COMM. CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 12 mars 2013
Rejet
M. GÉRARD, conseiller doyen faisant fonction de
président
Arrêt no 259 F-D
Pourvoi no Z 10-24.465
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE,
FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société BNP Paribas Suisse, société anonyme, dont le siège est 11 quai des Bergues, 1211 Genève (Suisse),
contre l'arrêt rendu le 12 mai 2010 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (8e chambre A), dans le litige l'opposant à la société CMA CGM, dont le siège est Marseille,
défenderesse à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, en l'audience publique du 5 février 2013, où étaient présents M. Gérard, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Lecaroz, conseiller référendaire rapporteur, Mme Canivet-Beuzit, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Lecaroz, conseiller référendaire, les observations de Me Foussard, avocat de la société BNP Paribas Suisse, de la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat de la société CMA CGM, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 mai 2010), rendu sur renvoi après cassation (Civ., 1re, 16 décembre 2008, pourvoi no 07-18.834, Bull. 2008, no 283), que le 23 juin 2003 la société BNP Paribas, Suisse (la société BNPP), a par ordre et pour le compte de la société Overseas international corporation ouvert une lettre de crédit irrévocable en faveur de la société Millie's Holding (Japan) pour financer l'achat de véhicules destinés à être revendus à la société lybienne Veba Oil Operations ; que le transport des marchandises entre le Japon et la Lybie a été effectué par la société CMA - CGM selon deux connaissements des 8 et
26 septembre 2003 mentionnant la société BNPP comme destinataire ; qu'à leur arrivée en Lybie tous les véhicules ont été saisis à la requête d'un créancier de la société Overseas international corporation, puis par les autorités lybiennes en garantie des droits portuaires et des frais d'entreposage ; qu'ils n'ont jamais été livrés à leur destinataire ; que le
27 avril 2006, la société CMA - CGM a assigné la société BNPP devant le tribunal de commerce de Marseille en paiement des surestaries afférentes aux conteneurs pour la période de novembre 2003 à décembre 2005 en application de la clause attributive de compétence contenue dans les connaissements ; que le tribunal de commerce de Marseille s'étant déclaré compétent, la société BNPP a formé un contredit ;
Sur le premier moyen
Attendu que la société BNPP fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté le contredit et confirmé le jugement du 16 janvier 2007 ayant retenu la compétence des juridictions françaises, alors, selon le moyen
1o/ qu'à aucun moment les juges du fond n'ont constaté l'existence entre les sociétés BNPP et CMA-CGM d'une convention préalable en considération de laquelle la clause attributive de juridiction aurait pu être admise sur le fondement de l'usage ; que de ce point de vue, l'arrêt souffre d'un défaut de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
2o/ que c'est une chose que de savoir si les parties peuvent être regardées comme liées, en vertu de l'usage, par une clause attributive
de juridiction, c'en est une autre que de savoir - conditions préalable - si, avant même que la question de la clause attributive de juridiction ne se pose, les parties sont liées par une convention ; que de ce point de vue également, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
Mais attendu que, loin d'avoir omis de rechercher si les parties étaient liées à une convention, l'arrêt relève par motifs adoptés que les connaissements no NGO406140 du 9 septembre 2003 et no NGO406141 du 23 septembre 2003 ont été établis par la société CMA-CGM à l'ordre de la société BNPP qui se prévaut de sa qualité de destinataire, et retient qu'elle est donc partie aux contrats de transports matérialisés par les connaissements précités ; qu'il retient encore par motifs propres que la clause attributive de juridiction a été conclue entre les parties dans le cadre du contrat de transport ; que le moyen manque en fait ;
Sur le second moyen
Attendu que la société BNPP fait grief à l'arrêt de statuer ainsi, alors, selon le moyen
1o/ que l'usage doit concerner un " type de commerce " ou encore une " branche commerciale considérée " ; que si les juges du fond ont fait état, à ce titre, du " transport maritime ", ils n'ont pas dit en quoi l'activité d'un banquier, si même il pratique le crédit documentaire, peut relever d'une activité de transport maritime ; que de ce point de vue, l'arrêt attaqué souffre d'un défaut de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
2o/ que les juges du fond n'ont pas constaté le type de contrat, donnant lieu à usage, que conclut un banquier qui consent des crédits documentaires, et un transporteur maritime ; qu'à cet égard également, l'arrêt est affecté d'un défaut de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
3o/ que l'existence d'un usage serait-il établi ne peut être invoqué que s'il est " largement connu " ; que faute de s'être expliqué sur ce point, les juges du fond ont, une fois encore, privé leur décision de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
