Jurisprudence : Cass. soc., 18-12-2002, n° 00-44.259, inédit, Rejet



SOC.
PRUD'HOMMESFB
COUR DE CASSATION
Audience publique du 18 décembre 2002
Rejet
M. BOUBLI, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président
Pourvoi n° G 00-44.259
Arrêt n° 3881 F D
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant

Sur le pourvoi formé par

1°/ M. Joël Z, demeurant Paris,

2°/ M. Christian Y, demeurant Orsay,
en cassation d'un arrêt rendu le 12 mai 2000 par la cour d'appel de Paris (18e chambre, section E), au profit

1°/ de l'établissement public EDF, dont le siège est Paris,

2°/ de l'établissement public GDF, dont le siège est Paris,
défendeurs à la cassation ;
Vu la communication faite au Procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 6 novembre 2002, où étaient présents M. Boubli, conseiller le plus ancien faisant fonctions de président, M. Coeuret, conseiller rapporteur, M. Frouin, Mme Lebée, conseillers référendaires, M. Legoux, avocat général, Mme Guyonnet, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Coeuret, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, avocat de MM. Z, et François, de la SCP Defrenois et Levis, avocat des établissements Publics EDF et GDF, les conclusions de M. Legoux, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu que dans le cadre à un mouvement de grève intervenu dans les services publics au mois de décembre 1995 et qui a affecté les compagnies EDF et GDF, divers salariés dont MM. Z et Y ont fait l'objet de mises à pied disciplinaires pour des fautes lourdes commises le 13 décembre 1995 au sein du siège social de l'établissement public Gaz de France ; que contestant le bien fondé de ces mesures ils ont saisi la juridiction prud'homale pour que celle-ci en prononce l'annulation et pour que EDF-GDF soient condamnées à leur verser un supplément de salaires ;
Sur le premier moyen
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 12 mai 2000) d'avoir débouté MM. Y et Z de leurs demandes, alors, selon le moyen
1°/ qu'il est interdit à tout employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale en ce qui concerne les mesures de discipline ; que l'employeur doit appliquer les règles qu'il s'est fixées à lui-même à tous les salariés se trouvant dans la même situation au regard de cette règle ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt, d'une part, que des responsables du syndicat FO avaient été présents dans le mouvement d'envahissement et d'occupation de la salle du Conseil d'administration au même titre que les quatre responsables syndicaux de la CGT sanctionnés, d'autre part, qu'il était reproché uniquement à ces derniers d'avoir envahi la salle du Conseil d'administration et d'avoir manqué à leur rôle modérateur découlant de leurs mandats syndicaux et représentatifs et enfin, que deux des sanctions n'étaient pas justifiées ; qu'il s'en déduisait qu'EDF-GDF n'avaient pas considéré comme fautif le fait, pour les responsables syndicaux, d'avoir avec les grévistes envahi la salle du Conseil d'administration et de n'avoir pas joué de rôle modérateur à leur égard et, par voie de conséquence, que les sanctions infligées aux quatre responsables CGT, et en particulier aux exposants, étaient dictées par une intention discriminatoire à leur égard fondée sur leur appartenance syndicale, peu important les attitudes individuelles par ailleurs reprochées aux exposants ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé, par fausse application, les articles L. 122-45 et L. 412-2 du Code du travail ;
2°/ que s'il appartient au salarié syndicaliste qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe d'égalité de traitement, il incombe à l'employeur, s'il conteste le caractère discriminatoire du traitement réservé au salarié, d'établir que la disparité de situation constatée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur l'appartenance à un syndicat ; qu'en relevant qu'il n'est pas établi que les militants du syndicat FO aient pris, aux actions d'occupation, de séquestration et de moletage, la part active reprochée aux quatre salariés CGT, la cour d'appel, qui n'a pas exigé d'EDF-GDF qu'elles rapportent la preuve que les responsables FO n'avaient pas envahi la salle du Conseil d'administration, ni pris aucune part active au mouvement litigieux, et avaient joué un rôle modérateur à l'égard des grévistes, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 122-45 et L. 412-2 du Code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui n'a pas pris en considération l'appartenance syndicale des salariés, a tenu compte de leur rôle actif dans les événements du 13 décembre 1995 qui ont consisté à pénétrer de force dans les locaux du conseil d'administration avec un personnel cagoulé qui a neutralisé le système de sécurité, et à retenir les membres de la direction ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté MM. Y et Z de leurs demandes, alors, selon le moyen
1°/ que nul ne peut se constituer de preuve à lui-même ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que MM. ..., ... et ... ont été victimes, en leur qualité de directeurs des compagnies EDF et GDF, de faits caractérisant une privation de liberté et des atteintes à l'intégrité physique ; que, pour déclarer ces faits établis et les imputer à MM. Y et Z, la cour d'appel s'est exclusivement fondée sur les déclarations de MM. ..., ... et ... ; qu'ayant inversé la charge de la preuve, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1315 du Code civil ;
