des parents de trois enfants ayant quinze ans de services a été mise en oeuvre après les critiques des autorités européennes eu égard au caractère discriminant du dispositif vis-à-vis des hommes malgré les changements intervenus par le biais de la réforme de 2003. Mais le COR a, également, critiqué le mode de calcul du dispositif différent des règles de droit commun et son manque de cohérence avec le développement de l'emploi des seniors. Ces critiques internes et externes (A) ont justifié la suppression malgré l'apport non négligeable des fonctionnaires concernés par le dispositif ou le caractère peut-être injuste de la suppression, si l'on tient compte, notamment, de la situation particulière des femmes concernées par le dispositif (B).

A - Des critiques internes et externes

Dans les trois fonctions publiques, les mères ayant eu au moins trois enfants, ou ayant un enfant de plus d'un an avec une invalidité de 80 %, pouvaient prendre leur retraite à tout âge après quinze ans de service. Ce dispositif, initialement à caractère nataliste (17), visait à allouer un revenu de remplacement aux mères fonctionnaires qui retournaient au foyer. Depuis le 30 décembre 2004, ce droit à retraite anticipée est, également, ouvert aux pères et est subordonné à une condition de non activité de deux mois au moment de la naissance ou de l'adoption de chacun des enfants (18). L'article L. 24 du Code des pensions des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L0313HPB) est réactualisée et ne vise plus les femmes fonctionnaires, mais les fonctionnaires dans leur ensemble.

Cette actualisation ne faisait pas partie du processus de réforme de 2003 mais était le résultat d'arrêts de la CJUE (19) et du Conseil d'Etat (20) estimant que cette disposition ne respectait pas le principe d'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes en vertu de l'ancien article 141 du Traité CE (21). Le Conseil d'Etat n'a pas interprété l'article L. 24 précité comme étant applicable aux hommes. Il a préféré juger que la mesure refusant un avantage à un homme était illégale et reposait sur une norme législative incompatible avec le droit communautaire. A la suite de ces arrêts, plusieurs milliers de requêtes ont été formées devant les tribunaux administratifs créant, ainsi, un effet d'aubaine auquel le législateur a essayé de remédier en intervenant de manière rétroactive. Ce n'est qu'un an plus tard que l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 (22) modifiait l'ancien dispositif de retraite anticipée réservé aux femmes fonctionnaires mères de trois enfants ayant quinze années d'ancienneté en l'étendant aux hommes fonctionnaires et en le subordonnant à une condition nouvelle d'interruption d'activité fixée par un décret en Conseil d'Etat. L'article n'ayant pas fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel et ayant une portée rétroactive, sauf pour les décisions de justice passées en force de chose jugée, le Conseil d'Etat a pu juger, après que certains tribunaux administratifs se soient prononcés en ce sens, que l'article de la loi était inapplicable faute d'intervention du décret d'application et a, ainsi, pu faire droit à la demande de jouissance immédiate de la pension, pour un père de trois enfants (23). Ce n'est que le 10 mai 2005 que le pouvoir réglementaire a fixé à deux mois la durée nouvelle et nécessaire d'interruption d'activité (24).

Par ces dispositions expressément rétroactives et en fixant des conditions d'interruption d'activité que seules les mères peuvent remplir en pratique, le législateur maintient, au final, des avantages familiaux au profit des fonctionnaires féminins et donc une discrimination indirecte prohibée par l'Europe au détriment des fonctionnaires pères de famille plongés dans la plus grande insécurité juridique. Ce dispositif a été validé par une jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel et surtout du Conseil d'Etat, ce dernier réaffirmant à plusieurs reprises sa jurisprudence négative par d'autres arrêts confirmatifs en matière de retraite anticipée (25).

Dans la même logique, pour le COR, "l'articulation des règles applicables aux départs anticipés avec l'allongement de la durée d'assurance et la décote prévus par la réforme de 2003 pose aujourd'hui problème" (26). En effet, les paramètres de liquidation applicables aux parents éligibles à ce dispositif de départ anticipé pour trois enfants et plus n'obéissent pas au principe générationnel auquel le Conseil attache une importance particulière : ce sont les paramètres (durée requise et décote) en vigueur à la date à laquelle l'assuré remplit les conditions du dispositif (à savoir quinze années de services et au moins trois enfants) qui s'appliquent à lui, même si la liquidation de sa pension intervient bien plus tard (27). Il convient de souligner que ces conditions différentes s'appliquent quel que soit l'âge auquel l'assuré liquide effectivement sa pension : deux assurés de la même génération liquidant la même année (après 60 ans) peuvent, ainsi, se voir appliquer une durée d'assurance pour le taux plein et une décote différentes lors du calcul de leur pension. Le dispositif de départ anticipé pour trois enfants et plus, qui traditionnellement, se traduisait par le droit à percevoir une pension avant l'âge de 55 ou 60 ans, se doublerait, ainsi, progressivement d'un avantage supplémentaire, celui de pouvoir liquider ses droits selon des paramètres plus favorables que ceux de sa génération, et cela, quel que soit l'âge de liquidation : il permettra, en effet, dans les vingt prochaines années, à des femmes de liquider leur retraite dans le cadre législatif qui prévalait avant la réforme de 2003.

B - Une supression justifiée et progressive

Le dispositif, initialement à caractère nataliste, visait à allouer un revenu de remplacement aux mères fonctionnaires qui retournaient au foyer. Depuis lors, les prestations familiales assurent pour tous les résidents en France l'incitation à la natalité (28). Les objectifs visés à travers le dispositif actuel, pour certains de ses bénéficiaires, s'apparente donc à un dispositif de préretraite et, pour d'autres, permet une reconversion professionnelle à un âge relativement jeune (29). Cela peut poser question dans le sens où d'une part, un retrait définitif du marché du travail n'est pas indispensable pour permettre aux mères et aux pères de s'occuper de l'éducation de leurs enfants. D'autre part, autoriser par ce biais une certaine forme de cumul emploi-retraite n'est pas adapté à la situation de personnes jeunes et est coûteux pour les régimes de retraite.

L'actuel dispositif sera en ce sens fermé à partir de 2012 (article 44 de la loi). Ceux qui remplissent les conditions pour y prétendre avant cette date, c'est à dire qui ont eu trois enfants à cette date et quinze ans de durée de service pourront toujours en profiter, même s'ils demandent à en bénéficier après 2012. Mais les modalités de calcul de leur retraite anticipée seront moins favorables qu'aujourd'hui. Leur retraite sera calculée sur la base des règles applicables en fonction de leur année de naissance, et non plus sur la base de celles applicables l'année où ils remplissent la double condition de quinze ans de services et de trois enfants. Ensuite, les règles de calcul de la pension anticipée seront alignées sur celles applicables à tous les Français, c'est-à-dire de leur année de naissance, et non plus de l'année à laquelle ils ont satisfait aux deux conditions (quinze ans de service et trois enfants) (30).

Le dispositif est progressivement mis en extinction, dans le respect des choix de vie de chacun. Il n'y aura aucune extinction brutale : les fonctionnaires ayant trois enfants et quinze ans de services à la date du 1er janvier 2012 pourront toujours bénéficier du dispositif de départ anticipé. Les paramètres de calcul de la pension seront ceux de droit commun, comme le propose le COR. Deux dispositions transitoires relatives à l'harmonisation de la règle de calcul complèteront ce respect des choix de vie. Tout d'abord, une mesure générale qui vise les fonctionnaires qui déposeront d'ici le 31 décembre 2010 une demande de départ à la retraite avec effet au plus tard le 1er juillet 2011 et qui conserveront le bénéfice de la règle actuelle. Ensuite, une mesure ciblée pour les agents proches de l'âge d'ouverture des droits à retraite : tous les fonctionnaires éligibles qui, au 31 décembre 2010, sont à moins de cinq années de l'âge d'ouverture des droits à la retraite (55 ans révolus pour les fonctionnaires sédentaires et 45 ou 50 ans selon les corps des catégories actives), ou qui ont atteint cet âge, conserveront le bénéfice de la règle actuelle. Concrètement, pour ces agents bénéficiaires de ces deux mesures transitoires, il n'y aura pas de changement dans la règle de calcul. En outre, le Gouvernement a prévu de conserver le bénéfice du minimum garanti pour ces agents.


(1) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), JO du 10 novembre 2010, p. 20034.
(2) Cons. const., décision n° 2010-617 DC, du 9 novembre 2010, loi portant réforme des retraites (N° Lexbase : A6265GER), JO du 10 novembre 2010. Ajoutés par amendement, ces articles n'avaient pas de lien avec le projet de loi initial. Ils constituaient donc des "cavaliers législatifs". A ce titre, le Conseil les a déclarés contraires à la Constitution.
(3) L'espérance de vie moyenne a augmenté de 6,3 ans depuis 1982. Le nombre de retraités devrait passer de quinze millions en 2008 à près de 23 millions en 2050. Dans le même temps, le nombre d'actifs pour financer ces retraites ne cesse de baisser. Le ratio de 1,7 cotisant pour un retraité va, ainsi, encore baisser pour atteindre 1,5 en 2020.
(4) Les mesures d'âge devraient combler 50 % du déficit (19 milliards d'euros en 2018) grace aux nouvelles recettes (4,4 milliards d'euros), la convergence entre le public et le privé (4 milliards d'euros). Le Gouvernement propose, en outre, d'utiliser les ressources du Fonds de réserve des retraites (FFR) pour financer l'intégralité des déficits accumulés des régimes de retraite jusqu'au retour à l'équilibre en 2018, et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pendant la période de montée en charge de la réforme.
(5) Le Conseil constitutionnel a rejeté l'ensemble de ces griefs : il a écarté, en premier lieu, les griefs de procédure soulevés par les requérants en jugeant, notamment, que la décision du président de l'Assemblée nationale d'interrompre les explications de vote n'a pas porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Il a relevé, en second lieu, que le législateur s'est fixé comme objectif de préserver le système de retraite par répartition. A cet effet, il a pu fixer à 62 ans l'âge minimum de départ à la retraite. Il n'a méconnu ni le principe d'égalité ni l'exigence constitutionnelle relative à une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités. Le Conseil a, également, jugé que le report de 65 à 67 ans de la limite d'âge ouvrant droit à une pension sans décote n'est pas contraire au principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Cette règle leur est commune.
(6) Loi n° 93-936 du 22 juillet 1993, relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale (N° Lexbase : L8411INT) (JO, 23 juillet 1993, p. 10374). En outre, les partenaires sociaux ont pris, eux aussi, entre 1993 et 1996, des décisions courageuses qui aboutissent à programmer la diminution du "rendement" des régimes de retraites complémentaires et qui organisent une solidarité financière entre l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). Il convient, à ce titre, de rappeler la signature, le 10 février 1993, de l'accord trisannuel ARRCO, celle de la signature de l'accord d'assainissement financier de l'AGIRC le 9 février 1994, et surtout les accords AGIRC et ARRCO du 25 avril 1996, instituant la compensation financière entre les deux régimes et un passage du taux de cotisation contractuel à 16 % en 1999.
(7) Loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) (JO, 22 août 2003, p.14310).
(8) Notamment en matière de durée d'assurance, de décote et de surcote et d'indexation des pensions sur les prix. La première tentative d'alignement des régimes de la fonction publique sur celui des salariés du privé date du plan "Juppé" en novembre 1995. Ce plan de réforme de la Sécurité sociale prévoyait, également, l'allongement de la durée de cotisation pour les fonctionnaires : la réforme avait suscité un vaste mouvement social et les mesures touchant à la retraite des fonctionnaires avaient été abandonnées.
(9) Mais qui procèderait, selon des voix syndicales, plutôt "d'un objectif d'alignement vers le bas".
(10) L'on sait aussi que le système est parfois dévoyé et que certaines promotions de fin de carrière ne sont, en réalité, destinées qu'à faire atteindre à l'heureux bénéficiaire le taux le plus avantageux de liquidation de sa pension. En témoigne l'article 68 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 qui oblige, pour la fonction publique civile et militaire, à la remise d'un rapport annuel sur les avancements de grade et de corps intervenus dans les trois années précédant la retraite.
(11) Les règles de calcul des droits étant figées à la date à laquelle la personne remplissait les deux conditions (quinze ans de service et trois enfants).
(12) En 2008, ce dispositif a concerné 14 600 fonctionnaires.
(13) Cf. sixième rapport du 17 décembre 2008 du COR sur les avantages familiaux et conjugaux.
(14) Selon le Gouvernement, cela représenterait un effort supplémentaire de 480 euros sur 10 ans pour un agent de la catégorie C, de 600 euros pour un agent de la catégorie B, et de 840 euros pour un agent de la catégorie A.
(15) 1 067 euros pour les fonctionnaires contre 897 euros (85 % du SMIC net) pour une carrière complète au SMIC dans le secteur privé.
(16) Cette mesure ne s'appliquera pas rétroactivement : les fonctionnaires ayant, aujourd'hui poursuivi leur activité au-delà de l'âge minimal de départ à la retraite ne verront pas de changement. La condition de respect du taux plein entrera en vigueur progressivement selon la génération de l'assuré.
(17) Créé en 1924 et codifié à l'article L. 24 du Code des pensions civiles et militaires de retraite.
(18) Jusqu'à ce que l'enfant ne soit plus à charge au sens des prestations familiales.
(19) CJCE, 13 décembre 2001, aff. C-206/00 (N° Lexbase : A3376GMY), JCP éd. A, 2003, n° 1294, obs. A. Taillefait, Dr. soc., 2002, p. 178, note M.-T. Lanquetin.
(20) CE 9° et 10° s-s-r., 26 février 2003, n° 187401 (N° Lexbase : A3481A73) ; CE 1° et 6° s-s-r., 29 décembre 2004, n° 267651 ([LXB=A2451DGU ]).
(21) Le Traité de Lisbonne renforce le principe d'égalité hommes-femmes en l'incluant dans les valeurs et objectifs de l'Union (TUE, art. 2 N° Lexbase : L8419IN7), et en intégrant la question du genre dans toutes les politiques de l'Union européenne .
(22) Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 (N° Lexbase : L5204GUB), JO, 31 décembre 2004, p. 22522.
(23) CE 1° et 6° s-s-r., 23 mars 2005, n° 273305 (N° Lexbase : A3948DHP).
(24) Décret n° 2005-449 du 10 mai 2005, pris pour l'application de l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 et modifiant le Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L4334G8Z) (JO, 11 mai 2005, p. 8174).
(25) CE 1° et 6° s-s-r., 6 décembre 2006, n° 280681 (N° Lexbase : A8503DSQ) ; CE 1° et 6° s-s-r., 6 juillet 2007, n° 281147 (N° Lexbase : A1285DXU).
(26) Sixième rapport du 17 décembre 2008 du COR sur les avantages familiaux et conjugaux, précité, p. 239 et 240.
(27) Ainsi, selon la législation précédant la réforme, les mères de trois enfants des générations nées dans les années 1960 pourront liquider leurs droits sur la base de 37,5 annuités et sans décote, si elles ont atteint quinze ans de service et eu trois enfants avant 2003, alors que les autres assurées de leur génération devraient liquider leurs droits sur la base d'au moins 41 annuités et une décote a priori de 5 % par an (paramètres qui seront en vigueur lorsque ces femmes atteindront les 60 ans, dans les années 2020).
(28) De plus, la maternité et l'éducation des enfants sont déjà prises en compte au sein de la fonction publique : prime salariale pour les parents de deux enfants et plus (supplément familial de traitement en sus des allocations familiales), temps partiel sur-rémunéré et temps partiel de droit pour les parents au cours de la vie professionnelle ; majoration de durée d'assurance et majoration de pension de 10 % et plus (pour chacun des parents de trois enfants et plus) pour la retraite.
(29) Elle s'accompagne très souvent d'une reprise d'activité professionnelle dans le secteur privé et donc d'un cumul emploi/retraite très précoce (possible à compter de l'âge de 33 ans).
(30) Enfin, le dispositif pour les parents d'un enfant de plus d'un an atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 % est maintenu, pour le présent comme pour l'avenir.

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Fonction publique

[Questions à...] La réforme des retraites opérée par la loi du 9 novembre 2010 : spécificités relatives à la fonction publique - Questions à Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris

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N7026BQB

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Sophia Pillet, SGR - Droit social

Le 04 Janvier 2011

La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), par l'ampleur des bouleversements qu'elle implique, a provoqué, avant son adoption et sa promulgation, un automne social pour le moins agité. Se donnant pour objectif de préserver le système de retraite par répartition, tout en tenant compte de l'allongement de l'espérance de vie, elle reporte progressivement l'âge du départ à la retraite à taux plein de 60 à 62 ans, ainsi que l'âge de la retraite à taux plein pour tous, quelle que soit la durée de cotisation, de 65 à 67 ans. Cette réforme prévoit, également, une augmentation de la durée de cotisation et une convergence des systèmes de retraite du secteur privé et de la fonction publique. Le secteur public est donc aussi concerné par ce texte, puisque le taux de cotisation des fonctionnaires passera de 7,85 % à 10,55 % du traitement brut, sans changement d'assiette, en 10 ans, s'alignant, ainsi, sur les régimes obligatoire et complémentaire du secteur privé. Par ailleurs, la durée minimale de service d'un fonctionnaire pour avoir droit à la pension passera de quinze à deux années, ce qui ouvre le champ du régime à un plus grand nombre de personnes. Cependant, le montant de la retraite des fonctionnaires sera toujours indexé sur le salaire des 6 derniers mois de travail. Pour faire le point sur ces modifications importantes qui influeront sur la carrière des millions d'agents de la fonction publique, Lexbase Hebdo a rencontré à Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris, et spécialisée dans le droit de la fonction publique. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les spécificités du régime des retraites des fonctionnaires ?