4o/ que faute d'avoir constaté que l'usage évoqué était " régulièrement observé ", les juges du fond ont, derechef, privé leur décision de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt retient, par motifs propres, que le transport maritime de marchandises est une branche spécifique du commerce international et, par motifs adoptés, que la société BNPP qui se prévaut de sa qualité de destinataire est partie aux contrats de transports ;
Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté la production aux débats de cent quarante six connaissements, l'arrêt relève que la société CMA-CGM démontre qu'il est d'usage que les transporteurs maritimes incluent dans les connaissements une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux dans le ressort desquels se trouve leur siège social ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que cet usage était largement connu et régulièrement observé, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société BNP Paribas Suisse aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze mars deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Foussard, avocat aux Conseils, pour la société BNP Paribas Suisse
PREMIER MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté le contredit et confirmé le jugement du 16 janvier 2007 ayant retenu la compétence des juridictions françaises ;
AUX MOTIFS QUE " les deux connaissements produits contiennent sur leurs premières pages une clause attribuant compétence au Tribunal de commerce de MARSEILE ; que selon l'article 17 de la convention de LUGANO, dont les parties ne contestent pas qu'elle soit applicable à la cause, une convention attributive de juridiction est conclue a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, b) soit sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, c) soit dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. ; qu'en l'espèce, il existait dans les connaissements une clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de commerce de MARSEILLE, juridiction du siège du transporteur maritime, clause qui n'a été acceptée expressément ni par le chargeur, ni par la BNP PARIBAS SUISSE ; que cependant le texte sus-visé permet qu'une convention attributive de juridiction puisse être conclue sans une telle acceptation ; qu'en l'espèce, elle pouvait l'être soit entre le chargeur et le transporteur, par application du paragraphe c de l'article 17, puis transférée ou non à la BNP PARIBAS SUISSE, porteur des connaissements, soit conclue directement, par application du même paragraphe, entre le transporteur et la BNP PARIBAS SUISSE ; qu'il ne paraît pas nécessaire, surtout en l'absence aux débats du chargeur, de rechercher si la clause a bien été conclue entre lui et le transporteur ; qu'en effet cette recherche, à laquelle la BNP PARIBAS SUISSE invite la Cour en posant comme préalable le problème de la validité de la clause entre le transporteur et le chargeur, problème qui n'était apparemment pas posé devant les précédentes juridictions, est inutile dans la mesure où la Convention de LUGANO, permet qu'il puisse être retenu qu'une convention attributive de juridiction s'est conclue directement entre le transporteur et le porteur des connaissements ; que, dans le présent litige, les connaissements n'ont pas été remis à la BNP PARIBAS SUISSE dans le cadre d'un endossement, mais ont été, dès l'origine, établis à son nom ce qui était une condition de l'ouverture du crédit documentaire ; que la CMA-CGM démontre que cette banque même si elle a une personnalité morale distincte de la SA BNP PARIBAS est, tout comme cette dernière, un acteur important du commerce international maritime qui accorde fréquemment des crédits documentaires qu'elle démontre aussi que dans le transport maritime de marchandises, branche spécifique du commerce international, il est d'usage que les transporteurs incluent dans les connaissements une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux dans le ressort desquels se trouve leur siège social ; que donc la banque, quand elle a accordé le crédit, ne pouvait ignorer, et était en tout cas censée avoir connaissance du fait que les connaissements qui lui seraient remis contiendraient une clause attributive de juridiction ; qu'il doit donc être retenu qu'une convention attributive de compétence a été conclue entre les parties dans le cadre du contrat de transport, objet du présent litige, et de confirmer la décision déférée " ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, à aucun moment les juges du fond n'ont constaté l'existence entre la BNP PARIBAS SUISSE et la CMA-CGM d'une convention préalable en considération de laquelle la clause attributive de juridiction aurait pu être admise sur le fondement de l'usage ; que de ce point de vue, l'arrêt souffre d'un défaut de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
ALORS QUE, DEUXIÈMEMENT, c'est une chose que de savoir si les parties peuvent être regardées comme liées, en vertu de l'usage, par une clause attributive de juridiction, c'en est une autre de que savoir - conditions préalable - si, avant même que la question de la clause attributive de juridiction ne se pose, les parties sont liées par une convention ; que de ce point de vue également, l'arrêt attaqué doit être censuré pour violation de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988.
