Jurisprudence : Cass. soc., Conclusions, 14-12-2022, n° 21-19.841

Cass. soc., Conclusions, 14-12-2022, n° 21-19.841

A85712RU

Référence

Cass. soc., Conclusions, 14-12-2022, n° 21-19.841. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/105409144-cass-soc-conclusions-14122022-n-2119841
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AVIS DE Mme MOLINA, AVOCATE GÉNÉRALE RÉFÉRENDAIRE

Arrêt n° 1408 du 14 décembre 2022 – Chambre sociale Pourvoi n° 21-19.841 Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers du 29 octobre 2020

M. [I] [N] C/ la société Vergers des Verries _________________

Le 4 octobre 2017, l'EARL Vergers des Verries a embauché M. [I] [N], suivant contrat de travail à durée déterminée à caractère saisonnier et à terme imprécis, aux fonctions d'exécutant occasionnel, avec une durée minimale de 10 jours travaillés. Le contrat stipulait une période d'essai de deux jours pendant laquelle chacune des parties pouvait mettre fin au contrat sans préavis ni indemnité, étant précisé que le premier jour travaillé était consacré à la formation au poste de cueilleur. Par un courrier daté du 5 octobre 2017, le salarié a entendu prendre acte de la rupture de son contrat de travail, estimant rompu le lien de confiance entre lui et la société du fait de la transmission pour signature d'un contrat de travail comportant une signature photocopiée et non manuscrite.

Le 14 décembre 2017, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes d'Angers, pour voir requalifier son contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée et juger la prise d'acte de rupture du contrat de travail comme devant produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sollicitant en outre les indemnités subséquentes. Par jugement du 30 mai 2018, le conseil de prud'hommes a notamment dit que la prise d'acte n'est pas justifiée et correspond à une démission du salarié ; débouté ce dernier de toutes ses demandes considérées comme non fondées ; condamné le salarié à verser à l'employeur une somme à titre d'indemnité de préavis. Sur appel du salarié, la cour d'appel d'Angers, dans un arrêt du 29 octobre 2020, a notamment confirmé le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné le salarié à verser à l'employeur une somme au titre de l'indemnité de préavis et, statuant à nouveau de ce chef, a débouté l'employeur de sa demande d'indemnité de préavis. Aux termes de l'article L. 1242-12 du code du travail, “Le contrat de travail à durée déterminée est établi par écrit et comporte la définition précise de son motif. A défaut, il est réputé conclu pour une durée indéterminée. Il comporte notamment : 1° Le nom et la qualification professionnelle de la personne remplacée lorsqu'il est conclu au titre des 1°, 4° et 5° de l'article L. 1242-2 ; 2° La date du terme et, le cas échéant, une clause de renouvellement lorsqu'il comporte un terme précis ; 3° La durée minimale pour laquelle il est conclu lorsqu'il ne comporte pas de terme précis ; 4° La désignation du poste de travail en précisant, le cas échéant, si celui-ci figure sur la liste des postes de travail présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité des salariés prévue à l'article L. 4154-2, la désignation de l'emploi occupé ou, lorsque le contrat est conclu pour assurer un complément de formation professionnelle au salarié au titre du 2° de l'article L. 1242-3, la désignation de la nature des activités auxquelles participe le salarié dans l'entreprise ; 5° L'intitulé de la convention collective applicable ; 6° La durée de la période d'essai éventuellement prévue ; 7° Le montant de la rémunération et de ses différentes composantes, y compris les primes et accessoires de salaire s'il en existe ; 8° Le nom et l'adresse de la caisse de retraite complémentaire ainsi que, le cas échéant, ceux de l'organisme de prévoyance.” En application de l'article L. 1245-1 alinéa 1 du code du travail1, le défaut d'écrit constitue une cause automatique de requalification du contrat en contrat à durée Article L. 124561 alinéa 1 du code du travail : “Est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance des dispositions des articles L. 1242-1 à L. 1242-4, L. 1242-6, L. 1242-7, L. 1242-8-1, L. 1242-12, alinéa premier, L. 1243-11, alinéa premier, L. 1243-13-1, L. 1244-3-1 et L. 1244-4-1, et des stipulations des conventions ou accords de branche conclus en application des articles L. 1242-8, L. 1243-13, L. 1244-3 et L. 1244-4.” 1

