TA Versailles, du 25-11-2022, n° 2105520
A37048UQ
Référence
► Le recours au téléservice pour la présentation des demandes de titres de séjour n'est plus une obligation pour tous les étrangers de l'Essonne et des Yvelines.
Par un jugement du 17 février 2022, le tribunal administratif, avant de statuer sur la requête de l'association La Cimade (Comité inter-mouvements auprès des évacués), le syndicat des avocats de France, la Ligue des droits de l'homme, le groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers (Adde) et le Secours catholique, a sursis à statuer sur cette requête afin de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article L. 113-1 du code de justice administrative🏛, le dossier de l'affaire et lui transmettre les questions suivantes :
1°) Un module dématérialisé de prise de rendez-vous en préfecture ou une saisine de l'administration par courriel à une adresse internet dédiée en vue de l'accomplissement de l'une des formalités mentionnées au point 2, constituent-ils des téléservices au sens des dispositions précitées de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 '
2°) A supposer que cela soit le cas, de tels téléservices entrent-ils dans le champ des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015🏛 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ou dans celui de l'article 1er du décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 '
3°) Si ces téléservices n'entrent pas dans le champ de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015🏛, ces procédures dématérialisées de prise de rendez-vous sont-elles détachables des procédures de demandes de titres de séjour ou d'actes pour la délivrance desquels la prise de rendez-vous est sollicitée '
Le Conseil d'Etat a statué sur les questions posées par le tribunal par un avis n°461694, 461695, 461622⚖️ du 3 juin 2022.
Par une décision nos 452798, 452806 et 454716 du 3 juin 2022, le Conseil d'Etat⚖️ a annulé le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour en tant qu'il ne prévoit pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l'étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d'accueil et d'accompagnement prévu, il se trouverait dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. L'arrêté du 27 avril 2021 a été annulé dans la même mesure, et en tant qu'il ne prévoyait pas les modalités d'accueil et d'accompagnement prévues au second alinéa de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛. Enfin, le Conseil d'Etat a précisé les obligations qui en découlent pour les autorités administratives, en particulier de compléter le décret du 24 mars 2021 et, dans l'attente que cette réglementation complémentaire soit édictée, de permettre à un étranger, qui venait à se trouver, par l'effet des circonstances envisagées au point 11 de cette décision, confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, de déposer celle-ci selon une autre modalité.
En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, les parties ont été informées que le jugement du tribunal administratif était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public relevé d'office tiré de ce que le syndicat des avocats de France ne justifie pas d'un intérêt à agir contre les décisions contestées.
Vu les autres pièces du dossier, y compris celles visées par le jugement du 17 février 2022.
Vu :
- la convention des Nations Unies du 13 décembre 2006 relative aux droits des personnes handicapées ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) 2016/679⚖️ du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée🏛 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
- la loi n° 2005-102 du 11 février 2005🏛 ;
- l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 modifiée🏛 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives ;
- le décret n° 2015-1404 du 5 novembre 2015 relatif au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique ;
- le décret n° 2015-1423 du 5 novembre 2015 relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique (ministère de l'intérieur) ;
- le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en œuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique ;
- décret n° 2018-1130 du 11 décembre 2018 relatif à la validation du visa de long séjour valant titre de séjour ;
- le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour ;
- l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) ;
- l'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 relatif aux titres de séjour dont la demande s'effectue au moyen d'un téléservice ;
- la délibération de la CNIL n°2015-388⚖️ du 5 novembre 2015 portant avis sur un projet d'arrêté portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " saisine par voie électronique " (SVE) ;
- le code de justice administrative.
Vu les décisions n° 452798, 452806, 454716 et n° 461694, 461695, 461922 du 3 juin 2022 du Conseil d'Etat.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. de Miguel,
- les conclusions de M. Armand, rapporteur public,
- les observations de Me Saïdi, représentant les requérants,
- et les observations de Me Jacquart, représentant le préfet de l'Essonne.
Sur l'intérêt pour agir du Syndicat des avocats de France :
1. Le Syndicat des avocats de France, dont les statuts prévoient qu'il constitue un syndicat professionnel ayant pour objet la défense des intérêts matériels et moraux de la profession, et qui ne saurait utilement se prévaloir des termes généraux de ces mêmes statuts relatifs à la défense des droits et libertés, ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation des décisions qu'il conteste.
