Jurisprudence : CE 8/9 SSR, 26-05-1993, n° 78156

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 78156

SOCIETE AUSSEDAT-REY

Lecture du 26 Mai 1993

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du Contentieux, 8ème et 9ème sous-sections réunies), Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du Contentieux,
Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 2 mai, 29 août et 10 septembre 1986, présentés pour la SOCIETE AUSSEDAT-REY, dont le siège social est 1 rue du Petit-Clamart à Vélizy-Villacoublay (78140), venant aux droits et obligations de la société Papeteries Schwindenhammer ; la SOCIETE AUSSEDAT-REY demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler le jugement du 28 février 1986 par lequel le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles la société Papeteries Schwindenhammer a été assujettie au titre de l'année 1972 ; 2°) de lui accorder la décharge de ces impositions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Bachelier, Maître des requêtes, - les observations de la S.C.P. Vier, Barthélemy, avocat de la SOCIETE AUSSEDAT-REY, - les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que si l'omission d'une phrase dans les motifs du jugement a pour effet de donner des principes applicables une analyse tronquée, cette erreur purement matérielle, que la société requérante a été, d'ailleurs, en mesure de rectifier d'elle-même, n'est pas en l'espèce de nature à entacher d'irrégularité le jugement attaqué ; que la motivation retenue par les premiers juges pour rejeter les conclusions subsidiaires de la demande n'est pas insuffisante ; qu'il ne ressort pas de l'examen du jugement attaqué que, comme le soutient la société requérante, le tribunal administratif aurait soulevé d'office un moyen de défense tiré du défaut de paiement effectif de la redevance d'usage ;
Sur la redevance d'usage des immobilisations :
Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 38 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, qu'un bilan doit être établi à la date de clôture de chaque période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt et que ce bilan doit exprimer de manière régulière et sincère la situation de l'entreprise, telle qu'elle résulte à cette date des opérations de toute nature faites par celle-ci ; que, si parmi ces opérations figurent des contrats conclus avec des tiers dans le cadre d'une gestion normale, les conséquences de ces contrats pour l'entreprise, doivent donc être reprises dans le bilan établi à la clôture de la période au cours de laquelle les contrats ont été conclus, mais ne peuvent l'être dans le bilan précédent, expression de la situation de l'entreprise à une date à laquelle les contrats n'étaient pas encore conclus ; que, par suite, lorsqu'un effet rétroactif est attaché à ces contrats par la volonté des parties ou par la loi civile ou commerciale, les conséquences de cette rétroactivité peuvent affecter les résultats de la période au cours de laquelle de pareils contrats ont été effectivement conclus, mais ne peuvent en aucun cas conduire à rectifier ceux de la période précédente ;
Considérant qu'en application de ces règles, dans le cas d'une fusion de deux sociétés anonymes, qui ont convenu de donner effet à la fusion à une date antérieure à celle à laquelle la convention de fusion a été définitivement conclue, rien ne s'oppose à ce que soient prises en compte toutes les conséquences, pour la détermination des bénéfices imposables de la société absorbante, dans le bilan de clôture de l'exercice au cours duquel la convention a été définitivement conclue, mais que les effets de la fusion, qui ne sauraient remonter à une date antérieure à l'ouverture de cet exercice, restent sans influence sur le bilan de clôture du ou des exercices précédents, et donc sur les bénéfices imposables dégagés par chacune des deux sociétés concernées au cours de ces exercices ;
Considérant qu'en l'espèce, par traité de fusion définitivement conclu le 30 janvier 1973 au cours de l'exercice ouvert le 1er janvier 1973, la société Papeteries de France a absorbé la société Schwindenhammer ; que si la convention stipule que la fusion prend effet au 1er janvier 1972, à une date antérieure à la clôture de l'exercice précédent, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les droits et obligations nés de cette convention, ainsi que les profits et les charges résultant de son exécution, ne peuvent être rattachés à l'exercice clos le 31 décembre 1972 et, par suite, restent sans incidence pour la détermination des bases imposables de la société absorbée au titre de cet exercice ; qu'ainsi, pour déduire de ses résultats imposables de 1972 la redevance pour "abandon de jouissance des immobilisations apportées", comptabilisée pour un montant de 3 939 052,70 F dans les charges de l'exercice clos le 31 décembre 1972, la société Schwindenhammer