Christelle Mazza : Le régime des retraites est étroitement lié à l'histoire et à la culture du service public, d'une part, et à la relation entre l'Etat et ses agents en France, d'autre part. Un fonctionnaire n'est pas simplement une personne qui exerce au service d'une administration mais aussi un agent titulaire d'un grade de la fonction publique. Cette titularisation lui confère une stabilité de carrière jusqu'à la limite d'âge du grade fixée par la loi. Au même titre, le traitement et les pensions de retraite des fonctionnaires ont un caractère statutaire, c'est-à-dire fixé par décret, de façon abstraite et avec un caractère impersonnel. Ainsi, la valeur ou le zèle d'un agent ne peuvent pas être valorisés par l'Etat, chaque statut en fonction du grade sera rémunéré de la même façon. Néanmoins, cette rémunération "figée" est compensée par un système de primes et d'indemnités dont le montant est lui-même fixé de façon générale et abstraite.

Le régime des retraites des fonctionnaires est un régime par répartition : le produit est versé au Trésor public et se confond avec l'ensemble des recettes publiques. A l'exception de la fonction publique territoriale et des ouvriers de l'Etat qui disposent d'un régime spécial, il n'existe pas de caisse de retraite de l'Etat : le budget est fixé annuellement pour être affecté au paiement des retraites, sans qu'il n'y ait de système de prélèvement, à l'instar du secteur privé, sur le montant des traitements versés.

L'âge légal de départ à la retraite minimum est de 60 ans et l'âge légal de retrait (limite d'âge) est de 65 ans pour le régime général (sauf régimes particuliers) ou lorsque 15 ans, au moins, de services actifs ont été réalisés. On entend par services actifs les emplois exposant à des risques particuliers ou à des fatigues exceptionnelles, soit environ 40 % de la fonction publique (police, douanes, pompiers, facteurs, personnels de santé, etc.). Un système de bonification permet, également, un départ avant l'âge légal, par exemple pour les agents ayant élevé 3 enfants ou ayant commencé à travailler très jeunes (retraite anticipée longue carrière). Ensuite, le montant des traitements est calculé à partir de 2 éléments : le montant du dernier traitement brut perçu pendant 6 mois avant la radiation des cadres (la pension ne pouvant excéder 75 % de ce traitement) et le nombre "d'annuités liquidables" : 40,25, soit 161 trimestres depuis 2009, avec une évolution progressive prévue jusqu'en 2020 à 167 trimestres en cas de bonification.

Le montant de la cotisation retraite est encore à ce jour de 7,85 % du traitement brut, un taux inférieur au secteur privé. Depuis le décret n° 2009-105 du 26 août 2009 (N° Lexbase : L6915IET), un service des retraites de l'Etat unique est désormais chargé de la gestion administrative et financière du régime de retraite et d'invalidité des fonctionnaires et militaires. Par ailleurs, un régime additionnel obligatoire (retraite additionnelle de la fonction publique) par répartition et par points a été institué depuis le 1er janvier 2005. Il est assis sur les primes et émoluments, avec un taux de prélèvement de 5 % pour l'agent et de 5 % pour l'employeur public, dans la limite de 20 % du traitement indiciaire. Jusque là, ces montants étaient exclus de la base indiciaire du calcul des pensions.

La grande diversité des bonifications permettant de diminuer l'âge du départ à la retraite, le nombre de régimes dérogatoires et la méthode de calcul plus avantageuse sont autant d'éléments qui ont poussé certains à considérer qu'il y avait rupture d'égalité entre le régime privé et le régime public des retraites. Les dysfonctionnements budgétaires de l'Etat qui, cette année encore, ne dispose que très difficilement des fonds pour financer les retraites publiques, les écarts jugés injustifiés entre le secteur privé et le secteur public, la démographie et les difficultés économiques inhérentes au système de répartition sont autant de motifs qui ont conduit à la réforme votée par la loi du 9 novembre 2010.

Lexbase : Quelles sont les principales mesures de la loi portant réforme des retraites concernant la fonction publique ?

Christelle Mazza : Ce texte contient des dispositions réformant en profondeur les retraites de la fonction publique et du secteur privé en général. Concernant le régime des fonctionnaires, la base de calcul du traitement n'est pas modifiée, de même le principe des régimes dérogatoires dits de "services actifs" avec possibilité de départ anticipé lié au risque particulier ou à des fatigues exceptionnelles.

Néanmoins, un certain nombre de situations qualifiées de "privilèges" se trouvent alignées sur le secteur privé. Ainsi, l'ensemble des âges est relevé de 2 ans, y compris pour les régimes dérogatoires, l'âge légal étant désormais de 62 ans et l'âge maximum, sauf dérogation, de 67 ans. Cette réévaluation sera progressive au rythme de 4 mois par an en fonction de l'année de naissance. En outre, la bonification liée à l'éducation de 3 enfants sans condition d'âge a été supprimée. Néanmoins, cette règle continuera de s'appliquer pour les agents qui sont à 5 ans de la retraite (1).

L'autre grande réforme majeure concerne le taux de cotisation qui passera de 7,85 % à 10,55 % du traitement brut, sans changement d'assiette, en 10 ans, s'alignant ainsi sur les régimes obligatoire et complémentaire du secteur privé. Autre grand changement, la durée minimale de service d'un fonctionnaire pour avoir droit à la pension passe de 15 à 2 années, ce qui ouvre le champ du régime à un plus grand nombre de personnes et fait perdre beaucoup de son sens à l'expression de "condition de fidélité" et, plus largement, d'intégration de corps. En revanche, l'exigence de 15 années de service pour les emplois de catégorie active passe à 17 ans.

Lexbase : Existe-t-il des inégalités entre les agents publics inhérentes à ce régime ?

Christelle Mazza : Le terme d'inégalité de traitement entre agents publics implique de porter une connotation politique et culturelle à la réforme opérée qui ne fait finalement que reprendre une différence de traitement entre les différents statuts de la fonction publique qui a toujours existé. Le régime dérogatoire des militaires, par exemple, peut s'expliquer par les nombreuses contraintes liées à l'exercice de ces professions et les implications sur la vie personnelle des agents. Chaque "inégalité" de traitement trouve sa justification dans un corollaire d'obligations contraignantes liées au statut, comme certaines professions qualifiées de professions à risque particulier ou entraînant des fatigues exceptionnelles. Le régime des bonifications liées à l'éducation de 3 enfants sans conditions d'années de service a, en revanche, été supprimé, bien que le bénéfice équivalent à celui du régime privé soit maintenu (4 trimestres par enfant, dans la limite de 3).

Certains statuts ont, toutefois, un régime dérogatoire surprenant, notamment le choix de pouvoir intégrer la catégorie A sans que l'âge légal ne s'en trouve modifié (pour les infirmiers faisant ce choix avant le 30 mars 2011, par exemple). En revanche, ceux qui choisiront de rester en catégorie B avec maintien de la catégorie active verront leur régime se caler sur l'augmentation de 4 mois annuelle jusqu'à atteindre l'âge légal limite (augmenté de 2 ans par rapport au régime actuel). Ce point est, néanmoins, justifié par la volonté de valoriser les formations et avancements de carrière.

L'on pourrait, alors, considérer sur le papier qu'il subsiste des régimes inégaux mais les décisions sont plutôt politiques, afin de favoriser un système quasi acquis pour certains agents en place proches de la retraite, le régime s'appliquant à tout nouveau titularisé. La recherche d'équilibre est, toutefois, privilégiée. Les plus grandes distinctions sont liées à certains statuts particuliers et font l'objet d'une étude globale à l'article 38 du chapitre VI de la loi nouvelle. L'équité a, au final, commandé une réévaluation de 2 ans, commune et lisse, à tous ces statuts.

Lexbase : Avec ce texte, le régime des retraites des agents de la fonction publique tend-il à se rapprocher de celui du secteur privé ?

Christelle Mazza : En dehors du débat passionné qui a secoué la France ces derniers mois quant à l'étude de cette réforme et aux implications concrètes des dispositions envisagées sur la retraite et la fin de vie en général, ce sont les différences entre les deux régimes qui ont fait l'objet d'une grande attention. La loi du 9 novembre 2010, contrairement à ce que l'on a pu en dire ou penser, n'a pas été improvisée en raison d'un contexte économique ou politique particulier à la France. Des textes antérieurs avaient prévu cette révision et, notamment, la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 (N° Lexbase : L9595CAM) reprise par la loi de 2009. La réforme des retraites et le problème de l'alignement des régimes sont une histoire ancienne à laquelle se sont toujours violemment opposés les syndicats, notamment des entreprises publiques et des régimes spéciaux (SNCF, EDF et RATP). En 1995, le Gouvernement avait saisi l'occasion de la réforme des régimes de protection sociale pour tenter d'inclure le régime des pensions dans cette réforme, en vain.

Plutôt que de réduire le bénéfice des systèmes avantageux de la fonction publique, la loi a considérablement rapproché les régimes (même si l'assiette de calcul d'un agent public reste toujours nettement avantageuse car calculée sur les 6 derniers mois de la carrière) et établit un système de reconnaissance de la pénibilité en droit privé, créant dans le régime des salariés, la possibilité d'avoir, par la voie contractuelle, la reconnaissance de régimes spéciaux. La référence expresse au Code de la Sécurité sociale quant à l'âge légal de départ en retraite apparaît explicitement avec la nouvelle loi dans le Code des pensions civiles et militaires de retraite, ce qui crée symboliquement un lien entre les deux régimes.

Un certain nombre de dispositions relatives à la création de services spéciaux dans le Code du travail avait été intégré au projet de loi, avant d'être qualifié d'inconstitutionnel par la décision du 9 novembre 2010 du Conseil constitutionnel (2). L'on peut largement imaginer que ce projet sera repris dans le cadre d'un projet de loi plus global consacré à la gestion de la pénibilité et du stress au travail. Néanmoins, l'article 86 de la loi du 9 novembre 2010 précise qu'à titre expérimental, et jusqu'au 31 décembre 2013, un accord collectif de branche d'allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles pourra être institué. Afin de financer ce système (plus précisément les actions mises en oeuvre par les entreprises), est créé, pour la même période, auprès de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, un fonds national de soutien relatif à la pénibilité, financé par une dotation de l'Etat et une dotation de la branche "accidents du travail et maladies professionnelles". La société Renault a fait savoir le 25 novembre 2010 qu'elle entendait mettre un tel dispositif en place.

Cette introduction majeure et le dispositif renforcé du CHSCT en entreprise pour la reconnaissance de la pénibilité étaient l'un des noeuds de la réforme, d'une part, pour éviter la sclérose d'un système figé uniquement sur l'âge, et, d'autre part, pour rapprocher les régimes par la reconnaissance, en droit privé également, de régimes spéciaux. Même si évidemment les différences demeurent, liées à la différence entre le statut, figé, et le contrat de travail, plus souple. Toutefois, et sur impulsion communautaire et internationale, le statut de fonctionnaire est appelé à évoluer, tout comme la notion de service public à la française. Les différences de régime s'en trouveront automatiquement réduites.

Lexbase : Le Gouvernement souhaite prochainement créer une Caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat. Selon vous, quelles améliorations pourraient en ressortir en termes de transparence du système de retraite ?

Christelle Mazza : Il existe déjà, au sein de la fonction publique, des caisses de retraite et notamment la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRCAL), établissement public administratif de l'Etat dont le mode de fonctionnement est assez similaire à celui du régime privé. C'est l'article 41 de la loi du 9 novembre 2010 qui prévoit qu'avant le 30 septembre 2011, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport relatif à la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat, lequel devra examiner "les contraintes organiques, les améliorations attendues en termes de transparence et les conditions d'une participation des partenaires sociaux à la gestion de cet établissement public".

Derrière cette réflexion se pose la question très délicate du financement des retraites publiques. En effet, en l'absence de caisse, aucune retenue sur le traitement n'est provisionnée, comme c'est le cas dans le secteur privé, de sorte que les retraites sont calculées directement sur le budget de l'Etat au moment où le calcul par agent peut être fait... c'est-à-dire directement sur l'argent du contribuable, puisque la pension est versée à partir des recettes publiques sans distinction de prélèvement de cotisation. Ceci peut paraître choquant pour un salarié qui cotise sur sa rémunération ou pour un employeur qui y contribue pour lui-même et pour ses salariés, et paie un impôt qui va servir à financer la retraite d'un agent public, retraite calculée sur une fin de carrière avec le traitement le plus haut retenu, alors que le salarié aura cotisé sur ses salaires dont les premiers, statistiquement les plus bas.

Le principe d'une caisse de retraite permettrait de prélever directement au moment de la production de la richesse (travail contre traitement) la proportion permettant de financer, à moyen et long terme, la retraite de l'agent concerné. C'est en ce sens que la notion de transparence apparaît. L'anticipation paraît logique mais, néanmoins, le débiteur à savoir l'Etat, et donc, le contribuable, reste toujours le même. L'affectation à une caisse dont la gestion serait indépendante du budget global paraît, toutefois, être une urgence d'efficacité managériale des finances publiques.

La répartition par prélèvement au sein d'une caisse unique permettrait de centraliser la gestion des retraites, comme c'est déjà le cas via le service des retraites, qui disposerait de la maîtrise de la gestion financière des pensions, indépendamment des choix budgétaires annuels de l'Etat. La mixité des partenaires sociaux au sein de l'établissement public, comme c'est le cas pour la CNRCAL, permettrait, également, de diminuer la notion d'Etat tout puissant dans la gestion des rapports sociaux qui font, néanmoins, la spécificité de la fonction publique.


(1) Sur les problèmes posés en pratique par la demande massive de départs en retraite et la suppression de la bonification, voir le communiqué de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales du 28 octobre 2010.
(2) Cons. const., décision n° 2010-617 DC, du 9 novembre 2010, loi portant réforme des retraites (N° Lexbase : A6265GER) et lire les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel valide la réforme des retraites (N° Lexbase : N7024BQ9), Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale.

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Pénal

[Questions à...] Propos diffamatoires... Du caractère public ou privé des écrits sur Facebook ? - Questions à Maître Damien Soltner, avocat au barreau d'Angers

Lecture: 5 min

N8178BQX

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition privée

Le 04 Janvier 2011

Selon Alexa Internet, Facebook serait le deuxième site le plus visité du monde, après Google. Rien d'étonnant alors à ce que le contentieux lié aux écrits postés sur le fameux réseau social s'étende à un rythme exponentiel. Et c'est surtout du côté des prud'hommes que les affaires tendent à se multiplier. On ne compte plus les licenciements, largement médiatisés, intervenus à la suite de propos tenus sur "leur mur" par des employés et malencontreusement rapportés à leur employeur. Un premier jugement vient d'intervenir au Conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt (CPH Boulogne-Billancourt, 19 novembre 2010 n° 09/00316 N° Lexbase : A6710GKQ et n° 09/00343 N° Lexbase : A6712GKS (1)), et les juges ont considéré que des propos tenus sur le réseau social Facebook pouvaient justifier un licenciement pour faute grave. Si le contentieux oppose essentiellement employés et employeurs, le droit du travail n'est pas l'unique domaine de contestation. Les litiges peuvent aussi être portés sur le terrain de la diffamation, sur le fondement de l'article 29 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 (N° Lexbase : L7589AIW) -à cet égard, un contentieux important se développe du côté des collèges et lycées, on se souvient de ces élèves exclus temporairement de leur établissement pour avoir diffamé leurs professeurs-. Dans le cadre d'une affaire ayant été soumise au tribunal correctionnel d'Angers le 17 novembre 2010, une salariée était poursuivie pour avoir tenu des propos diffamants et injurieux à l'encontre du directeur du magasin et de sa responsable administrative et financière sur sa page du réseau social Facebook (pas question donc, ici, de sanction disciplinaire ou de licenciement infligé par l'employeur). La prévenue ayant été relaxée en raison de la prescription des poursuites engagées trop tardivement au regard du délai de trois mois fixé par la loi sur la presse de 1881, le tribunal n'a pas tranché la question de fond portant sur le caractère public ou privé des propos tenus sur Facebook. Lexbase Hebdo - édition privée a rencontré Maître Damien Soltner, avocat au barrreau d'Angers, défendeur des personnes qui s'estimaient diffamées en l'espèce, et qui soutient que de tels écrits ont un caractère public.

Lexbase : Sur quels critères vous fondez-vous pour soutenir que les propos tenus sur une page Facebook ont un caractère public ?

Damien Soltner : Les poursuites étaient fondées sur les articles 29, 32 et 23 de la loi du 29 juillet 1881 qui traitent de la diffamation publique. Ce dernier article, depuis la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (N° Lexbase : L2600DZC), vise "tout moyen de communication au public par voie électronique" ce qui englobe tous les moyens de communication moderne communément utilisés aujourd'hui comme internet ou la téléphonie mobile. La loi manque de précision sur l'acte de publicité et c'est à chaque juridiction d'apprécier, sous le contrôle de la Cour de cassation, si le critère de la publicité, qui est l'un des éléments constitutifs de l'infraction, se trouve établi.