Sur l'objet du litige :
2. Il ressort des pièces du dossier qu'à compter de 2016, dans le cadre du déploiement de la saisine par voie électronique de l'administration (SVE) puis de l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF), le ministère de l'intérieur a créé des téléservices portant sur les demandes de modification de titres de séjour ou de duplicata des mêmes titres et sur les demandes de documents de circulation pour étranger mineur ou de renouvellement de récépissé de titre de séjour. En application du décret n° 2021-313 du 24 mars 2021, il a ensuite procédé, dans le cadre de la poursuite du développement de l'ANEF, au déploiement de nouveaux téléservices nationaux relatifs aux demandes de visas de long séjour valant titre de séjour et aux demandes de titres de séjour portant la mention " étudiant ", " passeport talent " et " visiteur ". La préfecture de l'Essonne a ainsi développé l'utilisation de plateformes électroniques telle que www.demarches-simplifiees.fr pour recevoir les dossiers de demande des autres titres de séjour, les demandes de modification ou de retrait de ces titres ainsi que les demandes de délivrance et de retrait des autres documents relatifs au séjour des étrangers. Elle a également mis en place des procédures dématérialisées de prise de rendez-vous en préfecture utilisant les mêmes plateformes ou un dispositif d'échange de courriels, pour les premières demandes de titres de séjour, leur renouvellement ou leur retrait ainsi que pour les demandes de naturalisation.
3. Les requérants demandent l'annulation, d'une part, de la décision du préfet de l'Essonne de rendre obligatoire la saisine dématérialisée de l'administration pour l'obtention d'un rendez-vous ou le dépôt d'une demande de titre de séjour dans le cadre de l'une de ces démarches et, d'autre part, de la décision implicite par laquelle cette autorité a rejeté du fait de son silence leur demande en date du 26 avril 2021 tendant à ce que soient mises en place des modalités alternatives à ces procédures dématérialisées de prise de rendez-vous et de dépôt des demandes de documents relatifs au séjour et à la circulation des étrangers.
Sur l'office du juge administratif :
4. L'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus opposé par le préfet de l'Essonne à la demande des requérants réside dans l'obligation pour cette autorité de prendre les mesures réglementaires demandées par les requérants. Il s'ensuit que, lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation d'un tel refus, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier sa légalité au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
5. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005🏛 : " () II. - Sont considérés, au sens de la présente ordonnance : 1° Comme système d'information, tout ensemble de moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l'objet d'échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu'entre autorités administratives ; () 4° Comme téléservice, tout système d'information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ".
6. Il résulte de ces dispositions que doit être regardé comme un téléservice au sens de cette ordonnance, non seulement un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l'intégralité d'une démarche ou formalité administrative, mais aussi un système destiné à recevoir, par voie électronique et dans le cadre d'une telle démarche ou formalité, une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces.
7. Aux termes de l'article L. 112-8 du code des relations entre le public et l'administration🏛, relatif au droit de saisir l'administration par voie électronique, dispose que, sous certaines conditions, toute personne peut adresser à une administration, par voie électronique, une demande, une déclaration, un document ou une information, ou lui répondre par la même voie, et que l'administration est ainsi régulièrement saisie. L'article L. 112-9 de ce code prévoit notamment que " lorsqu'elle met en place un ou plusieurs téléservices, l'administration rend accessibles leurs modalités d'utilisation, notamment les modes de communication possibles. Ces modalités s'imposent au public. / Lorsqu'elle a mis en place un téléservice réservé à l'accomplissement de certaines démarches administratives, une administration n'est régulièrement saisie par voie électronique que par l'usage de ce téléservice ". Aux termes de l'article L. 112-10 du même code🏛 : " L'application des articles L. 112-8 et L. 112-9 à certaines démarches administratives peut être écartée, par décret en Conseil d'Etat, pour des motifs d'ordre public, de défense et de sécurité nationale, de bonne administration, ou lorsque la présence personnelle du demandeur apparaît nécessaire ".