SECOND MOYEN DE CASSATION
L'arrêt attaqué encourt la censure ;
EN CE QU'il a rejeté le contredit et confirmé le jugement du 16 janvier 2007 ayant retenu la compétence des juridictions françaises ;
AUX MOTIFS QUE " les deux connaissements produits contiennent sur leurs premières pages une clause attribuant compétence au Tribunal de commerce de MARSEILE ; que selon l'article 17 de la convention de LUGANO, dont les parties ne contestent pas qu'elle soit applicable à la cause, une convention attributive de juridiction est conclue a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, b) soit sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, c) soit dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. ; qu'en l'espèce, il existait dans les connaissements une clause attributive de juridiction au profit du Tribunal de commerce de MARSEILLE, juridiction du siège du transporteur maritime, clause qui n'a été acceptée expressément ni par le chargeur, ni par la BNP PARIBAS SUISSE ; que cependant le texte sus-visé permet qu'une convention attributive de juridiction puisse être conclue sans une telle acceptation ; qu'en l'espèce, elle pouvait l'être soit entre le chargeur et le transporteur, par application du paragraphe c de l'article 17, puis transférée ou non à la BNP PARIBAS SUISSE, porteur des connaissements, soit conclue directement, par application du même paragraphe, entre le transporteur et la BNP PARIBAS SUISSE ; qu'il ne paraît pas nécessaire, surtout en l'absence aux débats du chargeur, de rechercher si la clause a bien été conclue entre lui et le transporteur ; qu'en effet cette recherche, à laquelle la BNP PARIBAS SUISSE invite la Cour en posant comme préalable le problème de la validité de la clause entre le transporteur et le chargeur, problème qui n'était apparemment pas posé devant les précédentes juridictions, est inutile dans la mesure où la Convention de LUGANO, permet qu'il puisse être retenu qu'une convention attributive de juridiction s'est conclue directement entre le transporteur et le porteur des connaissements ; que, dans le présent litige, les connaissements n'ont pas été remis à la BNP PARIBAS SUISSE dans le cadre d'un endossement, mais ont été, dès l'origine, établis à son nom ce qui était une condition de l'ouverture du crédit documentaire ; que la CMA-CGM démontre que cette banque même si elle a une personnalité morale distincte de la SA BNP PARIBAS est, tout comme cette dernière, un acteur important du commerce international maritime qui accorde fréquemment des crédits documentaires qu'elle démontre aussi que dans le transport maritime de marchandises, branche spécifique du commerce international, il est d'usage que les transporteurs incluent dans les connaissements une clause attributive de juridiction au profit des tribunaux dans le ressort desquels se trouve leur siège social ; que donc la banque, quand elle a accordé le crédit, ne pouvait ignorer, et était en tout cas censée avoir connaissance du fait que les connaissements qui lui seraient remis contiendraient une clause attributive de juridiction ; qu'il doit donc être retenu qu'une convention attributive de compétence a été conclue entre les parties dans le cadre du contrat de transport, objet du présent litige, et de confirmer la décision déférée " ;
ALORS QUE, PREMIEREMENT, l'usage doit concerner un " type de commerce " ou encore une " branche commerciale considérée " ; que si les juges du fond ont fait état, à ce titre, du " transport maritime ", ils n'ont pas dit en quoi l'activité d'un banquier, si même il pratique le crédit documentaire, peut relever d'une activité de transport maritime ; que de ce point de vue, l'arrêt attaqué souffre d'un défaut de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
ALORS QUE, DEUXIÈMEMENT, les juges du fond n'ont pas davantage constaté le type de contrat, donnant lieu à usage, que conclut un banquier qui consent des crédits documentaires, et un transporteur maritime ; qu'à cet égard également, l'arrêt est affecté d'un défaut de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
ALORS QUE, TROISIÈMEMENT, et en tout état de cause, l'existence d'un usage serait-il établi qu'il ne peut être invoqué que s'il est " largement connu " ; que faute de s'être expliqué sur ce point, les juges du fond ont, une fois encore, privé leur décision de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;
ALORS QUE, QUATRIÈMEMENT, et de la même manière, faute d'avoir constaté que l'usage évoqué était " régulièrement observé ", les juges du fond ont, derechef, privé leur décision de base légale au regard de l'article 17-1-c de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988.