En l'espèce, lors de l'enquête préliminaire, l'officier de police judiciaire a pu constater matériellement que les écrits litigieux étaient visibles directement sur le "mur" Facebook de la salariée sans demander d'autorisation. De la sorte, ses écrits étaient accessibles à tous les internautes. En tout état de cause, même si la configuration de sa page avait limité son accès à son réseau d'amis, qu'elle dénombrait à plusieurs dizaines, on peut se demander si le caractère public des propos n'aurait pas été retenu.

Personnellement, j'ai du mal à concevoir que l'on soit encore dans le domaine de la correspondance privée lorsque les écrits sont destinés à plusieurs personnes, lesquelles peuvent à leur tour répercuter les propos à leur propre réseau d'amis et ainsi de suite. En outre, il faut songer que parmi les amis du réseau figuraient d'autres salariés du magasin. Si les propos avaient été tenus à ces mêmes salariés sur le parking du magasin, on ne discuterait même pas du caractère public de la diffamation. Personnellement je ne vois guère de différence avec la diffusion de ces mêmes propos sur le réseau Facebook.

Lexbase : De nombreuses plaintes ont été déposées pour des cas de diffamations proférées sur le site Facebook. Quel est le sens des premières décisions rendues ?

Damien Soltner : Plusieurs plaintes ont effectivement été déposées mais les décisions de justice concernant Facebook sont encore rares. Le 13 avril 2010, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a rendu une ordonnance condamnant Facebook à retirer sous astreinte une photographie d'un évêque publiée sans son consentement et qui portait atteinte à son image ainsi que les commentaires injurieux d'internautes qui l'accompagnaient (TGI Paris, 13 avril 2010, n° 10/53340 N° Lexbase : A7988EUE). Ce retrait était ordonné en vertu de l'article 6, 1° de la loi du 21 juin 2004, sur la confiance dans l'économie numérique, qui prévoit cette modalité de réplique. Le juge a également ordonné, en vertu de la même loi, à Facebook de communiquer sous astreinte les données de nature à permettre l'identification du créateur de la page disponible à l'adresse URL relevée, ainsi que la communication des données de nature à permettre l'identification des auteurs de propos voués au retrait. S'exprimer sur Facebook n'assure aucune impunité.

Il faut bien évidemment citer le récent jugement de départage du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 19 novembre 2010 qui présente un éclairage intéressant sur le caractère public ou privé des propos tenus sur Facebook. Dans sa motivation, le conseil de prud'hommes retient que le salarié avait choisi dans le paramètre de son compte, de partager sa page Facebook avec "ses amis et leurs amis", permettant ainsi, nous dit le conseil, "un accès ouvert, notamment par les salariés ou anciens salariés de la société A. ; il en résulte que ce mode d'accès à Facebook dépasse la sphère privée et qu'ainsi la production aux débats de la page mentionnant les propos incriminés constitue un moyen de preuve licite du caractère fondé du licenciement". Le conseil précise plus loin que "sur la liste des amis' Facebook que comprend le profil de Monsieur François C., 11 personnes étaient salariés de la société A. et ont eu accès la page Facebook du 22 novembre 2008, ce qui a porté atteinte à son image ; de même, par le mode d'accès choisi, cette page était susceptible d'être lue par des personnes extérieures à l'entreprise, nuisant à son image".

En l'espèce, il semble donc que l'accès "ouvert" de la page ait joué en défaveur du salarié. Cependant, j'ai tendance à penser que même avec un accès "fermé" les éventuels propos diffamatoires ou injurieux prononcés sur une page Facebook pourraient être qualifiés de publics et exposeraient leur auteur dès lors que la plupart des inscrits à Facebook ouvrent leur page à plusieurs dizaines d'amis. En d'autres termes, si le simple mail adressé à une adresse précise est bien du domaine de la correspondance privée, il ne me semble pas en être de même de propos partagés entre plusieurs dizaines d'amis sur Facebook ou ailleurs.

Lexbase : Qu'en est-il de la responsabilité pénale du propriétaire du site Facebook ? Le fait que Facebook soit une société de droit américain ne pose-t-il pas problème ?

Damien Soltner : L'article 113-2 du Code pénal (N° Lexbase : L2123AML) dispose que la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. Il a été jugé à plusieurs reprises que le fait de diffuser sur internet depuis un site étranger des propos pénalement répréhensibles constituait une infraction relevant de la compétence des tribunaux français. Il convient de faire constater par huissier que la réception des propos condamnables peut se faire en un lieu du territoire français ce qui ne posera aucune difficulté.

La responsabilité pénale peut être recherchée contre le directeur de publication en application des articles 93-2 et 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle (N° Lexbase : L0991IEG). Cependant une discussion ne manquera pas de s'instaurer sur la notion d'éditeur. L'ordonnance du 13 avril 2010 précitée considère que Facebook "n'est pas l'éditeur des contenus publiés, mais un prestataire dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne". Enfin, les recherches pour trouver les coordonnées d'un directeur de publication de Facebook risquent d'être fastidieuses...

Lexbase : Que pensez-vous de la mise en place d'un droit à l'oubli numérique ?

Damien Soltner : Ce serait un progrès indéniable pour la protection de la vie privée de chaque individu face aux excès d'internet. La récente Charte du droit à l'oubli qui a été signée le 13 octobre 2010 sous l'égide du secrétariat d'Etat à l'Economie numérique va dans le bon sens même si le texte n'engage que ses signataires et ne présente aucun caractère coercitif. Surtout, le droit à l'oubli n'est pas une réponse adéquate à la diffamation et l'injure publiques qui créent un préjudice instantané qui ne sera pas réparé par l'obligation de faire disparaître les données au bout de plusieurs mois ou années.


(1) Sur ce jugement, lire Facebook m'a licencié ! - Questions à Maître Grégory Saint Michel, avocat au Barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 418 du 25 novembre 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N6896BQH).

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Retraite

[Textes] La réforme des retraites en deux chiffres : 62 et 67 ans (article 1 à 26 de la loi)

Réf. : Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 04 Janvier 2011

Publiée au Journal officiel du 10 novembre 2010, la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), ne traite pas seulement du financement des retraites mais s'est attaquée aux difficiles questions de la pénibilité, de l'égalité homme/femme, et de la fonction publique. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l’Ouvrage "Protection sociale", sur les dispositions générales de la réforme.
Le vote de la loi du 9 novembre 2010 (1) a été précédé, depuis le Livre blanc sur les retraites (1991), de nombreux travaux parlementaires (2), études doctrinales, rapports publics (3), dont les travaux du Conseil d'Orientation des retraites (COR). A ce titre, ce vote n'est pas une surprise. D'autres Etats membres de l'Union européenne se sont, également, engagés dans cette voie de la réforme (4). Les données chiffrées donnent le vertige. La loi du 24 décembre 2009 de financement de la Sécurité sociale pour 2010 (N° Lexbase : L1205IGQ) indiquait déjà que le déficit de branche vieillesse avait augmenté de 2,3 milliards d'euros pour l'année 2009. Pour 2010, les prévisions de recettes s'élevaient à 182,4 milliards d'euros et 195 milliards d'euros de dépenses, soit un déficit annoncé de 12,6 milliards d'euros pour la branche vieillesse (5). La loi n° 2010-1330 comprend trois types de mesures, répondant à trois objectifs :
- augmenter la durée d'activité. L'âge de la retraite sera progressivement augmenté de quatre mois par an dans l'ensemble des régimes de retraite pour atteindre 62 ans en 2018. L'âge du taux plein va être relevé progressivement de deux ans dans le secteur privé, de même que les limites d'âge applicables aux fonctionnaires qui constituent pour eux l'âge du taux plein. Suivant la règle fixée par la loi du 21 août 2003 (N° Lexbase : L9595CAM), la durée de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein va passer à 41 ans et un trimestre en 2013 et restera stable en 2014.
- renforcer l'équité du système de retraites. Des mesures de convergence entre public et privé sont prévues : le taux de cotisation acquitté par les fonctionnaires sera porté de 7,85 % à 10,55 % en 10 ans ; le dispositif de départ anticipé sans condition d'âge pour les parents de trois enfants ayant 15 ans de service sera fermé à compter de 2012 ; le minimum garanti sera désormais soumis à la même condition d'activité que dans le secteur privé.
- renforcer la compréhension par les Français des règles de la retraite. Différentes mesures renforceront l'information des assurés sur leur retraite. Bref, la réforme porte sur deux aspects de l'assurance vieillesse : son organisation (gestion collective de la retraite et modalités du droit à la retraite pour les futurs retraités) et surtout le calcul de la pension (à partir de plusieurs variables clés, la durée d'assurance, l'âge d'ouverture du droit et enfin la limite d'âge). I - Réforme de la gestion de la retraite

A - Gestion collective de la retraite

1 - Enjeux financiers

L'évolution probable des cotisations face au choc démographique des années 2010-2040 a été au coeur des analyses du Livre blanc sur les retraites de 1991, lequel a souligné la dégradation rapide du ratio population âgée de plus de 60 ans/population de 15 à 59 ans. L'actualisation des projections démographiques à l'horizon 2040, effectuées par l'INSEE en 1995, a confirmé cette tendance. L'introduction d'une hypothèse basse de mortalité (reflet des évolutions récentes de la démographie française) conduit à une détérioration importante de ce ratio, qui passerait ainsi de 0,31 en 1990 à 0,43 en 2015 et à 0,63 en 2040. Il faudrait compter 6 personnes en âge d'être à la retraite, pour 10 personnes en âge de travailler (si du moins, l'on considère, qu'en 2040, l'âge de 60 ans restera l'âge charnière à partir duquel on considère que l'on cesse d'être en âge de travailler). En 1990, cette proportion était de 3 contre 10.

Selon le rapport "Perspectives à long terme des retraites" (1995), dans le plus favorable des scénarios, le taux de dépendance serait proche de celui présenté comme étant le plus défavorable dans le Livre blanc sur les retraites. Le taux de dépendance augmenterait entre 2000 et 2040 de 0,3 point, passant ainsi de 0,48 à 0,77. Pour le scénario le plus sombre, le taux de dépendance atteindrait même 0,9 point en 2040. A cette date, il ne resterait alors plus que 1,1 cotisant par retraité (contre 2 en l'an 2000 et 3 en 1990) ! La Direction de la prévision estime, à l'horizon 2015, à 10 points supplémentaires de cotisations le besoin de financement d'un régime global fictif à législation antérieure à la réforme du régime général (6).

Dans le même sens, les projections réalisées par le Conseil d'orientation des retraites en 2010 font apparaître un besoin de financement annuel de 38 à 40 milliards d'euros dès 2015 et de 72 à 115 milliards à l'horizon 2050, à législation inchangée (7).

2 - "Pilotage" des régimes de retraite

- Le législateur a créé un article L. 161-17 A du Code de la Sécurité sociale nouveau (N° Lexbase : L3067INW), selon lequel la Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au coeur du pacte social qui unit les générations. Tout retraité a droit à une pension en rapport avec les revenus qu'il a tirés de son activité. Les assurés doivent pouvoir bénéficier d'un traitement équitable au regard de la retraite, quels que soient leur sexe, leurs activités professionnelles passées et le ou les régimes dont ils relèvent. Le système de retraite par répartition poursuit les objectifs de maintien d'un niveau de vie satisfaisant des retraités, de lisibilité, de transparence, d'équité intergénérationnelle, de solidarité intragénérationnelle, de pérennité financière, de progression du taux d'emploi des personnes de plus de cinquante-cinq ans et de réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes. Les travaux parlementaires eux-mêmes reconnaissent à ce dispositif une simple valeur déclaratoire, qui participe plutôt de la catégorie juridique non normative des résolutions parlementaires.

- La loi n° 2010-1330 (article 2) crée un Comité de pilotage des régimes de retraite, nouvelle instance chargée du pilotage stratégique du système de retraite afin de veiller, notamment, au retour à l'équilibre financier à l'horizon 2018. Le pilotage des régimes de retraite consiste à ajuster au fil du temps les paramètres des régimes en vue d'atteindre les objectifs qui leur sont assignés. La méthode de pilotage repose sur le principe de "rendez-vous" quadriennaux destinés à examiner les différents paramètres des régimes de retraite au regard des évolutions démographiques, économiques et sociales afin de procéder ensuite aux ajustements nécessaires. En 2000, le pilotage du système de retraite a été renforcé avec la création du COR, lieu d'expertise et de débat réunissant tous les acteurs concernés. Les travaux du COR, dont les missions ont été précisées et élargies par la loi de 2003. Afin de pallier les défaillances du pilotage du système de retraite, le législateur crée un nouvel organisme, le comité de pilotage des régimes de retraite, (CSS, art. L. 114-4-2 N° Lexbase : L3069INY et L. 144-4-3 N° Lexbase : L6586G9S) (8).

B - Gestion individuelle des retraites

La loi n° 2010-1330 vise à renforcer l'information dispensée aux assurés en matière de retraite, en prévoyant de leur fournir une information générale sur le système de retraite dès leur première acquisition de droits à la retraite, et d'autre part, en créant un entretien personnalisé à partir de l'âge de quarante-cinq ans. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites avait déjà instauré un droit à l'information individuelle des assurés sur leur future retraite. Les objectifs étaient d'éviter aux assurés des pertes de droits, en les informant suffisamment en amont pour leur permettre de vérifier et de rectifier les informations détenues par leurs régimes de retraite ; d'informer les assurés de leurs droits connus des régimes, soit une vision rétrospective de leur carrière ; d'informer les assurés des droits qu'ils sont susceptibles d'acquérir, soit une vision prospective de leurs futurs droits à retraite.

La loi de 2003 avait créé deux dispositifs (CSS, art. L. 161-17 N° Lexbase : L7738DKS), destinés à améliorer l'information des assurés sur leur retraite, prévoyant : l'envoi, à la demande de l'assuré, d'un relevé de situation individuelle l'informant de l'ensemble des droits qu'il a acquis auprès des régimes de retraite légalement obligatoires, et, notamment, le nombre de trimestres d'assurance accomplis. A partir de l'âge de trente-cinq ans, ce relevé est automatiquement envoyé tous les cinq ans ; l'envoi à l'assuré, à partir de cinquante-cinq ans, c'est-à-dire à l'approche de l'âge de la retraite, d'une estimation indicative globale du montant de la pension qu'il sera susceptible de percevoir lors de son départ à la retraite, au regard des droits qu'il a acquis dans l'ensemble des régimes de base et complémentaire. Après cinquante-cinq ans, ce document est envoyé tous les cinq ans, jusqu'à l'âge de départ à la retraite de l'assuré.

L'article L. 161-17 du Code de la Sécurité sociale est complété afin de prévoir que l'assuré, dans un délai déterminé suivant la première année au cours de laquelle il a validé au moins une période d'assurance dans un des régimes de retraite légalement obligatoires (c'est-à-dire dès qu'il a acquis ses premiers droits à la retraite) bénéficie d'une information générale sur le système de retraite par répartition. Cette information porte notamment sur les règles d'acquisition de droits à pension et l'incidence sur ces derniers des évènements susceptibles d'affecter sa carrière (9).

II - Réforme de la gestion individuelle des retraites

A - Durée d'assurance

1 - Le dispositif initial (loi du 21 août 2003)

L'article 5 de la loi du 21 août 2003 avait mis en place un processus d'allongement, par étapes, de la durée d'assurance et de services requise pour bénéficier d'une retraite à taux plein, en fonction des gains d'espérance de vie à soixante ans, afin de maintenir constant le rapport constaté en 2003 entre cette durée et la durée moyenne de retraite calculée (c'est-à-dire l'espérance de vie à l'âge de soixante ans telle qu'estimée cinq ans auparavant). En 2003, le rapport entre la durée d'assurance et la durée moyenne de retraite était en l'occurrence de 1,79. Les modalités de mise en oeuvre de cette règle diffèrent selon qu'il s'agisse de la période 2003-2008, de la période 2009-2012 ou des périodes 2013-2016 et 2017-2020.

- Entre 2003 et 2008, la durée d'assurance a été stabilisée à quarante ans dans le régime général et les régimes alignés (régimes des commerçants, des artisans, des salariés agricoles), tandis que la durée de services et bonifications dans les régimes de la fonction publique a augmenté d'un trimestre par an entre 2003 et 2008, passant de 37,5 ans à quarante ans. En 2008, les durées d'assurance et de services, nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein des régimes concernés par la réforme de 2003 (régime général, régimes alignés sur le régime général, régime des professions libérales, régime des exploitants agricoles, régimes de la fonction publique) ont ainsi convergé pour atteindre quarante ans.

- Depuis 2009, la durée d'assurance et de services, nécessaire pour bénéficier du taux plein, doit, en effet, être majorée d'un trimestre par an pour atteindre quarante et une annuités en 2012. Cette majoration de la durée d'assurance et de services pour la période 2009-2012 a été confirmée lors du "rendez-vous de 2008", après l'avis rendu par la commission de garantie des retraites le 29 octobre 2007.

- Pour les périodes postérieures à 2012, la loi de 2003 prévoit des rendez-vous quadriennaux en 2012 et 2016. Le gouvernement devra, à l'occasion de chacun de ces rendez-vous, élaborer un rapport (respectivement avant les 1er janvier 2012 et 2016) faisant apparaître, selon des modalités de calcul précisées par décret en Conseil d'Etat, l'évolution prévisible, pour les cinq années à venir, du rapport entre la durée d'assurance ou la durée de services et bonifications et la durée moyenne de retraite. Au vu des éléments contenus dans ce rapport, la durée d'assurance et de services sera fixée par décret, pris après avis de la commission de garantie des retraites et du conseil d'orientation des retraites, pour les quatre années à venir, de manière à assurer la stabilité du rapport constaté en 2003.