8. Le décret du 5 novembre 2015 relatif aux exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique (ministère de l'intérieur), qui a été pris sur le fondement de l'article L. 112-10 du code des relations entre le public et l'administration🏛, prévoyait, dans sa rédaction initiale, que les dispositions des articles L. 112-8 et L. 112-9 du même code ne s'appliquaient pas aux démarches ayant pour objet les documents de séjour et titres de voyage. Ce décret a été modifié par l'article 9 du décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour. Le décret du 5 novembre 2015 prévoit désormais que les exceptions à l'application du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique ne concernent pas les demandes de titres de séjour figurant sur la liste fixée par l'arrêté prévu par l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛.
9. Il en résulte que les étrangers ne pouvaient en aucun cas, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, se prévaloir d'un droit à la saisine de l'administration par voie électronique pour demander un rendez-vous ou déposer des pièces en vue de l'obtention de documents de séjour ou de titres de voyage. Ils ne peuvent, depuis l'entrée en vigueur de ce texte, se prévaloir d'un tel droit que pour les demandes de titres de séjour entrant dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛, c'est-à-dire celles figurant sur la liste fixée par l'arrêté prévu par cet article, en date du 27 avril 2021.
10. Aux termes de l'article 1er du décret du 27 mai 2016 autorisant les téléservices tendant à la mise en œuvre du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique : " Les services de l'Etat et les établissements publics à caractère administratif de l'Etat sont autorisés, par le présent acte réglementaire unique, à créer des téléservices destinés à la mise en œuvre du droit des usagers à les saisir par voie électronique tel qu'il résulte des articles L. 112-8 et suivants du code des relations entre le public et l'administration🏛 () ". Il résulte de ces dispositions que cette autorisation ne s'applique pas aux téléservices exclus du droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique.
En ce qui concerne la légalité de la décision du préfet de l'Essonne, en tant qu'il a mis en place un système dématérialisé de prise de rendez-vous ou de dépôt d'une demande de titre de séjour et de naturalisation :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que les téléservices destinés à traiter les demandes de titres de séjour qui n'entrent pas dans le champ d'application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 ne relèvent pas du droit des usagers à saisir les administrations par voie électronique. Par suite, le décret du 27 mai 2016 ne constitue pas la base juridique de la décision préfectorale prévoyant, pour les démarches de ces étrangers, le recours à un téléservice et les préfets n'ont pas à se conformer à ses dispositions. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 5 du décret du 27 mai 2016 est inopérant et ne peut, par suite, qu'être écarté.
12. En deuxième lieu, les dispositions relatives au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique, et notamment celles du décret du 5 novembre 2015, n'ont, par elles-mêmes, ni pour objet ni pour effet, d'interdire à l'administration de mettre des téléservices à la disposition des usagers pour les démarches administratives qui sont exclues de ce droit. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 112-9 du code des relations entre le public et l'administration🏛 doit être écarté.
13. En troisième lieu, jusqu'au 24 mai 2018, le II de l'article 27 de la loi du 6 janvier 1978🏛 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés disposait que : " Sont autorisés par arrêté ou, en cas de traitement opéré pour le compte d'un établissement public ou d'une personne morale de droit privé gérant un service public, par décision de l'organe délibérant chargé de leur organisation, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés : / () / 4° Les traitements mis en œuvre par l'Etat ou les personnes morales mentionnées au I aux fins de mettre à la disposition des usagers de l'administration un ou plusieurs téléservices de l'administration électronique, si ces traitements portent sur des données parmi lesquelles figurent le numéro d'inscription des personnes au répertoire national d'identification ou tout autre identifiant des personnes physiques ". En vertu de l'article 11 de la loi du 20 juin 2018🏛 relative à la protection des données personnelles, entré en vigueur le 25 mai 2018, qui avait notamment pour objet d'adapter la loi du 6 janvier 1978🏛 au règlement (UE) 2016/679⚖️ du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, dit " A ", ces exigences, et notamment celle tenant à l'intervention d'un arrêté, ont cessé d'être applicables. A compter de cette date, les traitements mis en œuvre pour mettre des téléservices à la disposition des usagers doivent être conformes au A et à la loi du 6 janvier 1978 dans sa version applicable ou, si besoin, mis en conformité.
14. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 23 décembre 2015🏛 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " Saisine par voie électronique de l'administration " (SVE) : " Il est créé au ministère de l'intérieur un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé " SVE " ayant pour finalité la mise à disposition d'un ou plusieurs téléservices. / Ce traitement automatisé permet aux usagers d'effectuer des démarches administratives dématérialisées en renseignant un formulaire de dépôt de demande d'information ou d'envoi de dossier lié à une démarche administrative, d'y joindre des pièces justificatives le cas échéant et de le transmettre aux services compétents de l'administration territoriale () ".
