Jurisprudence : CA Douai, 15-11-2011, n° 11/00259, Infirmation



République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 2 ARRÊT DU 15/11/2011
***
SUR RENVOI APRES CASSATION
N° de MINUTE
N° RG 11/00259
Jugement rendu le 05 février 2008 par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES
Arrêt (N° 08/02167) rendu le 04 Février 2009 par le Cour d'Appel de DOUAI
Arrêt de la Cour de Cassation du 28 Septembre 2010
REF BP/AMD

DEMANDERESSE
à la déclaration de saisine
Madame Nathalie Z agissant ès qualités de gérante de la société STS
née le ..... à DENAIN
demeurant
VALENCIENNES
Représentée par la SCP DELEFORGE ET FRANCHI, avoués à la Cour
Ayant pour conseil Maître Fabienne ..., avocat au barreau de VALENCIENNES
bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178002201100561 du 25/01/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI
DÉFENDEURS
à la déclaration de saisine
Monsieur Jérôme X
né le ..... à VALENCIENNES
Madame WX épouse WX
née le ..... à VALENCIENNES
demeurant
MONS EN BAROEUL
Représentée par la SCP THERY - LAURENT, avoués à la Cour
Ayant pour conseil Maître Antoine ..., avocat au barreau de LILLE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Gisèle GOSSELIN, Président de chambre
Dominique DUPERRIER, Conseiller Bruno POUPET, Conseiller
GREFFIER LORS DES DÉBATS Delphine VERHAEGHE
DÉBATS à l'audience publique du 12 Septembre 2011 après rapport oral de l'affaire par Bruno ...
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 15 Novembre 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Gisèle GOSSELIN, Président, et
Claudine POPEK, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 21 juin 2011
***
Monsieur Jérôme X et Madame Nathalie ZW, son épouse, ont confié à la SARL Société de travaux et de sécurité (STS), entreprise de bâtiment qui avait pour gérante Madame Nathalie Z, des travaux de rénovation, y compris de gros oeuvre, à exécuter dans un immeuble situé à Lille. Le chantier, commencé au cours de la première semaine d'octobre 2000, a été interrompu à la fin du mois de janvier 2011.
Ayant obtenu la désignation d'un expert judiciaire et au vu du rapport déposé en juin 2001 par ce dernier, faisant état de malfaçons et inexécutions diverses, Monsieur et Madame X ont agi en réparation de leur préjudice, devant le tribunal de commerce de Valenciennes, contre la société AZUR ASSURANCES. Par arrêt du 14 juin 2005, la cour d'appel de Douai les a déboutés de leurs demandes en constatant que la société STS n'avait pas souscrit d'assurance couvrant sa responsabilité décennale pour le chantier en cause.
Entre-temps, la société STS a été déclarée en liquidation judiciaire (4 mars 2002).
Monsieur et Madame X ont alors mis en jeu la responsabilité de Madame Nathalie Z en faisant valoir que celle-ci avait commis la faute de ne pas faire souscrire par l'entreprise d'assurance de garantie décennale et le tribunal de commerce de Valenciennes, par jugement du 5 février 2008, a pour l'essentiel
- dit que Nathalie Z, en sa qualité de gérante, avait commis une faute engageant sa responsabilité civile,
- condamné celle-ci, ès qualités, à payer à Monsieur et Madame X des dommages et intérêts aux titres de la privation d'indemnité de garantie décennale et de la privation de jouissance, outre une indemnité en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Madame Nathalie Z ayant relevé appel de cette décision, la cour de Douai, par arrêt du 4 février 2009, a infirmé le jugement et écarté la responsabilité de l'appelante en retenant que, même constitutif du délit prévu et réprimé par les articles L 111-34 du code de la construction et de l'habitation et L 243-3 du code des assurances, et caractérisant une abstention fautive imputable à la gérante de la société STS assujettie à l'obligation d'assurance, le défaut de souscription des assurances obligatoires de dommages et de responsabilité n'était pas séparable des fonctions de dirigeant.
Monsieur et Madame X se sont pourvus en cassation et la cour de cassation, par arrêt du 28 septembre 2010, a cassé dans toutes ses dispositions la décision de la cour d'appel, estimant qu'en statuant tel qu'elle l'avait fait alors qu'il résultait de ses constatations que Mme Z avait sciemment accepté d'ouvrir le chantier litigieux sans que la société STS fût couverte par une assurance garantissant la responsabilité décennale des constructeurs, la cour avait violé les textes applicables.
Madame Z a saisi la cour de renvoi le 12 janvier 2011 et lui demande
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes,
- de débouter les époux ... de leurs demandes,
- de les condamner solidairement à lui verser la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et la même somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- de les condamner solidairement aux dépens de première instance et d'appel dont distraction, pour ces derniers, au profit de la SCP Deleforge Franchi.
Elle soutient que la société STS avait souscrit une assurance couvrant sa responsabilité décennale mais qu'en toute hypothèse, le défaut de souscription d'une telle assurance ne saurait constituer une faute détachable de ses fonctions de gérante et engager sa responsabilité personnelle.
Monsieur et Madame X demandent pour leur part à la cour de confirmer la décision du tribunal de commerce de Valenciennes, de débouter Madame Z de l'intégralité de ses demandes et de condamner cette dernière à leur payer la somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de la SCP Théry-Laurent.