2 - Réforme de la loi du 9 novembre 2010

Le législateur s'est attaché à simplifier la procédure d'allongement de la durée d'assurance et de services. Le principe posé est que les assurés, nés à compter du 1er janvier 1955, devront savoir, dès l'âge de cinquante-six ans, la durée d'assurance et de services nécessaire pour l'obtention du taux plein. Chaque année, un décret fixera pour l'année n+4 la durée d'assurance nécessaire pour l'obtention du taux plein. Par exemple, pour les assurés nés en 1956 et atteignant soixante ans en 2016, le nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein sera fixé par un décret pris avant le 31 décembre 2012, c'est-à-dire avant la fin de leur cinquante-sixième année (10).

B - Age d'ouverture du droit

La "retraite à 60 ans", c'est fini ! Plus exactement, l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite n'est plus fixé, sous réserve d'exceptions, à soixante ans, en application de l'ordonnance n° 82-270 du 26 mars 1982, relative à l'abaissement de l'âge de la retraite des assurés du régime général et du régime des assurances sociales agricoles. En 1991, le Livre blanc sur les retraites écartait dans l'immédiat l'hypothèse d'un relèvement de l'âge légal de départ en retraite tout en n'excluant pas cette perspective pour l'avenir.

Les travaux parlementaires (11) montrent qu'une grande majorité des salariés liquide sa pension de retraite dès l'âge de soixante ans : en 2009, 60 % environ des attributions de pensions de droit direct à la Caisse nationale d'assurance vieillesse concernaient des salariés âgés de soixante ans. La loi n° 2010-1330 relève de soixante à soixante-deux ans l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite. La loi insère un article L. 161-17-2 (N° Lexbase : L3079IND) parmi les dispositions du Code de la Sécurité sociale, communes aux régimes de base pour prévoir que l'âge d'ouverture du droit à pension de retraite est porté à soixante-deux ans pour les assurés nés à compter du 1er janvier 1956. Cet âge sera fixé par décret, de manière croissante à raison de quatre mois par génération et dans la limite de soixante-deux ans pour les assurés nés avant le 1er janvier 1956.

Cette mesure s'applique, pour le secteur privé, aux assurés du régime général, du régime des salariés agricoles, du régime des professions artisanales, industrielles et commerciales, du régime des professions libérales et du régime des avocats, ainsi que du régime des ministres du culte. Elle concernera, également, l'ensemble des fonctionnaires dont l'âge d'ouverture des droits est actuellement fixé à soixante ans. En revanche, le relèvement de l'âge d'ouverture ne sera pas directement applicable dans les régimes complémentaires de retraite qui obéissent à des règles propres.

La mesure a été critiquée, et les travaux parlementaires en ont eux-mêmes rendus compte, eu égard au taux d'emploi des seniors, qui demeure en France l'un des plus bas des pays développés. Le relèvement de l'âge d'ouverture du droit à la retraite conduirait à une hausse du chômage compte tenu du niveau actuel d'emploi des seniors. L'âge légal de départ en retraite est l'un des leviers essentiels à activer pour améliorer le taux d'emploi des seniors. L'âge de la retraite influence mécaniquement le taux d'emploi des seniors car il agit directement sur la génération qui précède, c'est-à-dire les quinquagénaires. Du fait de la fixation à soixante ans du départ à la retraite, l'âge social diffère sensiblement de l'âge biologique : on y est plus "vieux" à cinquante-huit ans qu'ailleurs en Europe (12).

Le mécanisme est le suivant : plus l'horizon anticipé avant le départ à la retraite est long, plus le taux d'emploi des cinquante-cinq/cinquante-neuf ans est proche de celui des âges inférieurs. Le report de l'âge légal de la retraite est susceptible, en allongeant l'horizon de la vie professionnelle, de modifier les comportements d'offre et de demande de travail et par là-même, d'augmenter le taux d'emploi pour les individus proches de la retraite. Mais la critique porte précisément sur le décalage avec les pratiques enregistrées sur le marché du travail, aujourd'hui, qui discrimine et procède par segment du marché du travail, en excluant les salariés du haut de la pyramide des âges.

C - Limite d'âge : Relèvement de l'âge d'annulation de la décote

La loi n° 2010-1330 relève de deux années l'âge permettant de bénéficier d'une pension de retraite à taux plein quelle que soit la durée de cotisation atteinte.

En 2009, 22 % des femmes et 12,6 % des hommes, ayant liquidé leur retraite du régime général, étaient âgés de soixante-cinq ans. Parmi ces personnes, 13 % ont obtenu le taux plein au titre de leur durée d'assurance ; 87 % ont bénéficié du taux plein en raison de leur âge (v. tableau, annexe 2). Au sein de l'ensemble des liquidants à soixante-cinq ans, ceux qui liquident au titre de l'âge se distinguent nettement de ceux qui liquident à taux plein au titre de la durée. Les assurés qui attendent soixante-cinq ans pour prendre leur retraite et qui ont une durée d'assurance inférieure au taux plein, reçoivent des pensions plus faibles, relativement aux autres retraités, et bénéficient fréquemment du minimum contributif. Les femmes représentent les deux tiers de ces assurés. Alors que 57 % de l'ensemble des nouveaux prestataires de 2009 étaient sans emploi avant de liquider, ils étaient 84,6 % dans cette situation parmi l'ensemble des liquidants à soixante-cinq ans au titre de l'âge.

Dans sa rédaction actuelle, l'article L. 351-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L7665DK4) dispose que l'assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l'assuré qui en demande la liquidation à partir d'un âge déterminé. Cette référence à un âge déterminé, jusqu'à présent fixé par décret, est remplacée par un renvoi à l'article L. 161-17-2 (N° Lexbase : L3079IND) (loi n° 2010-1330, art. 20).

L'article L. 351-8 du Code de la sécurité sociale (N° Lexbase : L3080INE) énumère la liste des personnes bénéficiant du taux plein même si elles ne justifient pas de la durée requise d'assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires. La première catégorie mentionnée est celle des assurés qui atteignent un âge déterminé, actuellement fixé par décret à soixante-cinq ans. La loi n° 2010-1330 remplace cette référence à un âge déterminé par la mention de l'âge prévu à l'article L. 161-17-2 (c'est-à-dire, 62 ans) augmenté de cinq années (soit 67 ans). L'âge d'obtention du taux plein sera progressivement reporté pour passer de soixante-cinq à soixante-sept ans selon un calendrier (annexe 3, tableau).


(1) D. Jacquat, Assemblée Nationale, rapport n° 2770 ; L. Hénart, Assemblée Nationale, avis n° 2768 ; E. Blessig, Assemblée nationale, avis n° 2767 ; M.-J. Zimmermann, Assemblée Nationale, rapport d'information n° 2762 ; D. Leclerc, Sénat, rapport n° 733 (2009-2010), 29 septembre 2010 ; J.-J. Jégou, Sénat, avis n° 727 (2009-2010) ; J. Panis, Sénat, rapport d'information n° 721 (2009-2010) ; D. Leclerc, Sénat, rapport n° 59 (2010-2011) ; D. Jacquat, Assemblée Nationale, rapport n° 2920, 23 juillet 2010.
(2) A. Vasselle, Réforme des retraites : peut-on encore attendre ?, Sénat, rapport d'information n° 459 (98-99) - Commission des Affaires sociales, 25 juin 1999.
(3) Rapport au premier ministre, Perspectives à long terme des retraites en 1995, R. Briet (dir.).
(4) A. Robinet, Retraites : l'Europe à l'heure de la réforme, Assemblée Nationale, rapport d'information n° 2570, 2 juin 2010 ; V. Rosso-Debord, Retraites : les voies de la réforme, Assemblée nationale, rapport d'information n° 2700, 6 juillet 2010 ; A. Vasselle, Les retraites en Allemagne : des enseignements à tirer ?, Mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, Commission des affaires sociales, Sénat, n° 673 (2009/2010).
(5) D. Jacquat, Rapport Assemblée Nationale n° 1994, Tome III (2009-2010), Financement de la sécurité sociale pour 2010, Assurance vieillesse, p. 57-74 ; D. Leclerc, Rapport Sénat n° 90, tome V, Financement de la sécurité sociale pour 2010 Tome V, Assurance vieillesse, 2009-2010.
(6) A. Vasselle, Réforme des retraites : peut-on encore attendre ?, Sénat, rapport d'information n° 459 (98-99), 25 juin 1999, prec.
(7) Conseil d'orientation des retraites, Retraites : perspectives actualisées à moyen et long terme en vue du rendez-vous de 2010, huitième rapport, avril 2010 ; V. aussi J.-J. Jégou, Sénat, avis, prec., p. 11.
(8) D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 55 ; D. Jacquat, Assemblée Nationale, Rapport n° 2920, préc., p. 151.
(9) D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 73.
(10) D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 89 ; D. Jacquat, Assemblée Nationale, Rapport n° 2920, préc., p. 200.
(11) D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 97 ; J.-J. Jégou, Sénat, Avis n° 727 (2009-2010), préc., p. 74 ; D. Jacquat, Assemblée Nationale, Rapport n° 2920, préc., p. 219.
(12) C. Demontès et D. Leclerc, Retraites 2010 : régler l'urgence, refonder l'avenir, rapport de la Mecss n° 461, préc., tome 2, p. 49.

Annexe 1

Tableau récapitulant l'évolution à venir de l'âge d'ouverture du droit à une pension de retraite pour les différentes générations concernées

Date de naissance

Age de départ avant la réforme

Date de départ avant la réforme

Décalage de l'âge de départ

Age de départ après la réforme

Date de départ après la réforme

1er juillet 1951

60 ans

1er janvier 2011

4 mois

60 ans et 4 mois

1er novembre 2011

1er janvier 1952

60 ans

1er janvier 2012

8 mois

60 ans et 8 mois

1er septembre 2012

1er janvier 1953

60 ans

1er janvier 2013

1 an

61 ans

1er janvier 2014

1er janvier 1954

60 ans

1er janvier 2014

1 an et 4 mois

61 ans et 4 mois

1er mai 2015

1er janvier 1955

60 ans

1er janvier 2015

1 an et 8 mois

61 ans et 8 mois

1er septembre 2016

1er janvier 1956

60 ans

1er janvier 2016

2 ans

62 ans

1er janvier 2018

Générations suivantes

60 ans

60 ans

2 ans

62 ans

62 ans

Source : D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 100.

Annexe 2

Répartition des nouveaux retraités du régime général de 2009 ayant liquidé leur pension à soixante-cinq ans selon le motif de liquidation et le genre

Au titre de l'âge Au titre de la durée de cotisation
Homme 75,8 % 24,2 %
Femme 92,6 % 7,4 %
Ensemble 87 % 13 %

Source : D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 104.

Annexe 3

Assurés nés à compter de Age du taux plein Date d'effet à compter de
Juillet 1951 65 ans et 4 mois Novembre 2016
Juillet 1952 65 ans et 8 mois Septembre 2017
Juillet 1953 66 ans Janvier 2019
Juillet 1954 66 ans et 4 mois Mai 2020
Juillet 1955 66 ans et 8 mois Septembre 2021
Juillet 1956 67 ans Janvier 2023

Source : D. Leclerc, Sénat, Rapport n° 733, préc., p. 110.

newsid:408200

Juristes d'entreprise

[Questions à...] Juriste d'entreprise, "un métier sui generis" - Questions à Christian Husson, Directeur juridique de Renault

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N7005BQI

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par Anne-Lise Lonné, Journaliste juridique

Le 27 Mars 2014


Christian Husson a démarré sa carrière à la DIAC en 1975 comme Assistant chef du contentieux. Il rejoint Renault en 1978 à la Direction juridique. De 1983 à 1986, il est détaché chez American Motors. De 1986 à 1995, il occupe plusieurs postes à la Direction juridique et devient Directeur juridique et Secrétaire du conseil d'administration en 1995. Au 1er septembre 2008, il entre au Comité de direction de Renault.
Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré cet homme qui, depuis plus de trente ans, voue un attachement exclusif à son entreprise. Il nous explique sa passion pour son métier de "manager et de stratège dans une entreprise cotée et globalisée", ainsi qu'il le définit. Retour d'expérience. Lexbase : Comment êtes-vous arrivé au poste que vous occupez actuellement ? Quel regard portez-vous sur votre parcours ?

Christian Husson : Après des études de droit très classiques, j'ai débuté ma carrière chez Renault en 1978, après trois ans passés dans des filiales de Renault. Je suis très vite parti pour les USA, de 1983 à 1986, dans le cadre d'un détachement chez American Motors, alors que la stratégie de Renault, à l'époque, consistait dans le rachat de sociétés aux Etats-Unis.

Les difficultés que l'on a connues en 1985, alors que Renault n'était pas privatisée, m'ont amené à cette réflexion que la privatisation et l'ouverture à l'international étaient et sont intrinsèquement liées. L'échec rencontré avec Volvo, à la suite de son entrée dans le capital de Renault en 1992, nous a convaincus qu'il fallait privatiser intégralement pour mener à bien des opérations d'equity à l'international, en tenant compte des considérations de gouvernance et d'animus cooperandi. Ces principes ont été déterminants, par la suite, dans notre stratégie d'alliance avec Nissan, conclue en 1999.

Pour résumer ma carrière, mon parcours professionnel est intimement lié à toutes les étapes stratégiques de Renault : privatisation, échec et réussite à l'international, puis stratégie d'alliance. Autrement dit, je suis un pur produit de mon groupe.

Sans y avoir été formé, mon parcours m'a obligé à développer un certain nombre de spécialités telles que M&A (fusions acquisitions), les transferts de technologies, l'antitrust, les stratégies d'alliance, la corporate governance aujourd'hui, et surtout, une chose que l'on n'apprend pas à l'Université, le management.

Lexbase : Pouvez-vous nous présenter votre service juridique ? Quelles sont les problématiques récurrentes auxquelles votre service juridique se trouve confronté ?

Christian Husson : Les groupes Renault et Nissan comptent actuellement 200 juristes chacun environ. Si l'on ne dispose pas encore d'un budget commun dans la fonction juridique de l'alliance Renault-Nissan, nous développons une confraternité permanente. Aussi, nous pouvons, chez Renault, compter sur des confrères du Groupe Nissan, implantés en Amérique du Nord, spécialistes du droit de la distribution et de l'antitrust, et éviter ainsi de faire de l'outsourcing (sous-traitance) chez un grand cabinet de la place. De même, pour les mystères du droit japonais, nous nous en remettons à nos confrères de Yokohama. Cela est un véritable atout que l'on a pu gagner par la confiance mutuelle.

S'agissant des 200 juristes du groupe Renault, nous avons la particularité de compter 25 ingénieurs brevet. Notre activité se répartit, classiquement, en cinq départements.

Le département M&A/Contrats internationaux est associé à toutes les grandes percées de croissance organique du groupe. C'est au sein de ce département, par exemple, que l'on a commencé à construire l'alliance avec Nissan, que l'on a racheté Samsung Motors en Corée, ou que l'on a permis le rachat de Dacia en Roumanie ou encore le rapprochement avec Avtovaz en Russie, ou bien, enfin, notre accord de coopération avec Daimler.

Le département de droit de l'économie et du commerce traite du droit de la distribution, du droit de la sécurité des produits, du droit de la concurrence française et communautaire, de la gestion des problèmes liés à l'acte de vente, des garanties, des campagnes de rappel, de la publicité mensongère, etc..

Le département de droit des sociétés suit l'évolution de la réglementation des sociétés et en assure l'adaptation chez Renault. L'une des particularités de ce département est qu'une équipe est dédiée à la corporate governance et m'aide directement, avec le Président, à animer le conseil d'administration et les assemblées générales d'actionnaires.

Le département de droit social gère tous les conflits individuels et collectifs de droit du travail.

Enfin, le département de droit immobilier et droit de l'environnement traite des problèmes non seulement au plan réglementaire mais également au plan de la responsabilité sociétale et développement durable.

Outre cette équipe, une autre équipe de juristes "nomades" est dédiée à une holding d'animation dénommée Renault Nissan BV, à Amsterdam, détenue à parité par les deux partenaires, qui constitue le véhicule juridique de l'Alliance Renault-Nissan dont la vocation est d'élaborer une stratégie commune et de développer les synergies.

Lexbase : Comment le métier de juriste d'entreprise a-t-il évolué depuis le début de votre carrière ?

Christian Husson : Le métier de juriste d'entreprise a considérablement évolué en France puisque l'on est passé d'une culture très certificatrice, c'est-à-dire instaurant un contrôle a posteriori destiné à valider juridiquement, à une culture très business et proactive, du moins je l'espère. Au sein de notre groupe, le métier de juriste d'entreprise a évolué au gré de notre stratégie. Depuis l'instant où l'on a été privatisé, j'ai toujours défendu l'idée que le service juridique devait faire du business, c'est-à-dire être associé depuis l'amont à toute la prise de décision, puis la porter et l'accompagner jusqu'à son exécution parfaite. Au contraire, un juriste qui demeure le simple gardien de la réglementation a peu d'effet utile. En ce sens, il y a eu une réelle évolution.