15. L'arrêté du 23 décembre 2015 a été pris pour satisfaire aux exigences, rappelées au point 14, qui résultaient du II de l'article 27, alors en vigueur, de la loi du 6 janvier 1978🏛 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les nouvelles dispositions de cette loi, entrées en vigueur le 25 mai 2018, n'ont toutefois pas eu pour effet de rendre illégal ou d'abroger l'arrêté du 23 décembre 2015. Les préfets pouvaient donc, pour les besoins des téléservices mis à la disposition des usagers, utiliser un traitement de données à caractère personnel sur la base de cet arrêté et ont toujours cette faculté, depuis le 25 mai 2018, sous réserve des règles propres au traitement de certaines données et dans le respect des dispositions du A et de la loi du 6 janvier 1978🏛. En revanche, l'article 1er du même arrêté dispose que " cette saisine de l'administration par voie électronique est facultative ". Lorsqu'un préfet utilise ce traitement, il ne saurait donc légalement rendre obligatoire sa saisine par voie électronique.
16. L'article 5 de la loi du 6 janvier 1978🏛 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés permet le traitement de données personnelles sans le consentement de la personne lorsque notamment il est nécessaire à l'exécution d'une mission d'intérêt public ou relevant de l'exercice de l'autorité publique dont est investi le responsable du traitement. Le 1 de l'article 23 du A prévoit que le droit national peut apporter des limitations au droit d'opposition notamment lorsqu'une telle limitation respecte l'essence des libertés et droits fondamentaux et qu'elle constitue une mesure nécessaire et proportionnée dans une société démocratique pour garantir des objectifs importants d'intérêt public général. Aux termes du second alinéa de l'article 56 de la loi du 6 janvier 1978🏛, le droit d'opposition " ne s'applique pas lorsque le traitement répond à une obligation légale ". Les traitements automatisés de données personnelles en cause ont pour finalités de garantir le droit au séjour des ressortissants étrangers en situation régulière et de lutter contre l'entrée et le séjour irréguliers en France des ressortissants étrangers. Dès lors, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la décision en litige serait illégale aux motifs qu'elle ne garantit par le consentement des personnes dont les données sont recueillies et qu'elle apporte une dérogation au droit d'opposition. Par ailleurs, les requérants ne peuvent utilement se prévaloir des dispositions de l'article 13 du A, qui trouvent à s'appliquer, non au stade de la création d'un téléservice mais au moment où les données en question sont obtenues. Enfin, la tenue d'un registre des activités de traitement et la réalisation d'une analyse d'impact relative à la protection des données, qui sont uniquement liées à la mise en œuvre d'un traitement, ne conditionnent pas la légalité de la décision de création du téléservice correspondant. Il suit de là que les moyens tirés de la méconnaissance du A et de la loi du 6 janvier 1978 doivent en tout état de cause être écartés.
17. En quatrième lieu, et à supposer même que ces moyens soient dirigés contre la création des téléservices en litige, ni les principes d'égalité devant le service public et de continuité du service public, ni le droit à la compensation du handicap énoncé par l'article L. 114-1-1 du code de l'action sociale et des familles🏛, ni le droit au respect de la vie privée et familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni enfin l'article 1er de la loi du 6 janvier 1978🏛 ne font obstacle, par principe, à ce que soit créé un téléservice pour accomplir une démarche administrative, et notamment pour demander la délivrance d'une autorisation.
18. En cinquième lieu, les requérants ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions des articles L. 112-14 et R. 112-11-1 du code des relations entre le public et l'administration🏛🏛 à l'encontre de la décision de création de téléservices. Ce moyen ne peut qu'être écarté.
19. En sixième et dernier lieu, aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛, en vigueur jusqu'au 30 avril 2021 : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ; / 2° Que les demandes de cartes de séjour prévues aux articles L. 313-7 et L. 313-27 soient déposées auprès des établissements d'enseignement ayant souscrit à cet effet une convention avec l'Etat () ".
