Jurisprudence : Cass. civ. 1, 19-01-2022, n° 20-13.619, F-D, Cassation

Cass. civ. 1, 19-01-2022, n° 20-13.619, F-D, Cassation

A18047KZ

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2022:C100056

Identifiant Legifrance : JURITEXT000045067734

Référence

Cass. civ. 1, 19-01-2022, n° 20-13.619, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/77559037-cass-civ-1-19012022-n-2013619-fd-cassation
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CIV. 1

MY1


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 janvier 2022


Cassation


M. CHAUVIN, président


Arrêt n° 56 F-D

Pourvoi n° S 20-13.619


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 19 JANVIER 2022


La société Nouvelle ILL, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], exerçant sous l'enseigne ILL immobilier, a formé le pourvoi n° S 20-13.619 contre l'arrêt rendu le 22 novembre 2019 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile, section instance), dans le litige l'opposant :

1°/ à [F] [Y], ayant été domicilié [… …] (…), décédé,

2°/ à Mme [R] [U], épouse [Y], domiciliée [Adresse 6] (Belgique),

3°/ à Mme [T] [Y], domiciliée [Adresse 2] (Belgique),

4°/ à Mme [K] [Y], domiciliée [Adresse 5] (Belgique),

5°/ à M. [M] [Aa], domicilié [… …] (…),


6°/ à Mme [W] [Y], domiciliée [Adresse 6] (Belgique),

venant tous cinq aux droits de [F] [Y] décédé,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Le Gall, conseiller référendaire, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de la société Nouvelle ILL, après débats en l'audience publique du 23 novembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Le Gall, conseiller référendaire rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 22 novembre 2019), par acte sous seing privé du 29 novembre 2013, M. et Mme [Aa] ont confié à la société Nouvelle ILL (l'agent immobilier) un mandat de recherche portant sur des murs et un fonds de commerce.

2. Le 14 janvier 2014, ils ont signé deux promesses de vente portant sur un fonds de commerce et sur des murs mitoyens. La vente ne s'est pas réalisée, M. et Mme [Aa] ayant fait valoir qu'ils n'avaient pas obtenu le financement nécessaire.

3. Le 20 septembre 2017, l'agent immobilier les a assignés en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de leur responsabilité civile délictuelle.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. L'agent immobilier fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que les règles gouvernant la responsabilité civile délictuelle, qui sont d'ordre public, ne peuvent être neutralisées contractuellement par anticipation, de sorte que sont dépourvues de tout effet les clauses ayant pour objet ou pour effet d'atténuer la responsabilité civile délictuelle des parties à une convention ou de restreindre les conditions de sa mise en oeuvre ; qu'en faisant néanmoins produire effet à des clauses qui, telles qu'interprétées par ses soins, restreindraient par avance le droit de l'agent immobilier à obtenir réparation, sur le fondement des règles gouvernant la responsabilité civile délictuelle, du préjudice par lui subi en cas de défaillance, par la faute de l'acquéreur, de la condition suspensive relative à l'obtention d'un financement, la cour d'appel a violé les articles 1240 et 1241 du code civil🏛. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241, du code civil🏛 :

5. Ces textes régissant la responsabilité délictuelle étant d'ordre public, leur application ne peut être limitée ou neutralisée contractuellement par anticipation.

6. Pour rejeter les demandes de l'agent immobilier, l'arrêt retient que les stipulations des deux promesses de vente prévoient que l'indemnisation du mandataire pour le préjudice causé par la faute de l'acquéreur défaillant est subordonnée à ce que le vendeur ait lui-même agi, avec succès, devant le tribunal compétent aux fins de déclarer la condition suspensive du prêt réalisée et que ces dispositions interdisent à l'agent immobilier de contourner ces conditions par le recours au mécanisme de la responsabilité délictuelle.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 novembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Amiens ;

Condamne M. et Mme [Aa] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf janvier deux mille vingt-deux, et signé par lui et Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, en remplacement du conseiller rapporteur référendaire empêché, conformément aux dispositions des articles 452 et 456 du code de procédure civile🏛.



MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour la société Nouvelle ILL.

