CIV. 1 FB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 15 mai 2015
Cassation partielle
Mme BATUT, président
Arrêt no 520 FS-P+B
Pourvoi no Y 14-15.878
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par
1o/ M. Z Z, domicilié Paris,
2o/ M. Y Y,
3o/ M. X X,
domiciliés Paris,
4o/ le syndicat Manifeste des avocats collaborateurs, dont le siège est Paris,
contre l'arrêt rendu le 13 février 2014 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige les opposant à l'ordre des avocats au barreau de Paris, dont le siège est Paris Louvre RP SP,
défendeur à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 8 avril 2015, où étaient présents Mme Batut, président, Mme Wallon, conseiller rapporteur, Mme Crédeville, conseiller doyen, M. Delmas-Goyon, Mmes Kamara, Dreifuss-Netter, M. Girardet, Mmes Verdun, Ladant, Duval-Arnould, M. Truchot, conseillers, Mmes Fouchard-Tessier, Canas, M. Vitse, Mmes Barel, Le Gall, conseillers référendaires, M. Cailliau, avocat général, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Wallon, conseiller, les observations de la SCP Boulloche, avocat de M. Z et du syndicat Manifeste des avocats collaborateurs, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de l'ordre des avocats au barreau de Paris, l'avis de M. Cailliau, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Donne acte à MM. Y et X du désistement de leur pourvoi ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, par délibérations des 24 juillet 2012 et 5 mars 2013, le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Paris a refusé au syndicat Manifeste des avocats collaborateurs (le syndicat) le bénéfice d'une subvention ; que le syndicat, M. Z et deux autres avocats, membres de ce syndicat, ont formé contre cette décision un recours en annulation ;
Sur le premier moyen, pris en ses deux premières branches
Attendu que le syndicat fait grief à l'arrêt de déclarer son recours irrecevable, alors, selon le moyen
1o/ que l'article 19 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que toute délibération du conseil de l'ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat, peut être déférée à la cour d'appel à la requête de l'intéressé ; que ce recours doit nécessairement être ouvert au syndicat professionnel d'avocats à qui une délibération du conseil de l'ordre fait grief et qui est de nature à léser ses intérêts de défense des membres de la profession ; qu'en refusant de statuer sur le recours exercé par le syndicat d'avocats, à l'encontre de la délibération du conseil de l'ordre lui refusant une subvention accordée pourtant aux autres organisations syndicales, motif pris que le syndicat ne serait pas un " avocat intéressé ", la cour d'appel a violé les articles 19 de la loi du 31 décembre 1971 et L. 2132-3 du code du travail ;
2o/ que nul ne peut être privé d'un recours effectif contre une décision lui faisant grief ; qu'en l'espèce, le syndicat professionnel d'avocat doit pouvoir exercer un recours contre la délibération du conseil de l'ordre qui lui refuse une subvention et lui fait donc grief ; qu'en déclarant ce recours irrecevable dès lors que la loi du 31 décembre 1971 ne le permettrait pas, la cour d'appel a violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu qu'en vertu de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ; que l'arrêt énonce que selon l'article 19 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée, seuls ont qualité pour former un recours contre une délibération ou une décision du conseil de l'ordre, le procureur général, lorsque celles-ci sont étrangères aux attributions du conseil ou contraires aux dispositions législatives ou réglementaires, ou les avocats, lorsqu'elles sont de nature à léser leurs intérêts professionnels ; que, sans le priver de son droit d'accès à un juge, dès lors qu'il disposait du recours de droit commun ouvert par l'article L. 2132-3 du code du travail, la cour d'appel, qui a relevé que le syndicat n'avait pas la qualité d'avocat, en a exactement déduit qu'il n'était pas recevable à agir sur le fondement de l'article 19 précité ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que la troisième branche du premier moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen
Vu l'article 19, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 ;
Attendu que pour déclarer irrecevable le recours formé par M. Z, l'arrêt énonce que selon ce texte, seuls ont qualité pour former un recours contre une délibération ou une décision du conseil de l'ordre, le procureur général, lorsque celles-ci sont étrangères aux attributions du conseil ou contraires aux dispositions législatives ou réglementaires, ou les avocats, lorsqu'elles sont de nature à léser leurs intérêts professionnels, et relève que la qualité de membre du syndicat n'autorise pas M. Z à se substituer à ce dernier pour contester le refus d'une subvention dont il n'est pas le bénéficiaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors que les intérêts professionnels légalement protégés comprennent les intérêts moraux et économiques d'un avocat membre d'un syndicat d'avocats, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare M. Z irrecevable en son recours, l'arrêt rendu le 13 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne l'ordre des avocats au barreau de Paris aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mai deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Boulloche, avocat aux Conseils, pour M. Z et le syndicat Manifeste des avocats collaborateurs.