20. Il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. Ils peuvent ainsi prendre des dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, dans le respect des règles ou principes supérieurs et dans la mesure où de telles règles n'y ont pas pourvu. Il en résulte que, sauf dispositions spéciales, les préfets peuvent créer des téléservices pour l'accomplissement de tout ou partie des démarches administratives des usagers.
21. Les dispositions de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛 alors en vigueur à la date de création du téléservice ne faisaient ainsi pas obstacle à ce que le préfet permette aux étrangers concernés de demander un rendez-vous en préfecture par voie électronique. En revanche, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, le préfet, s'il pouvait autoriser le dépôt de pièces par la voie électronique, ne pouvait déroger à l'obligation de présentation personnelle de l'étranger dans un des services énumérés à l'article R. 311-1 précité pour effectuer sa demande. Par suite, la création, par le préfet de l'Essonne, de téléservices de prise de rendez-vous et de dépôt de pièces permettant aux étrangers de le saisir en vue de la présentation d'une demande de titre de séjour ou de naturalisation n'a pas en elle-même méconnu les dispositions précitées de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛.
22. Le préfet n'a pas davantage méconnu le droit d'être entendu, composante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne, l'étranger pouvant faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue.
23. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision du préfet de l'Essonne en tant qu'il a mis en place un système dématérialisé de prise de rendez-vous ou de dépôt d'une demande de titre de séjour et de naturalisation.
En ce qui concerne la légalité de la décision du préfet de l'Essonne en tant qu'elle a rendu obligatoire le recours à des téléservices de prise de rendez-vous en ligne et de dépôt de pièces pour la présentation des demandes de titres de séjour et de naturalisation :
24. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour a modifié notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la délivrance des titres de séjour.
Son article R. 431-2, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit désormais que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté.
25. En revanche, en vertu de l'article R. 431-3 du même code, également issu du décret du 24 mars 2021, la demande de titre de séjour, lorsqu'elle ne relève pas de l'obligation de recourir au téléservice prévue à l'article R. 431-2, " est effectuée à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture. / Le préfet peut également prescrire que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ".
26. Les obligations qui s'imposent aux étrangers quant aux modes de présentation de leurs demandes étaient fixées par les dispositions de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile🏛, rappelées au point 21, et sont aujourd'hui fixées par celles de ses articles R. 431-2 et R. 431-3, rappelées aux points 24 et 25. En particulier, l'obligation d'avoir recours à un téléservice résulte de l'article R. 431-2 et s'applique aux seules demandes entrant dans son champ d'application. Dans ces conditions, avant l'entrée en vigueur du décret du 24 mars 2021, les préfets ne tenaient pas de leurs pouvoirs d'organisation de leurs services la compétence pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et ne tiennent au demeurant pas aujourd'hui de ces mêmes pouvoirs la compétence pour édicter une telle obligation pour les catégories de titres de séjour ne relevant pas désormais de l'article R. 431-2, dès lors que le décret du 24 mars 2021 précité modifiant l'article R. 431-2 a fait l'objet d'une annulation partielle par un arrêt n°452798, 452806, 454716 du Conseil d'Etat du⚖️ 3 juin 2022 en ce qu'il ne prévoit pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l'étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d'accueil et d'accompagnement prévu, il se trouverait dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. Le Conseil d'Etat a jugé au point 17 de cet arrêt susvisé que cette annulation partielle, motivée par l'absence de la solution de substitution susmentionnée, impliquait nécessairement que le décret attaqué soit complété par des dispositions prévoyant celle-ci, en renvoyant, le cas échéant, au ministre compétent le soin d'en préciser les modalités. Dans l'attente que cette réglementation complémentaire soit édictée, il a jugé que cette annulation partielle avait nécessairement pour conséquence que, si un étranger venait à se trouver, par l'effet des circonstances envisagées au point précédent, confronté à l'impossibilité de déposer sa demande par la voie du téléservice, l'autorité administrative serait tenue, par exception, de permettre le dépôt de celle-ci selon une autre modalité. Or, en l'espèce, d'une part il est constant que le préfet de l'Essonne a rendu obligatoire l'emploi de téléservices de prise de rendez-vous et de dépôt de pièces pour la présentation des demandes de titres de séjour et de naturalisation et, d'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas allégué, qu'à la date du présent jugement le préfet de l'Essonne ait prévu des modalités différenciées de saisine de l'administration par les étrangers selon la catégorie de titre de séjour sollicitée. Par suite, cette décision est dépourvue de base légale.
27. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête dirigés contre l'obligation d'avoir recours à des téléservices, que La Cimade et autres sont fondés à demander l'annulation de la décision du préfet de l'Essonne en tant seulement qu'elle a rendu l'emploi de téléservices obligatoire pour le traitement des demandes de titres de séjour et de naturalisation. Il en est de même, pour un motif similaire, de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le même préfet sur la demande d'abrogation qui lui a été soumise.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
28. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative🏛 : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
29. L'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle a rendu obligatoire l'emploi de téléservices pour le traitement des demandes de titres de séjour et de naturalisation ainsi que de celle refusant de prendre les mesures nécessaires pour assurer une solution de substitution à l'utilisation du téléservice pour les étrangers souhaitant obtenir un rendez-vous en préfecture confrontés à l'impossibilité de déposer leur demande par la voie électronique implique nécessairement l'édiction de ces mesures. Il y a donc lieu pour le tribunal d'enjoindre au préfet de l'Essonne de mettre en place une modalité alternative à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers confrontés à l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte sollicitée par les requérants.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 :
30. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme totale de 1 500 euros à verser à la Cimade, à la Ligue des droits de l'homme, au groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), à l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers (Adde) et au Secours catholique, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
D E C I D E:
Article 1er : La décision du préfet de l'Essonne est annulée en tant qu'elle a rendu obligatoire l'emploi de téléservices de prise de rendez-vous et de dépôt de pièces pour la présentation et le traitement des demandes de titres de séjour et de naturalisation, ainsi que, pour le même motif, la décision implicite de rejet de la demande d'abrogation dont il était saisi.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Essonne de mettre en place une modalité alternative à la prise de rendez-vous par voie électronique pour les ressortissants étrangers confrontés à l'impossibilité d'obtenir un rendez-vous en vue de déposer leur demande de titre par la voie du téléservice, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 3 : L'Etat versera, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛, une somme totale de 1 500 euros à l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués (Cimade), à l'association Ligue des droits de l'Homme, à l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et à l'association Secours catholique.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requérants est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l'association Comité inter-mouvements auprès des évacués, à l'association Ligue des droits de l'Homme, à l'association Groupe d'information et de soutien des immigrés, à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers, à l'association Secours catholique et au préfet de l'Essonne.
Copie en sera transmise au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 17 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
M. Ouardes, président,
M. de Miguel, premier conseiller,
Mme Mathé, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 novembre 2022.
Le rapporteur,
signé
F-X de MiguelLe président,
signé
P. Ouardes
La greffière,
signé
C. Benoit-Lamaitrie
La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Loi, 2005-102, 11-02-2005 Loi, 78-17, 06-01-1978 Article, L911-1, CJA Article, R611-7, CJA Article, L113-1, CJA Ordonnance, 2005-1516, 08-12-2005 Décret, 2016-685, 27-05-2016 Décret, 2015-1423, 05-11-2015 Décret, 2021-313, 24-03-2021 Article, R431-2, Ceseda Article, 9, décret, 24-03-2021 Article, R311-1, Ceseda Arrêt, 452798 Arrêt, 452806 Article, 56, loi, 06-01-1978 Article, 1, décret, 2016-685, 27-05-2016 Avis, 461694 Avis, 461695 Décret, 2015-1404, 05-11-2015 Décret, 2018-1130, 11-12-2018 Article, 11, loi, 20-06-2018 Titre de séjour Mode de fonctionnement Prévision des modalités Dépôt de la demande Personne physique Libre circulation Visa de long séjour Syndicats professionnels Étranger mineur Première demande Effet utile Système d'information Demande de visa Motif d'ordre public Prévision de disposition Services de l'etat Établissement public à caractère administratif de l'etat Moyen inopérant Administration territoriale Traitement de données Intérêt public Autorité publique Responsable du traitement Droits fondamentaux Intérêt général Ressortissants étrangers Principe d'égalité Vie privée Délivrance des autorisations Établissement d'enseignement Disposition spéciale Pouvoirs d'organisation Décision implicite de rejet née du silence Décision de rejet née du silence gardé Personne morale de droit public Service public Mesure d'exécution Délai à compter d'une notification