indéterminée si elle est sollicitée par le salarié (Soc., 2 mars 2017, pourvoi n° 1528.354), tandis que, conformément au droit commun, le défaut de signature équivaut à une absence d'écrit et entraîne la même sanction (Soc., 27 mars 2019, pourvoi n° 1726.273 ; Soc., 14 novembre 2018, pourvoi n° 16-19.038). Le caractère précaire du contrat à durée déterminée -dérogatoire au droit commun du contrat à durée indéterminée- justifie cette exigence du formalisme de l'écrit, condition de validité d'un tel contrat. En l'espèce, le pourvoi reprochant à l'employeur d'avoir apposé sur le contrat de travail à durée déterminée une signature numérisée et à la cour d'appel de l'avoir reconnue comme étant valable, il convient de se demander si une telle signature doit être assimilée à une absence de signature et entraîner les mêmes conséquences. L'article 1367 du code civil dispose que “La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte.” Aux termes de l'article 1372 du code civil, “L'acte sous signature privée, reconnu par la partie à laquelle on l'oppose ou légalement tenu pour reconnu à son égard, fait foi entre ceux qui l'ont souscrit et à l'égard de leurs héritiers et ayants cause.” Ainsi, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, la signature établit l'identité de son auteur ainsi que sa volonté de s'engager dans des conditions exorbitantes du droit commun. Elle confère donc au document sa force probatoire. Il convient de relever qu'en l'espèce il n'est pas contesté que figurait sur le contrat de travail à durée déterminée une signature. Toutefois, la validité de celle-ci, du fait de son caractère numérisé, est contestée par le pourvoi, lequel l'associe à une absence de signature. Ce faisant, le pourvoi ne remet pas en cause l'auteur de la signature et ne conteste pas que le contrat de travail ait été signé par son employeur. Je considère donc que ce grief est purement formel. L'employeur n'a pas plus remis en cause sa signature, ni même contesté l'existence d'un contrat à durée déterminée entre les parties. En application de l'article 1367 du code civil, la signature est nécessaire parce qu'elle identifie l'auteur d'un acte juridique. Dès lors, je ne m'associe pas au pourvoi qui soutient que les motifs énoncés par la cour d'appel selon lesquels “il n'était pas contesté que la signature en cause était celle du gérant de la société [...], lequel était habilité à signer le contrat de travail” et que le procédé technique “permettait d'identifier clairement le représentant légal de la société”, soient inopérants. En effet, l'enjeu d'une signature ne résidant pas tant dans sa forme que dans l'identification de son signataire, je considère qu'il ne peut être dénié d'office toute portée à une signature numérisée, sans avoir examiné si son auteur peut être valablement identifié et que sa volonté d'engagement peut être vérifiée. C'est pourquoi,

il appartient aux juges du fond de s'assurer de l'absence de doute quant à l'auteur d'une signature scannée. A mon sens, le fait de ne pas assimiler automatiquement à un défaut de signature la mention d'une signature scannée, ne remet pas en cause l'exigence de formalisme de l'écrit nécessaire à la protection du salarié du fait de la précarité du contrat de travail à durée déterminée, ni la validité de ce dernier dès lors qu'il est possible de s'assurer de l'identité de l'auteur de la signature et de la réalité de son engagement. L'article 1367 du code civil se situe dans un titre IV Bis “De la preuve des obligations”, chapitre III “Les différents modes de preuve”, section première “La preuve par écrit”. Ainsi, à tout le moins, une signature manuscrite scannée pourrait constituer un commencement de preuve par écrit de l'engagement du signataire, pouvant être étayé par tout élément de preuve. Même scannée, la signature existe, elle n'est pas absente. En l'espèce, alors même que l'employeur ne contestait pas sa signature, ni même l'existence d'un contrat à durée déterminée entre les parties, le salarié, qui sans remettre en cause non plus le fait que la signature émane de son employeur, exige pourtant une formalité particulière pour cette dernière afin que la qualification de contrat à durée déterminée puisse être maintenue. La cour d'appel, qui a relevé qu'il n'était pas contesté que la signature litigieuse était celle du gérant de la société et que la signature permettait d'identifier “clairement le représentant légal de la société, dont les références sont mentionnées en amont” s'est assurée de l'absence de doute quant à l'identité et l'engagement du signataire. ➤ Je conclus au rejet sur le premier moyen. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 1243-1 alinéa 1 du code du travail, “Sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail.” En l'espèce, le salarié reprochait à l'employeur de lui avoir fait signer un contrat à durée déterminée comportant une “signature photocopiée” et non “revêtu d'une signature manuscrite originale”. Il soutenait que, de ce fait, “le lien de confiance devant présider à toute relation contractuelle entre un salarié et son employeur [était] définitivement rompu.” Or, puisque la cour d'appel a reconnu la validité de la signature numérisée et n'a pas retenu de manquement grave de la part de l'employeur sur ce point, je considère qu'elle a consécutivement valablement débouté le salarié de sa demande en paiement d'une indemnité pour rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée.

➤ Je conclus au rejet sur le deuxième moyen. Enfin, l'article L. 1221-10 du code du travail dispose que “L'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative accomplie par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet. L'employeur accomplit cette déclaration dans tous les lieux de travail où sont employés des salariés.” Aux termes de l'article L. 8221-5 alinéa 1 du code du travail, “Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur : 1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ; [...]” Si les juges du fond sont tenus de caractériser l'élément intentionnel, la reconnaissance de celui-ci est laissée à leur appréciation souveraine (Soc., 20 janvier 2010, pourvoi n° 08-43.476 ; Soc., 2 décembre 2015, pourvoi n° 14-22.311 ; Soc., 17 février 2021, pourvoi n° 19-21.880). En l'espèce, la cour d'appel a valablement motivé son refus de reconnaître l'existence d'un travail dissimulé. Elle a énoncé que si l'élément matériel était établi du fait de l'embauche du salarié sans accomplissement de la déclaration préalable à l'embauche, le caractère intentionnel de la dissimulation n'était pas démontré. ➤ Je m'associe à la proposition de rejet non spécialement motivé présentée par Madame le conseiller rapporteur sur le troisième moyen.

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