Le premier moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré le syndicat " Manifeste des Avocats Collaborateurs-MAC " représenté par son président M. Z Z irrecevable en son recours,
Aux motifs que si le Syndicat MAC, syndicat professionnel d'avocats, tire des dispositions d'ordre public du Code du travail, qualité pour agir devant toutes les juridictions pour la défense des intérêts collectifs de la profession, cette qualité pour ester en justice qui lui est reconnue de manière générale ne saurait lui conférer ipso facto le même intérêt et la même qualité à agir que celle qui est reconnue à un avocat, intéressé, estimant que ses intérêts professionnels sont lésés ;
Que ce même raisonnement s'oppose à ce que Monsieur Z puisse agir en son nom du seul fait de sa qualité de membre à jour de ses cotisations du Syndicat MAC qui ne l'autorise pas à se substituer à lui pour contester le refus d'une subvention dont il n'est pas le bénéficiaire ; qu'en effet, la jurisprudence citée est sans portée sur le débat soumis à la Cour en ce qu'elle vise la nécessité d'un lien entre l'octroi d'une subvention et le financement d'actions susceptibles de se rattacher à la réalisation de missions entrant dans les attributions de l'Ordre, et non sur l'intérêt à agir à titre personnel à l'occasion de l'octroi ou du refus d'une subvention à un syndicat ou une association professionnelle ;
Qu'enfin, l'interprétation littérale des dispositions claires des articles 19 de la loi de 1971 et 15 du décret qui n'ouvrent la voie de l'appel qu'à l'intéressé, avocat, pour la défense de ses intérêts professionnels, non seulement ne prive pas le Syndicat MAC d'agir en justice et d'avoir accès à un juge indépendant et impartial puisqu'il dispose de la possibilité d'engager toutes les procédures de droit commun lui paraissant pertinentes, mais est au surplus parfaitement cohérente avec la compétence de la Cour d'Appel qui ne saurait statuer au fond sur la gestion des biens de l'Ordre ni sur l'attribution des subventions, de la seule compétence du Conseil de l'Ordre ; Qu'en conséquence, le recours du Syndicat MAC, de Monsieur Z et de Messieurs Y et ... sont irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir, que ce soit, pour ces derniers, à titre personnel ou en qualité d'intervenants volontaires (arrêt p.7) ;
Alors que, d'une part, l'article 19 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que toute délibération du conseil de l'Ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat, peut être déférée à la cour d'appel à la requête de l'intéressé ; que ce recours doit nécessairement être ouvert au syndicat professionnel d'avocats à qui une délibération du conseil de l'Ordre fait grief et qui est de nature à léser ses intérêts de défense des membres de la profession ; qu'en refusant de statuer sur le recours exercé par le MAC, syndicat d'avocats, à l'encontre de la délibération du conseil de l'Ordre lui refusant une subvention accordée pourtant aux autres organisations syndicales, motif pris que le syndicat ne serait pas un " avocat intéressé ", la cour d'appel a violé les articles 19 de la loi du 31 décembre 1971 et
L. 2132-3 du code du travail ;
Alors que, d'autre part, nul ne peut être privé d'un recours effectif contre une décision lui faisant grief ; qu'en l'espèce, le syndicat professionnel d'avocat MAC doit pouvoir exercer un recours contre la délibération du conseil de l'Ordre qui lui refuse une subvention et lui fait donc grief ; qu'en déclarant ce recours irrecevable dès lors que la loi du 31 décembre 1971 ne le permettrait pas, la cour d'appel a violé l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
Alors qu'enfin, le conseil de l'Ordre peut, aux termes de l'article 17 de la loi du 31 décembre 1971, accorder des subventions pour le seul financement d'actions conjointes qui concourent à la réalisation de missions entrant dans ses attributions ; que la cour d'appel doit s'assurer que les décisions accordant ou refusant l'octroi de subventions ont été prises en respectant cette disposition ; que la Cour d'appel, en décidant qu'elle n'avait pas compétence pour statuer au fond sur la gestion des biens de l'Ordre ni sur l'attribution des subventions, a violé les articles 17 et 19 de la loi du 31 décembre 1971.