Je recommande de lire Thomas Friedman, La terre est plate (1), tout y est dit. L'économie numérique a radicalement transformé les modes de fonctionnement et les rapports entre les individus sont passés de la verticale à l'horizontale. C'est en ce sens que nous avons vraiment souhaité sortir du rôle de juriste a posteriori, en tant que certificateur, et avoir un rôle dynamique, que l'on a obtenu en suscitant la confiance mutuelle vis-à-vis des dirigeants.

Lexbase : Comment définiriez-vous la culture juridique d'entreprise au sein du groupe Renault ?

Christian Husson : La culture juridique de notre entreprise repose sur les valeurs suivantes : le business, comme je viens de l'exposer, le talent, le courage, la diversité. Le talent, c'est l'excellence technique. Par courage, j'entends l'esprit d'initiative et le fait d'assumer ses paroles et ses actes. S'agissant de la diversité, j'ai toujours pensé qu'il fallait être différent, car c'est cela qui crée la richesse. Il faut avoir la curiosité de comprendre l'autre. C'est ainsi que nous avons modélisé un système de soft law, fondé sur le "and, if" (et si l'autre avait raison), lequel est omniprésent. Cette approche nous a permis de construire et de réussir l'alliance avec les japonais.

Enfin et surtout, la valeur fondamentale, à mon sens, se situe dans l'empathie, autrement dit, le respect mutuel et le sens de l'autre. Comme le soulignait très justement un article du Monde paru dernièrement, "L'empathie, ce n'est pas une maladie" (2), au contraire, il s'agit d'un levier de performance. Ce qui fait la différence aujourd'hui, me semble-t-il, c'est le facteur humain. Il faut être des juristes avec lesquels les dirigeants ont envie de parler. Il s'agit d'une conviction de fond, c'est-à-dire que l'on a souhaité être l'avocat interne de notre entreprise pour la défendre et lui proposer des solutions dynamiques. Et c'est précisément par l'empathie interactive que l'on réussit à gagner cette confiance mutuelle.

Notre culture juridique a radicalement été transformée par le choix du business model que l'on a retenu avec les japonais, qui nous ont appris le pragmatisme et le respect mutuel. Aujourd'hui, nous avons développé une véritable culture juridique d'entreprise sui generis, propre au groupe Renault-Nissan, cohabitation fertile de deux cultures radicalement différentes.

Lexbase : Avez-vous souvent recours à l'arbitrage ?

Christian Husson : Quand on évolue dans une culture d'entreprise telle que je viens de la décrire, qui privilégie le respect mutuel et le pragmatisme, on se trouve naturellement et spontanément dans la résolution de conflits autrement que par un rapport de force, et cela pour deux raisons. D'une part, parce que, comme je l'ai déjà évoqué, "la terre est plate", et qu'un dominé peut rapidement devenir dominant à son tour. D'autre part, car une résolution brutale de conflits aurait pour effet de déstabiliser notre image vis-à-vis des clients, ce qui est préjudiciable.

Donc, par principe, dans tous les contrats, il est prévu une clause d'arbitrage et/ou de médiation. On privilégie tout mode de résolution alternatif des conflits, et ce encore une fois, grâce à l'alliance avec Nissan, qui nous a incités à trouver la voie transactionnelle lorsqu'il y a eu des tensions. La résolution de disputes est donc, également, associée au business model de l'alliance Renault-Nissan.

Lexbase : La décision de la CJUE du 14 septembre 2010 (3) fait écueil dans la bataille des juristes d'entreprise pour l'obtention du legal professional privilege. Quelle est votre position concernant le statut d'avocat en entreprise ?

Christian Husson : Je suivrai le mouvement de l'Association française des juristes d'entreprise, qui mène le combat en vue de la reconnaissance de la confidentialité des avis juridiques. Toutefois, je tiens à préciser que je ne revendique pas un statut corporatiste particulier, dans la mesure où je considère que j'exerce un métier sui generis, celui de manager et de stratège dans une entreprise cotée et globalisée, lequel est complètement différent du métier d'avocat. Je ne voudrais pas que ce débat soit ressenti comme un refoulement de la profession de juriste d'entreprise, vis-à-vis de l'avocat.


(1) Thomas Friedman, La terre est plate : Une brève histoire du XXIème siècle, Editions Saint-Simon, octobre 2006.
(2) Martine Laronche, L'empathie, ce n'est pas une maladie, Le Monde, 17 octobre 2010.
(3) CJUE, 14 septembre 2010, aff. C-550/07 P (N° Lexbase : A1978E97).

newsid:407005

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] La jurisprudence "SA Elisa" n'est pas transposable, en l'absence de cadre d'opération, aux mouvements de capitaux entre Etats membre de l'EEE

Réf. : CJUE, 28 octobre 2010, aff. C-72/09 (N° Lexbase : A7817GCI)

Lecture: 9 min

N7008BQM

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 31 Janvier 2011

La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) vient de juger, le 28 octobre 2010, que l'article 40 de l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), du 2 mai 1992, ne s'oppose pas à la législation française qui exonère de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés sur son territoire les sociétés qui ont leur siège social sur le territoire de cet Etat et qui subordonne cette exonération, pour une société dont le siège social se trouve sur le territoire d'un Etat tiers membre de l'Espace économique européen, à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue entre la France et cet Etat tiers en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou à la circonstance que, par application d'un Traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établies sur son territoire.
Les faits dans cette affaire étaient les suivants : une société, dont le siège social est situé au Liechtenstein, possédait un bien immobilier situé en France ; elle était soumise, à ce titre, à la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés en France. L'administration fiscale française avait successivement mis en recouvrement, à la charge de la société, la taxe litigieuse au titre des années 1988 à 1997, puis des années 1998 à 2000. Ses réclamations avaient été rejetées et la société avait introduit des recours contre l'administration fiscale française. A la suite d'un arrêt rendu en sa défaveur le 20 septembre 2005, par la cour d'appel d'Aix en Provence (CA Aix-en-Provence, 1ère ch., sect. A, 20 septembre 2005, n° 04/01940 N° Lexbase : A6428EXD), la société contribuable avait formé un pourvoi devant la Cour de cassation qui avait décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE une question préjudicielle. La demande de décision préjudicielle dont avait été saisie la CJUE par la Cour de cassation par une décision du 10 février 2009 (Cass. com., 10 février 2009, n° 07-13.448 N° Lexbase : A1196EDN), portait sur l'interprétation de l'article 40 de l'accord sur l'EEE du 2 mai 1992. La Chambre commerciale de la Cour de cassation demandait donc, en substance, à la CJUE, si l'article 40 de l'accord, lequel étend aux pays de l'EEE non membre de l'Union Européenne le principe de libre circulation des capitaux, permettait la transposition au bénéfice de ces pays de la jurisprudence "SA Elisa" (CJCE, 11 octobre 2007, aff. C-451/05 N° Lexbase : A7180DYL).

Les dispositions des articles 990 D (N° Lexbase : L5483H9X) et suivants du CGI avaient déjà fait l'objet d'un examen par la Cour au regard de la Directive 77/799/CEE du Conseil du 19 décembre 1977 (N° Lexbase : L9296AUT), relative à l'assistance mutuelle des autorités compétentes des Etats membres dans le domaine des impôts directs et indirects, telle que modifiée par la Directive 92/12/CEE du Conseil du 25 février 1992 (N° Lexbase : L7562AUM), ainsi que de l'article 63 TFUE (N° Lexbase : L2713IP8) dans son arrêt du 11 octobre 2007. La Cour de justice avait alors jugé que "les exigences prévues par la réglementation nationale en cause au principal pour bénéficier de l'exonération de la taxe litigieuse rendent l'investissement immobilier en France moins attrayant pour les sociétés non résidentes, telles que les sociétés holding de droit luxembourgeois" (point n° 77). La CJUE, dans la décision du 28 octobre 2010, suivant en cela l'Avocat général qui, dans ses conclusions, s'appuie sur l'absence de dispositions relatives à la coopération administrative fiscale dans le cadre de l'accord EEE, exclut la simple transposition de la jurisprudence "SA Elisa" édictée pour des Etats membres de l'UE, aux pays de l'Espace économique européen au motif qu'il n'existe pas entre les membres de l'EEE et contrairement à ce qui existe entre les membres de l'Union Européenne, de cadre de coopération.

I - Les dispositions de l'article 40 de l'accord EEE ne s'opposent pas aux dispositions de l'article 990 D et suivants du CGI

La CJUE valide le dispositif de lutte contre la fraude fiscale internationale dans le cadre de l'EEE, s'agissant d'un investissement d'une société dont le siège social est situé au Lichtenstein.

A - Le principe de la libre circulation des capitaux dans l'ensemble EEE ne s'oppose pas à la législation française relative à la taxe sur la valeur des immeubles

Dans l'affaire rapportée, la société, propriétaire d'un immeuble en France, est redevable de la taxe litigieuse sur le fondement de l'article 990 D du CGI. L'investissement immobilier effectué par la société a été regardé, en l'espèce, comme un mouvement de capitaux au sens de l'accord EEE relatif aux restrictions des mouvements capitaux. En effet, les mouvements de capitaux comprennent les opérations par lesquelles des non-résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire de l'Etat membre ainsi qu'il ressort de la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l'annexe I de la Directive 88/361 (N° Lexbase : L9795AUC) (CJCE, 16 mars 1999, aff. C-222/97 N° Lexbase : A0500AWG, Rec. P. I-1661, point 21 ou CJCE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04 N° Lexbase : A9708DQM, Rec. P. I-8203, point 22). La société entendait, alors, bénéficier de l'exonération de la taxe sur la valeur vénale des immeubles frappant un élément de son patrimoine (CJCE, 12 avril 1994, aff. C-1/93 N° Lexbase : A9651AUY).

L'exonération de taxe sur la valeur vénale des immeubles dans le cadre de l'UE avait, déjà, été précisée par la Cour de justice. L'article 40 de l'accord EEE était entré en vigueur au Lichtenstein le 1er mai 1995, par une décision n° 1/95 du Conseil de l'EEE du 10 mars 1995. Il s'agissait donc de savoir quelle portée donner à la décision "SA Elisa". C'est pourquoi la Cour de cassation a saisi la CJUE de la question suivante : "L'article 40 de l'accord (EEE) s'oppose t'il à une législation telle que celle résultant des articles 990 D et suivants du CGI, dans leur rédaction alors applicable, qui exonère de la taxe de 3 % sur la valeur vénale des immeubles situés en France des sociétés qui ont leur siège en France et qui subordonne cette exonération, pour une société qui a son siège dans un pays de l'EEE, non membre de l'Union européenne, à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue entre la république Française et cet Etat en vue de lutter contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale ou à la circonstance que par application d'un traité comportant une clause de non discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent-elles pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle elles sont assujetties les sociétés établies en France ?".

B - La subordination de l'exonération de taxe sur la valeur vénale de l'immeuble à l'existence d'une convention d'assistance administrative ne méconnaît pas l'article 40 de l'accord EEE

Les règles interdisant les restrictions aux mouvements de capitaux sont, s'agissant des relations entre les Etats parties à l'accord EEE, les mêmes que celles que le droit de l'Union européenne impose dans les relations entre les Etats membres de l'Union. La question était donc de savoir si les sujétions posées par la législation nationale issue de l'article 990 D et suivants du CGI, dans le but de lutter contre la fraude fiscale, étaient compatibles avec l'objectif posé par l'accord EEE de réaliser de la manière la plus complète possible la libre circulation des capitaux, de sorte que le marché intérieur réalisé sur le territoire de l'Union soit étendu aux Etats de l'EEE.

La CJUE constate, tout d'abord, dans les motifs de sa décision que la règlementation française excluant les sociétés non résidentes établies au Liechtenstein du bénéfice de l'exonération de taxe qui rend l'investissement immobilier en France moins attrayant pour ces sociétés est une restriction à la libre circulation des capitaux, la restriction à la libre circulation emportée par la législation nationale ne demeurant légitime qu'en l'état de la coopération avec cet Etat. L'appréciation portée par la Cour est donc sur ce point identique à celle qu'elle avait retenue dans l'arrêt "SA Elisa".

Toutefois, la décision rendue le 28 octobre 2010 ne propose pas la transposition pure et simple de la jurisprudence "SA Elisa". La CJUE retient, simplement, que l'article 40 de l'accord sur l'Espace economique européen du 2 mai 1992 ne s'oppose pas à la législation française qui exonère de la taxe sur la valeur vénale des immeubles situés sur son territoire les sociétés qui ont leur siège social sur le territoire de cet Etat et qui subordonne cette exonération, pour une société dont le siège social se trouve sur son territoire d'un Etat tiers membre de l'EEE à l'existence d'une convention d'assistance administrative conclue entre la France et cet Etat tiers en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales ou à la circonstance que, par application d'un Traité comportant une clause de non-discrimination selon la nationalité, ces personnes morales ne doivent pas être soumises à une imposition plus lourde que celle à laquelle sont assujetties les sociétés établie sur son territoire.

II - La restriction au principe de la libre circulation des capitaux peut être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général à la condition qu'elles garantissent la réalisation de l'objectif de libre circulation

Une restriction à la libre circulation des capitaux n'est acceptable que si elle est de nature à garantir la réalisation de l'objectif, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire.

A - La Cour de justice avait jugé, dans l'arrêt "SA Elisa", que la règlementation nationale n'était pas appropriée à la réalisation de libre circulation des capitaux en présence d'un cadre de coopération

La transposition de la jurisprudence "SA Elisa" à des Etats parties à l'accord EEE n'était pas, en l'espèce, possible en l'absence de cadre de coopération entre la France et le Liechtenstein. En effet, la production des informations nécessaires à un contrôle fiscal, n'était pas assurée en toute transparence par l'existence d'un cadre de coopération, les deux Etats n'ayant signé aucun accord de coopération en ce sens.

Dans l'affaire C-451/05, la Cour de justice avait déclaré le dispositif de la taxe de 3 %, dans sa version antérieure au 1er janvier 2008 (N° Lexbase : L9272HLY), incompatible avec la liberté communautaire de circulation des capitaux prévue à l'article 56 du Traité CE . La Cour avait, en effet, jugé que la conciliation entre l'objectif de libre circulation des capitaux et l'impératif de lutte contre la fraude fiscale internationale, pouvait être atteint par des mesures moins restrictives. La Cour de justice, dans cette dernière affaire, avait regardé le dispositif français de taxe comme n'étant pas conforme au droit communautaire puisque, alors même qu'une société holding Luxembourgeoise se trouvait dans une situation identique à des sociétés françaises ou à des sociétés "communautaires" dont l'Etat de rattachement avait conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination, les sociétés luxembourgeoises ne pouvaient échapper à l'impôt en produisant les renseignements exigés des sociétés françaises ou des sociétés "communautaires" dont l'Etat de rattachement avait conclu avec la France une convention d'assistance administrative ou une convention fiscale comportant une clause de non-discrimination.

B - L'intégration différente des Etats membres de l'EEE de celle des Etats membres de l'UE explique le refus de transposer la jurisprudence "SA Elisa"

La jurisprudence "SA Elisa" est écartée par la CJUE, dans l'affaire rapportée, dès lors qu'aucun cadre de coopération n'assure la production utile des informations nécessaire à la lutte contre la fraude fiscale internationale. En effet, le cadre de coopération entre les autorités compétentes des Etats membres établi par la Directive 77/799 n'existe pas entre la France et le Liechtenstein, ce dernier Etat n'ayant pris aucun engagement d'assistance mutuelle. Or, l'octroi de l'avantage fiscal demeure subordonné à la production par l'Etat tiers des renseignements nécessaires à un contrôle effectif. En conséquence, il est impossible d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux et donc de lutter efficacement contre la fraude fiscale, la restriction applicable aux investissements en provenance du Liechtenstein demeurait légitime. La CJUE juge, en conséquence, qu'il n'est pas contraire à l'article 40 de l'accord sur l'EEE d'exiger l'existence d'une convention fiscale comportant une clause d'assistance administrative ou de non discrimination entre la France et un pays de l'EEE afin d'exonérer de la taxe sur la valeur vénale des immeubles.