SUR CE
Sur la faute alléguée
Attendu, d'une part, que l'article L 241-1 du code des assurances dispose que toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil à propos de travaux de bâtiment doit être couverte par une assurance ; qu'à l'ouverture du chantier, elle doit être en mesure de justifier qu'elle a souscrit un contrat d'assurance la couvrant pour cette responsabilité ;
qu'en vertu de l'article L 241-3, le fait de contrevenir à ces dispositions constitue une infraction pénale punie d'un emprisonnement de six mois et d'une amende de 75 000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement ;
Attendu, d'autre part, qu'aux termes de l'article L 223-22 du code de commerce, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ;
qu'il est constant qu'en application de ce texte, la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers peut être retenue s'il a commis une faute séparable de ses fonctions, c'est-à-dire s'il a commis intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales ; qu'ainsi, le gérant d'une société à responsabilité limitée qui commet une faute constitutive d'une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales, engage sa responsabilité civile à l'égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice ;
qu'en l'espèce, force est de constater que Madame Nathalie Z, qui soutient que la société STS était assurée en responsabilité décennale pour le chantier considéré auprès d'une compagnie " ACS " mais ne produit ni le contrat d'assurance considéré ni aucun autre élément susceptible d'en justifier, n'en apporte nullement la preuve ; qu'en revanche, il est établi que la société STS a bien souscrit, mais le 21 juin 2001 seulement, un contrat d'assurance " responsabilité décennale " auprès de la compagnie Azur Assurances, contrat versé aux débats, qui stipule une prise d'effet au 23 novembre 2000 ainsi qu'une absence de reprise du passé, et pour l'exécution duquel Azur ... délègue tous pouvoirs à " ACS, Nanterre " ; que c'est donc de manière mensongère que la société STS, par un courrier du 2 janvier 2001 signé de Monsieur Fabrice ..., directeur commercial de la société (et compagnon de Madame Z comme celle-ci le confirme par ses écritures), évoquait une " garantie décennale souscrite auprès de la compagnie Azur " (et dont elle s'engageait, au demeurant, à fournir l'attestation ultérieurement) puisque le contrat n'était pas encore conclu ;
qu'il est dès lors acquis qu'à l'ouverture du chantier, au mois d'octobre 2000, la société STS n'était pas couverte par une assurance pour sa responsabilité décennale ;
que Madame Z ne justifie nullement de circonstances ayant pu, alors, lui faire croire le contraire ;
qu'il en résulte qu'elle a sciemment accepté d'ouvrir le chantier litigieux sans que la société STS fût couverte par une assurance garantissant la responsabilité décennale des constructeurs et commis ainsi intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice de ses fonctions sociales (peu important qu'elle n'ait pas été déclarée coupable de l'infraction pénale correspondante, faute d'avoir été poursuivie devant une juridiction répressive) ;
que c'est par conséquent à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité personnelle de Madame Z ;
Sur le préjudice
Attendu que Monsieur et Madame X font valoir à bon droit que le préjudice résultant pour eux de la faute commise par Madame Z est au moins égal au montant de l'indemnité qu'ils auraient pu obtenir de l'assureur de la société STS, si celle-ci avait été assurée, pour les désordres relevant de la garantie décennale;
que cependant, cette garantie, conformément à l'article 1792-4-1 du code civil, n'est due qu'à compter de la réception des travaux;
qu'il est acquis, en l'espèce, qu'il n'y a pas eu de réception expresse;
qu'une réception tacite ne peut résulter de la seule prise de possession des lieux et n'est caractérisée que si est établie la preuve d'une volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter les travaux; qu'elle doit en outre présenter un caractère contradictoire et pouvoir être datée;
qu'à cet égard, la date à laquelle Monsieur et Madame X ont pris ou repris possession de l'immeuble n'est pas connue précisément; qu'ils admettent qu'ils restent devoir à la société STS une somme de 3597,19 euros, que Madame Z discute (à la hausse) sans que l'expert ait réussi à établir un état précis des paiements, mais qui est en tout état de cause supérieure à une éventuelle retenue de garantie de 5% sur un marché de 22527,17 euros à supposer qu'elle ait été prévue par le contrat, ce qui n'est pas établi; que Monsieur et Madame X ne démontrent pas avoir tenté d'organiser une réception contradictoire; qu'enfin, si un constat contradictoire des malfaçons et non-exécutions alléguées est certes intervenu à la faveur des opérations d'expertise, la demande d'expertise elle-même tend à prouver que le maître de l'ouvrage ne considérait pas les travaux comme acceptables et qu'il ne ressort pas des pièces versées aux débats (qui ne comprennent pas la première assignation en référé) que le maître de l'ouvrage ait alors clairement agi non seulement pour obtenir une estimation des désordres mais aussi en vue de faire exécuter les travaux de reprise par une autre entreprise et pour en obtenir préalablement l'autorisation;
que les circonstances de l'espèce ne révèlent donc pas une volonté non équivoque de Monsieur et Madame X d'accepter l'ouvrage tel quel après constat contradictoire de son état d'avancement et ne permettent ni de retenir l'existence ni, a fortiori, de fixer la date d'une réception tacite;
que dès lors, il ne peut être tenu pour acquis que Monsieur et Madame X auraient bénéficié de la garantie décennale résultant d'une assurance régulièrement souscrite par la société STS et que la preuve du préjudice qu'ils allèguent n'est pas rapportée;
qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes; Sur les autres demandes
Attendu que les considérations qui précèdent conduisent la cour à débouter Monsieur et Madame X de toutes leurs demandes;
Attendu que Madame Z ne démontre pas le caractère abusif de la résistance de Monsieur et Madame X, lequel ne saurait résulter du simple rejet de leurs prétentions, et qu'il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de dommages et intérêts de ce chef;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles;
Attendu que l'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens;
vu l'article 699 du même code;

PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Valenciennes;
Déboute Monsieur et Madame X de toutes leurs demandes;
Déboute Madame Nathalie Z de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;
Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne solidairement Monsieur Jérôme X et Madame Nathalie ZW aux dépens et dit que la SCP Deleforge & Franchi pourra recouvrer directement contre eux les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Le Greffier, Le Président,
Claudine .... Gisèle ....

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