2°/ que le relevé de conclusions des accords conclus entre le Premier ministre et les partenaires sociaux le 21 décembre 1995 prévoit que, dans un souci d'apaisement et de réconciliation, toutes les sanctions disciplinaires qui auraient pu être prononcées dans les entreprises publiques affectées par le récent mouvement social, à l'exception de celles ayant trait à des faits portant atteinte à la sécurité des personnes et des installations sensibles, seront rapportées ; qu'en considérant que les sanctions étaient conformes à ce relevé, après avoir constaté uniquement des faits de privation de liberté, de jets d'objets et de bruitages de forte intensité, ainsi que l'attitude de M. Z ayant plaqué contre un mur un directeur et n'ayant pas empêché un vol de sacoche, la cour d'appel, qui n'a ainsi relevé l'existence d'aucune atteinte à la sécurité des personnes et des installations sensibles à la charge des exposants, en l'absence, d'une part, d'installations sensibles et, d'autre part, de voies de fait ayant entraîné un préjudice physique effectif, n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil ;
3°/ qu'une contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; que la cour d'appel s'est contredite en énonçant, d'un côté, que les exposants avaient porté atteinte à l'intégrité physique des directeurs et, de l'autre, que les exposants ne s'étaient pas opposés, ou avaient participé, à des faits de privation de liberté pendant trois ou quatre heures, de jets d'objets, de bruitages de forte intensité, et que M. Z avait plaqué contre un mur M. ..., dès lors que la cour d'appel n'a, par ailleurs, relevé l'existence d'aucun préjudice physique effectif ; que la cour d'appel a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, équivalant à un défaut de motifs, en méconnaissance de l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
4°/ que ne caractérise pas l'intention de nuire constitutive d'une faute lourde commise par des salariés grévistes, titulaires de mandats syndicaux et représentatifs, le fait, d'une part, de n'avoir pas joué de rôle modérateur dans un mouvement d'occupation de la salle d'un Conseil d'administration et de rétention de trois directeurs pendant trois ou quatre heures, provoqué par le refus systématique de l'employeur de négocier des revendications présentées depuis trois semaines dans le cadre d'une grève nationale des services publics, d'autre part, de ne s'être pas opposés à des jets de projectiles et à des bruitages n'ayant entraîné aucune conséquence préjudiciable, et enfin, d'une part, d'avoir, pendant une courte durée, plaqué au mur un directeur sans s'opposer au vol de sa sacoche par un individu cagoulé non identifié, et, d'autre part, d'avoir dirigé son porte voix vers un directeur sans qu'il en résulte aucun préjudice ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel, qui n'a pas déduit les conséquences légales de ses constatations de fait, a violé, par fausse application, l'article L. 521-1 du Code du travail ;
5°/ qu'en relevant qu'il y avait eu atteinte à la sécurité des personnes du fait que MM. Y et Z ne s'étaient pas opposés au mouvement d'occupation et de privation de liberté des directeurs, sans examiner aucunement la déclaration de M. ... selon laquelle "alors que j'étais totalement privé de ma liberté de mouvement, des manifestants demandaient (au service d'ordre de la CGT animé notamment par M. Z) s'ils pouvaient me taper dessus et certaines manifestantes ont demandé l'autorisation de cracher. Ceci a été refusé", la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1134 du Code civil et de l'article L. 521-1 du Code du travail ;
Mais attendu que dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des preuves, la cour d'appel a estimé que les agissements reprochés aux salariés étaient établis ; qu'elle en a déduit à bon droit qu'ils constituaient une faute lourde ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le troisième moyen
Attendu qu'il est encore fait grief à l'arrêt d'avoir débouté MM. Z et Y de leurs demandes, alors, selon le moyen
1°/ que le juge ne peut dénaturer les termes clairs et précis d'un écrit ; qu'en relevant que M. Z avait poussé M. ... vers la table sur laquelle il a dû monter, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de la narration des événements du 13 décembre 1995 de M. ... qui a déclaré que M. Y avait indiqué aux manifestants et avait fait en sorte que ceux-ci "exigent que je monte sur la table du Conseil d'administration pour répondre à certaines questions" ; que la cour d'appel a violé, par dénaturation, l'article 1353 du Code civil ;
2°/ qu'en relevant que M. ... avait indiqué avoir été poussé pour monter sur la table, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des déclarations de M. ..., selon lesquelles celui-ci n'avait pas été porté sur la table mais qu'il avait répondu à la proposition de M. Y de discuter un moment avec les grévistes avant de repartir, et qu'il était ainsi monté sur la table de son plein gré ; que la cour d'appel a, de nouveau, violé par dénaturation l'article 1353 du Code civil ;
3°/ qu'en relevant que M. ... avait indiqué avoir été poussé pour monter sur la table, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des déclarations de M. ... selon lesquelles c'était à l'instigation des manifestants qu'il était monté sur la table, sans cependant leur opposer aucune résistance, afin de s'expliquer devant les grévistes sur des écrits qu'il assumait pleinement ; que la cour d'appel a, là encore, violé, par dénaturation, l'article 1353 du Code civil ;

Mais attendu que c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation et sans dénaturation des pièces que la cour d'appel a estimé que les faits reprochés aux salariés étaient établis ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. Z et Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande des établissements publics EDF et GDF ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit décembre deux mille deux.

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