Ainsi, bien que l'investissement consenti en France par la société contribuable soit regardé comme moins attrayant que s'il était effectué par la même société dans d'autres Etats de l'EEE, la différence de situation entre un Etats tiers à l'UE (le Liechtenstein), par ailleurs de l'EEE, justifie l'adoption d'une solution différente, alors même qu'il s'agit d'apprécier le caractère nécessaire des restrictions induites par l'existence d'une taxe sur la valeur vénale des immeubles, au regard du principe commun à l'Union et à l'EEE, de libre circulation des capitaux.

newsid:407008

Concurrence

[Panorama] Panorama d'actualité en droit de la concurrence de janvier à juillet 2010, Freshfields Bruckhaus Deringer : table des matières

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N8145BQQ

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Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un numéro spécial "Droit de la concurrence". Les membres du Groupe Concurrence parisien de Freshfields Bruckhaus Deringer (Jérôme Philippe, Maria Trabucchi, Amélie Alduy, Clémentine Baldon, Jérémy Bernard, France-Hélène Boret, Christine Chansenay, Karima El Sammaa, Jérôme Fabre, François Gordon, Aude-Charlotte Guyon, Amandine Jacquemot, Delphine Liégeon, Jean-Nicolas Maillard, Lucas Niedolistek), ont donc sélectionné l'essentiel de l'actualité législative et jurisprudentielle qui a émaillé la matière au cours des six premiers mois de l'année 2010. Cette édition spéciale vous présente donc cinq panoramas d'actualité :
- législation communautaire ;
- jurisprudence communautaire ;
- jurisprudence française - pratiques anti-concurrentielles ;
- jurisprudence française - opérations de concentrations ;
- jurisprudence française - procédure.
  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence de janvier à juillet 2010, Freshfields Bruckhaus Deringer : législation communautaire (N° Lexbase : N7029BQE)

- Publication par la Commission européenne des Best Practices (les bonnes pratiques relatives aux procédures en matière d'ententes et d'abus de position dominante ; les bonnes pratiques relatives à la collecte et la communication de données économiques s'agissant des procédures d'ententes, d'abus de position dominante et de contrôle des concentrations ; et les lignes directrices relatives au rôle des conseillers-auditeurs).
- Règlement n° 461/2010 de la Commission, concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées dans le secteur automobile (N° Lexbase : L3564IMX) et lignes directrices spécifiques aux restrictions verticales dans les accords de vente et de réparation de véhicules automobiles et de distribution de pièces de rechange de véhicules automobiles.

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence de janvier à juillet 2010, Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence communautaire (N° Lexbase : N7030BQG)

- Commission européenne, décision du 6 janvier 2010, aff. COMP/M.5644, Kraft Foods/Cadbury (texte uniquement en anglais).
- Commission européenne, décision du 17 mars 2010, aff. COMP/39.386, Contrats long terme France.
- TPICE, 17 décembre 2009, deux arrêts, aff. T-57/01 (N° Lexbase : A5427EPP) et aff. T-58/01 (N° Lexbase : A5428EPQ), Solvay SA c/Commission européenne.
- TPIUE, 21 mai 2010, aff. T-425/04, République française c/ Commission européenne (N° Lexbase : A4104EXB).
- CJUE, 11 mars 2010, aff. C-1/09, Centre d'exportation du livre français (CELF) c/ Société internationale de diffusion et d'édition (SIDE) (N° Lexbase : A9737ESG).
- CJUE, 11 mars 2010, aff. C-522/08, Telekomunikacja Polska SA w Warszawie c/ Prezes Urzêdu Komunikacji Elektronicznej (N° Lexbase : A9740ESK).

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence de janvier à juillet 2010, Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence nationale - opérations de concentrations (N° Lexbase : N8141BQL)

- Autorité de la concurrence, décision n° 09-DCC-67 du 23 novembre 2009 relative à l'acquisition de la société Arrivé par la société LDC Volailles (N° Lexbase : X6989AGX).
- Autorité de la concurrence, décision n° 09-DCC-79 du 16 décembre 2009, relative à l'acquisition de la société SAS Carte bleue par la société Visa Europe Limited (N° Lexbase : X6990AGY).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-01 du 12 janvier 2010, relative à la prise de contrôle exclusif par la société Mr Bricolage de la société Passerelle (N° Lexbase : X7084AGH).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-02 du 12 janvier 2010, relative à la prise de contrôle conjoint dans le secteur du transport public de voyageurs des sociétés Keolis et Effia par les sociétés SNCF-Participations et Caisse de Dépôt et Placement du Québec (N° Lexbase : X6972AGC).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-11 du 26 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe TF1 des sociétés NT1 et Monte-Carlo Participations (groupe AB) (N° Lexbase : X7018AGZ).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-31 du 14 avril 2010, relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs du groupe Bigard par la société C2 Développement (groupe Terrena) (N° Lexbase : X7281AGR).

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence de janvier à juillet 2010, Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence nationale - pratiques anti-concurrentielles (N° Lexbase : N7046BQZ)

- Autorité de la concurrence, avis n° 10-A-05 du 23 février 2010, relatif à la réalisation d'enquêtes statistiques par la Chambre syndicale des améliorants organiques et supports de culture (N° Lexbase : X7067AGT).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-01 du 11 janvier 2010, relative à des pratiques mises en oeuvre dans la distribution des iPhones (N° Lexbase : X6768AGR).
- Autorité de la concurrence, décision n° 10-D-04 du 26 janvier 2010, relative à des pratiques mises en oeuvre dans le secteur des tables d'opération (N° Lexbase : X6905AGT).
- CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 19 janvier 2010 n° 2009/0334 (N° Lexbase : A4542EQB).
- CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 23 février 2010, n° 2008/09840 (N° Lexbase : A1753ESQ).
- CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 23 février 2010, n° 2009/05544 (N° Lexbase : A1754ESR).
- CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 25 février 2010, RG n° 07/00606 (N° Lexbase : A5575EUZ).
- CA Paris, Pôle 5, 5ème ch., 23 mars 2010, n° 2009/09599 (N° Lexbase : A9339ET3).
- CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 15 avril 2010, n° 2009/14634 (N° Lexbase : A3935EWN).
- Cass. com., 7 avril 2010, deux arrêts, n° 09-11.936, F-D (N° Lexbase : A5849EU8) et n° 09-11.853, F-D (N° Lexbase : A5848EU7).
- Cass. com., 7 avril 2010, n° 09-12.984, FS-P+B (N° Lexbase : A5859EUK)

  • Panorama d'actualité en droit de la concurrence de janvier à juillet 2010, Freshfields Bruckhaus Deringer : jurisprudence nationale - procédure (N° Lexbase : N8144BQP)

- CA Paris, Pôle 5, 7ème ch., 26 janvier 2010, n° 2009/03532 (N° Lexbase : A6136EQC).
- CA Versailles, 19 février 2010, n° 09/04351 (N° Lexbase : A4100GMS).
- Cass. com., 19 janvier 2010, n° 08-19.761, Société Semavem, FS-P+B (N° Lexbase : A4637EQS).
- Cass. com., 2 février 2010, trois arrêts, n° 08-70.449, F-P+B (N° Lexbase : A6113ERT) ; n° 08-70.450, F-D (N° Lexbase : A6114ERU) et n° 08-70.451, F-D (N° Lexbase : A6115ERW).

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Décembre 2010

Lecture: 11 min

N7012BQR

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par Thierry Lambert, Professeur à l'université Paul Cézanne Aix Marseille III

Le 04 Janvier 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en procédures fiscales réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne Aix Marseille III. Au sommaire de cette chronique : un arrêt du Conseil d'Etat du 20 octobre 2010 qui revient sur les conditions de mises en oeuvre de la demande d'éclaircissements et de justifications (CE 3° et 8° s-s-r., 20 octobre 2010, n° 317565, publié au recueil Lebon). L'auteur sélectionne, ensuite, un arrêt du Haut conseil, rendu le même jour, ayant trait à la notification de la réponse de l'administration à la réclamation préalable du contribuable au regard de l'adresse de notification, de la résidence séparée des contribuables et du point de départ de la saisine du tribunal (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2010, n° 312461, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, cette chronique ne pouvait passer à côté des deux arrêts inédits du 29 octobre 2010 considérant que la question de la conformité des articles L. 80 A et L. 80 B du LPF à la Constitution ne devait pas être renvoyée devant le Conseil constitutionnel (CE 10 s-s., 29 octobre 2010, deux arrêts, n° 339200 et n° 339202).

  • Taxation d'office : retour sur les conditions de mises en oeuvre de la demande d'éclaircissements et de justifications (CE 3° et 8° s-s-r., 20 octobre 2010, n° 317565, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4496GCI)

Dans le cadre d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle (ESFP) l'administration est amenée à analyser les instruments financiers du contribuable et de tous ceux qui composent le foyer fiscal.

L'article L. 16 du LPF (N° Lexbase : L5579G4E) autorise l'administration à demander au contribuable des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments qui lui permettent d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés. Pour ce faire, l'administration peut comparer les crédits figurant sur les comptes bancaires ou les comptes courants d'un contribuable au montant brut de ses revenus déclarés afin d'établir, éventuellement, l'existence d'indices de revenus dissimulés l'autorisant, de ce fait, à demander à l'intéressé des justifications.

Au cas particulier, le total des crédits portés sur les différents comptes bancaires du contribuable, au titre de l'année 2000, s'élevait abstraction faite des virements de compte à compte, à 1 424 155 francs (soit 217 111 euros), alors que les revenus bruts déclarés étaient de 733 500 francs (soit 111 821 euros). La solution adoptée s'inscrit à la suite de la jurisprudence selon laquelle l'administration n'est pas en droit de demander des justifications lorsque les crédits inscrits aux comptes bancaires sont "nettement inférieurs" au double des revenus bruts déclarés (CE Contentieux, 19 janvier 1998, n° 168129 N° Lexbase : A6078ASW, RJF, 1998, 3, comm. 222). Par le même arrêt, la Haute assemblée précise que l'administration n'est pas fondée à demander des justifications lorsque le montant des crédits bancaires est inférieur au double de celui des revenus déclarés. Il s'agit de ce que l'on appelle "la règle du double". Peu importe le montant des crédits bancaires et celui des revenus déclarés. Il est certain que l'administration n'est pas en droit d'utiliser la procédure de la demande de justifications lorsque le montant des crédits enregistrés sur les comptes bancaires est "très inférieur au double" du montant des salaires déclarés par le contribuable (CE Contentieux, 26 janvier 2000, n° 184529 N° Lexbase : A4645AYP, RJF, 2000, 3, comm. 382).

A noter que, lorsque l'écart entre le revenu brut déclaré et le montant des sommes portées au crédit des comptes bancaires n'est pas suffisant, l'administration ne peut adresser une demande de justifications qu'après avoir établi une balance entre les ressources connues et les disponibilités engagées (CE Contentieux, 1er juillet 1987, n° 52984 N° Lexbase : A2484APP, Droit fiscal 1987, comm. 2096, concl. Fouquet).

En l'espèce, pour le Conseil d'Etat, l'écart entre les deux n'était pas de nature à autoriser l'administration à adresser au contribuable une demande justification. En effet, l'administration ne peut se fonder pour demander des justifications au contribuable, sur la discordance entre le revenu brut déclaré et le total des crédits inscrits à ses comptes bancaires que si celle-ci est suffisante pour établir que l'intéressé a pu disposer de revenus plus importants que ceux qu'il avait déclarés (CE Contentieux, 19 janvier 1998, n° 168129, précité).

Plusieurs cours administratives d'appel avaient jugé que le fait pour l'administration de pointer une discordance importante entre les revenus déclarés par un contribuable et les crédits de ses comptes bancaires n'est pas nécessairement suffisant pour autoriser l'administration à adresser une demande de justifications (CAA Nancy, 4ème ch., 22 octobre 2007, n° 04NC00083 N° Lexbase : A9264DYR, RJF, 2008, 3, comm. 263 ; CAA Lyon, 2ème ch., 25 octobre 2007, n° 04LY01080 N° Lexbase : A1143D3Q, RJF, 2008, 4, comm. 399). Rappelons qu'il appartient au juge de l'impôt de vérifier que les éléments invoqués par l'administration constituent des indices suffisants de dissimulation de revenus (CE Contentieux, 16 février 1994 N° Lexbase : A9705ARU, RJF, 1994, 4, comm. 374).

Est sans incidence sur la régularité de la procédure le fait que, à la date des demandes de justifications, les écarts entre les crédits demeurant inexpliqués, malgré les explications fournies par le contribuable, et les revenus déclarés, étaient plus réduits (CE 8° et 9° s-s-r., 10 décembre 1999, n° 180411 N° Lexbase : A7661B7U, RJF, 2000, 2, comm. 149).

Dans l'affaire qui nous est donnée de commenter, la Haute assemblée apporte une précision intéressante : l'administration doit neutraliser les virements de compte à compte du contribuable afin de déterminer le montant total des crédits à prendre en compte pour procéder à cette comparaison. Autrement dit, la somme inscrite au crédit d'un compte bancaire, ou d'un compte courant, d'un contribuable en exécution d'un virement opéré depuis un autre compte retenu par l'administration pour sa comparaison ne peut pas constituer un indice de revenu dissimulé.

En conséquence, le Conseil d'Etat a annulé les arrêts du tribunal administratif de Melun du 23 novembre 2006 et celui de la cour administrative d'appel de Paris du 14 avril 2008 (CAA Paris, 5ème ch., 14 avril 2008, n° 07PA00744 N° Lexbase : A3882GLD).

  • Notification de la réponse de l'administration à la réclamation préalable du contribuable : adresse de notification, résidence séparée et point de départ de la saisine du tribunal (CE 9° et 10° s-s-r., 20 octobre 2010, n° 312461, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4482GCY)

Dans quelles conditions l'administration doit-elle répondre à un contribuable qui présente une réclamation préalable ? Il n'est pas inutile de se souvenir que la réclamation doit être faite par écrit, sous la forme d'une lettre sur papier libre. Une fiche de visite délivrée par l'administration et signée du contribuable vaut réclamation. Celle-ci, en principe, est individuelle (LPF, art. R. 197-1 N° Lexbase : L6372AEQ). Du point de vue de la forme, la réclamation doit permettre l'identification du réclamant de l'imposition contestée, contenir l'exposé sommaire des moyens par lesquels l'auteur prétend la justifier, indiquer l'objet et la portée de la demande et être accompagnée de l'avis d'imposition (LPF, art. R. 197-3 N° Lexbase : L6360AEB et R. 197-5 N° Lexbase : L6347AES).

Le contenu de la réclamation préalable adressée à l'administration détermine l'étendue du litige. Après une réclamation préalable contestant uniquement le principe de l'application des pénalités, un contribuable n'est pas autorisé à demander, en cours d'instance, le dégrèvement des droits en principal. De même le contribuable n'est pas fondé à demander en cours d'instance la décharge de la totalité des droits, s'il n'en a contesté qu'une partie dans le cadre de sa réclamation. Toutefois, le contribuable peut, devant les juges du fond, faire valoir tout moyen nouveau, s'il n'excède pas les limites du dégrèvement ou de la restitution sollicitée dans le cadre de la réclamation (LPF, art. L. 199 C N° Lexbase : L8352AE3).

Dans l'hypothèse d'admission totale de la réclamation, la décision n'est jamais motivée. En revanche, en cas de rejet total ou d'admission partielle, la décision est motivée. L'argumentation ne doit pas être limitée à une simple énumération des textes applicables. La décision de rejet doit permettre de délimiter l'étendue du litige et fixer les bases d'une éventuelle défense devant le juge de l'impôt. Une décision non motivée, ou insuffisamment motivée, est sans influence sur la régularité de l'imposition (CE Contentieux, 2 mars 1988, trois arrêts, n° 25275 N° Lexbase : A6669APP, n° 25276 N° Lexbase : A6670APQ et 57837 N° Lexbase : A6671APR, RJF, 1988, 4, comm. 417).

Le Conseil d'Etat a jugé que la décision de rejet d'une réclamation préalable, que les Sages du Palais-Royal assimilent à la notification d'une décision juridictionnelle car elle constitue le dernier acte de la procédure administrative, doit être notifiée au contribuable et non à son mandataire (CE 3° et 8° s-s-r., 5 janvier 2005, n° 256091 N° Lexbase : A2292DGY, BDCF, 2005, 3, concl. Glaser).

En l'espèce, la Haute assemblée considère que les décisions par lesquelles l'administration statue sur une réclamation préalable sont notifiées dans les mêmes conditions que celles prévues pour les notifications faites au cours de la procédure devant le tribunal administratif (LPF, art. R. 198-10 N° Lexbase : L3076HPM). Ce sont les dispositions du Code de justice administrative qui régissent la notification des décisions clôturant l'instance.

En conséquence, le délai de recours devant le tribunal administratif ne commence à courir qu'à compter du jour où la notification de la décision de l'administration, statuant sur la réclamation du contribuable, a été faite au domicile réel de ce contribuable (CE 8° s-s., 18 février 2008, trois arrêts, n° 289552 N° Lexbase : A0430D73, RJF, 2008, 5, comm. 597). Cette règle s'applique alors même que la réclamation aurait été présentée par l'intermédiaire d'un mandataire au nombre de ceux visés à l'article R 431-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3029ALR). Le délai de recours court, même si le rejet de la réclamation du contribuable a été notifié à l'adresse figurant sur la réclamation et non à l'adresse portée sur la déclaration de revenus établie avant cette réclamation (CE Contentieux, 5 décembre 2001, n° 207627 N° Lexbase : A7334AXW, RJF, 2002, 3, comm. 327).

En outre, le délai de recours pour saisir le juge de l'impôt ne court qu'à compter du jour de réception de l'avis de notification d'une décision du directeur de l'administration fiscale suffisamment motivée pour permettre au contribuable de connaître et de discuter devant le tribunal administratif les motifs de rejet de sa réclamation (CE Contentieux, 26 mai 1993, n° 87404 N° Lexbase : A9480AM3, RJF, 1993, 7, comm. 995).

Le Conseil d'Etat sait, parfois, s'affranchir d'un certain formalisme qui pourrait être de nature à protéger le contribuable. Il a jugé, par exemple, que la notification au contribuable de la décision de rejet prise par le directeur sur sa réclamation fait courir un délai de recours contentieux même si cette notification n'est pas signée (CE Contentieux, 18 décembre 1974, n° 87924 N° Lexbase : A7636AYH).