Le second moyen de cassation fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré
M. Z Z, avocat, agissant à titre personnel irrecevable en son recours,
Aux motifs que si le Syndicat MAC, syndicat professionnel d'avocats, tire des dispositions d'ordre public du Code du travail, qualité pour agir devant toutes les juridictions pour la défense des intérêts collectifs de la profession, cette qualité pour ester en justice qui lui est reconnue de manière générale ne saurait lui conférer ipso facto le même intérêt et la même qualité à agir que celle qui est reconnue à un avocat, intéressé, estimant que ses intérêts professionnels sont lésés ;
Que ce même raisonnement s'oppose à ce que Monsieur Z puisse agir en son nom du seul fait de sa qualité de membre à jour de ses cotisations du Syndicat MAC qui ne l'autorise pas à se substituer à lui pour contester le refus d'une subvention dont il n'est pas le bénéficiaire ; qu'en effet, la jurisprudence citée est sans portée sur le débat soumis à la Cour en ce qu'elle vise la nécessité d'un lien entre l'octroi d'une subvention et le financement d'actions susceptibles de se rattacher à la réalisation de missions entrant dans les attributions de l'Ordre, et non sur l'intérêt à agir à titre personnel à l'occasion de l'octroi ou du refus d'une subvention à un syndicat ou une association professionnelle ;
Qu'enfin, l'interprétation littérale des dispositions claires des articles 19 de la loi de 1971 et 15 du décret qui n'ouvrent la voie de l'appel qu'à l'intéressé, avocat, pour la défense de ses intérêts professionnels, non seulement ne prive pas le Syndicat MAC d'agir en justice et d'avoir accès à un juge indépendant et impartial puisqu'il dispose de la possibilité d'engager toutes les procédures de droit commun lui paraissant pertinentes, mais est au surplus parfaitement cohérente avec la compétence de la Cour d'Appel qui ne saurait statuer au fond sur la gestion des biens de l'Ordre ni sur l'attribution des subventions, de la seule compétence du Conseil de l'Ordre ; Qu'en conséquence, le recours du Syndicat MAC, de Monsieur Z et de Messieurs Y et X sont irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir, que ce soit, pour ces derniers, à titre personnel ou en qualité d'intervenants volontaires ;
Alors que, l'article 19 de la loi du 31 décembre 1971 prévoit que toute délibération du conseil de l'Ordre de nature à léser les intérêts professionnels d'un avocat, peut être déférée à la cour d'appel à la requête de l'intéressé ; que l'avocat adhérent à un syndicat a intérêt à contester la délibération du conseil de l'Ordre refusant, de manière discriminatoire, d'accorder une subvention à ce syndicat ; qu'en l'espèce, M. Z est membre et président du syndicat MAC ; qu'en déclarant irrecevable le recours de M. Z pris à titre personnel au motif que celui-ci n'a ni qualité ni intérêt pour se substituer au syndicat afin de contester le refus d'une subvention dont il n'est pas le bénéficiaire, la cour d'appel a violé les articles 6 de la convention européenne des droits de l'homme et 19 de la loi du 31 décembre 1971 ;