ne pouvait utilement se prévaloir du transfert de propriété opéré au 1er janvier 1972 par l'effet rétroactif du traité de fusion ni de l'avantage que lui consentait la société Papeteries de France en laissant à sa disposition au cours de l'année 1972 les immobilisations apportées dans le cadre de la fusion ; que, par suite, l'administration était en droit de réintégrer le montant de ces paiements dans les résultats imposables de la société Schwindenhammer, aux droits et obligations de laquelle vient la SOCIETE AUSSEDAT-REY ; Mais considérant que la requérante demande à titre subsidiaire, en application des dispositions des articles L.203 et L.205 du livre des procédures fiscales, une compensation entre ce redressement et la taxation des plus-values de cession dont elle conteste le bien-fondé ; qu'il résulte de ce qui précède que la rétroactivité de la fusion, stipulée dans la convention de 1973, n'a pu produire d'effet à une date antérieure au 1er janvier 1973 ; que, dès lors, le fait générateur des plus-values dégagées à l'occasion des cessions intervenues dans le cadre de la fusion-absorption ne peut être rattaché à l'année 1972 ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête sur ce point, la SOCIETE AUSSEDAT-REY est fondée à demander, dans les limites du montant de l'imposition de ces plus-values restant à sa charge, la réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés contestés ;
Sur la provision correspondant au versement de commissions à la filiale allemande :
Considérant qu'aux termes de l'article 57 du code général des impôts : "Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises... qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières... sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Schwindenhammer avait une filiale en Allemagne dénommée "Papeteries Schwindenhammer Sarrebruck" pour assurer la vente de papiers provenant de la société mère française puis l'a chargée de développer un réseau commercial en Allemagne ; qu'il avait été convenu que la société mère supporterait le coût des dépenses supplémentaires dues à cette extension, en accordant à la filiale des avances compensées progressivement par les commissions dues à cette dernière à raison des affaires traitées en Allemagne et en conservant à sa charge les frais de l'opération s'ils excédaient le montant des commissions ; qu'en 1972 la société mère a consenti une commission supplémentaire de 396 490,41 F destinée à régler les dettes de sa filiale en difficulté et a doté le compte de provisions au 31 décembre 1972 d'une somme d'égal montant ; que, pour justifier que la commission en cause a été accordée à des fins commerciales, la requérante se prévaut des engagements antérieurs contractés envers sa filiale allemande, de l'importance de ses propres créances dans le passif de cette dernière et de l'intérêt qu'elle avait à préserver son renom en Allemagne ; que si l'administration invoque la reprise au 1er janvier 1973 de la filiale allemande par une filiale de la SOCIETE AUSSEDAT-REY et soutient que le supplément de commission a été consenti en fait dans le seul but d'augmenter la valeur des actifs de la société repreneuse, elle n'établit ni même n'allègue que l'acquisition de la filiale n'aurait pas été payée au juste prix ; que, dans ces conditions, la requérante doit être regardée comme apportant la preuve qui lui incombe que la société Schwindenhammer a agi dans le cadre d'une gestion normale de ses intérêts en attribuant ce supplément de commission à sa filiale en difficulté et était en droit de constater une provision d'égal montant ; que, dès lors, c'est à tort que l'administration a réintégré dans les résultats imposables le montant de la provision litigieuse ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SOCIETE AUSSEDAT-REY est seulement fondée à demander la réduction, dans les limites susindiquées, des suppléments d'impôt sur les sociétés établis au titre de 1972 et la réformation dans cette mesure du jugement du tribunal administratif en tant qu'il a rejeté sa demande ;
D E C I D E :
Article 1er : La base de l'impôt sur les sociétés assigné à la société Schwindenhammer au titre de l'année 1972 est réduite au montant de la plus-value de cession susmentionnée et de la provision réintégrée dans ses résultats imposables.
Article 2 : La SOCIETE AUSSEDAT-REY, venant aux droits de la société Schwindenhammer est déchargée de la différence en droits et pénalités entre le supplément d'impôt sur les sociétés assigné à cette société au titre de l'année 1972 et celui qui résulte de la présente décision.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 28 février 1986 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SOCIETE AUSSEDAT-REY est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE AUSSEDAT-REY et au ministre du budget.

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