Enfin, relève du juge du fond l'appréciation du caractère insuffisamment motivé d'une décision de rejet de la réclamation contentieuse qui serait susceptible de ne pas faire courir le délai du recours contentieux (CE Contentieux, 22 juillet 1994, n° 125531 N° Lexbase : A2066ASC, RJF, 1994, 10, comm. 1136).

Ajoutons qu'il a été récemment jugé que l'absence de mention, dans la décision prise par l'administration sur la réclamation préalable ou dans la lettre de notification de cette décision, des voies et délais de recours ouverts à l'encontre de cette décision rend ces délais inopposables au contribuable (CE 9° s-s., 11 mars 2009, n° 304026 N° Lexbase : A6899EDU).

  • QPC : la question de la conformité des articles L. 80 A et L. 80 B du LPF à la Constitution n'est pas renvoyée devant le Conseil constitutionnel (CE 10 s-s., 29 octobre 2010, deux arrêts, n° 339200 N° Lexbase : A4113GDP et n° 339202 N° Lexbase : A4114GDQ)

La question prioritaire de constitutionnalité est l'occasion de vérifier que les procédures fiscales ne sont pas contraires aux droits et libertés garanties par la Constitution, à condition toutefois que le Conseil d'Etat considère que la question soulevée soit nouvelle et sérieuse.

Le Conseil constitutionnel, par exemple, a eu l'occasion de déclarer conforme à la Constitution l'article L. 16 du LPF au droit de visite et de saisie de l'administration (Cons. const., décision n° 2010-19/27 QPC, du 30 juillet 2010 N° Lexbase : A4552E7Q).

Dans les deux affaires qui nous sont soumises se pose la question de constitutionnalité des articles L. 80 A (N° Lexbase : L4634ICM) et L. 80 B (N° Lexbase : L9343IER) du LPF.

En application des dispositions de l'article L 80 A du LPF, les contribuables ont droit à être traités conformément aux interprétations de la loi fiscale données par l'administration à la date de l'imposition et sur la foi desquelles ils ont aménagé leur situation fiscale.

Les dispositions du premier alinéa de l'article L. 80 A ne sont susceptibles de s'appliquer qu'aux compléments d'imposition établis par voie de rehaussement opérés par rapport à une imposition initiale mise en recouvrement (CE 8° et 9° s-s-r., 20 juillet 1971, n° 75476 N° Lexbase : A3815B8S, Rec. 533), tandis que celles du second alinéa sont de nature à faire obstacle à l'établissement de toute imposition, même primitive, qui serait contraire à une interprétation contenue dans des documents publiés (CE Contentieux, 4 juin 1976, n° 98484 N° Lexbase : A4603AY7, Droit fiscal, 1976, 52, comm. 2003, concl. Latournerie).

La garantie visée à l'article L. 80 A a été étendue lorsque l'administration a formellement pris position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal (LPF, art. L. 80 B). Pour bénéficier de dispositif, il est nécessaire que le contribuable soit de bonne foi, que sa situation soit strictement identique à celle sur laquelle l'administration a pris position, ou qu'il se soit conformé à la solution admise par l'administration lors de sa prise de position formelle.

La garantie de l'article L. 80 B du LPF, dans l'hypothèse où l'administration a pris formellement position sur l'appréciation d'une situation de fait au regard d'un texte fiscal, n'existe que pour autant que se trouvent satisfaites les conditions d'application de l'article L. 80 A précité (CE 9° et 10° s-s-r., 29 décembre 2000, n° 199296 N° Lexbase : A2141AI7, RJF, 2001, 3, comm. 328).

Les requérants font valoir que ces dispositions seraient contraires au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques et aux principes et objectif de valeur constitutionnelle de clarté, d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi.

Concernant le premier moyen, le principe d'égalité est très certainement celui qui est le plus fréquemment invoqué par les auteurs des saisines du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de constitutionnalité a priori de la loi. Il trouve son fondement dans les articles 1 (N° Lexbase : L1357A97), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 13 (N° Lexbase : L1360A9A) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, mais aussi dans les alinéas 1er, 3, 12, 13, 16 et 18 du préambule de la Constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) ainsi que dans l'article 1er de la Constitution de 1958 (N° Lexbase : L1277A98). Le Conseil constitutionnel ne s'oppose pas à ce que des différences de traitement soient instituées par le législateur, dès lors qu'elles correspondent à des situations différentes et ne sont pas incompatibles avec l'objet de la loi (Cons. const., décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979 N° Lexbase : A7988ACT). Pour le Conseil, "le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet qui l'établit" (Cons. const., décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988 N° Lexbase : A8176ACS). En l'espèce, le Conseil d'Etat n'a pas considéré que le principe d'égalité était rompu au motif que le législateur "a pu borner" le dispositif en faisant que les interprétations administratives soient publiées et accessibles à tous les contribuables.

Concernant le second moyen, il est vrai que l'accessibilité et l'intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle fondés sur les articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K), 5 (N° Lexbase : L1369A9L), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Ce principe "impose d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques" (Cons. const., décision n° 2005-514 DC, du 28 avril 2005, N° Lexbase : A0576DI8). Mais, le Conseil admet, aussi, que des motifs d'intérêt général suffisants peuvent justifier la complexité de la loi (Cons. const., décision n° 2005-530 DC, du 29 décembre 2005 N° Lexbase : A1204DMK). Au cas particulier, le Conseil d'Etat n'a pas jugé que la rédaction des articles incriminés contenait des formules imprécises et équivoques.

La Haute assemblée a jugé que la question soulevée par les requérants n'était pas nouvelle et ne présentait pas un caractère sérieux. En conséquence, le Conseil d'Etat a retenu que les articles L. 80 A et L. 80 du LPF ne portaient pas atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Il n'y avait donc pas lieu de saisir le Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les requérants.

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Retraite

[Textes] La prise en compte de la pénibilité par la loi portant réforme des retraites (articles 27, 60 à 89 et 103 à 106 de la loi)

Réf. : Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9)

Lecture: 18 min

N8152BQY

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 04 Janvier 2011

Publiée au Journal officiel du 10 novembre 2010, la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, ne traite pas seulement du financement des retraites mais s'est attaquée aux difficiles questions de la pénibilité, de l'égalité homme/femme et de la fonction publique. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV sur les dispositions relatives à la pénibilité, au travail des seniors et sur des situations de départ progressif à la retraite.
La loi du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, a pour ambition d'assurer la pérennité du financement de la branche retraite de la Sécurité sociale par le report de l'âge légal de départ à la retraite et de l'âge de départ à taux plein malgré l'insuffisance de trimestres cotisés. L'allongement de la vie au travail qui en découle devait nécessairement prendre en considération le fait que certaines professions sont plus pénibles que d'autres et, par conséquent, que les salariés de ces métiers n'étaient pas à même d'assumer un tel allongement. La loi comporte donc un volet "pénibilité" dont l'analyse démontre qu'il est relativement décevant, tant les mesures qu'il comporte paraissent insuffisantes (I). Un autre aspect devait être envisagé, celui du travail de ces seniors qui travailleront plus longtemps. Là encore, les dispositions de la loi paraissent dérisoires, même s'il est vrai qu'elles s'ajoutent à d'autres mesures préexistantes (II). La loi comporte, enfin, quelques dispositions diverses principalement centrées sur l'idée de départ progressif à la retraite dans certaines situations (III). I - Prise en compte de la pénibilité

Le volet "pénibilité" de la loi tente d'agir dans trois domaines : celui de la prévention (A), de la négociation (B) et de la compensation (C) de la pénibilité.

A - La prévention de la pénibilité

  • Pénibilité : des symboles à défaut d'une définition

Les articles 61 et 62 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), adoptent des mesures hautement symboliques en matière de prévention de la pénibilité au travail.

Le premier de ces textes ajoute, en effet, à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur établie par l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ) un champ nouveau, celui des actions de prévention "de la pénibilité au travail". Lui faisant écho, l'article L. 4612-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3098IN3) ajoute, également, une corde à l'arc du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui devra procéder "à l'analyse de l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité".

Outre ces deux modifications du Code du travail, l'article 78 de la loi précise les missions de l'observatoire de la pénibilité placé auprès du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (1). Le comité permanent du Conseil d'orientation "est assisté d'un observatoire de la pénibilité chargé d'apprécier la nature des activités pénibles dans le secteur public et le secteur privé, et en particulier celles ayant une incidence sur l'espérance de vie. Cet observatoire propose au comité permanent toute mesure de nature à améliorer les conditions de travail des salariés exposés à ces activités".

L'impression première donnée par ces modifications est celle d'une volonté de prendre en considération la pénibilité au travail. Cette volonté ne masque pourtant que difficilement le déficit de véritables mesures dans la loi destinées à prendre en compte les liens entre pénibilité du travail et bénéfice des droits à la retraite. Le symbole est également écorné par l'imprécision du texte à l'égard du concept de pénibilité au travail.

Ainsi, malgré les débats houleux sur la question, la loi n'aboutit à aucune définition de la pénibilité. Certes, un tel travail de définition relevait probablement de la gageure (2). Une solution avait été proposée par voie d'amendement et consistant à imposer une négociation collective future obligatoire destinée à déterminer une définition et des règles plus précises en matière de pénibilité. Comme tant d'autres, l'amendement a été rejeté.

Le bilan sur la définition de la pénibilité est relativement sombre. Faute de définition et en raison d'un cadre trop restreint de sa prise en compte, le concept de pénibilité demeure, essentiellement, une sorte de coquille vide restée à l'état de symbole.

  • Le dossier médical en santé au travail

La loi du 9 novembre 2010 a fait l'objet d'une censure à l'occasion de la saisine du Conseil constitutionnel. En effet, les sages ont jugé que les dispositions des articles 63 à 75 de la loi, tous relatifs à une réforme de la médecine du travail, constituaient des cavaliers législatifs (3). Si le texte censuré fait d'ores et déjà l'objet d'une nouvelle proposition de loi dans des termes parfaitement identiques (4), il manque, certainement, dans la loi une partie opérationnelle du contrôle de l'état de santé du salarié et de la prise en compte de la pénibilité.

Le sentiment de manque n'est pas véritablement comblé par les dispositions issues de l'article 60 I de la loi qui (re)crée le "dossier médical en santé au travail". Au terme d'un nouvel article L. 4624-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3100IN7), ce dossier médical "retrace [...] les informations relatives à l'état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail". Présenté par le rapporteur de la Commission des affaires sociales comme une évolution majeure, il demeure cependant nécessaire d'utiliser une loupe pour percevoir les changements opérés par le texte.

En effet, il existait déjà un dossier médical établi par le médecin du travail au moment de la visite d'embauche pour chaque salarié et jusqu'ici encadré par les articles D. 4624-46 (N° Lexbase : L3848IAR) et suivants du Code du travail. L'apport de la loi en la matière ne se limite, bien évidemment, pas à hisser les dispositions relatives à ce dossier au rang législatif. Les limites de l'efficacité de l'ancien dossier médical avaient été mises en exergue par la Haute autorité de santé et, en particulier, ses insuffisances en matière d'informations relatives à l'exposition des salariés à des risques professionnels (5).

Compte tenu des objectifs déterminés par l'article L. 4624-2 nouveau, le dossier médical en santé au travail devrait être à même de comporter des informations plus précises et détaillées que son prédécesseur. Si les informations "relatives à l'état de santé du travailleur" et celles tenant aux "avis et propositions du médecin du travail" ne constitueront probablement pas un changement important (6), il en va différemment des informations qu'il contiendra au sujet des "expositions auxquelles [le salarié] a été soumis".

En effet, cette précision devrait permettre d'assurer un suivi médical renforcé des salariés exposés à des risques professionnels d'une manière plus générale, quelle que soit l'exposition en cause. Jusqu'à présent, seules certaines causes spécialement identifiées d'expositions menaient à une inscription au dossier médical (7).

Si des informations plus générales pourront donc être apportées au dossier médical en la matière, la question de la détermination exacte des risques et expositions devant être mentionnés demeure sans réponse. Faudra-t-il se référer aux facteurs d'exposition visés par les tableaux des maladies professionnelles ? Faudra-t-il attendre une liste dressée par l'un des nombreux décrets d'application attendus ? Faudra-t-il mentionner tout élément quelconque qui pourra être jugé par le médecin du travail comme un risque pour la santé du salarié, du harcèlement au port de charges lourdes ? Une partie de la réponse peut, cependant, être trouvée à la lecture de l'article 60, II, de la loi qui établit une fiche individuelle sur les risques que peut encourir le salarié et dont la délimitation devrait être à même d'identifier les expositions devant être portées au dossier médical.

Pour le reste, le régime juridique de ce dossier médical renouvelé ressemble à s'y méprendre à celui de l'ancien dossier médical. Le dossier peut être communiqué au médecin du choix du salarié et à ses ayant droits en cas de décès. Il peut être transmis au médecin inspecteur du travail en cas de risque pour la santé publique, voire être communiqué à un autre médecin du travail sauf refus du salarié, ce qui permettra d'assurer un suivi médical du salarié d'une entreprise à une autre. Comme l'ancien dossier, le nouveau dossier médical en santé au travail devra être complété par le médecin du travail après chaque visite médicale subie par le salarié.

Finalement, on peut légitimement se demander s'il était nécessaire qu'une telle disposition figure dans la loi, tant une modification du texte réglementaire par le Gouvernement paraissait suffisante (8). Symbole vous dit-on !

  • La fiche d'exposition à des facteurs de pénibilité

L'article 60, II, de la loi crée un nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3099IN4) dans le chapitre du code relatif à l'obligation de sécurité de l'employeur. Le nouveau texte prévoit que "pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels [...] liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé, l'employeur consigne dans une fiche [...] les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé, la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi que les mesures de prévention mises en oeuvre par l'employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période". Il s'agit donc, pour l'employeur, d'une nouvelle obligation tendant à établir une fiche individuelle pour chaque salarié retraçant l'exposition à différents risques dans l'entreprise.

Ladite fiche sera, ensuite, consignée dans le dossier médical du salarié, créé par l'article 60, I, de la loi, et une copie sera délivrée au salarié à son départ de l'entreprise, mais seulement, "en cas d'arrêt de travail excédant une durée fixée par décret ou de déclaration de maladie professionnelle". Concrètement, il s'agira donc d'un nouveau document dont la remise au salarié sera obligatoire, au même titre que l'attestation de travail ou l'attestation pôle emploi, dans le cas où la rupture du contrat de travail survient à la suite d'un arrêt de travail suffisamment long ou d'une déclaration de maladie professionnelle.

Cette fiche constitue, en réalité, une sorte d'individualisation du document unique sur les risques professionnels dans l'entreprise encadré par les articles R. 4121-1 (N° Lexbase : L3625ICA) et suivants du Code du travail. Elle s'en distingue, cependant, sur au moins deux points de vue.

D'abord, contrairement aux dispositions relatives au document unique qui ne déterminent pas les risques qui doivent y être envisagés, le nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail dresse une liste de circonstances, certes relativement vastes, pouvant donner lieu à inscription sur la liste : des contraintes physiques marquées, un environnement physique agressif ou certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé.

Ensuite, et surtout, l'objectif de la fiche individuelle diffère probablement de celui du document unique. Alors que l'établissement du document unique répond à un objectif de prévention dans le cadre de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur, la fiche individuelle a pour vocation de permettre une forme de "traçabilité" des expositions du salarié afin de déterminer la pénibilité de sa carrière professionnelle. Il ne faudrait, cependant, pas que cet objectif louable soit détourné de son objet et que des salariés au passif émaillé d'expositions à tel ou tel risque soient stigmatisés par leur employeur, voire par un futur recruteur.

B - La négociation relative à la pénibilité

Faute d'avoir été traitée de manière exhaustive, la question de la pénibilité est au moins en partie déléguée à la négociation collective, au niveau de l'entreprise comme au niveau de la branche.

  • La négociation d'entreprise relative à la pénibilité

L'article 77, I, de la loi du 9 novembre 2010 crée une nouvelle négociation obligatoire dans les entreprises et les groupes, négociation dont les caractéristiques rappellent celles imposées en matière de travail des seniors (9).

La loi insère trois nouveaux articles au Code de la Sécurité sociale portant sur cette négociation obligatoire (10). Les entreprises, établissements ou groupes qui emploient un nombre déterminé de salariés exposés aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (11), devront, à partir du 1er janvier 2012, être couverts par un accord ou un plan d'action relatif à la prévention de la pénibilité.

L'obligation de négociation sera périodique : elle reparaîtra tous les trois ans dans l'entreprise ou dans le groupe et un contenu minimal obligatoire devra être respecté par les négociateurs (12). En cas d'échec de la négociation, l'employeur peut substituer à l'accord collectif un plan d'action unilatéral dont le contenu sera lui aussi déterminé par décret.

A défaut d'un tel accord ou d'un tel plan d'action, une pénalité sera mise à la charge de l'employeur. Elle s'élèvera à hauteur de 1 % de la masse salariale pour toute la période durant laquelle l'entreprise n'aura pas été couverte par un accord, ce montant pouvant cependant varier si sont constatés "des efforts de l'entreprise en matière de prévention de la pénibilité". Le produit de l'éventuelle pénalité sera affecté à la branche accident du travail de la Sécurité sociale. Cette affectation peut s'expliquer par la volonté de prendre en considération la pénibilité au travail sans lien véritablement établi avec la question des retraites. La pénalité ne concernera pas les entreprises ou établissements de moins de 50 salariés. De la même manière, seront exonérées de cette pénalité les entreprises de 50 à 300 salariés à la condition qu'un accord de branche étendu applicable à l'entreprise traite de la question de la pénibilité.