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir rejeté l'ensemble des demandes de la société Nouvelle ILL, lesquelles tendaient principalement à la condamnation des époux [Y] à lui payer une somme de 7.000 € à titre de dommagesintérêts en réparation de la perte d'une chance de percevoir une commission ;

AUX MOTIFS QU'aux termes de l'article 1134 du code civil🏛 dans sa rédaction applicable aux faits de l'espèce : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi » ; que l'article 1162 de ce même code🏛 dans cette même rédaction dispose par ailleurs : « dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation » ; que les deux conventions de vente de biens et droits immobiliers sous condition suspensive proposées à la signature des parties par la société Nouvelle ILL contiennent au titre de la « non réalisation de la condition suspensive » la stipulation suivante : « si la condition suspensive n'est pas réalisée dans le délai prévu au § F, sans que ce défaut incombe à l'acquéreur et sauf renonciation par ce dernier à ladite condition dans la forme prévue au § J, chacune des parties retrouvera sa pleine et entière liberté sans indemnité de part et d'autre ; dans ce cas tout versement effectué par l'acquéreur lui sera immédiatement et intégralement restitué. En revanche, si la nonobtention des prêts a pour cause la faute, la négligence, la passivité, la mauvaise foi ou tout abus de droit de l'acquéreur comme en cas de comportement ou de réticences de nature à faire échec à l'instruction des dossiers ou à la conclusion des contrats de prêts, le vendeur pourra demander au tribunal de déclarer la condition suspensive de prêt réalisée, en application de l'article 1178 du code civil🏛 avec attribution de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait de l'immobilisation abusive des biens à vendre ; que dans cette éventualité, l'acquéreur devra également indemniser le mandataire du préjudice causé par cette faute et le séquestre ne pourra se dessaisir des fonds qui lui sont confiés que d'un commun accord entre les parties ou en vertu d'une décision de justice devenue définitive » ; que les époux [Y], signataires des deux compromis de vente litigieux, avaient désigné par acte du 29 novembre 2013 la société Nouvelle ILL mandataire dans le cadre d'un mandat de recherche relatif à des murs et un commerce de restauration situé à [Localité 3] pour le prix maximum souhaité de 220.000 € ; que la société Nouvelle ILL était également mandataire du vendeur ; que les stipulations ci-dessus reproduites – qui ne réservent pas l'hypothèse d'une action en responsabilité délictuelle – doivent, par application de l'article 1162 du code civil🏛 ci-dessus rappelé être interprétées en ce sens que l'indemnisation du mandataire pour le préjudice causé par la faute de l'acquéreur défaillant est subordonnée à ce que le vendeur ait lui-même agi, avec succès, devant le tribunal compétent aux fins de déclarer la condition suspensive du prêt réalisée ; qu'une interprétation de bonne foi de ces stipulations qui résultent d'un document contractuel établi par l'agent mandataire lui-même interdit à celui-ci de pouvoir contourner les conditions ainsi stipulées par le recours au mécanisme de la responsabilité délictuelle ; que c'est ainsi à juste titre que les époux [Y], dans leurs conclusions devant la cour, font valoir que les conditions d'application de la condition suspensive, stipulée au seul bénéfice – du moins au bénéfice principal – de l'acquéreur, ne sont pas réunies faute pour celui-ci d'avoir agi en réalisation de ladite clause ; qu'il résulte de l'ensemble de ces observations que le jugement doit être réformé, l'ensemble des demandes de la société Nouvelle ILL devant être rejetées ;

1/ ALORS QUE les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et ne peuvent nuire aux tiers ; qu'en déboutant la société Nouvelle ILL, agent immobilier, de son action en responsabilité civile délictuelle tendant à la réparation du préjudice qu'elle subissait en raison de la faute commise par les acquéreurs, qui avait empêché la réalisation de la conditions suspensives qui assortissait les compromis de vente conclus par son entremise, motif pris de clauses figurant dans ces mêmes compromis qui, telles que librement interprétées par ses soins, subordonneraient une telle action en responsabilité à la condition que le vendeur ait lui-même préalablement agi avec succès contre les acquéreurs, quand l'agent immobilier, fût-il le rédacteur de ces compromis, ne pouvait être assimilé à une partie à ces actes et n'était donc pas lié par des clauses de nature à restreindre son droit d'ester en réparation, la cour d'appel a violé l'article 1165 du code civil🏛, pris dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2/ ALORS QU' en tout état de cause, les règles gouvernant la responsabilité civile délictuelle, qui sont d'ordre public, ne peuvent être neutralisées contractuellement par anticipation, de sorte que sont dépourvues de tout effet les clauses ayant pour objet ou pour effet d'atténuer la responsabilité civile délictuelle des parties à une convention ou de restreindre les conditions de sa mise en oeuvre ; qu'en faisant néanmoins produire effet à des clauses qui, telles qu'interprétées par ses soins, restreindraient par avance le droit de l'agent immobilier à obtenir réparation, sur le fondement des règles gouvernant la responsabilité civile délictuelle, du préjudice par lui subi en cas de défaillance, par la faute de l'acquéreur, de la condition suspensive relative à l'obtention d'un financement, la cour d'appel a violé les articles 1240 et 1241 du code civil🏛.

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