Ces dispositions n'entrent, bien évidemment, pas immédiatement en application, cela afin de laisser le temps aux entreprises de négocier de tels accords ou de mettre en place des plans d'action.

Après la négociation sur l'emploi des séniors, c'est la seconde fois que le législateur prévoit un tel procédé de négociation obligatoire accompagné de pénalités sociales (13). Cela traduit une véritable évolution des négociations obligatoires dans les entreprises. En effet, pendant longtemps, les négociations obligatoires au niveau de la branche comme de l'entreprise ne constituaient jamais des obligations de conclure un accord. Or, il s'opère une véritable évolution de logique, la pénalité venant sanctionner l'absence d'accord, c'est bien aujourd'hui une obligation de conclure plus qu'une obligation de négocier qui émerge.

Le dispositif trahit, cependant, une forme de lâcheté du législateur : pourquoi ne pas prendre ses responsabilités et aller jusqu'au bout de la logique en imposant le contenu souhaité des futurs accords par voie législative ou réglementaire ? Le discours officiel tient, bien entendu, à une volonté d'individualisation des mesures pour chaque entreprise. Mais cette position comporte au moins deux risques majeurs. D'abord, celui d'un développement hétérogène des mesures de préventions en matière de pénibilité. Ensuite, celui que le dispositif constitue, au moins pour partie, un miroir aux alouettes, obligeant les petites entreprises à conclure de tels accords sous peine de subir une pénalité qui pèserait très lourd, ménageant les grands groupes qui parviendront à négocier de tels accords a minima.

  • La négociation de branche relative à la pénibilité

La négociation sur la pénibilité au niveau de la branche se matérialisera à travers deux procédés distincts.

Selon un premier cas de figure, les dispositions des articles L. 138-29 et suivants du Code de la Sécurité sociale permettent explicitement qu'un accord sur la prévention de la pénibilité soit conclu non pas au niveau des entreprises mais au niveau de la branche d'activité. Si un tel accord de branche est étendu, il dispensera les entreprises de 50 à 300 salariés de conclure un accord d'entreprise ou de mettre en place un plan d'action unilatéral (14).

Selon un second cas de figure, il pourra être négocié des accords de branche d'un genre assez innovant. En effet, l'article 86 de la loi prévoit la négociation d'accords de branche relatifs à la pénibilité à titre expérimental (15). On connaissait les lois expérimentales, les règlements expérimentaux, mais la négociation de branche expérimentale est bien une innovation de cette loi sur les retraites.

Cet accord expérimental aura pour objet de "créer un dispositif d'allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles". Le dispositif est enserré dans des cadres très précis par le texte.

Ainsi, ne pourront bénéficier des éventuels avantages conventionnels négociés que les salariés qui rempliront une double condition d'exposition à un risque tel que défini par la fiche individuelle sur la pénibilité, créée à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (16). En effet, le salarié devra avoir été exposé pendant une certaine durée à un de ces risques. En outre, pour bénéficier du système, le salarié aura dû être exposé à deux risques simultanément pendant une durée que l'on suppose moindre. Les délais en question seront précisés par décret.

Si ces conditions sont réunies, le salarié pourra bénéficier des mesures adoptées par l'accord. Sans imposer le contenu de ces accords, le texte émet malgré tout un certain nombre de propositions qui pourront être matérialisées par la négociation.

Ainsi, au titre des allègements de charge de travail en raison de la pénibilité, l'accord pourra permettre aux salariés concernés de bénéficier d'un temps partiel accompagné d'une compensation salariale jusqu'à leur départ à la retraite. De la même manière, le salarié pourra choisir d'assumer des missions de tutorat, là encore compensées, si nécessaires, par une compensation salariale. L'accent est donc mis sur la diminution progressive de la charge de travail du salarié ayant subi une carrière pénible.

Au titre des compensations des charges liées à la pénibilité, le salarié pourrait percevoir par application de l'accord de branche des primes ou des journées de repos ou de congés supplémentaires.

Le dispositif sera financé par un double mécanisme.

Il sera d'abord créé un fonds spécial au niveau de la branche. Les entreprises qui auront conclu un accord d'entreprise de prise en charge des conséquences de la pénibilité, seront exonérées de contribution mais ne pourront, par voie de conséquence, faire bénéficier leurs salariés des mesures de l'accord de branche. Pour les autres entreprises qui n'auront pas fait le choix d'un accord d'entreprise, l'accord déterminera les conditions dans lesquelles celles-ci abonderont le fonds.

Le financement sera également assuré par un "Fonds national de soutien relatif à la pénibilité" créé au niveau de la CNAM et abondé par la branche accident du travail de la Sécurité sociale et par l'Etat.

On retrouve, ici, un transfert de financement entre la branche accident du travail et la branche vieillesse. Cette nécessité de jeter des ponts entre les différentes branches de la Sécurité sociale et, de manière plus large, de la protection sociale, matérialise malheureusement les craintes émises par certains opposants au texte de voir le financement de la branche vieillesse préservé au détriment d'autres assurances sociales. Le report de l'âge de la retraite pèsera, par le biais de la prise en compte de la pénibilité, sur la branche accident du travail comme nous venons de l'envisager. Mais elle aura, également, des effets sur l'assurance chômage puisque les statistiques de l'emploi des seniors n'ont guère évolué malgré les efforts en la matière (17). Enfin, l'altération de l'état de santé des seniors n'étant pas toujours liée à un travail pénible ou à la survenance d'un risque professionnel, une partie de ce transfert de charge devrait s'effectuer aux dépens de la branche maladie de la Sécurité sociale. La crainte majeure réside donc dans les conséquences de ce jeu consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul...

C - Les compensations de la pénibilité

L'article 79 de la loi établit le seul lien véritable entre prise en compte de la pénibilité et départ à la retraite. Le texte institue un nouvel article L. 351-1-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3106IND) concernant le régime général et un nouvel article L. 732-18-3 du Code rural (N° Lexbase : L3111INK) pour le régime des travailleurs salariés agricoles. Ces articles préservent la possibilité d'un départ à la retraite à 60 ans en cas de taux d'incapacité permanente partielle (IPP) qui sera déterminé par décret, ce taux pouvant être modulé si le salarié a été exposé à l'un des risques mentionnés à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (18). Dans ce cas de figure, non seulement le départ à la retraite pourra être anticipé, mais il demeurera à taux plein quand, bien même, "l'assuré ne justifie[rait] pas de la durée requise d'assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires".

A terme, le procédé devrait être étendu aux travailleurs non salariés du régime agricole sur les bases d'un rapport que remettra le Gouvernement au Parlement avant le 30 juin 2011 (art. 82).

A bien y réfléchir à nouveau, cette prise en compte de l'état d'incapacité du salarié pour lui permettre d'anticiper son départ à la retraite s'éloigne sensiblement de la prise en compte de la pénibilité de sa carrière. Le lien n'est pas établi entre la pénibilité des tâches qui ont été assumées par le salarié dans sa vie professionnelle et son âge de départ à la retraite. Le lien, qui est mis en place, est un lien entre les salariés qui ont subi des manifestations physiques de cette pénibilité avant leur retraite et la date de leur départ à la retraite.

De nombreux métiers pénibles peuvent ne pas entraîner d'incapacité. Surtout, les effets de la pénibilité peuvent être différés et ne se manifester que bien après le départ du salarié à la retraite (19). La seule "mesurette", adoptée par la loi en matière d'influence de la pénibilité sur l'espérance de vie, est l'institution d'un comité scientifique constitué avant le 31 mars 2011 et ayant pour mission "d'évaluer les conséquences de l'exposition aux facteurs de pénibilité sur l'espérance de vie avec et sans incapacité des travailleurs" (art. 88). On conviendra que le résultat n'est guère à la hauteur des objectifs...

Les surcoûts liés aux départs à la retraite anticipée à 60 ans ne seront pas mis à la charge de la branche vieillesse. En effet, ici encore, s'opère un transfert avec l'assurance accident du travail, les articles 81 et 84 de la loi organisant le versement d'une contribution par cette branche à la branche vieillesse.

Le report des âges de départ à la retraite ne pouvait être fonctionnelle qu'à la condition d'améliorer la situation d'emploi des seniors. Là encore, les résultats sont pour le moins décevants.

II - Le travail des seniors

Il s'agit là d'une des plus grandes problématiques découlant du report des âges de départ à la retraite : les seniors partiront plus tard à la retraite ; ils ne travailleront pas nécessairement pour autant (20).

Il fallait donc prendre en compte la question du travail des seniors bien au-delà du CDD seniors (21) et des négociations obligatoires en matière d'emploi des seniors. Deux mesures supplémentaires sont adoptées, lesquelles consistent dans la création d'une aide à l'embauche de salariés de cinquante-cinq ans et plus et dans la promotion du tutorat.

  • Aide à l'embauche des seniors

Une nouvelle section du Code du travail est créée au sein du chapitre III (22) du titre III du livre I de la 5ème partie. Le nouvel article L. 5133-11 (N° Lexbase : L3162ING) qui y est inséré, dispose que les employeurs "perçoivent sur leur demande une aide à l'embauche, en contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée d'au moins six mois, de demandeurs d'emploi âgés de cinquante-cinq ans ou plus, inscrits sur la liste des demandeurs d'emploi". Le bénéfice de cette aide ne peut être obtenu si l'employeur a procédé dans les derniers six mois à un licenciement pour motif économique sur le poste sur lequel il entend recruter. De la même manière, il ne pourra bénéficier de l'aide qu'à la condition d'être à jour de ses différentes obligations à l'égard des URSSAF.

L'aide se matérialisera par la prise en charge d'une fraction du salaire brut du salarié, fraction dont le montant sera déterminé par décret.

Quand on connaît le sort des nombreux contrats aidés et aides à l'embauche, destinés à résorber le chômage dans notre pays ou à favoriser l'emploi des jeunes, on ne peut qu'être dubitatif face à l'usage de cette mesure dont l'inefficacité est une fois de plus à craindre. Une autre mesure, plus ambitieuse qu'il n'y paraît, semble avoir été adoptée spécialement en vue de favoriser le travail des seniors.

  • La promotion du tutorat

Dans le même temps, le texte prévoit que des sommes du plan de formation de l'entreprise peuvent être allouées à la formation de jeunes de moins de 26 ans en contrat de professionnalisation par le biais d'un tutorat assuré par des salariés de 55 ans et plus. Si la mesure paraît particulièrement adaptée sur le plan des principes, elle interroge sur le plan des modalités. Les décrets d'application devront veiller à ce que le transfert du poids salarial d'un senior sur le plan de formation de l'entreprise soit justifié par de véritables actions de formation à l'égard des plus jeunes travailleurs, nées de sa finalité.

III - Dispositions diverses

  • Mise à la retraite

L'article 27 de la loi modifie l'article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L2959ICL) afin d'adapter le dispositif de mise à la retraite au report de l'âge de départ à la retraite à taux plein de 65 à 67 ans. En effet, si ce texte n'avait pas été modifié, sa rédaction antérieure aurait exigé de l'employeur, souhaitant mettre un salarié à la retraite, de respecter la procédure spécifique d'information et de consultation du salarié jusqu'à ce que celui-ci ait atteint l'âge de 72 ans.

La modification du texte permet de maintenir la limite maximale à 70 ans. Au-delà de cette limite, l'employeur n'a plus l'obligation, chaque année, d'informer et de consulter le salarié sur son intention de faire ou non valoir ses droits à la retraite, le dernier alinéa du texte disposant que "la même procédure est applicable chaque année jusqu'au soixante-neuvième anniversaire du salarié".

  • Compte épargne temps

L'article 76 de la loi apporte une modification à l'article L. 3153-1 du Code du travail, relatif à l'utilisation du compte épargne temps (N° Lexbase : L3105INC). Le texte ouvre, désormais, la possibilité d'utiliser le compte épargne temps, en dehors des possibilités prévues par la convention collective l'ayant institué et de celle de complément de la rémunération prévue par la loi, afin que le salarié puisse cesser de manière progressive son activité professionnelle.

Il y a ici une véritable volonté de laisser la possibilité aux salariés en fin de carrière d'utiliser le compte épargne temps pour aménager leur temps de travail. Cette cessation progressive répond à la même idée que l'utilisation du temps partiel en complément d'un départ progressif en retraite (23). Elle pose, cependant, le problème d'un report partiel de la charge de ce départ progressif sur les épaules du salarié qui utilise ses droits avec le compte épargne temps sans qu'aucune contribution de l'employeur ou d'un système assurantiel vienne l'accompagner.

  • Pré-retraite amiante

L'article 87 modifie, enfin, l'article 41 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (24) relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante.

L'objectif de cette modification vise à geler le mode de calcul du départ en pré-retraite amiante afin que celui-ci ne subisse pas les effets de la modification de l'âge légal de départ à la retraite. Ainsi, l'âge de départ en pré-retraite demeurera calculé sur la base d'un départ à la retraite à l'âge de 60 ans. La lecture des travaux parlementaires sur cette question démontre, s'il en était encore besoin, l'attention particulière marquée par le législateur à l'égard des victimes de l'amiante. Culpabilité tardive, mais culpabilité tout de même...


(1) Le Conseil d'orientation sur les conditions de travail et l'observatoire de la pénibilité avait été institué par un décret du 25 novembre 2008 (décret n° 2008-1217 du 25 novembre 2008, relatif au Conseil d'orientation sur les conditions de travail N° Lexbase : L8721IBM).
(2) V. sur cette question le rapport présenté par D. Jacquat à l'Assemblée nationale au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi portant réforme des retraites (p. 33) qui juge que "la notion de pénibilité est peu aisée à appréhender".
(3) Cons. const., 9 novembre 2010, n° 2010-617 DC (N° Lexbase : A6265GER).
(4) Proposition de loi relative à l'organisation de la médecine du travail déposée sur le bureau du Sénat et qui reprend les dispositions écartées par le Conseil constitutionnel.
(5) Voir le dossier médical en santé au travail, Haute Autorité de santé, janvier 2009.
(6) Comme le reconnaît, d'ailleurs, le rapporteur de la Commission des affaires sociales dans son rapport.
(7) V. par ex. C. trav., art. R. 4412-54 (N° Lexbase : L1364IAR) pour l'exposition à des agents chimiques dangereux ; C. trav., art. R. 4454-7 (N° Lexbase : L0393IAS) pour l'exposition à des rayonnements ionisants ; C. trav., art. R. 4426-8 (N° Lexbase : L3471IMI) pour l'exposition à des agents biologiques pathogènes.
(8) Sans compter qu'une question de compétence législative aurait pu, sur ce point, être soulevée par les requérants devant le Conseil constitutionnel. L'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) ne dispose-t-il pas que la "loi détermine les principes fondamentaux [...] du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale " ?
(9) Sur cette négociation en matière d'emploi des seniors, v. décret n° 2009-560 du 20 mai 2009, relatif au contenu et à la validation des accords et des plans d'action en faveur de l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L2561IEL) et décret n° 2009-564 du 20 mai 2009, relatif au décompte des effectifs prévu à l'article L. 138-28 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2926ICD) pour les accords et plans d'action en faveur de l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L2565IEQ). V. N. Dauxerre, La solution française à l'emploi des seniors, JCP éd. S, 2009, 1474.
(10) CSS., art. L. 138-29 (N° Lexbase : L3104INB) à L. 138-31 (N° Lexbase : L3102IN9).
(11) Ce nombre sera déterminé par décret d'application.
(12) Lequel plancher sera déterminé par décret.
(13) Pour une appréciation critique, v. D. Martins, Les pénalités sociales, SSL, 2010, n° 1459, p. 6.
(14) Là encore, le procédé est exactement le même que celui qui avait été adopté en matière de négociation sur l'emploi des seniors, v. CSS., art. L. 138-26, al. 2 (N° Lexbase : L3801IMQ).
(15) L'expérimentation se déroulera jusqu'au 31 décembre 2013.
(16) Cf. supra.
(17) Pour quelques statistiques édifiantes, V. les obs. de F. Lalanne, Négociations 2009 : quelle urgence et quelles obligations pour les entreprises ?, Lexbase Hebdo n° 358 du 9 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9934BK7).
(18) On parle d'un taux d'IPP de 10 %, quoique ce taux n'ait pas été déterminé par la loi. V. notamment A. Touranchet, SSL, 2010, n° 1459, p. 5.
(19) Pour s'en convaincre, il suffit de consulter une étude statistique comparative relative à l'espérance de vie en bonne santé des cadres et des ouvriers. V. G. Lasfargues, A.-F. Molinié, S. Volfoff, Départs en retraite et travaux pénibles. L'usage des connaissances scientifiques sur le travail et ses risques à long terme pour la santé, CEE, avril 2005, p. 39.
(20) Négociations 2009 : quelle urgence et quelles obligations pour les entreprises ?, préc..
(21) V. les obs., de Ch. Willmann, Un nouveau contrat aidé : le "CDD senior", Lexbase Hebdo n° 226 du 7 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2470AL3).
(22) Intitulé "Prime de retour à l'emploi et aide personnalisée de retour à l'emploi"...
(23) V. art. 105 de la loi retouchant l'article L. 351-15 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3163INH).
(24) Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9).

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